Interview 20septembre 2015 | Le Matin Dimanche 21 «C’est impossible pour moi d’avoir un œil sur chacun des fidèles» Daech Un musulman de 20 ans a quitté Genève pour rejoindre l’Etat islamique en Syrie. Il se serait radicalisé à la mosquée de Genève. Son directeur, Ahmed Beyari, parle pour la première fois. Frédéric Vormus En dates [email protected] 1944 C Naissance Il naît en Arabie saoudite. onverti à l’islam depuis peu, un jeune homme de 20 ans a quitté Genève pour rejoindre l’Etat islamique en Syrie, accompagné d’un ami tunisien. Selon la Tribune de Genève, qui a révélé cette affaire, il se serait radicalisé à la mosquée du Petit-Saconnex, la plus grande de Suisse. Le directeur de la Fondation culturelle islamique de Genève, Ahmed Beyari, responsable de la gestion des lieux, répond pour la première fois aux interrogations soulevées par ce départ. 1963 Neuchâtel Il entre à l’Université de Neuchâtel pour apprendre le français. 1972 Amérique du Nord Il obtient un Bachelor en sciences politiques à l’Université du Michigan, qu’il complète par un Master à Ottawa dix ans plus tard. Ce Genevois de 20 ans venait prier trois fois par jour à la mosquée. Comment avez-vous pu ne pas remarquer sa radicalisation? Je ne peux pas surveiller tout le monde. Nous avons énormément de fidèles. C’est impossible pour moi d’avoir un œil sur chacun. 1982 Diplomatie Il suit une carrière diplomatique qu’il termine au Sénégal où il occupe le poste d’ambassadeur. Si vous ne pouvez pas, est-ce que les imams, plus proches des croyants, le peuvent? Nos imams entretiennent d’excellents contacts avec notre communauté, mais les personnes qui ont des idées extrêmes ne parlent pas avec les imams parce qu’ils les jugent trop modérés. Au contraire, elles s’en tiennent éloignées. Si d’aventure un imam devait s’apercevoir que l’un de ses fidèles se radicalisait, il irait lui parler, essayer de le raisonner. Les croyants parlent de beaucoup de sujets liés à la société mais jamais de leur possible radicalisation. 2012 Mosquée Il devient le directeur général et superviseur de la Fondation culturelle islamique de Genève, qui gère la mosquée du Petit-Saconnex. Est-ce qu’en tant que directeur vous en avez fait assez pour assurer un contrôle de la mosquée? On peut toujours améliorer le travail à la mosquée. En tant que directeur général, j’essaie de tout savoir mais quelquefois il y a des gens de passage qui viennent prier puis repartent. Dorénavant, nous avons engagé un agent chargé de la sécurité qui agit plutôt comme médiateur. Nous avons placé des caméras supplémentaires pour protéger les lieux et les fidèles. Nous avons aussi réduit les heures d’ouverture de la mosquée: nous l’ouvrons une demiheure avant la prière et la fermons une demiheure après. La mosquée est désormais mieux surveillée qu’auparavant. Selon la Tribune de Genève, qui cite un rapport de la Direction départementale de la police aux frontières, la mosquée jouerait un rôle de premier ordre dans l’organisation de la filière djihadiste... C’est une affabulation! Non, franchement, vous croyez réellement que si c’était le cas le Service de renseignement de la Confédération (SRC) et les autorités genevoises ne seraient pas plus affolées? Encore une fois, il se peut que quelqu’un vienne d’ailleurs puis parte en Syrie. Nous ne pouvons pas empêcher un musulman de venir prier dans notre mosquée. Au contraire, elle joue un rôle primordial dans l’enseignement du bon islam. Nos imams dans leurs prêches dénoncent l’extrémisme religieux et le terrorisme. Ils demandent aux fidèles de pratiquer les principes de l’islam, soit la tolérance, la paix, la justice, le vivre ensemble. Nos imams souhaitent que les croyants s’intègrent positivement dans la société suisse. De plus, nous avons toujours coopéré avec les autorités genevoises. Si vous n’assumez aucune responsabilité dans ce qui se passe dans vos murs, comment pouvez-vous prétendre que ce rapport est faux? Mais si un jeune vient prier quelques fois à la mosquée, ça ne veut pas dire qu’il appartient à notre communauté. Aujourd’hui, les jeunes se radicalisent sur Internet, pas dans les mosContrôle qualité Ahmed Beyari aimerait que la mosquée de Genève devienne un lieu de conseil spécialisé pour prévenir les cas de radicalisation. Sébastien Anex quées. Selon un rapport de l’Université des sciences appliquées de Zurich paru cette semaine, il n’y a pas de lien entre mosquée et radicalisme. D’ailleurs, l’un des deux jeunes qui sont partis en Syrie vient de Tunisie. Il a été formé là-bas. Rien ne prouve que ces deux jeunes se soient radicalisés ici. «Il n’y a pas Comment se fait-il que vous n’ayez jamais identifié le groupe radicalisé que fréquentaient les deux jeunes partis s’engager auprès de l’Etat islamique? Il n’y a pas de groupe radicalisé au sein de notre mosquée. S’il en existait un, nous prendrions des mesures et nous contacterions les autorités. Ahmed Beyari, directeur de la Fondation culturelle islamique de Genève La salle de sport est un dispositif souvent central dans ce processus de radicalisation. Est-ce normal d’y laisser des gens s’y rassembler sans surveillance quand bon leur semble? Nous offrons une salle de sport pour promouvoir d’autres activités. La mosquée ne sert pas seulement à prier. Notre nom est Fondation culturelle islamique. Il y a donc des aspects culturels. En général, dans les salles de sport, les gens ne viennent pas pour discuter mais pour faire du sport. On ne peut pas accéder à la salle si le coach n’est pas là, il y a des horaires précis et pas de porte dérobée. Ces jeunes ne pouvaient pas être seuls. Je ne crois pas que ce soit l’endroit indiqué pour parler de djihad. de groupe radicalisé au sein de notre mosquée. S’il en existait un, nous prendrions des mesures et nous contacterions les autorités» Deux de vos imams, sur trois, sont fichés par le renseignement français à cause de leurs liens avec les extrémistes. Le saviez-vous? Non, nous ne savions pas qu’ils étaient fichés, mais nous n’avons rien à leur reprocher. Ils s’acquittent de leur mission à notre plus grande satisfaction. Leur prêche du vendredi prône la tolérance et la paix. Ce sont de bons imams. Nous n’avons jamais décelé chez eux des idées radicales. Ils sont d’ailleurs choqués d’avoir été fichés. L’un des imams a fait envoyer par son avocat un courrier au procureur de la République française pour en connaître les raisons. Il se tient à disposition des autorités concernées pour répondre à leurs questions et pour comprendre l’origine de cette problématique. Aujourd’hui, il n’y a pas de preuves. Si demain il y en avait, alors la mosquée prendrait toutes les mesures requises. Ne faudrait-il pas engager des imams formés en Suisse? Pourquoi pas? Ce serait plus facile. Ils auraient étudié notre religion, parleraient les langues du pays et surtout comprendraient la culture et la mentalité suisses. Si nous devions choisir entre deux imams, nous privilégierions celui formé en Suisse. Vous dites que vos imams sont très bons. Pourtant lorsque la mère du jeune parti en Syrie les a appelés, ils ne l’ont ni écoutée ni soutenue. Pourquoi? Merci de me donner la possibilité de faire la lumière sur ce point. Elle a téléphoné à l’un des imams pour lui demander s’il avait des contacts en Turquie pour qu’elle puisse atteindre son fils. Elle craignait qu’il ne parte en Syrie. C’était impossible de lui en donner car il n’en a pas. Par la suite, il a reconnu qu’il ne l’avait pas assez écoutée. Il s’en est excusé. C’est pourquoi nous invitons cette dame à la mosquée pour discuter avec nous. Notre porte est ouverte. Nous partageons son chagrin. Comprenez-vous qu’une part de la population suisse ait peur de l’islam? Oui, malheureusement. J’aimerais que les Suisses n’aient pas peur de l’islam. Je voudrais que l’islamophobie disparaisse. Il y a toujours des gens qui font du mal, dans n’importe quelle religion. Parmi les musulmans, certains ne connaissent pas bien leur religion, ils sont éloignés des imams. A la mosquée de Genève, nous sommes très ouverts, transparents et souhaitons l’être encore plus. A ce titre, nous serions très honorés d’être l’un des lieux de conseil spécialisés pour prévenir les cas de radicalisation comme le préconisent les conclusions de l’étude citée en début d’entretien. Dans l’immédiat, nous continuons notre travail d’ouverture en recevant toute l’année des écoles et des groupes. Si les gens ont des questions sur l’islam, ils peuvent venir nous voir. U