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Interview
20septembre 2015 | Le Matin Dimanche
Contrôle qualité
«Cest impossible pour moi davoir
un œil sur chacun des fidèles»
Daech Un musulman de 20 ans a quitté Genève pour rejoindre l’Etat islamique en Syrie.
Il se serait radicalisé à la mosquée de Genève. Son directeur, Ahmed Beyari, parle pour la premre fois.
Frédéric Vormus
frederic.vormus@lematindimanche.ch
Converti à l’islam depuis
peu, un jeune homme de
20 ans a quitté Genève
pour rejoindre l’Etat isla-
mique en Syrie, accompa-
gné d’un ami tunisien. Se-
lon la Tribune de Genève,
qui a révélé cette affaire, il se serait radicalisé à
la mosquée du Petit-Saconnex, la plus grande
de Suisse. Le directeur de la Fondation cultu-
relle islamique de Geve, Ahmed Beyari, res-
ponsable de la gestion des lieux, répond pour
la premre fois aux interrogations soulees
par ce part.
Ce Genevois de 20 ans venait prier trois
fois par jour à la mosquée. Comment
avez-vous pu ne pas remarquer
sa radicalisation?
Je ne peux pas surveiller tout le monde. Nous
avons énormément de fidèles. Cest impossi-
ble pour moi davoir un œil sur chacun.
Si vous ne pouvez pas, est-ce que
les imams, plus proches des croyants,
le peuvent?
Nos imams entretiennent dexcellents con-
tacts avec notre communauté, mais les per-
sonnes qui ont des idées extmes ne parlent
pas avec les imams parce qu’ils les jugent trop
modérés. Au contraire, elles sen tiennent éloi-
gnées. Si d’aventure un imam devait saperce-
voir que l’un de ses fidèles se radicalisait, il irait
lui parler, essayer de le raisonner. Les croyants
parlent de beaucoup de sujets liés à la société
mais jamais de leur possible radicalisation.
Est-ce qu’en tant que directeur
vous en avez fait assez pour assurer
un contrôle de la mosquée?
On peut toujours améliorer le travail à la mos-
quée. En tant que directeur néral, j’essaie de
tout savoir mais quelquefois il y a des gens de
passage qui viennent prier puis repartent. Do-
rénavant, nous avons engagé un agent chargé
de la sécurité qui agit plutôt comme dia-
teur. Nous avons placé des caméras supplé-
mentaires pour proger les lieux et les fidèles.
Nous avons aussi réduit les heures douverture
de la mosquée: nous louvrons une demi-
heure avant la prière et la fermons une demi-
heure après. La mosquée est sormais mieux
surveillée quauparavant.
Selon la Tribune de Genève, qui cite un
rapport de la Direction départementale
de la police aux frontières, la mosqe
jouerait un rôle de premier ordre dans
l’organisation de la filre djihadiste...
Cest une affabulation! Non, franchement,
vous croyez réellement que si c’était le cas le
Service de renseignement de la Confédéra-
tion (SRC) et les autoris genevoises ne se-
raient pas plus affoes? Encore une fois, il se
peut que quelqu’un vienne dailleurs puis
parte en Syrie. Nous ne pouvons pas empê-
cher un musulman de venir prier dans notre
mosquée. Au contraire, elle joue un rôle pri-
mordial dans lenseignement du bon islam.
Nos imams dans leurs prêches noncent lex-
trémisme religieux et le terrorisme. Ils de-
mandent aux files de pratiquer les principes
de lislam, soit la torance, la paix, la justice, le
vivre ensemble. Nos imams souhaitent que
les croyants s’ingrent positivement dans la
société suisse. De plus, nous avons toujours
coopé avec les autorités genevoises.
Si vous nassumez aucune responsabilité
dans ce qui se passe dans vos murs,
comment pouvez-vous prétendre
que ce rapport est faux?
Mais si un jeune vient prier quelques fois à la
mosquée, ça ne veut pas dire qu’il appartient à
notre communau. Aujourd’hui, les jeunes se
radicalisent sur Internet, pas dans les mos-
quées. Selon un rapport de l’Université des
sciences appliquées de Zurich paru cette se-
maine, il n’y a pas de lien entre mosquée et ra-
dicalisme. Dailleurs, l’un des deux jeunes qui
sont partis en Syrie vient de Tunisie. Il a été
formé là-bas. Rien ne prouve que ces deux jeu-
nes se soient radicalisés ici.
Comment se fait-il que vous nayez
jamais identifié le groupe radicali
que fréquentaient les deux jeunes partis
s’engager auprès de l’Etat islamique?
Il n’y a pas de groupe radicalisé au sein de no-
tre mosquée. S’il en existait un, nous pren-
drions des mesures et nous contacterions les
autoris.
La salle de sport est un dispositif
souvent central dans ce processus
de radicalisation. Est-ce normal
d’y laisser des gens s’y rassembler sans
surveillance quand bon leur semble?
Nous offrons une salle de sport pour promou-
voir dautres activités. La mosquée ne sert pas
seulement à prier. Notre nom est Fondation
culturelle islamique. Il y a donc des aspects
culturels. En général, dans les salles de sport,
les gens ne viennent pas pour discuter mais
pour faire du sport. On ne peut pas accéder à la
salle si le coach nest pas , il y a des horaires
précis et pas de porte robée. Ces jeunes ne
pouvaient pas être seuls. Je ne crois pas que ce
soit lendroit indiqué pour parler de djihad.
Deux de vos imams, sur trois, sont fichés
par le renseignement français à cause
de leurs liens avec les extmistes.
Le saviez-vous?
Non, nous ne savions pas qu’ils étaient fi-
chés, mais nous navons rien à leur repro-
cher. Ils s’acquittent de leur mission à notre
plus grande satisfaction. Leur prêche du ven-
dredi prône la tolérance et la paix. Ce sont de
bons imams. Nous n’avons jamais décelé
chez eux des idées radicales. Ils sont
d’ailleurs choqués davoir éfichés. L’un des
imams a fait envoyer par son avocat un cour-
rier au procureur de la République française
pour en connaître les raisons. Il se tient à dis-
position des autorités concernées pour ré-
pondre à leurs questions et pour comprendre
l’origine de cette problématique. Au-
jourd’hui, il n’y a pas de preuves. Si demain il
y en avait, alors la mosquée prendrait toutes
les mesures requises.
Ne faudrait-il pas engager des imams
fors en Suisse?
Pourquoi pas? Ce serait plus facile. Ils auraient
étudié notre religion, parleraient les langues
du pays et surtout comprendraient la culture
et la mentalité suisses. Si nous devions choisir
entre deux imams, nous privilégierions celui
formé en Suisse.
Vous dites que vos imams sont très bons.
Pourtant lorsque la re du jeune parti
en Syrie les a appes, ils ne l’ont
ni écoutée ni soutenue. Pourquoi?
Merci de me donner la possibili de faire la lu-
mière sur ce point. Elle a téphoné à l’un des
imams pour lui demander s’il avait des con-
tacts en Turquie pour quelle puisse atteindre
son fils. Elle craignait quil ne parte en Syrie.
Cétait impossible de lui en donner car il nen a
pas. Par la suite, il a reconnu quil ne lavait pas
assez écoutée. Il sen est excusé. Cest pour-
quoi nous invitons cette dame à la mosquée
pour discuter avec nous. Notre porte est
ouverte. Nous partageons son chagrin.
Comprenez-vous qu’une part de
la population suisse ait peur de l’islam?
Oui, malheureusement. J’aimerais que les
Suisses naient pas peur de l’islam. Je voudrais
que l’islamophobie disparaisse. Il y a toujours
des gens qui font du mal, dans n’importe
quelle religion. Parmi les musulmans, certains
ne connaissent pas bien leur religion, ils sont
éloignés des imams. A la mosquée de Geve,
nous sommes très ouverts, transparents et
souhaitons lêtre encore plus. A ce titre, nous
serions très honorés dêtre l’un des lieux de
conseil spécialisés pour prévenir les cas de ra-
dicalisation comme le pconisent les conclu-
sions de l’étude citée enbut dentretien.
Dans l’immédiat, nous continuons notre tra-
vail d’ouverture en recevant toute lannée des
écoles et des groupes. Si les gens ont des ques-
tions sur lislam, ils peuvent venir nous voir. U
«Il n’y a pas
de groupe
radicalisé au
sein de notre
mosquée.
S’il en existait
un, nous
prendrions
des mesures
et nous
contacterions
les autorités»
Ahmed Beyari,
directeur de la
Fondation culturelle
islamique de Genève
Ahmed Beyari
aimerait que
la mosquée de
Genève devienne
un lieu de conseil
spécialisé pour
prévenir les cas
de radicalisation.
Sébastien Anex
En dates
1944
Naissance
Il naît en Arabie
saoudite.
1963
Neuchâtel
Il entre à l’Université
de Neuchâtel pour
apprendre le français.
1972
Amérique du Nord
Il obtient un Bachelor
en sciences
politiques
à l’Universi
du Michigan,
qu’il complète par
un Master à Ottawa
dix ans plus tard.
1982
Diplomatie
Il suit une carrière
diplomatique qu’il
termine au Sénégal
il occupe le poste
d’ambassadeur.
2012
Mosquée
Il devient le directeur
général et
superviseur de la
Fondation culturelle
islamique de Genève,
qui gère la mosquée
du Petit-Saconnex.
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