revue REPERES

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REPÈRES N° 21/2000
G. DUCANCEL
indications, compte tenu de la faiblesse des effectifs des élèves pris en compte :
12 dans le groupe expérimental et 12 dans le groupe témoin (ayant bénéficié de
séances spécifiques d'apprentissage de l'orthographe). Ces premiers résultats,
notons-le, recoupent ceux d'autres recherches. Les élèves du groupe expéri¬
mental ont des résultats inférieurs en situation de dictée. Par contre, leurs per¬
formances sont supérieures en situation des production de textes. Leurs textes
sont plus longs. En cours d'écriture, ils recherchent davantage la graphie de
mots et leurs recherches sont davantage ciblées, plus courtes et davantage
couronnées de succès. Après la production, leurs explications méta-procédu¬
rales sont plus nombreuses et plus élaborées. L'auteur ne dit rien de la manifes¬
tation des compétences propres à la mise en texte ni des stratégies ayant trait à
la gestion des composantes de la tâche.
Ces comptes rendus montrent - nous l'espérons - l'actualité et la richesse
de cet ouvrage. II réussit à lier apports épistémologiques, pédagogiques, didac¬
tiques. Le versant thématique que nous n'avons pas abordé, celui des théories
convocables pour rendre compte des apprentissages scolaires, présente les
mêmes qualités.
Une seule réserve mais qui ne remet pas en cause notre jugement d'en¬
semble. L'ouvrage se termine par une contribution de J.-P. Bernié : « Éléments
théoriques pour une didactique interactionniste de la langue maternelle ». La
gageure est de taille... peut être hors de portée. On regrette cependant que
l'image que l'auteur brosse de la didactique de la langue maternelle soit pour le
moins réductrice : il n'est mentionné que des travaux postérieurs à 1990 et,
parmi ceux-ci, seulement des travaux relevant de la transposition didactique de
nouveaux savoirs sur la langue et les textes (parmi lesquels les travaux EVA dont
on souligne la « réification scolastique »). La solution ? Que la didactique se
centre sur l'activité. Le moyen ? « La conception socio-historique de l'outil »
issue de Vygotski. Dès lors, l'auteur développe des propositions qui relèvent
davantage du vygotskisme appliqué que d'une tentative de faire progresser l'au¬
tonomie d'une didactique dialoguant avec les théories de l'apprentissage.
Gilbert Ducancel
Serge MELEUC et Nicole FAUCHARD (2000) : Didactique de la conjugai¬
son ; le verbe autrement, Ed. CRDP Midi-Pyrénées
Les auteurs partent du constat que, dans les erreurs orthographiques com¬
mises par des scripteurs experts, existent des erreurs de périphérie - celles qui
touchent les zones marginales de notre orthographe - et des erreurs qui portent
sur des zones centrales et mal conceptualisées de la langue. On observe
notamment une répétition des erreurs de ce type sur le verbe puisque, le verbe
étant un élément fléchi, les incertitudes à ce niveau entraînent une multiplication
d'écarts et de difficultés. La conséquence en est un brouillage de la lisibilité des
textes produits par les élèves. Quand, de plus, ces erreurs apparaissent dans
des tapuscrits d'étudiants, voire d'experts, on est en droit de penser que ces
étudiants ou experts, qui ont appris et récité les tableaux de conjugaison, ont
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Notes de lecture
enfermé ce savoir orthographique dans un savoir scolaire et l'ont coupé du tra¬
vail de production textuelle.
D'où le projet des auteurs dans ce livre : changer les habitudes d'enseigne¬
ment de la conjugaison elles-mêmes calquées sur les habitudes d'apprentis¬
sage des paradigmes latins : a) l'élève récite le paradigme (c'est de
l'apprentissage réflexe) et b) le professeur vérifie l'acquisition d'une nomencla¬
ture. En fait, l'objectif à fixer à l'apprentissage de la morphologie verbale est la
maitrise de l'expression. Pour cela, la conjugaison doit être intégrée dans une
représentation linguistique plus générale qui présente les propriétés morphosyn¬
taxiques du verbe et leurs régularités majeures. Au delà, cette étude doit être
articulée au travail de production d'énoncés qu'il convient de ne pas isoler de
l'apprentissage des paradigmes. Trois parties structurent l'ouvrage et fondent la
démonstration.
Dans la première, les auteurs proposent une analyse linguistique du verbe
français. Ils montrent que les tableaux de conjugaison appris par les écoliers
sont en réalité des modèles analogiques dans lesquels l'infinitif joue le rôle de
classificateur unique de la morphologie verbale. De fait, les élèves ne parvien¬
nent pas à saisir les véritables régularités, puisque, par exemple, la troisième
classe comprend presque autant de paradigmes que de formes d'infinitifs. A cet
effet, le Bescherelle ne propose-t-il pas 80 verbes modèles ! Et il suffit qu'un
verbe se distingue par une seule particularité pour qu'un tableau entier de
conjugaison lui soit consacré. Ces tableaux de conjugaison fonctionnent en fait
comme des répertoires de formes attestées, selon un ordre et une terminologie
convenus. Ils réduisent le verbe à un mot dont l'image est plate, et ne contri¬
buent aucunement à analyser le verbe comme une base lexicale sur laquelle
viennent se greffer des éléments récurrents et organisés en système.
Deuxième difficulté : les tableaux de conjugaison reposent sur un modèle
panchronique implicite qui doit tout à la culture littéraire. On y trouve à la fois les
formes du subjonctif imparfait et plus-que-parfait qui ne sont plus attestées
dans l'usage contemporain et certaines formes de verbes défectifs que l'on ne
rencontre plus que dans la lecture de textes anciens. La présentation en tableau
est donc utile pour la situation de réception, mais non dans une situation de
production ou d'encodage. Or, pour celui qui écrit, deux éléments essentiels
doivent être pris en compte : l'usage contemporain et la distinction entre fran¬
çais parlé et français écrit.
Autre critique portée à ces tableaux : pour chacun, les cellules apparaissent
comme des entités autonomes et spécifiques. On apprend les temps composés
comme s'il s'agissait de formes autonomes. Or, ces cellules sont associables
par couples, chaque forme simple correspondant directement avec une forme
composée. En effet, la formation d'un temps composé se réalise par la flexion
du verbe auxiliaire et la variation du participe passé. Mais cette variation relève
d'un problème de syntaxe, et non de morphologie verbale. De fait, du point de
vue morphologique, la forme du verbe est constituée d'une base lexicale,
variable dans certains verbes et isolable dans la plupart (sauf être et avoir) et
d'une flexion modale, temporelle et personnelle qui est régulière, sauf quand la
base lexicale du verbe n'est pas isolable. Or, parmi les morphèmes constitutifs
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N. CORDARY et J. DAVID
du verbe, seule la flexion modale et temporelle constitue une marque morpholo¬
gique appartenant en propre au verbe. Les flexions de personne, de nombre et
de genre, quant à elles, mettent en jeu la relation du GN sujet au verbe, et sont
donc de nature syntaxique. II est à remarquer que la flexion en genre concerne
le seul participe. Cela signifie que l'on transfère sur la désinence du verbe des
marques introduite par le GN sujet de la phrase. Les tableaux fonctionnent donc
comme des répertoires de formes attestées aussi bien en diachronie qu'en syn¬
chronie, mais ils représentent le degré zéro de l'analyse morphologique et syn¬
taxique. Pourtant, dans une situation d'apprentissage, il faudrait concevoir avec
les élèves des outils de la langue, c'est-à-dire les penser avec eux pour qu'ils
apprennent véritablement à s'en servir.
C'est cet objectif qui motive la deuxième partie de l'ouvrage. Selon quels
principes pédagogiques et comment peut-on enseigner la conjugaison ? Les
auteurs proposent des activités de structuration des connaissances qui repo¬
sent à la fois sur des pratiques d'écriture diversifiées, des entraînements spéci¬
fiques et une réflexion métalinguistique consistant avant tout à réfléchir sur les
différents actes à accomplir et sur les marques que chaque scripteur doit choi¬
sir. Passons en revue les activités proposées :
1- Tout d'abord, il convient de distinguer formes verbales et formes non
verbales, puis te verbe, i-e le mot qui porte les marques de temps et de per¬
sonne (et non les marques de l'accord puisqu'il n'est pas une propriété intrin¬
sèque du verbe), de l'infinitif, élément neutre ou lexical porteur du sens du
verbe, d'une part, et du participe passé, forme non verbale fonctionnant comme
un adjectif formé sur une base verbale, d'autre part. II convient enfin de distin¬
guer le participe passé en -é, et Vinfinitif en -er, en travaillant sur le sens de la
phrase qui est différent selon l'orthographe donnée (Le bûcheron regarde les
branches tomber I le bûcheron regarde les branches tombées).
2- II faut ensuite étudier Vaccord sujet/verbe en reconsidérant le rôle du
pronom. Afin d'éviter les écueils liés à la présentation des tableaux de conjugai¬
son, les auteurs proposent un ensemble d'activités et des séquences d'appren¬
tissage - toutes expérimentées à l'école primaire et au collège - afin d'aider les
élèves à comprendre que le pronom est une marque distinctive essentielle dans
la différenciation des formes, et qu'il se révèle de fait comme une unité indispen¬
sable à la compréhension des rapports entre pronom et personne d'une part,
pronom et GN sujet d'autre part. En effet, l'accord sujet - verbe est un problème
typique de grammaire ; il relève de la relation pronom (GN) - verbe dans la syn¬
taxe de la phrase et nécessite des exercices de repérage, des exercices transformationnels, des activités de fléchage pour accroître ce mouvement rétroactif
indispensable pour contrôler ou vérifier les accords. Bref, il s'agit d'engager la
réflexion des élèves sur l'analyse des liens entre marques orthographiques et
sens, dans les phrases comme dans les textes.
3- II faut également problématiser le marquage du pluriel et suggérer des
situations de découverte des contraintes entre les mots de la phrase par des
exercices de réécriture Par ce travail essentiel, il convient d'amener les élèves à
réécrire, certes, mais aussi et surtout à expliquer ce qu'ils font pour aboutir à la
transformation demandée. Dans les exercices de réécriture, l'élève apprend à
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Notes de lecture
connaître les marques spécifiques du verbe en relation avec le GN qui précède.
II apprend également ce retour en arrière nécessaire dans tout acte d'écriture.
Enfin, dans la manipulation phrastique, il apprend à repérer l'absence d'inci¬
dence du féminin sur la désinence verbale.
Bien entendu, les auteurs proposent plusieurs autres séquences d'appren¬
tissage pour aider les élèves à comprendre et mettre en uvre les relations
entre morphologie du verbe et valeurs temporelles.
La troisième et dernière partie de l'ouvrage développe en détail le travail
scolaire sur la morphologie des verbes, forme après forme, selon une organisa¬
tion régulière adaptée aux différentes cellules temporelles ou modales (avec ses
propriétés générales et ses particularités) et divisée en deux parties : la première
consacrée à l'étude de la notion linguistique, augmentée des références linguis¬
tiques indispensables, la seconde réservée à la mise en Auvre didactique
(observation, recherche, classement, bilan). Ce chapitre propose une progres¬
sion qui va des temps-modes fondamentaux ou simples, ceux qui constituent le
système morphologique générateur de l'ensemble, oral et écrit, des verbes fran¬
çais contemporains, vers les formes dérivées par composition, et enfin les
formes périphériques.
Cet ouvrage très bien informé s'adresse donc à tous, enseignants, forma¬
teurs, chercheurs, en ouvrant sur des pistes didactiques concrètes, tout en
offrant des données linguistiques essentielles. L'ensemble est à la fois novateur
et convaincant : nul doute qu'il est dorénavant possible d'apprendre « le verbe
autrement
».
Noëlle Cordary & Jacques David
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