Maladie de Verneuil

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Maladie de Verneuil
T. Puy-Montbrun et D. Soudan
La maladie de Verneuil est une affection chronique et récidivante dont le diagnostic est essentiellement clinique et son traitement dominé par la chirurgie. Les lésions élémentaires (nodules
dermo-épidermiques inflammatoires) d’âges différents (jeunes et anciennes) siègent principalement dans le territoire (anal génital périnéal, inguinal, axillaire, mamelonnaire) des glandes
apocrines. L’analyse bactériologique n’a pas d’intérêt pratique et l’analyse histologique est non
spécifique.
INTRODUCTION
Affection chronique, récidivante, inflammatoire et
suppurative, la maladie de Verneuil (MV) se développe dans le territoire des glandes sudoripares
apocrines qui, comme les glandes sébacées, sont
accolées au follicule pileux dans lequel elles
s’abouchent. Cette trilogie – glandes apocrines,
glandes sébacées, follicule pileux – constitue la
pierre angulaire d’un syndrome qui, lorsqu’il s’exprime dans sa complétude, associe, à des degrés
divers, une MV, une acné et une folliculite. Notons
d’ailleurs qu’en dermatologie la MV a quitté le
cadre des affections primitivement suppuratives
(anthrax, furoncle…) pour entrer dans celui des
pathologies liées à l’occlusion folliculaire, comme
c’est le cas pour l’acné. La topographie non ubiquitaire des glandes apocrines explique l’existence
de territoires particuliers d’expression de cette
affection et, à ce titre, notons qu’une certaine habitude tend à réserver le qualificatif de MV aux localisations périnéo-fessières et inguino-génitales et
celui d’hidradénite suppurative pour les autres
localisations, en particulier axillaires.
Le diagnostic de la MV est essentiellement
clinique et son traitement reste dominé par la chirurgie. Peu fréquente, cette affection mérite d’être
bien connue pour savoir, grâce à une prise en
charge adaptée et précoce, intervenir aussi radicalement que possible et éviter ainsi les complications locales dont le retentissement physique et
psychologique peut être redoutable.
ÉPIDÉMIOLOGIE
ET ÉTIOPATHOGÉNIE
La MV reste une affection peu répandue. Dans
une série de 1 255 suppurations ano-périnéales
opérées, elle n’en représentait que 4,7 % (1). Toutefois, les données françaises du PMSI montrent
que, pour l’année 1998, on notait 2407 hospitalisations motivées par la MV (diagnostic principal) (2). Son incidence réelle reste inconnue.
Elle atteint hommes et femmes avec une prépondérance féminine qui peut, dans certaines séries,
aller jusqu’à un ratio de 4 pour 1 (3). Cette inégalité se retrouverait, pour certains, dans la localisation des lésions, plus volontiers axillaires chez
la femme et ano-périnéale chez l’homme (4, 5).
Le pic d’apparition de la MV se situe au décours
de l’apparition de la sécrétion androgénique. Bien
que certaines séries fassent état d’une plus forte
incidence dans la race noire, il semble difficile
d’affirmer qu’il existe une influence de la race
(6) ; de même, l’application de cosmétique, la
contraception orale et l’indice de masse corporelle ne sont pas apparus comme des facteurs
déterminants (4) à l’inverse du tabac (7).
L’étiopathogénie de la MV n’est pas encore
définitivement établie. Divers travaux plaident en
faveur d’une hérédité autosomique dominante
associée à une pénétrance variable (8). Le caractère polygénique de l’affection a aussi été
évoqué (9). Cela dit, reste la question de savoir si
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Pelvi-périnéologie
la MV peut être réduite à une affection suppurative des glandes apocrines ? La réponse est acquise
pour ce qui est de l’infection. Comme dans l’acné,
elle n’est ici que phénomène secondaire. Aucun
argument ne peut être retenu en faveur de la responsabilité première d’un germe, S. milleri et
Chlamydiæ trachomatis compris (10).
L’hypothèse d’une responsabilité primitive des
glandes apocrines par obstruction de leurs canaux
glandulaires évoquée par Morgan et Hughes (11) a
été remise en question par les travaux de Yu et
Cook qui montrèrent que le siège de l’obstruction
se situait au niveau dans le follicule pileux, en
amont de l’abouchement de la glande apocrine (12)
ce que confirmèrent les travaux d’Attanoos et al.
(13). L’étape initiale est donc l’obstruction folliculaire suivie d’une inflammation et de la destruction
secondaire des annexes folliculaires. L’accord n’est
pas fait sur le rôle des androgènes. S’il est vrai que
la MV est une affection postpubertaire, qu’elle
n’existe pas chez les eunuques (14), il n’a pourtant
pas été mis en évidence d’hyperandrogénisme biologique ce qui amène à soulever l’hypothèse d’une
hypersensibilité androgénique des glandes apocrines au cours de la MV, hypothèse non encore
confirmée voire même discutée (15).
En conclusion il apparaît que la MV n’a pas
pour origine une atteinte première des glandes apocrines. Le primum movens en serait l’obstruction
folliculaire d’amont dans un contexte hormonal de
sensibilité à l’imprégnation androgénique. D’autre
part, l’association connue de la MV à une acné
sévère et à une folliculite (triade acnéique) peut
faire soulever l’hypothèse que l’anomalie primitive
se situerait au niveau du bourgeon épithélial primaire (BEP), tout se passant comme si la MV
n’était que l’expression particulière et limitée d’une
« anomalie » du BEP, anomalie qui, dans sa forme
« complète », se traduirait par la triade acnéique.
Resterait enfin à préciser les « conditions d’environnement » comme la sécrétion androgénique ou
d’autres facteurs tels les radicaux libres (16).
gent nous l’avons vu dans le territoire des glandes
apocrines (ano-génito-périnéo-inguinal, axillaire,
mamelonnaire). La lésion initiale est un nodule
dermo-épidermique, plus ou moins inflammatoire. L’involution est le plus souvent précédée
d’une phase purulente. La régression est marquée
par la persistance d’une petite induration violacée, parfois très discrète. C’est à ce stade que
le diagnostic est le plus difficile à porter. Il faudra
savoir s’aider de la recherche d’un certain
nombre de critères cliniques associés parmi lesquels : caractère récidivant de l’abcès depuis plus
de six mois, survenue dans un territoire apocrine,
début après la puberté, non réponse aux antibiotiques, existence de lésion(s) identique(s) et/ou de
comédons et/ou de kystes sébacés dans les autres
zones apocrines, antécédent personnel d’acné,
antécédents familiaux de MV, d’acné ou de sinus
pilonidal (17).
La récidive est la règle et comprend, outre une
nouvelle poussée de la lésion initiale, une extension du processus inflammatoire et suppuratif qui
s’étend par contiguïté. À cela peut s’ajouter l’apparition de nouvelles lésions qui évolueront, elles
aussi, pour leur propre compte. Ainsi en arrive-ton à la phase d’état qui se caractérise par la
coexistence de lésions jeunes et anciennes sur un
fond plus ou moins cicatriciel dont l’aspect
pseudo-chéloïdien est très évocateur (figs. 1 et 2).
Dans les cas sévères, le tableau est celui d’un
CLINIQUE
Forme typique d’un nodule périanal
Le diagnostic de la MV est clinique et repose sur
la mise en évidence de lésions typiques par leur
aspect et leur modalité évolutive. Les lésions siè-
Fig. 1 – Maladie de Verneuil. Phase d’état avec suppuration active.
Maladie de Verneuil
véritable clapier purulent sous cutané en relation
avec les multiples trajets fistuleux développés à
partir des lésions initiales. Cette suppuration
s’étend en superficie vers la région rétro sacrée,
les creux inguinaux, le scrotum ou la région vulvaire. Fait essentiel, il n’existe pas de lésion intra
canalaire ou rectale et il n’y a pas d’orifice
interne sur la ligne pectinée.
569
FORMES CLINIQUES
Association
à d’autres affections cutanées
C’est le cas de la triade acnéique qui associe
acné, MV et folliculite. La présence d’un sinus
pilonidal fera parler de tétrade acnéique.
Formes compliquées
Ce sont des formes très extensives et aux multiples ramifications pouvant être responsables de
fistules à distance (urétrales) ou d’atteinte
osseuse. L’évolution spontanée de ces formes
sévères peut s’accompagner d’amylose et de
dénutrition (5, 19).
Citons aussi les localisations extrapérinéales
(axillaires, mamelonnaires…) qui peuvent s’associer et compliquer une localisation périnéale
(fig. 3)
Fig. 2 – Maladie de Verneuil. Phase d’état.
EXAMENS COMPLÉMENTAIRES
La bactériologie n’est d’aucun intérêt en pratique
courante. L’histologie n’est pas spécifique et ne
retrouve le plus souvent que des aspects de périfolliculite avec infiltrat polymorphe neutrolympho-histiocytaire. Les trajets fistuleux sont
entourés d’un tissu de granulation avec granulome à corps étranger (18).
Diagnostic différentiel
On élimine les suppurations cutanées (furoncle,
kyste sébacé). Surtout il importe de ne pas
confondre une MV débutante avec une fistule
anale ou un sinus pilonidal (dont l’association
avec une MV est loin d’être exceptionnelle).
Enfin – et là encore l’association ne paraît pas
fortuite – on pourra être amené à discuter une
lésion ano-périnéale en rapport avec une maladie
de Crohn.
Fig. 3 – Maladie de Verneuil. Lésions axillaires et mamelonnaires.
Maladie de Verneuil et cancer
Due à l’irritation chronique (c’est un cancer épidermoïde et non un adénocarcinome apocrine) la
cancérisation est rare et peut survenir après une
vingtaine d’années d’évolution, encore que deux
cas aient été décrits à trois et huit ans (20, 21).
Elle frappe essentiellement les hommes et atteint
préférentiellement le périnée.
Maladie de Verneuil et arthropathie
C’est une association rare. Quarante deux cas ont
été analysés dans une revue de la littérature (22).
570
Pelvi-périnéologie
22 sur 25 présentaient des anomalies rachidiennes
isolées ou associées à des manifestations périphériques. Les manifestations périphériques isolées
(méta-tarso-phalangiennes et interphalangiennes
proximales) sont rares et l’atteinte rachidienne est
une fois sur deux une sacro-iléite HLA B27 négative et HLA DR4 positive. La parenté avec le syndrome SAPHO1 a été soulevée (23).
Maladie de Verneuil
et maladie de Crohn
Décrite pour la première fois en 1991, cette association (24), fait rechercher l’hypothèse d’une
prédisposition génétique commune aux deux
maladies (25). Il ne semble pas exister de différences évolutives de la MV qu’elle soit ou non
associée à la maladie de Crohn.
– après repérage des trajets par injection de colorant et marge de sécurité de un centimètre –
donne un taux de récidive inférieur à l’incision
simple au terme d’un recul de trois et cinq ans
(27, 28). La récidive est d’autant plus importante
que le geste d’exérèse est limité (29). La cicatrisation est longue entre sept à dix-sept semaines
voire plus (30). Elle ne requiert pas de greffe
pour la plupart des auteurs. La colostomie de protection n’est quasi jamais réalisée.
Références
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TRAITEMENT
Il repose essentiellement sur une prise en charge
chirurgicale, les mesures médicales étant incapables d’apporter une amélioration significative
et durable (26).
Médical
Un tabagisme important est souvent associé à la
MV sans qu’il soit pour autant possible de préciser le rôle exact du tabac dans la MV (7). Les
antibiotiques n’ont pas réussi à démontrer leur
efficacité dans la MV. Il en est de même de
l’acide rétinoïque. Pour ce qui est du traitement
hormonal, il ne peut être envisagé que chez la
femme et son efficacité n’a pas été démontrée.
Quant à la ciclosporine, ses indications sont pour
le moment anecdotiques.
Chirurgical
C’est le traitement de référence. Il repose sur
l’excision complète de l’ensemble des tissus
pathologiques en un ou plusieurs temps en fonction de l’étendue des lésions. Cette exérèse large
1. Synovite, acné, pustulose, hyperostose, ostéite.
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