Texte pour Le point en administration de la santé et des services sociaux Par Lise Denis, directrice générale Association québécoise d’établissements de santé et de services sociaux Le vendredi 5 septembre 2008 LE PRIVÉ N’EST PAS LA PANACÉE Comment faire face à l’imminence du choc démographique, à la montée fulgurante des maladies chroniques et à la croissance de l’écart entre l’augmentation des revenus de l’État et la hausse des coûts de la santé et des services sociaux ? Certains croient que la mise en place d’un système mixte public-privé ou une privatisation croissante des services et des soins constituerait la panacée à tous les maux du système. D’autres estiment au contraire qu’il faut à tout prix fermer la porte au privé, synonyme de réduction des services, de baisse de la qualité des soins et d’augmentation des coûts. Il y a sans doute des voies à explorer entre ces deux points de vue. Il nous apparaît difficile de comparer avec rigueur la performance de deux secteurs qui opèrent dans des systèmes d’obligations, de contraintes et de règles si différents. L’expérience même des établissements de l’AQESSS tend à démonter qu’il n’y a pas d’absolu en cette matière : selon le contexte, c’est tantôt l’entreprise privée qui est la mieux placée pour produire un service à moindre coût, tantôt l’établissement public. L’AQESSS préfère donc aborder la question dans une perspective plus pragmatique. Nous réitérons toutefois que pour garantir le développement et la pérennité d’un système capable d’assurer à la population un accès équitable, dans des délais raisonnables, aux services et aux soins de qualité requis par sa situation, il faut maintenir un secteur public dynamique comme assise fondamentale et comme moteur du système de santé et de services sociaux québécois. Un secteur public fort pourra développer des partenariats avec le secteur privé dans la mesure où cela facilitera l’accès et permettra d’intervenir à meilleur coût. 1 Une place pour le privé Le secteur privé occupe déjà une place importante dans le système global de santé, qu’on pense notamment à l’assurance médicament ou à l’assurance hospitalisation, aux services de soutien à domicile, à l’hébergement et à certains services de première ligne comme les cliniques privées en omnipratique, les services psychosociaux, de prélèvement ou d’imagerie médicale. Bien encadré, le recours au secteur privé peut apporter des avantages à l’ensemble des usagers en favorisant un meilleur accès aux soins et aux services à un moindre coût ; l’accès ne doit pas être lié à la capacité de payer de l’usager. Pour ce qui est des services cliniques, auxiliaires ou de soutien, l’établissement public peut décider de faire appel à des ressources du secteur privé. C’est à lui seul que revient cette décision, qui sera essentiellement motivée par la possibilité d’améliorer l’accès ou de fournir le service, à qualité égale, à un moindre coût. L’établissement conserve cependant sa responsabilité en ce qui a trait à la qualité des services fournis et des résultats atteints. Nous sommes, de plus, persuadés que les interventions qui nécessitent une hospitalisation du patient doivent se faire dans les établissements publics, à l’exception de celles prévues par la loi (hanche et genou). Des ententes avec les cliniques médicales associées pour la réalisation de chirurgies d’un jour permettront que le recours au secteur privé se fasse en appui et en complémentarité à l’action du système public. En ce qui a trait à la possibilité de permettre le recours à l’assurance privée pour certaines interventions chirurgicales, l’AQESSS est d’avis que les dispositions législatives actuelles délimitent un paramètre précis au-delà duquel on ne devrait pas aller tant que l’évaluation de l’expérience n’en aura pas démontré les effets. L’AQESSS estime également qu’il faut maintenir le statu quo en ce qui a trait à l’étanchéité et à l’exclusivité de la rémunération qui interdit aux médecins participant au régime public d’assurance maladie de recevoir une rémunération privée pour un service assuré par ce régime. Les établissements membres de notre association sont donc prêts à poursuivre et à approfondir le partenariat qu’ils ont établi avec le secteur privé dans le respect de 2 certaines valeurs et de certaines conditions. Notamment, le secteur privé ne doit pas contribuer à affaiblir le réseau public en drainant ses ressources humaines. L’impasse financière Selon le Groupe de travail sur le financement du système de santé, dirigé par messieurs Castonguay et Venne, ramener le taux de croissance des dépenses en santé à celui du PIB québécois entraînerait une impasse financière de plus de 500 M$ annuellement, c’est-àdire un manque à gagner de 2,8 milliards $ pour le réseau en 2013 (dans cinq ans) et de sept milliards $ en 2018. A contrario, le maintien du taux de croissance moyen des dépenses à son niveau actuel entraînerait inévitablement une « cannibalisation » des budgets des autres ministères, ce qui n’est pas non plus souhaitable. Parmi les diverses recommandations émises depuis dix ans par les diverses commissions et groupes de travail pour s’attaquer au problème, il y en a qui méritent d’être examinées. Notre association a choisi de retenir celles qui lui apparaissent réalisables dans les délais les plus raisonnables. Améliorer la performance du réseau Les gestionnaires du réseau ont su jusqu’à maintenant saisir les leviers mis à leur disposition et améliorer la performance des établissements. Pour poursuivre dans cette voie, ils devront toutefois pouvoir compter sur des outils supplémentaires et une plus grande marge de manœuvre leur permettant de mettre de l’avant des initiatives prometteuses en termes d’économie, de performance et d’efficience. Nous pensons notamment à la standardisation des pratiques médicales, à l’intégration des services, à la prise en charge des personnes atteintes de maladies chroniques ou encore aux investissements nécessaires dans les systèmes d’information. Nous demeurons cependant réalistes : malgré tous les efforts qui seront consentis pour améliorer la performance des établissements, les gains escomptés ne réussiront pas à eux seuls à combler l’écart entre la croissance anticipée des dépenses publiques et l’augmentation des revenus de l’État. 3 Pour ralentir la croissance des coûts, il y a lieu de grandement accélérer la transformation du réseau. Des budgets transitoires devront être dégagés, entre autres pour permettre la mise en place de systèmes d’information liés au dossier informatisé des patients, soutenir la circulation des informations médicales interétablissements et entre médecins et développer le soutien technologique utile au maintien à domicile. Il faut aussi investir rapidement dans la consolidation de la première ligne et le développement de ressources intermédiaires pour l’hébergement et libérer ainsi urgences et lits de longue durée. Les cliniques médicales doivent pouvoir compter sur l’apport quotidien de professionnels de la santé, de psychologues, de travailleurs sociaux et du personnel soignant. Une fois ces développements réalisés, le réseau pourra mieux desservir ses clientèles, utiliser son personnel à meilleur escient, accélérer le traitement des dossiers. Réorganiser le travail Face à l’urgence de s'adapter à la nouvelle configuration du marché du travail et de réfléchir aux moyens d’attirer et de retenir le personnel qualifié, il faut s'assurer non seulement que les ressources en place possèdent les compétences et les habiletés requises pour l'exercice de leurs fonctions, mais également que chaque membre des équipes de soins et de services soit utilisé de manière optimale. Ainsi, de nouvelles pratiques professionnelles et façons d'organiser et de rendre les soins et les services doivent impérativement être mises en œuvre. Notre révision de l'organisation du travail doit se poursuivre au-delà des soins infirmiers et atteindre tous les secteurs d'activité en posant un regard sur toutes les façons de faire, qu'elles soient administratives ou cliniques, techniques ou professionnelles. Réexaminer la nature et l’étendue du panier de services Une révision rigoureuse de la gamme des services sociaux et de santé assurés par les fonds publics doit être le point de départ de toute réflexion sur le financement des dépenses de santé. Un réexamen de la nature et de l’étendue du panier de services permettrait notamment d’amoindrir et éventuellement de faire disparaître certaines 4 disparités et les risques d’iniquité dans l’offre de service; on pense particulièrement aux services à domicile et à l’accès aux médicaments. Une définition claire des services assurés devrait, de plus, indiquer l’obligation de financement pour chaque service dispensé. Trouver de nouvelles sources de financement Puisque les gains d’efficience ne pourront combler à eux seuls les besoins financiers du réseau de la santé et des services sociaux, il faudra à court terme trouver de nouvelles sources de financement, au moins pour maintenir les services à leur niveau actuel et faire face aux besoins grandissants de la population. Compte tenu de la tendance lourde qui semble se confirmer en matière de fiscalité, il est difficile d’imaginer que le gouvernement québécois choisisse la voie de l’impôt sur le revenu pour renflouer les coffres du système de santé et de services sociaux. Cela ne devrait toutefois pas signifier que l’on écarte, à priori, l’outil fiscal comme élément de la solution que l’on mettra en place. Il nous apparaît également nécessaire de favoriser la croissance de revenus autonomes des établissements. Par exemple, on pourrait exiger de la personne hospitalisée une contribution directe à ses frais d’hôtellerie. Cette contribution directe pourrait correspondre davantage aux coûts réels des frais d’hôtellerie (alimentation, buanderie, entretien, etc.) et tenir compte, dans son application ou dans sa gradation, de la richesse des individus. Ces possibles contributions de l’usager ne devront d’aucune façon limiter l’accès des usagers aux soins et aux services. *** 5