Le Devoir, le 16 mai 2016
L’islam en guerre
(François Brousseau, chroniqueur)
L’islam est en guerre. La division entre chiites et sunnites prend des dimensions épiques et se
globalise dans l’ensemble du monde musulman : en Irak, mais aussi en Syrie, au Yémen, au Bahreïn,
pays où, après 2011, des révoltes laïques, à caractère social ou antitotalitaire, ont toutes été déviées
ou récupérées par des forces religieuses, selon l’axe « chiites contre sunnites ». Avec en arrière-plan
deux États manipulateurs qui se haïssent : l’Iran chiite et l’Arabie saoudite sunnite.
Un certain islam sunnite est aussi en guerre contre les impies sur tous les continents, à commencer
par l’Europe. Il s’agit bien d’une guerre à fondement religieux, même si elle prend des chemins divers
et que la sociologie de la radicalité violente — une branche en plein développement — propose des
pistes d’explication contradictoires.
Devrait-on parler d’« islamisation de la radicalité ? » Cette thèse, défendue par Olivier Roy en France,
renvoie aux causes sociales, matérielles de la révolte et de la violence terroriste chez des jeunes
comme Mohamed Merah ou Salah Abdeslam : la misère, le racisme, l’injustice sociale
détermineraient fondamentalement une révolte, laquelle — un peu par hasard — deviendrait
superficiellement « islamique »… comme on aurait été, 40 ans plus tôt, chez les Brigades rouges
italiennes.
Plus féconde paraît l’approche d’une « radicalisation de l’islam », favorisée par Gilles Kepel,
arabisant, théoricien tout autant qu’enquêteur de terrain, auteur des Banlieues de l’islam (1987) et
du tout récent Terreur dans l’Hexagone (2015).
On considère alors le terrorisme qui a ensanglanté ces derniers mois Paris, Bruxelles, Bagdad,
Djakarta ou Nairobi à travers le fil commun d’un islam radicalisé, dévoyé, extrême… mais de l’islam
quand même, qui demeure le « fil rouge » commun de mouvements idéologiquement ou
religieusement liés.
Mais cette guerre multiforme dans laquelle est engagé l’islam au XXIe siècle, c’est aussi une guerre
plus intérieure, moins géopolitique, plus fondamentale peut-être : c’est le rapport de l’islam à la
modernité, à l’altérité, à la tolérance, à la séparation radicale du temporel et du spirituel. Problème
largement réglé par les deux autres grandes religions monothéistes, le christianisme (bien « remis à
sa place » en Occident) et le judaïsme (avec peut-être quelques nuances pour ce qui concerne la
gouverne intérieure en Israël), qui ont renoncé au prosélytisme ou à la guerre religieuse. Les conflits
de l’État juif avec ses voisins sont fondamentalement des conflits territoriaux ; le judaïsme n’est pas
une religion prosélyte.
Un islam, finalement, « en guerre contre lui-même », en djihad intérieur.
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C’est ici que la critique de cet islam radical, venue des musulmans eux-mêmes, peut rejoindre la
critique du multiculturalisme tel qu’il est pratiqué en Europe du Nord, en Grande-Bretagne et au
Canada.