La protéolyse extracellulaire dans le système nerveux adulte

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Forum Med Suisse No 19 7 mai 2003
457
La protéolyse extracellulaire
dans le système nerveux adulte
Rime Madani a, David P. Wolfera, Jean-Dominique Vassalli b
a
b
Anatomisches Institut,
Universität Zürich
Département de Morphologie,
Université de Genève
Correspondance:
Dr Rime Madani
Anatomisches Institut
Universität Zürich
Winterthurerstr. 190
CH-8057 Zurich
[email protected]
Figure 1.
L’activité protéolytique du tPA
détectée par un test histoenzymatique sur des coupes
cryopréservées de cerveau
de souris.
Des zones de caséinolyse,
visualisées à l’aide d’un fond noir
lumineux, sont présentes au
niveau des méninges ainsi que
de l’hippocampe, des noyaux
hypothalamiques et de l’amygdale. Ces zones sont plus intenses
chez une souris qui surexprime
le tPA (ThytPA), absentes chez
une souris déficiente pour le tPA
(tPA-/-) et fortement réduites
chez une souris qui surexprime
la neuroserpine (ThycNs).
Parmi les molécules clés de la protéolyse extracellulaire figurent l’activateur tissulaire du
plasminogène (tPA) et son substrat, le plasminogène, qu’il active en plasmine. Ces enzymes
peuvent catalyser la dégradation de nombreuses protéines de la matrice extracellulaire
ainsi que l’activation de facteurs de croissance.
Initialement identifié pour son rôle dans la
cascade protéolytique de la fibrinolyse, le tPA a
fait la preuve de son efficacité thérapeutique
comme agent thrombolytique dans le traitement de l’infarctus du myocarde et des accidents d’ischémie cérébrale. Le système protéolytique tPA/plasmine semble aussi être impliqué dans divers processus physiologiques et
pathologiques, tels que les migrations cellulaires et les remodelages tissulaires pendant
le développement, la cicatrisation et la métastatisation durant la vie adulte, entre autres.
Dans le système nerveux, la protéolyse extracellulaire semble jouer un rôle important dans
certaines étapes de l’embryogenèse. Mais qu’en
est-il du système nerveux adulte, dans lequel les
remodelages tissulaires tels qu’on les rencontre
pendant l’embryogenèse ne sont clairement
pas au premier plan? Au début des années 90,
nous avons eu la surprise de détecter la présence de tPA dans le système nerveux central
de la souris adulte [1]. A l’aide d’un test histoenzymatique à très haute sensibilité, nous
avons pu mettre en évidence l’activité protéolytique due au tPA dans plusieurs régions cérébrales, et en particulier dans la formation hippocampale, les noyaux hypothalamiques et
l’amygdale (fig. 1).
L’intensité de la protéolyse extracellulaire est
le résultat d’une balance entre protéases et
antiprotéases. La recherche, dans le cerveau
adulte, de la présence d’inhibiteurs de protéases, et en particulier d’inhibiteurs du tPA
appartenant à la famille des serpines (pour
serine-protease inhibitors), est donc d’un grand
intérêt. Dans ce contexte, la découverte de la
protéase-nexine 1, un inhibiteur de la throm-
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bine et du tPA, par le laboratoire du Pr D.
Monard à l’Institut Friedrich-Miescher à Bâle,
et celle d’un autre inhibiteur de la famille des
serpines dont l’expression est quasi restreinte
au système nerveux, la neuroserpine, par le
groupe du Pr P. Sonderegger à l’Université de
Zurich, sont d’une importance considérable.
Pour tenter de comprendre le rôle de la protéolyse extracellulaire dans le système nerveux
adulte, des études ont été entreprises qui font
en particulier appel à divers types de souris
modifiées génétiquement. Nos propres travaux,
réalisés dans les universités de Genève et de
Zurich, mais aussi ceux d’autres groupes de recherche, parmi lesquels d’autres laboratoires
suisses, suggèrent que la protéolyse extracellulaire contribue de manière importante à différents processus cruciaux de la physiologie du
système nerveux.
La protéolyse extracellulaire
et la plasticité synaptique
Il a été démontré que l’ARN messager du tPA
est surexprimé suite à l’induction de la potentiation à long terme (LTP) [2]. Ce phénomène
électrophysiologique peut être provoqué expérimentalement dans l’hippocampe et il est utilisé dans l’analyse des mécanismes de la plasticité synaptique, et donc de l’apprentissage et
de la mémoire, chez la souris. Pour étudier l’implication éventuelle du système protéolytique
tPA/plasmine dans la plasticité synaptique
adulte, nous avons généré des souris transgéniques caractérisées par une surexpression
neuronale du tPA après la fin de la vie embryonnaire (souris ThytPA) [3]. L’analyse de ces souris confirme la présence d’une intense activité
protéolytique dans leur système nerveux central (fig. 1). L’étude de la LTP en collaboration
avec le groupe du Pr Müller à l’Université de
Genève, a révélé que l’amplitude de ce phénomène est plus prononcée chez les souris transgéniques ThytPA que chez les souris contrôles.
Ces résultats corroborent ceux qui ont été obtenus chez des souris déficientes («knock-out»)
pour le gène du tPA (souris tPA-/-), générées par
le groupe du Pr P. Carmeliet en Belgique [4], et
dont le cerveau est dépourvu d’activité protéolytique dépendante du tPA (fig. 1): les souris
tPA-/- présentent une diminution de la LTP, en
parfait contraste avec l’augmentation de la LTP
observée suite à la surexpression du tPA chez
les souris ThytPA. Ensemble, ces expériences
suggèrent que le tPA pourrait donc être impliqué dans le contrôle de la plasticité synaptique.
La question qui se pose dès lors est de savoir
si la capacité de mémorisation des souris
ThytPA est effectivement modifiée. L’analyse de
l’apprentissage et de la mémorisation a été
effectuée à l’aide d’un test évaluant la mémoire
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spatiale: la piscine labyrinthe de Morris. Les
souris ThytPA ont montré une capacité supérieure à mémoriser les indices de l’espace. Ce
phénotype suggère que l’amélioration de la
LTP chez ces souris transgéniques est corrélée
avec des capacités augmentées d’apprentissage
et de mémorisation.
Le système protéolytique du tPA/plasmine pourrait être une piste moléculaire intéressante
pour l’étude de la plasticité synaptique associée
aux processus d’apprentissage et de mémorisation. Le tPA pourrait catalyser des changements
ultrastructurels du tissu, ou activer des récepteurs, et en particulier la sous-unité NR1 du
récepteur glutamatergique [5].
Une dérégulation du système protéolytique
tPA/plasmine, due par exemple à une expression déséquilibrée de l’enzyme et de ses inhibiteurs, aurait sans doute des conséquences pathologiques. Des souris rendues déficientes en
protéase-nexine 1 ou surexprimant cet inhibiteur ont effectivement une altération dans une
des formes de transmission synaptique épileptique [6].
Protéases et antiprotéases dans
les phénomènes de neurodégénérescence
Une protéase extracellulaire pourrait avoir des
effets désastreux, en déclenchant par exemple
la mort neuronale. Nous n’avons pas observé,
chez les souris ThytPA, de dégénérescence neuronale spontanée. Par contre, l’implication du
système tPA/plasmine dans la neurotoxicité induite par le kainate a été mise en évidence dans
le laboratoire du Pr S. Strickland à l’Université
Rockefeller (New York) [7]. Il a été observé que
les neurones de souris tPA-/- sont moins susceptibles aux conséquences neurodégénératives d’une injection de kainate.
Le tPA étant à la fois un agent thrombolytique
et une protéase impliquée dans des phénomènes de neurotoxicité, quel rôle pourrait-il
jouer dans des situations d’ischémie cérébrale?
Les souris tPA-/- ont été utilisées dans un
modèle expérimental d’ischémie par occlusion
de l’artère cérébrale moyenne [8]. Il a été
démontré que, chez ces souris, la région de
l’infarctus est plus petite que chez des souris
contrôles, et qu’elle devient plus étendue après
une injection intraveineuse de tPA. Ce résultat
est une raison de prudence dans le contexte de
l’utilisation thérapeutique de tPA; il peut aussi
suggérer des pistes pour la compréhension de
la pathogenèse des infarctus cérébraux.
Des souris transgéniques qui surexpriment la
neuroserpine (ThycNs) ont été produites par
le Dr P.Cinelli dans le laboratoire du Pr P. Sonderegger à l’Université de Zurich. Le test histo-
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Figure 2.
Test d’exploration d’un nouvel
objet.
Le parcours de la souris contrôle
illustre l’activité d’exploration qui
couvre l’ensemble de l’espace et
les nombreuses approches de
l’objet. La souris déficiente pour
la neuroserpine (Ns-/-) a une
faible activité d’exploration, alors
que la souris qui surexprime la
neuroserpine (ThycNs) reste à
une certaine distance de l’objet.
enzymatique démontre que l’activité protéolytique du tPA est fortement diminuée par la surexpression neuronale de cet inhibiteur (fig. 1).
Ces souris ont été utilisées dans le modèle expérimental d’ischémie [9]; la région lésée (zone
de pénombre) et la réaction inflammatoire y
sont moins importantes que chez des souris
contrôles. Ainsi, la neuroserpine semble jouer
un rôle protecteur dans ce modèle d’ischémie
cérébrale, ce qui laisse envisager la possibilité
d’une utilisation thérapeutique bénéfique de
cet inhibiteur.
A ce stade de notre connaissance, l’influence
exacte du tPA sur la survie neuronale est encore
un thème de débat et de controverses. Alors
que, comme mentionné plus haut, il semble
dans certaines circonstances jouer un rôle délétère, d’autres études lui attribuent des effets
bénéfiques. En particulier, les travaux de
Akassoglou et al. ont suggéré que lors de lésions
du nerf sciatique la fibrinolyse catalysée par le
tPA/plasmine faciliterait la régénération des
axones lésés [10]. L’influence de l’activité protéolytique tPA/plasmine doit probablement
être différenciée selon la situation pathologique
considérée, de façon à en déduire la conduite
expérimentale/thérapeutique adéquate.
Une dernière énigme
Nos travaux les plus récents se sont portés sur
l’étude de souris déficientes pour le gène de la
neuroserpine [11]. L’activité protéolytique du
tPA n’est pas augmentée, contrairement à ce
qu’on aurait pu attendre, mais ceci n’exclut
pas une altération subtile de l’activité du tPA.
L’étude du comportement de ces souris mutantes a révélé, en utilisant différents tests d’exploration, un phénotype anormal. Cette anomalie
se caractérise par une faible activité d’exploration et par des signes suggestifs d’un sentiment
de peur. Ces altérations comportementales sont
semblables à celles observées chez des souris
qui développent des signes d’anxiété. Cette
conclusion a reçu une confirmation dans un
test évaluant le comportement de l’animal lorsqu’il est confronté à un nouvel objet (fig. 2).
Dans ce test, les souris normales sont curieuses
et s’approchent d’un objet inconnu introduit
dans leur espace, afin de l’explorer et le faire
devenir un objet familier. En revanche, les souris déficientes pour la neuroserpine n’explorent
que très peu l’objet. Quant aux souris ThycNs
qui surexpriment la neuroserpine, elles manifestent une activité normale dans divers tests,
mais n’approchent pas d’un objet inconnu, développant ainsi une réaction qu’on peut décrire
comme phobique. Cette étude suggère l’implication de la neuroserpine dans la régulation
des réactions de type émotionnelles. Bien qu’il
soit encore trop tôt pour extrapoler de telles
observations à des troubles du système nerveux
humain, une étude démontrant la surexpression de la neuroserpine dans le cerveau de patients atteints de schizophrénie [12] mérite
d’être signalée.
Le rôle physiologique ou pathologique de la
protéolyse extracellulaire dans des fonctions
complexes telles que l’apprentissage, la mémoire ou les émotions ne pourra être élucidé
qu’au prix d’études qui feront sans doute appel
à des modèles d’animaux génétiquement modifiés et à des tests comportementaux variés. Cependant, les résultats obtenus à ce jour, qui indiquent que la protéolyse extracellulaire est
l’un des paramètres encore mal exploré de la
physiologie et de la pathologie du système nerveux, suggèrent que ce domaine d’investigation
ne manquera pas d’être captivant et riche de
découvertes inattendues.
Les travaux résumés dans cet article sont financés par des subsides du Fonds national suisse
de la recherche scientifique attribués au Pr
Jean-Dominique Vassalli, au Pr Peter Sonderegger et au Dr David Wolfer, par le Pôle de
recherche national «Plasticité et Réparation du
Système Nerveux», par la fondation HartmannMüller et par la fondation Roche.
Nos remerciements vont à tout les collaborateurs qui ont participé à cette recherche, et à
E. Pech et P. Cinelli pour leurs précieuses discussions.
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