Ne nous y trompons pas! Le rituel du Seder auquel nous assigne annuellement la
Tradition n’est pas simplement la répétition folklorique de la sortie d’Egypte. Il traduit
également l’affirmation de notre engagement à saisir une dimension inédite du temps.
ÀÉCOUTER LA PENSÉE
DOMINANTE, l’histoire se
répète et ressert les plats. Le
temps ne serait que recommence-
ment, éternel et cyclique, sanctionné,
pour l’individu, par sa fin inélucta-
ble.
Le judaïsme ne l’entend pas de cette
oreille. Il récuse avec force cette
approche d’une existence à l’issue
tragique. Résolument, il propose une
nouvelle lecture de la vie. La chrono-
logie des jours serait progression
pour aboutir à des temps meilleurs.
Demain doit être mieux vécu qu’au-
jourd’hui, par l’exigence du Bien
auquel nous devons nous astreindre
dans notre quotidien.
Le couplet de la Sortie d’Egypte,
servi à l’envi par le Texte biblique, en
recèle les fondements. En même
temps qu’il s’affranchissait de la ser-
vitude, le peuple juif intégrait ce
concept du temps et s’engageait sur
un chemin balisé par les préceptes
moraux et les lois religieuses qu’il a
fait siennes. Puis, sa liberté recou-
vrée, il va prendre son destin en
main ; avec l’aide du Ciel que la
Révélation et le don de la Torah vont
sceller trois mois plus tard. Voie
sinueuse et semée d’embûches qui le
mènera à la Terre Promise. Cepen-
dant cet établissement ne sonnera
pas la fin du parcours et le mouve-
ment s’inscrira désormais dans le
temps. Il s’agit alors de parvenir col-
lectivement, dans une quête sans fin,
à l’édification d’une société de justice
et d’entraide ; en somme la réalisa-
tion d’un idéal éthique.
Telle est la vocation d’Israël entamée
dès sa sortie d’Egypte. Les exils suc-
cessifs qui ont jalonné son histoire
seraient, par les épreuves qu’elles
imposèrent, le tribut à payer pour
s’armer en vue de cette mission labo-
rieuse.
La renaissance, aujourd’hui, d’Israël-
nation, étape pénultième de cette
trajectoire s’inscrirait dans cette
perspective. Ce pays offre le cadre
où pourra se déployer dans toute sa
plénitude et son authenticité l’iden-
tité juive. Miracle pour les uns ou
libération nationale pour les autres,
quand ce n’est pas hérésie pour les
ultra-orthodoxes, l’émergence de ce
pays apparait comme un fait histo-
rique considérable du XXème siècle.
Un pays de juif pour les juifs. Un
rêve enfin réalisé.
A-t-on suffisamment pris, au sein du
peuple juif, la mesure de cet événe-
ment à nul autre pareil ? A-t-on pris
conscience que l’identité et la dignité
de chacun d’entre nous se sont enri-
chies d’une dimension nouvelle ?
Que les perspectives étriquées et
dramatiques offertes hier à nos pères
se sont muées en une vision claire et
réconfortante d’un havre accueillant
pour tout juif ? Certains, de bonne
foi, objecteront, que la vie en dias-
pora a toujours accompagné notre
peuple dans son histoire et que celle-
ci serait même inhérente à la
condition juive ! C’est figer notre
destin collectif dans un passé obso-
lète et faire fi de sa capacité à
évoluer.
Et puis l’antisémitisme est toujours
là, prêt à montrer son visage hideux.
Comme ces mauvaises herbes impos-
sibles à éradiquer du terreau qui les
abrite, il continuera à sévir au gré de
l’actualité.
L’existence d’Israël-Etat qui allait,
pensait-on, mettre un terme à cette
hostilité ancestrale n’a fait que dévier
la trajectoire de l’antisémitisme vers
ce petit pays devenu, au fil des ans, le
juif des nations. Sans s’en accommo-
der, il faut en faire l’amer constat.
Quand ce n’est pas de notre sort de
citoyen juif qu’il se nourrit, l’antisé-
mitisme jettera son dévolu sur Israël
toujours en butte à l’inimitié de ses
voisins.
L’intranquillité continue donc de
nous poursuivre. Constitutive sem-
ble-t-il, de notre identité. Jusqu’à
l’avènement d’une ère nouvelle dont
la sortie d’Egypte fut annonciatrice.
Jacques ASSERAF
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:
JUDAÏSME
Par Jacques Asseraf
Le départ d’une Odyssée
Passage de la Mer rouge. Fresque de la Catacombe de Via Latina a Rome. 4e siècle.
LE PREMIER “Grand Chabat “
du peuple d’Israël fut celui qui
précéda la sortie d’Egypte.
Cette année-là, la néoménie de Nissan
tomba un jeudi, et le chabbat avant
Pessah ce fut le 10 Nissan. Or ce 10
Nissan, nos ancêtres devaient choisir,
dans chaque famille, un agneau destiné
à être sacrifié le 14 du même mois,
dans l’après-midi (Exode 12,3). Ce fut
la première mitsva confiée à chaque
chef de famille en Israël. Et ce chabbat
fut en effet un jour inoubliable : dans
chaque foyer, on amena un agneau que
l’on prit soin d’attacher au pied du lit.
Les voisins égyptiens, étonnés,
demandèrent alors : que signifient ces
préparatifs ? A quoi le Juif répondit :
d’ici 4 jours, sur l’ordre de notre Dieu,
nous devons immoler cette brebis. Mais
les Egyptiens n’osèrent pas protester
contre ce qu’ils devaient considérer
comme un acte sacrilège ! Ce fut donc
en vérité un grand chabat, préparant
des lendemains plus grandioses
encore !
En effet, un grand miracle eut lieu ce
jour. Voyant leurs voisins juifs choisir
solennellement un agneau par famille,
les premiers-nés Egyptiens
demandèrent aux Juifs la raison de ces
préparatifs : ceux-ci leur répondirent :
c’est un sacrifice pascal pour l’Eternel,
qui fera mourir vos premiers-nés d’ici
quelques jours ! Aussitôt les premiers-
nés se précipitèrent chez Pharaon afin
de le supplier de laisser partir les Juifs
immédiatement ! Pharaon et ses
serviteurs ayant refusé, les premiers-
nés se battirent contre leurs propres
frères, et firent de nombreuses
victimes. C’est ainsi qu’on peut
comprendre le verset du psaume 136 :
celui qui frappa les Egyptiens par leurs
premiers-nés !
Avant même notre Délivrance, le
grand miracle est que le Mal se
transforme, contribue au Bien et
prépare la Libération.
La libération de l’Egypte =
« Mitsraïm » est non seulement une
libération de l’esclavage physique,
mais également une libération de la
culture et du mode de pensée
égyptienne, divinisation de la Nature,
du Nil, de l’Agneau (Bélier = mois du
printemps)…
Après 210 ans d’Esclavage et
d’Intégration, d’Assimilation à la
culture et de Divinité environnante,
Dieu délivre le peuple d’Israël avec
l’ordre et la condition préalable du
sacrifice de l’Agneau, au mois du
printemps afin d’exprimer la
suprématie du pouvoir surnaturel de
Dieu transcendant la nature.
En effet, nous disons dans la
Haggadah : « à chaque génération et
chaque jour, nous devons nous considérer être
sortis de mitsraïm ».
Avec l’élimination du HAMETZ
(= Vanité, Orgueil, Egocentrisme…),
en consommant la MATSA (=
Humilité, Abnégation, Modestie…)
nous pouvons et nous devons avancer
dans la trajectoire de notre liberté
individuelle et collective. C’est le sens
de « Sefirat Haomer » c’est-à-dire le
compte des jours de Pessah à
Chavouot, fête du don de la Torah.
« N’est vraiment libre que celui qui
s’occupe de la Torah » dit le Pirkei
Avot.
Ceci nous mènera à la liberté ultime, la
Venue Imminente de Machia’h.
« Afin que tu te rappelles du jour de Ta
Sortie d’Egypte TOUS les jours de ta
vie. »
« Tous » introduit les temps
messianiques (Haggadah).
Autour de la table du Seder, en famille
ou en communauté, célébrons Pessah
avec joie et réflexion (Ari-zal), afin
d’atteindre notre liberté ultime.
Lechana habaa Birouchalaim.
Pessa’h Cacher Vessamea’h
Rav YY Matusof
Chabbat hagadol, le grand !
Prémice de liberté
8AVIVmag n°208
Judaïsme
Par Yossef Matusof
Célébration pascale. Lubok (estampe populaire russe
gravée sur bois), XIXe siècle