ERNEST
RENAN
L~ISLAM
ET
LA
SCIENCE
AVEC
LA
RÉPONSE
D'AL-AFGHÂNÎ
L'ARCHANGE
MINOTAURE
D'ERNEST
RENAN
CI-lEZ
LE
MÊME
ÉDITEUR
LA
POÉSIE
DES
RACES
CELTIQUES
CET
ESSAI
SUR
LES
LITTÉRATURES
CELTIQUES
EST
UNE
«
ŒUVRE
DE
RÉSIS-
TANCE
ET
D'AFFIRMATION
IDENTITAIRE
»
COMME
LE
FAIT
OBSERVER
C.
COURGEAUD-CAVILLE
DANS
SA
PRÉFACE.
CÉLÉBRATION
DU
GÉNIE
CELTIQUE
ET
«
DISCOURS
DES
ORIGINES
»,
CE
TEXTE
CLEF
EST
UN
HOMMAGE
ÀSA
CRETAGNE
NATALE
-
CETTE
«
PROVINCE
DE
L'ÂME
»-
DONT
L'ÉMINENT
PHILOLOGUE
MAÎTRISAIT
ADMIRABLEMENT
LA
LANGUE.
I5X2I,
80
P.
ISBN
2-914453-21-3
--
14
EUROS.
UN
DÉBAT AUX
ACCENTS
SI
FAMILIERS...
PREFACE
DE
FRANCOIS
ZAB
BAL
La
conférence que donne Ernest Renan
en
Sorbonne
le
29
mars 1883 exprime l'opinion d'un savant
qui
adéjà
écrit
ses
œuvres majeures etdont
les
idées
sur
la
civilisation,
la culture et la science
ont
mûri, sans être
pour
autant
figées. Publiée
ici
avec la réponse de
Jamâl
al-Dîn
al-Afghânî dans
le
Journal des Débats
et
l'appendice de
Renan en réaction àcelle-ci, elle intéressera le lecteur
contemporain àplus d'un titre.
On
peut,
bien
entendu,
trouver dans les idées
exprimées
par
le
savant
sur
llslam
une
confirmation
supplémentaire
des
préjugés
qui
ont
marqué son
siècle.
On
peut
relever aussi
les
idées maîtresses de
sa
conception
fondée sur
les
différences
raciales,
dont lëcho, selon
cer-
tains auteurs, seraitperceptiblejusque dans
les
discours
occidentaux actuels!. Mais, au-delà de la leçon datée
qu'apporterait
ce
chapitre de l'histoire culturelle,
il
yala
1. Voir Edward Saïd, L'Orientalisme. L'Orient
créé
par
l'Occident,
p.154-174.
10
question
très
actuelle
du
devenir
des
pays
arabes
et musul-
mans et
de
ce
qu'on
peut
appeler,
pourfaire
court,
l'échec
de
leur
modernisation
et
de
leur
développement.
Les
accents
prémonitoires qui traversent
le
texte
de
Renan trouvent
en
effet
leur
confirmation
dans
la
renaissance
avortée
que
les
intellectuels
musulmans
ne
cessent
de
déplorer
depuis
plus
d'un
siècle.
Mais
ce
qui
ne
manquerapas
d'intéresser
enco-
re
plus
le
lecteur,
c'est
l'acquiescementpartield'al-Afghânî
aux
thèses
de
Renan, un acquiescement qui dévoile un
consensus
sur
la
manière d'appréhender
le
rapport
entre
la
religion
et
la
science,
entre
la
religion
et
la
raison.
Tèlle
que
Renan
la
résume
dans
sa
conférence,
sa
vision
de
l'islam
ne
peut
se
comprendre qu'à
la
lumière
de
ses
théories
linguistiques et
raciales.
Àsoixante
ans,
au terme
d'une
carrière
universitaire mouvementée, Ernest Renan
(J
823-1892)
aune
fOi
totale dans
la
science,
etplus
particulièrement
dans
une
"science
des
faits
de
l'esprit"
quïncarnepour
lui,
comme
pour tant
d'autres
savants
du
XIX
e
siècle,
la
philologie.
Il
s'appuie sur cette discipline
quand, séminariste,
il
s'éloigne
de
l'église,
et
il
s'en
sert
pour construire une approche scientifique
des
textes
religieux
fOndateurs
de
l'Occident, qui
suscitera
une vive
réaction
des
milieux catholiques et aura une influence
durable sur la pensée européenne. Rappelons que,
titulaire
de
la
chaire
d'hébreu
au
Collège
de
France
en
1862,
il
doit
suspendre
son
enseignement
après
sa
leçon
inaugurale intitulée
De
la
part
des peuples sémitiques
dans l'histoire de la civilisation,
il
présente
Jésus
comme
un
"homme
incomparable" que
certains
appellent Dieu.
Ce
n'est
qu'en
1870qu'il
est
réintégré
à
son
poste.
Entre-
temps,
il
aura développé
ses
vues sur
le
rapport entre
langue et
religion
dans
plusieurs
textes,
dont
le
fameux
Vie de Jésus (J863),
ou
encore
dans
l'article du Journal
asiatique:
«Nouvelles
considérations
sur
le
caractère
géné-
ral
des
peuples
sémitiques. »
L'approche
philologique
le
conduit
vers
une
théorie
qui
oppose
langues
indo-européennes et
langues
sémitiques,
chacune
des
deuxfamilles ayant
des
caractéristiques
sin-
gulières
qui imprègnent
les
peuples qui
les
parlent.
Car
pour
Renan,
la
langue détermine l'esprit qui
la
pratique.
Ainsi,
les
langues
indo-européennes manifestent-elles une
capacité
à
changer
età
se
multiplierau
cours
des
siècles,
à
la
différence
des
langues
sémitiques
qui
resteraient
figées
et
égales
à
elles-mêmes
lD'où
la
supériorité
de
l'Aryen
sur
le
Sémite,
qui
n'est
pas
une
supériorité
de
race
anthropologique
comme
on
pourrait
le
croire,
car
si
Renan attribue àune
communauté
les
traits positifs
ou
négatifs
de
sa
race,
le
motprend chez lui
des
significations changeantes qui
reflètent
les
tensions
politiques
de
son
siècle
autour
de
la
question
de
la
nation; autre
concept
central qu'ildéfinit
dans
une
conférence
faite
le
11
mars
1882
2:«La
langue
se
substitua ainsi
presque
complètement à
la
race
dans
la
division
des
groupes
de
l'humanité,
ou
plutôt
le
motrace
changea
de
sens.
La
langue,
la
religion,
les
lois,
les
mœurs
1. Voir Maurice Olender,
Les
Langues
du
paradis.
Aryens
et
Sémites:
un
couple providentiel, Seuil,
1989,
p.
75
et
suivantes.
2.
«Qu'est-ce
qu'une nation?»
II
12
firent
la
race
bien plus que
le
sang. »Mais
il
ajoute aus-
sitôt
que
les
liens de sang
permettent
de perpétuer
les
habitudes dëducation.
Il
y
aurait
donc des
"races
linguistiques'~
bien
plus
tenaces
et
répandues que
les
races
anthropologiques.
Cest
ce
qui
explique que «le
Turc,
dévot musulman, écrit-il,
est de nos jours
un
bien plus vrai Sémite
que
11sraélite
devenu Français, ou
pour
mieux
dire, Européen. »L'Asie
et
l'Afrique musulmanes représenteraientparfaitement,
selon lui, l'esprit sémitique,
même
si
les
Sémites
purs
y
sont devenus insignifiants. Par conséquent, si
les
Aryens
et
les
Sémites
ne
présentent aucune différence essentielle
du
point
de vuephysique, ils
nen
formentpas moins deux
races
distinctes
du
point
de vue de leurs aptitudes intel-
lectuelles
et
des instincts moraux.
«Du
système de la
langue à celui de
la
religion,
il
y a donc,
pour
Renan, plus
qu'une sympathie, une réelle coïncidence.
»2
Cette approche philologique
qui
fournit
unegrille de
lecture applicable àl'islam, on
la
retrouve curieusement
dans
la
manière dont
les
intellectuels arabes construiront
quelques décennies
plus
tard
la notion darabité, qu'ils
tiendront
pour
le
ciment d'une collectivité
dont
les
diffé-
rences
ethniques devront être subsumées voiregommées au
besoin
par
la
force. Et, comme chez Renan, ils
en
dédui-
sent une évaluation de IÏJistoire de l'Islam
qui
obéitàune
logique similaire mais inversée
des
races
linguistiques,
les
Sémites occupant
la
premièreplace.
1. cité pat M. Olender,
p.
85. 2. lb., p. 80.
La querelle
qui
oppose Renan à
Afghânî
prend
parfois
des
allures nominalistes.
Non
qu'il
y
eût
entre
les
deux
hommes
un
quiproquo sur l'objet de la discussion, mais
parce que
le
discours tenu sur 11slam depuis
plus
d'un
siècle
s'est
souvent trouvépiégé
par
les
mots.
Renan
use
de lexpression "islamisme': que l'éditeur aremplacée
ici
par
"islam': nous entendons aujourd'hui
les
mouve-
ments ou
les
idéologies radicales, alors que
le
savant
du
XIX' siècle
lavait
simplement construite sur
le
modèle de
"christianisme': voulantdésigner
la
civilisation née de
la
religion musulmane.
Pour
des
raisons
qui
tiennent àl'évolution
des
disci-
plines scientifiques et à
la
manière
dont
elles
déterminent
leurs méthodes
et
leurs objets,
tout
autant
quaux
posi-
tions qu'elles sont
censées
occuper dans
le
champpolitique,
on
s'est
empressé de bannir
du
lexique scientifique
un
cer-
tain nombre de mots.
La
critique de lancien orientalisme
qui
a
tant
traumatisé l'Académie estpassée
par
là,
inter-
disant
parfois le
débat
sur
les
nouveaux
usages.
Ainsi
a-t-on cru bon de remplacer
ladjectif
"musulman "
par
"islamique"dans bon nombre d'expressions
telles
que
"cité
musulmane" ou "droit musulman': devenus subitement
péjoratifi. Plus récemment, labsurde aété atteintavec cet
"islam "doté d'un
"i"
tantôt minuscule
pour
religion, tan-
tôt majuscule
pour
civilisation
et
culture, en réalité
un
même
mot
pour
désigner
des
objets aussi complexes que
la
civilisation, l'empire, l'État, la religion, la culture.
..
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