L’économie luxembourgeoise ı Une histoire mouvementée
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Le Luxembourg peut se prévaloir actuellement d’un des niveaux de vie les plus élevés au
monde. En 2006, le PIB (produit intérieur brut) par habitant, exprimé en standard de pouvoir
d’achat (SPA) qui permet de neutraliser les différences de niveaux de prix, était d’environ
63 000 euros, contre 37 000 aux États-Unis et 26 500 en moyenne dans l’Europe des Quinze.
Si le PIB par habitant n’est pas l’unique, ni le plus dèle instrument de mesure du niveau de
vie et de bien-être, ces chiffres sont néanmoins le reet d’une situation économique très favo-
rable. Il n’en a pas toujours été ainsi. D’ailleurs, on peut dire que l’itinéraire du Luxembourg
pour atteindre ce niveau a été tout sauf linéaire.
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UNE HISTOIRE MOUVEMENTÉE
En se limitant à un bref aperçu de l’évolution économique à partir du début du XXe siècle,
un coup d’œil sur le tableau concernant le taux de croissance moyen annuel du PIB et
le taux de croissance de la population permet de se rendre compte des cycles vécus par
l’économie luxembourgeoise au cours de cette période.
Les années précédant la Première Guerre mondiale se caractérisent par la croissance
soutenue de l’industrie sidérurgique. Cette branche industrielle, fondée sur le minerai
de fer dont les gisements se situent dans le sud du pays, prend ses racines dans la
deuxième moitié du XIXe siècle. Néanmoins, c’est la construction – au cours des deux
décennies précédant la Première Guerre mondiale – des grandes usines sidérurgiques
intégrées (comme Differdange ou Belval), permettant la transformation sur un même
site de la fonte en acier et en laminés, qui est déterminante pour le développement
ultérieur de cette branche économique et celui du pays tout entier. Une partie de ces
investissements a été possible grâce à du capital allemand. De 145 313 tonnes en 1900,
la production de laminés passe à 1 115 004 tonnes en 1913 et la sidérurgie représente
environ 60% de l’emploi industriel total avant la Première Guerre mondiale.
La population croît à un rythme accéléré, passant de 211 088 habitants en 1890
à 235 954 en 1900 et à 259 891 en 1910. En une vingtaine d’années, elle a donc aug-
menté de près de 50 000 personnes, alors que dans les deux décennies antérieures
(1870-1890), cette hausse n’était que de quelque 13 500.
L’augmentation de la population va de pair avec une concentration de la population
dans la ville de Luxembourg et dans le canton d’Esch-sur-Alzette (bassin minier et
sidérurgique). Alors qu’en 1880, 11,4% de la population totale habitaient le canton
d’Esch-sur-Alzette, ce pourcentage atteint plus de 26% en 1910. Les parts cumulées de
la ville de Luxembourg et du canton d’Esch-sur-Alzette sont de 45% de la population
totale à la veille de la Première Guerre mondiale, contre moins de 26% en 1880.
La croissance démographique est due notamment à une vague d’immigration (d’abord
allemande, puis italienne) liée à la forte demande de main-d’œuvre dans la sidérurgie et
les mines de fer. La part de la population étrangère dans la population totale a prati-
quement doublé en vingt ans, passant de 8,5% en 1890 à 15,3% en 1913. Ce mouvement
d’immigration se superpose à un mouvement d’émigration: entre 1840 et 1907, environ
80 000 Luxembourgeois ont quitté le pays.
L’ÉCONOMIE LUXEMBOURGEOISE
La découverte du minerai de fer dans le sud du pays marque
le début de l’industrialisation du Luxembourg
Ettelbruck
Differdange
Esch-sur-Alzette
Dudelange
LUXEMBOURG
Pétange Sanem
Hesperange
Bettembourg
Schifflange
Kayl
Huit des onze communes les plus peuplées du pays se trouvent dans le Bassin minier
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UNE HISTOIRE MOUVEMENTÉE
Les départs au cours des années 1840-1870 peuvent être expliqués par les conditions
de vie précaires. Pour la période ultérieure, marquée par l’essor de la sidérurgie, l’émi-
gration semble plutôt reposer sur un phénomène socioculturel, les Luxembourgeois
hésitant à s’orienter vers l’industrie.
Néanmoins, déjà près de 40% de la population active totale travaille dans le secteur
industriel d’après le recensement de la population de 1907. Selon les chiffres dont on
dispose pour la période antérieure, l’industrie luxembourgeoise n’occupait qu’à peine
20% de la population active en 1870.
Les approvisionnements en charbon et en coke de la sidérurgie étaient facilités par
l’appartenance du Grand-Duché au Zollverein, qui constituait également le principal
débouché pour les produits sidérurgiques. En même temps, la branche économique fait
l’objet d’un mouvement de concentration et de rationalisation financière et industrielle.
En 1911, l’ARBED (Aciéries réunies de Burbach-Eich-Dudelange) naît de la fusion de
trois sociétés d’importance moyenne. Elle deviendra l’un des plus grands producteurs
sidérurgiques d’Europe. En fusionnant en 2001 avec Usinor et Aceralia, l’ARBED a contri-
bué à la création du plus important groupe sidérurgique mondial, Arcelor. En 2006,
Arcelor a fusionné avec Mittal Steel, créant ainsi le groupe Arcelor Mittal, géant mon-
dial de l’acier.
La croissance de l’économie entre 1900 et 1913 se reflète dans le taux de croissance
de la population qui est de 1% en moyenne annuelle. C’est également au cours de cette
période que les bases de la législation de la Sécurité sociale (assurance contre les acci-
dents, assurance maladie, assurance pension) sont constituées.
LES ANNÉES 1913-1951: FORTES TURBULENCES
Les années 1913-1951 sont marquées par les fortes turbulences dues aux deux guerres
mondiales ainsi qu’à la crise de la fin des années 1920 et du début des années 1930. Une
certaine agitation sociale, liée à la mutation des structures économiques et sociales et
résultant des conditions de vie difficiles, caractérise la fin de la Première Guerre mondiale
et l’immédiat après-guerre. Les répercussions dans le domaine de la législation du
travail ne se font pas attendre. Entre 1918 et 1926, les avancées sociales sont nombreuses:
journée de huit heures dans la grande industrie, représentation des travailleurs dans
l’entreprise, secours de chômage, échelle mobile des salaires (c’est-à-dire une adapta-
tion automatique des salaires au coût de la vie) pour les agents publics, création
des chambres professionnelles, prescriptions relatives à la santé et à la sécurité des
travailleurs, congés payés pour les employés, puis pour les ouvriers.
Source: Statec (recensements de la population). N.B.: industrie = y compris construction
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10
2 0
30
4 0
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6 0
70
1870 1907 1935 1947 1960 1966 1970 1981 1991 2001
Agriculture Services Industrie
POPULATION ACTIVE PAR GRANDS SECTEURS ÉCONOMIQUES (en %)
TAUX DE CROISSANCE MOYEN ANNUEL DU PIB
ET DE LA POPULATION DE RÉSIDENCE (en %)
Durée PIB en volume Population
1900-1913 1,0
1913-1951 1,6 0,3
1953-1975 3,9 0,8
1975-1985 2,3 0,2
1985-2006 5,1 1,2
N.B.: Pour les années antérieures à 1950, les bases statistiques sont très
modestes et le chiffre de la croissance du PIB de 1913 à 1951 constitue
un ordre de grandeur
Source: Statec
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La dénonciation du Zollverein à la fin de la Première Guerre mondiale imposait une
réorientation économique. En 1921 fut créée l’Union économique belgo-luxembourgeoise
(UEBL). De nombreuses petites et moyennes entreprises traditionnelles, orientées avant
la guerre vers le marché allemand, avaient de grandes difficultés à s’adapter.
Suite au départ des capitaux allemands, les usines sidérurgiques furent reprises par les
groupes à capitaux franco-belgo-luxembourgeois. Malgré le contexte de concurrence
croissante due à l’émergence de nouveaux pays producteurs, la sidérurgie luxembour-
geoise réussit à diversifier ses débouchés, à augmenter sa productivité et à accroître sa
production avant que la crise mondiale ne produise ses effets à partir de 1930.
Les années 1930 constituent une période de marasme économique, même si une embellie
passagère en 1937 fait remonter le tonnage de produits laminés à son niveau de 1929.
Pendant les années de guerre, la production d’acier ne dépassera le faible niveau de
1939 qu’au cours d’une seule année (1943).
Les variations de la production de minerai de fer reflètent les cycles de l’acier. Après
une croissance continue jusqu’en 1913, la Première Guerre mondiale apporte une baisse
importante de la production minière. La conjoncture favorable dans la sidérurgie au
cours de la deuxième moitié des années 1920 et la crise des années 1930 se répercutent
directement sur le volume de minerai extrait. En outre, le niveau global de la production
des mines de fer luxembourgeoises qui a été atteint à la veille de la Première Guerre
mondiale ne sera pas dépassé par la suite.me la croissance importante de la production
d’acier de 1945 à 1974 ne se traduit pas par une augmentation parallèle de l’extraction
des minières.
En fait, le minerai du Luxembourg (Minett) était «pauvre» en fer et la sidérurgie recourait,
dès avant la Première Guerre mondiale, à du minerai plus «riche» provenant de France
et, après la Seconde Guerre mondiale, également du Brésil et de Suède. La part du mi-
nerai indigène consommé par l’industrie sidérurgique luxembourgeoise passa de 56%
en moyenne dans les années 1920 à 44% dans les années 1930. À partir du début des
années 1960, cette part recula de façon significative en atteignant 30% en moyenne de
1970-1974. Il s’agit d’un signe précurseur d’un mouvement qui va aboutir, en 1981,
à la fermeture de la dernière mine de fer.
En ce qui concerne le marché du travail dans l’entre-deux-guerres, la main-d’œuvre
immigrée a joué un rôle de régulation. En 1922, la part de la population étrangère
environ 33 400 personnes – dans la population totale n’était plus que de 12,8%, contre
15,3% en 1910. Conséquence de la conjoncture relativement favorable de l’acier dans la
deuxième moitié des années 1920 et d’une nouvelle vague d’immigration, le pourcen-
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L’ÉCONOMIE LUXEMBOURGEOISE
1900 145 313
1913 1 115 004
1919 312 271
1929 2 127 282
1939 1 470 190
PRODUITS SIDÉRURGIQUES LAMINÉS (en t)
Source: Groupement des industries sidérurgiques luxembourgeoises
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