LA N° 548 - décembre 2008 SBT I SCIB I SPINTEC I Spram I SPSMS I SP2M feuille rouge inac.cea.fr biochimie LA SPORE ÇA CONSERVE ! Contact : Thierry Douki – SCIB – [email protected] Pour résister aux conditions défavorables, certaines bactéries se transforment en une forme dormante, les spores, en attendant des jours meilleurs. Ces spores sont extraordinairement résistantes à toute une série d’agents létaux comme le rayonnement ultraviolet. Une photochimie étonnante de l’ADN des spores et la présence d’une enzyme de réparation redoutablement efficace constituent le bouclier conférant à ces organismes cette propriété déroutante. Un travail combiné de chimistes du SCIB et de biochimistes de l’iRTSV vient de dévoiler des aspects inédits du fonctionnement de cette enzyme. Le rayonnement UV est bien connu pour induire des dommages dans l’ADN. Dans les organismes unicellulaires comme les bactéries, les dommages de l’ADN peuvent être mortels. Une résistance aux dommages de l’ADN induits par les UV est donc un avantage majeur. A cet égard, la stratégie adoptée par les spores bactériennes (voir encart) est remarquable. Du fait des conditions particulières dans le cœur de la spore (déshydratation poussée, présence de protéines modifiant la conformation de l’ADN, forte concentration en acide dipicolinique, etc...), l’absorption d’un photon UV par l’ADN ne conduit pas à une douzaine de photoproduits différents comme dans toutes les autres cellules. Un seul type de photoproduit se forme, spécifique des spores. Par conséquent lors du « réveil » (germination) de la bactérie celle-ci n’a besoin que d’une seule enzyme de réparation, la spore photoproduct lyase (SPL), présente en grande quantité dans la spore, pour réparer son ADN et redevenir opérationnelle en une dizaine de minutes seulement. Ainsi, la résistance des spores aux UV ne s’explique pas par une diminution du nombre de dommages de l’ADN mais par leur nature différente permettant une réparation très efficace. ADN minimaliste La SPL intéresse fortement les biologistes car elle répare l’ADN en utilisant des radicaux libres, espèces plutôt connues comme dangereuses pour le génome. Petit hic : pour étudier les réactions enzymatiques, il faut disposer de quantités importantes (pour la biochimie, de l’ordre du milligramme) du photoproduit, pur et bien caractérisé. Nous avons synthétisé un brin d’ADN minimaliste, ne comportant que deux thymines. Ensuite, cet ADN est exposé aux UV dans des conditions inspirées de l’environnement des spores (film sec, ajout d’acide dipicolinique) pour isoler in fine quelques milligrammes d’un photoproduit. La chromatographie liquide couplée à la spectrométrie de masse a montré que ce photoproduit était bien le même que dans les spores. Grâce à des analyses sophistiquées de résonance magnétique nucléaire, que confirment les calculs par la théorie de la fonctionnelle densité (DFT), la structure du produit de synthèse, c’est à dire la façon dont les thymines sont attachées et la chiralité qui en résulte, a pu être précisément déterminée. Cette étude conclut donc la caractérisation structurale du photoproduit des spores, décrit pour la première fois en 1965 ! L’enzyme livre son secret En possession de ce précieux photoproduit, on peut étudier le mécanisme enzymatique de réparation par la SPL. On s’intéresse en particulier au rôle d’un des acides aminés cystéine de la protéine, parce qu’il est déjà connu que des spores dont la SPL est mutée (dépourvue de cette cystéine) sont beaucoup moins résistantes au rayonnement UV. Les biochimistes de l’iRTSV ont donc purifié cette SPL mutée et lui ont donné à réparer le photoproduit des spores synthétiques. L’analyse par chromatographie liquide couplée à la spectrométrie de masse montre que l’enzyme mutée convertit le photoproduit des spores, mais « incorrectement » ; alors que la SPL normale redonne les deux thymines initiales, la SPL mutée fournit une série de produits divers où le pontage est bien rompu mais une des thymines reste modifiée (Fig. 2). Ces résultats montrent qu’en absence de la cystéine, la réaction est incomplète, sans doute parce que cet acide aminé fournit un atome d’hydrogène au dernier radical du processus réactionnel. Le cycle de vie d’une spore Les spores sont des formes dormantes de certaines bactéries, dans lesquelles tout métabolisme est arrêté. Les spores peuvent survivre des mois voire des années et même des dizaines de milliers d’années dans des conditions extrêmes, par exemple de température ou de déshydratation. Les spores sont produites par une division asymétrique de la bactérie mère. Une copie du génome est placée dans un cœur contenant très peu d’eau et certains éléments très spécifiques (endospore). La cellule mère se dégrade ensuite pour libérer la spore. Cette dernière reste sous forme dormante jusqu’au retour de conditions favorables, qui induisent sa germination et la réparation de son ADN pour fournir une bactérie intacte. Fig. 1 : Spore bactérienne vue par microscopie électronique. Plusieurs parois protègent le cœur. Fig. 2 : Sous l’action du rayonnement UV, un pontage se crée entre deux thymines adjacentes (via leur groupement méthyle) de l’ADN de la spore. Lors de la germination, l’enzyme de réparation SPL régénère les deux thymines initiales, contrairement à ce qui se produit avec une SPL mutée.