Le Jardin des Sentiments
Le jardin des sentiments a été dessiné en 1999 par Muriel Bennarosch, paysagiste. Il reprend les
proportions de l'ancienne ferme du château, démolie malencontreusement en 1963. Par ses quatre
carrés, il rappelle les jardins du Moyen-Age, les jardins traditionnels paysans ou encore les
jardins marocains.
Par cette création, Pro Natura veut montrer comment recréer un lopin de charme et de poésie tout
en respectant la nature! Dans ce jardin les visiteurs pourront renouer avec la tradition du langage
des fleurs en découvrant des plantes magnifiques mais souvent méconnues.
Voué aux sentiments amoureux, ce jardin en présente quatre visages (romantique, passionné,
convivial et chagrin) au travers de plusieurs petites histoires. Selon la tradition du langage des
fleurs, chaque plante symbolise un sentiment particulier. Ainsi est-elle le véhicule de la joie, de la
candeur ou de l'ardeur de l'amour pour ceux, initiés, qui peuvent en interpréter les messages.
Parfois seules la couleur ou la forme évoquent un état d'âme: le jaune vif la gaieté, le port dressé
la rigidité, …
Faisant essentiellement partie de notre flore indigène, les cent plantes sélectionnées présentent un
très bon comportement en jardin. Elles se développent facilement, formant de beaux massifs et se
maintiennent sans produit chimiques ni engrais de synthèse. L'eau de source qui coule sur les
pierres centrales évoque les méandres des rivières naturelles.
Ce jardin a été aménagé par Carole Roulier. Les pierres ont été taillées par Pierre-Yves Duvoisin.
L'entreprise Pury, le Centre de Lullier, Peter Wullschleger, Sébastien Mundwiler, Beat Gfeller,
Eléonore de Peursinge, Pierre-André Monney, Marco Gabathuler, Jean-Baptiste Raccaud, Marie
Garnier et de nombreuses stagiaires du Centre Pro Natura ont collaboré aux travaux.
Pro Natura, l'association des intérêts de Cheseaux-Noréaz, la commune d'Yverdon, Jeanne
Marchig, la fondation Barbour, les amis de Roland et Patricia Pfyffer-Nicolina ont financé la
réalisation de ce jardin.
Le jardin romantique
Au romantisme correspondent le blanc pur, le bleu timide, le rose tendre, le parfum du
chèvrefeuille ... Le tableau d’ensemble évoque en toute saison la fragilité et la candeur d’un
amour naissant. Les feuillages sont graciles, les plantes délicates. C’est ainsi qu’au moindre
souffle, les fleurs bleues du lin, les capitules jaunes tendre de la scabieuse et la grande linaire se
balancent d’émoi sur leurs longues tiges.
Au printemps, le poète Narcisse adresse ses messages parfumés à Angélique, la tulipe rose à
fleurs doubles. Le cœur de Marie en est peiné, gardant secret la nature de son sentiment. Mais
plus tard, les clochettes blanches du muguet carillonnent le retour du bonheur. Voici le mois de
mai: que fleurissent la discrète jacinthe, la pudique violette et la fidèle pervenche!
Fin juin, la mauve, symbole de douceur, et le bleuet de délicatesse, s’assemblent en un parfait
mariage. C’est l’occasion d’offrir un bouquet de gypsophile à la jeune mariée!
Durant la fête, l’ancolie, troublée par la présence du pigamon à feuilles d’ancolie, baisse le
regard. Ne pense-t-elle pas à cet instant, le cœur battant: «qui se ressemble, s’assemble»? Mais
attendez! s’écrie le cosmos au feuillage délicatement découpé: «Est-ce là un papillon où une fleur
de cléome qui s’envole avec tant de légèreté?» Devant tant de charme, le tremble, ému, se met à
frémir...
Le jardin de la passion
Haut en couleur et en intensité est l’amour passion qui emporte souvent dans d’éprouvants
tourbillons celui qui s’y fait prendre. Lys d’un jour et Crocosmias flamboyants figurent ce brasier
où se consument les amours. «Attention, certains s’y réchauffent mais d’autres risquent de s’y
brûler...», prévient le pommier de la tentation.
C’est l’été! La fête de la St-Jean célèbre la gloire du soleil brillant au zénith! C’est alors que les
anthémis laissent exploser leur joie en un généreux bouquet de capitules dorés!. Et que quelque
part, un bonhomme espère une belle ... pour une nuit passionnément, le temps d’un amour
éphémère...
Mais le désir fait parfois naître des émotions douloureuses qui s’égratignent aux chardons et aux
épines de la jalousie. Heureusement les formes étranges et le lait poison de l’euphorbe de
Characcias avertissent des dangers de la dérive... On en ressort alors, tels les monardes, la tête
rouge et toute ébouriffée.
Toutefois l’âme aspire à d’autres lieux, tout éclairés de mauve ou de pourpre. Sur le long chemin
qui mène aux amours heureuses, la force légendaire de l’échinacée pourpre panse les blessures du
cœur... et le raffermit pour de nouvelles aventures!
Le jardin convivial
Si proche de nous, voici le cortège des plantes communes aux jardins familiaux. Fidèles depuis
des siècles, elles nous font grâce de leur amour, soutien indispensable à nos multiples besoins
quotidiens. Ainsi se trouvent réunies des fleurs rustiques pour embellir le salon, des simples
comme le millepertuis ou la guimauve pour soigner les petits et grands maux, des fruits et
légumes savoureux pour satisfaire nos appétits, des aromatiques pour ravir nos palais.
«Chacun sa tâche, mais que tous s’entraident, ainsi fonctionne la maisonnée», dicte du haut de sa
fonction de gouvernante, le sorbier domestique appelé aussi cormier.
Reflet d’une longue histoire ayant porté ses fruits (cassis, raisinets, fraises, cormes, sureau), les
plantes respirent l’opulence: feuillage généreux de la rose trémière, corolles fièrement étalées de
la reine marguerite, croissance prospère de la scabieuse, lourde floraison de la dauphinelle.
Par les bienfaits de cette constance, asters, iris, lysimaques se multiplient en toute félicité.
De concert, le rouge, l’orange, le jaune, le vert, le bleu, le violet et le blanc s’accordent pour
festoyer ensemble: la capucine chante son patriotisme, l’iris annonce les bonnes nouvelles,
le laurier clame sa victoire.
À la nuit tombante, dans la cour, s’illuminent les lanternes japonaises. La consoude est là toute
proche qui veille, telle une bonne mère, à consolider ces liens si précieux.
Le jardin du chagrin
L’âme en peine, le cœur serré par le chagrin, comment décrire cet état de spleen si cher à
Beaudelaire? Le vert bleuté de la fétuque ou du rosier glauque, le gris de la santoline, l’odeur
fétide de la rue expriment cette atmosphère triste, voire lugubre.
Seule dans son coin, la tanaisie pleure ses pétales disparus à force de se demander: «m’aime-t-il
un peu, beaucoup, passionnément, pas du tout?».
Aux abîmes des profondeurs, le bleu profond du buglosse étale au sol son sentiment de gravité.
Les roses trémières sombres, l’aulne et la molène noirs évoquent le deuil d’un amour.
L’échinacée en est pâle et le géranium livide. Aux jours des grands tourments, l’absence laisse un
goût amer. Qui ne serait alors tenté de s’enivrer à l’odeur puissante de la sauge sclarée ou de
noyer son chagrin dans un verre d’absinthe?
Glacée jusqu’au sang, l’énergie du cœur se paralyse. Les plantes aux formes plus rigides
évoquent cette inertie: tapis austère des germandrées et des épervières, feuilles inflexibles de
l’acanthe, ingratitude du chardon à l’âne, épines sévères de la boule azurée, tige raide de la
verveine de Bonare. Pour se protéger, le cœur choisit parfois l’indifférence. Ainsi l’if et le
genévrier clament-ils en chœur: «Nous ne sommes pas touchés par le froid de l’hiver»!
Mais au printemps, les pensées refleurissent: tout cela n’est plus qu’un mauvais souvenir... et
l’alchémille transforme en diamants les larmes retenues dans son manteau.
« Le même fleuve de vie qui court à travers mes veines nuit et jour
court à travers le monde et danse en pulsations rythmées.
C’est cette même vie qui pousse à travers la poudre de la terre sa joie en innombrables brins
d’herbe, et éclate en fougueuses vagues de feuilles et de fleurs.
Rabindranath Tagore
Centre Pro Natura de Champ-Pittet
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