dossier
25
/ avril 2015 / n°450
interviennent en pleine guerre : 1916 est
l’année de la terrible bataille de Verdun, qui
commence en février et va durer jusqu’en
décembre...
L’accord aboutit à un partage de la région
avec une ligne qui court de la ville d’Acre
à celle de Kirkouk. Au nord de cette ligne,
les territoires relèvent de la France, au sud
de la Grande-Bretagne. La zone française
comprend donc le Levant, de Damas au
littoral méditerranéen avec Beyrouth et
s’étend loin au nord en englobant la Cilicie.
La zone britannique est d’un seul tenant
du Golfe arabo-persique à la Méditerranée
en laissant de côté l’Arabie, qui n’est donc
pas concernée.
Dans chacune de ces deux zones, on doit,
en principe, distinguer les régions qui
seront sous contrôle direct de la puissance
coloniale de celles qui auront seulement
des conseillers auprès d’une administration
autochtone. À l’exception du port d’Acre
sous contrôle britannique, la Palestine
n’est pas incluse dans ce partage, puisqu’il
est alors convenu, non sans de multiples
arrière-pensées de part et d’autre, qu’elle
aura un statut international dont les
modalités ne sont pas précisées.
Frontières imposées vs
aspirations des peuples
Après la guerre, il ne s’agit plus seulement
de discuter d’une carte répartissant les
influences au Moyen-Orient, mais bien de
traduire en actes les accords Sykes-Picot.
Compte tenu de l’importance des enjeux
et de la rivalité traditionnelle entre les
deux Empires coloniaux, l’affrontement
diplomatique était inévitable. Il est assumé
par deux grands hommes d’État : Lloyd
George, Premier ministre britannique de
décembre 1916 à octobre 1922 et Georges
Clemenceau, président du Conseil français
de novembre 1917 à janvier 1920.
Llyod George ne se sent guère lié par
ces accords d’autant qu’il se trouve en
position de force, puisque c’est l’armée
britannique avec des centaines de milliers
d’hommes qui a conquis l’ensemble de
ces territoires à l’issue de campagnes
militaires très éprouvantes aussi bien en
Palestine et en Syrie à partir de l’Égypte
(le général Edmund Allenby entre en
vainqueur à Jérusalem en décembre
1917) qu’en Mésopotamie à partir de
Bassorah (le général Frederick Maude est
à Bagdad le 11 mars 1917). Clemenceau,
outre qu’il n’a aucun penchant pour les
conquêtes coloniales, n’a toujours qu’une
seule priorité : l’Allemagne. Il veut obtenir
la restitution de l’Alsace-Lorraine, le
désarmement de son armée, l’obtention
de réparations pour les dommages subis,
la démilitarisation de la rive gauche du
Rhin...
Dans ce contexte, la confrontation entre
les deux hommes sur le Moyen-Orient a
connu de multiples épisodes mais, pour
l’essentiel, il y a eu deux séquences.
Le sort de la Palestine et du vilayet de
Mossoul est réglé au
cours d’un bref tête-à-
tête à l’ambassade de
France à Londres début
décembre 1918. En voici
les minutes rapportées
par les historiens :
Clemenceau : « De quoi
devons-nous discuter ?»
Lloyd George : « De la
Mésopotamie et de la
Palestine ». « Dites-moi
ce que vous voulez ?» dit Clemenceau. « Je
veux Mossoul » rétorque le Premier ministre.
« Vous l’aurez », répond le président du
Conseil. « Quoi d’autre ? », ajoute-t-il :
« Je veux aussi Jérusalem », répond Llyold
George. « Vous l’aurez », dit Clemenceau,
tout en précisant que pour Mossoul, son
ministre des Affaires étrangères, Stephen
Pichon, fera « quelques difficultés »...
La Palestine passe ainsi sous domination
britannique et Mossoul est rattaché à la
Mésopotamie. Ces deux décisions auront
une importance capitale pour le destin des
peuples de ces territoires. En Palestine,
Londres va pouvoir mettre en œuvre la
promesse faite au mouvement sioniste
par Lord Balfour, en novembre 1917, d’y
construire un « Foyer national juif ». À
Mossoul, riche en pétrole, les Kurdes vont
se retrouver, quelques années plus tard,
après un arbitrage de la SDN en 1925,
dans le nouvel État irakien... Mais ce n’est
pas suffisant pour Lloyd George. Il voudrait
que la France n’ait pas le contrôle de la
Syrie, à la fois pour réduire le potentiel
de puissance de ce rival dans la région
et pour tenter d’honorer la promesse d’un
État arabe souverain faite au chérif Hussein
en soutenant son fils, Fayçal, qui veut
l’établir avec Damas pour capitale. Mais
Clemenceau ne lâche rien. Il s’en tient aux
termes des accords Sykes-Picot et finit par
obtenir le retrait des troupes britanniques
de cette zone. Elles seront remplacées,
en novembre 1919, par l’armée française
dirigée par celui qui devient le haut-
commissaire de la France au Levant, le
général Henri Gouraud, fervent partisan de
l’Empire. En avril 1920, la conférence de
San Remo viendra entériner ces décisions
en confiant aux deux puissances coloniales
des mandats sur ces pays. Dès lors,
chacune des deux assume entièrement les
décisions concernant l’avenir des territoires
dont elle a la charge.
En 1920, après avoir
chassé Fayçal de Damas
par les armes, la France
va créer plusieurs États
en instrumentalisant
les différences
communautaires et
ethniques. Ainsi, à côté
du grand Liban, sont
créés l’État d’Alep, l’État
de Damas, le territoire des
Alaouites et le Djebel druze. Tandis que,
sous la pression des armées de Mustafa
Kemal, elle renonce à toute ambition en
Cilicie (accord d’Angora en octobre 1921) ;
cet abandon entraîne des conséquences
terribles pour les dizaines de milliers
d’Arméniens rescapés du génocide qui vont
subir à nouveau les agressions de l’armée
turque. Le sort du sandjak d’Alexandrette,
reste en suspens jusqu’en 1939, date à
laquelle il est donné à la Turquie. De son
côté, la Grande-Bretagne crée l’Irak sur le
trône duquel elle installe Fayçal, tandis que
la Transjordanie est confiée à Abdallah,
un autre fils du chérif Hussein ; quant à
sa politique en Palestine, elle tourne vite
au désastre entre les aspirations sionistes
renforcées par une immigration juive de
plus en plus importante et le nationalisme
palestinien qui aspire à un État.
Les frontières ainsi imposées par les
puissances coloniales ne tiennent aucun
compte des aspirations des peuples.
Chacune trace des lignes dans le sable en
fonction de ses propres intérêts stratégiques
et des compromis territoriaux passés avec
l’autre puissance. En d’autres termes, on
1 - Dernier ouvrage paru en collaboration avec Pierre Blanc : Violence et politique
au Moyen-Orient, Presses de Sciences Po, 2014.
La France est loin
d’avoir une vision
globale comparable.
Les intérêts de
l’Empire sont en
Afrique et au Maghreb
pas au Moyen-Orient