LIVRE I LES HIÉROGLYPHES ÉGYPTIENS I. L’ORIGINE DES PREMIERS HOMMES, ROIS ET DIEUX Ceux qui ont embrassé l’histoire ou plutôt les gestes fabuleu- [p. 1] ses de l’Égypte la plus antique n’ont rien transmis de certain à la mémoire en ce qui concerne la naissance des premières lettres ou sciences. Il en va de même pour les premiers rois de l’univers, qu’on les ait crus dieux, ou nés hommes. Tout ce qu’on en a écrit ressemble fort à de pures fictions d’oisifs, à des délires de mélancoliques ou à des fantasmes oniriques ! Les premiers hommes, affirment certains, ont été produits dans les circonstances suivantes : en Égypte, aux environs de la Thébaïde, quand le Nil cesse sa crue, le limon abandonné par l’eau se réchauffe sous l’action du Soleil. Il se fait plein de fentes dans la terre d’où surgissent une multitude de souris. Sous prétexte que depuis le commencement du monde tous les êtres animés ont été engendrés ainsi, les hommes eux-mêmes l’auraient été aussi ! Toutefois, Diodore de Sicile qui dit lui-même avoir visité à fond la majeure partie de l’Asie, de l’Europe, ainsi que l’Égypte, avoue : Pour les premiers rois dans l’univers, nous n’avons aucune certitude, puisque aucun historien ne les énumère. Ce qui est sûr, c’est que les lettres anciennes n’ont pas pu apparaître en même temps 21 LES ARCANES TRÈS SECRETS DE MICHAËL MAÏER [p. 2] que les premiers rois. Quelqu’un prétendrait-il même qu’elles leur ont été contemporaines, les écrivains, eux, datent certainement de beaucoup plus tard. Quant à ce que comportait l’âge précédent, les Grecs en doutent, et pas seulement les Grecs, mais même les auteurs barbares qui s’appellent eux-mêmes indigètes et qui furent les premiers à traiter des questions de la vie pratique23. Le même Diodore, au chapitre suivant, rapporte que ce sont le Soleil et la Lune, vénérés comme dieux éternels par les premiers hommes, que l’on a appelés l’un Osiris et l’autre Isis, et que ces noms étaient intentionnels24. Mais qui est l’unique et vrai Dieu des dieux, qui sont les premiers hommes et rois apparus sur terre, quand et où ils ont vécu, nous, c’est la sainte Bible qui nous l’a rapporté et nous le tenons pour indubitable. Voilà comment nous reconnaissons l’inanité des Égyptiens en cette matière, par exemple quand ils affirment l’antiquité de leurs rois et leur série continue à travers plus de vingt mille années. Il y a une contradiction étonnante. D’un côté Isis et Osiris ont, selon eux, été engendrés, et ils l’ont été de Saturne. D’un autre côté on les considère comme les premiers dieux éternels et non-engendrés, c’est-à-dire les luminaires célestes. Dans ce domaine pourtant, nous pouvons excuser les auteurs païens d’avoir transmis les choses autrement qu’elles sont. L’antiquité des faits ne leur permettait pas de les savoir tels quels, l’histoire sainte leur étant inconnue. De plus, on leur interdisait d’être en dissentiment avec la religion des dieux qui était en vigueur alors. Quant à nous, pour établir le fondement de la doctrine égyptienne, nous tenons pour vérifié d’après d’innombrables indices, qu’en Égypte on a manifestement pratiqué une certaine science qui enseignait les opérations les plus secrètes de la nature, c’està-dire une MÉDECINE D’ OR, non faite d’or, mais mille fois plus précieuse que l’or. Cette pratique était surtout l’apanage des philosophes, des prêtres et des tout premiers rois. Pour pouvoir la transmettre aux plus sages de la postérité tout en la laissant ignorée du vulgaire, ils ont adopté comme écriture des caractères 23. Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, I, 9, 2. 24. Cf. ibidem, I, 11, 1-3. 22 LIVRE I « LES HIÉROGLYPHES ÉGYPTIENS » occultes, à base d’animaux. Les Grecs les ont appelés par la suite hiéroglyphes. Mais pour expliquer les choses, ils se sont servis d’allégories, mettant en scène des personnages fictifs et leurs aventures. Ces histoires sont passées partout. Ainsi, au cours du temps, la superstition des gens ignorants a pris possession des esprits. On s’est mis à pratiquer un culte religieux envers ces personnages pris pour des dieux ou des rois, et envers ces animaux considérés comme sacrés et inviolables. Pour chacun d’eux on retrouve des monuments construits pour durer presque éternellement. Dans notre recherche sur la question, voici l’ordre que nous allons suivre dans ce premier livre : nous traiterons d’abord des dieux égyptiens, ensuite des rois, troisièmement des animaux et de leur caractère sacré, et enfin des monuments, indices et vestiges, qui convaincront de l’usage fréquent et en quelque sorte ver- [p. 3] naculaire de cet art en Égypte. II. LES PRINCIPAUX DIEUX : OSIRIS, ISIS, VULCAIN ET MERCURE 1. LEUR MYTHE Les plus anciens et les premiers inventeurs de cet art ou médecine d’or désignèrent son sujet et sa forme, son action et son effet, en utilisant les composantes principales du monde, le Soleil, la Lune, le feu, l’air, l’eau, la terre, les autres étoiles errantes. Ils considéraient qu’il y avait quelque chose de commun entre tout cela et leur art. En effet, dans le sujet de l’art on considère deux choses : l’une détient le rôle du mâle et l’autre celui de la femelle. Voilà pourquoi ils ont appelé celle-là OSIRIS ou le Soleil, et celle-ci ISIS ou la Lune. Mercure, qui s’unit au Soleil et à la Lune est commun aux deux, vu que, dans le grand monde, la conjonction du Soleil et de la Lune ne se fait pas sans la présence de Mercure. Celui-ci est bien comme un garde du corps25 pour le Soleil, accourant toujours auprès de lui. 25. « Garde du corps », en latin satelles, d’où notre français « satellite ». 23 LES ARCANES TRÈS SECRETS DE MICHAËL MAÏER Ces deux conjoints sont pris aussi pour frère et sœur, et on leur adjoint un troisième, un certain roux, un esprit ardent, appelé TYPHON, qui démembre et dissèque en très petits morceaux OSIRIS, son frère utérin. Voilà donc chez les Égyptiens les quatre personnages principaux : trois, OSIRIS, ISIS et MERCURE, sont tenus pour des dieux, TYPHON par contre pour un daïmôn malin. À ceux-ci ils ajoutent VULCAIN ou le feu externe ; PALLAS ou la sagesse habile à opérer ; l’ OCÉAN, père des dieux, ou THÉTIS, leur mère, ou encore, tenant lieu de l’un et de l’autre, le NIL, ou l’eau ; la terre, mère de toutes choses qui, comme dit Orphée, distribue largement ses richesses ; ensuite viennent SATURNE, JUPITER, VÉNUS, APOLLON, PLUTON et les autres dieux. Si, par la suite, le peuple a bel et bien pris ces noms pour les puissances des dieux ou pour les corps des planètes ou des étoiles célestes, et si cet usage a fini par se généraliser, il n’en est pas moins vrai que les restaurateurs et les propagateurs de la chymie les ont introduits afin d’occulter l’art. Cela se voit manifestement aux circonstances qui accompagnent chacun de ces noms chez les auteurs tant grecs qu’égyptiens. Voyons d’abord Diodore dont nous parcourrons les opinions sur les dieux égyptiens et chez qui nous butinerons tout ce qui concorde entre ces dieux et les questions chymiques : [p. 4] Outre ces dieux qu’on appelle célestes et éternels, on en signale d’autres, nés des premiers. Mortels au départ, ils auraient acquis l’immortalité par leur sagesse et leurs bienfaits envers le genre humain. Certains auraient régné en Égypte. Les uns auraient reçu le même nom que les dieux célestes, les autres un nom qui leur était propre : Soleil, Saturne, Rhéa, Jupiter (que d’aucuns appellent aussi Ammon) ; ensuite, Vulcain, Vesta, et en dernier lieu Mercure. Le premier roi des Égyptiens aurait été Soleil, du même nom que l’astre céleste. Certains prêtres affirment que le premier à avoir régné fut Vulcain, l’inventeur du feu, bienfait pour lequel les Égyptiens l’auraient fait roi26. 26. Cf. Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, I, 13, 1-3. 24 LIVRE I « LES HIÉROGLYPHES ÉGYPTIENS » Un peu plus loin : Ensuite Saturne, disent-ils, aurait pris sa sœur Rhéa pour épouse. Selon certains, c’est lui qui aurait engendré Osiris et Isis. Plusieurs transmettent qu’il aurait engendré Jupiter et Junon qui, grâce à leur vertu, ont commandé à tout l’univers. Ces derniers engendrèrent cinq dieux correspondant aux cinq jours intercalaires usités en Égypte : Osiris, Isis, Typhon, Apollon et Vénus. Osiris se serait traduit par Dionysos tandis qu’Isis serait devenue Cérès. Après l’avoir épousée, Osiris reçut le pouvoir et apporta une grande contribution à la vie pratique commune27. Ensuite il rapporte qu’Isis a trouvé le froment et l’orge et a enseigné aux hommes à les semer, qu’elle leur a aussi donné des lois, et qu’elle a construit, pour ses parents Jupiter et Junon, un temple d’une grandeur et d’une décoration remarquables. Elle aurait aussi installé deux temples d’or, le plus grand dédié au Jupiter céleste, le plus petit au Jupiter terrestre, leur père, que d’aucuns appellent Ammon. Elle fit également, ajoute Diodore dans le même passage, des temples en or pour les autres dieux que nous avons mentionnés, chacun avec ses propres honneurs et prêtres28. Isis et Osiris tenaient en haute estime les créateurs d’arts ou d’objets de la vie pratique. On trouvait aussi en Thébaïde des artisans qui travaillaient l’airain et l’or, et qui fabriquaient des armes pour tuer les bêtes sauvages et pour défricher les terres. De plus ils érigeaient pour les dieux des statues et des temples d’or, richement décorés. Diodore continue : Ils veulent que Mercure aussi ait reçu de sa part (d’Osiris) les plus grands honneurs de tous, comme inventeur d’une grande quantité d’objets utiles à la vie des hommes. C’est lui qui aurait été le premier à classer les mots par ordre et à attribuer des noms à maints objets. Il fut aussi, disent-ils, l’inventeur des lettres. C’est lui qui [p. 5] aurait institué les cérémonies par lesquelles il fallait honorer les dieux. Il aurait surtout observé le cours des astres et découvert l’harmonie des voix. Il a inventé, dit-on, la palestre, les rythmes, la 27. Ibidem, I, 13, 4. 28. Cf. ibidem, I, 14, 1-4. 25 LES ARCANES TRÈS SECRETS DE MICHAËL MAÏER médecine des corps, ainsi que la lyre à trois cordes de boyaux, dont le nombre rappelle celui des trois saisons de l’année. Il a en effet fixé les trois voix, l’aiguë, la grave et la moyenne, en prenant l’aiguë de l’été, la grave de l’hiver, et la médiane du printemps. C’est lui également qui a enseigné aux Grecs l’interprétation des mots, d’où le nom d’Hermès qu’ils lui ont donné, signifiant « interprète ». Enfin, même les scribes des écritures sacrées au temps d’Osiris rapportent que Mercure a bien donné tout cela, et même qu’Osiris a très souvent utilisé ses conseils. C’est lui aussi qui aurait découvert l’olivier, et non Minerve comme le disent les Grecs29. Tout cela établit le fait qu’on réservait de grands honneurs à Vulcain et à Mercure chez les Égyptiens, vu la quantité de leurs inventions pour la vie pratique. Mais qui est Vulcain ? Le feu n’est-il pas le maître des opérations ? Qui est Mercure ? Ne serait-ce pas tout ce à partir duquel, hors duquel et avec lequel opèrent les chymistes, bien que ce ne soit pas quelque chose de vulgaire ? Quel feu entendent les Égyptiens ? Serait-ce celui dont parle Diodore ? En plein hiver, un arbre des montagnes frappé par la foudre s’était embrasé, et la flamme avait fini par envahir les taillis voisins. Devant cette chaleur, Vulcain se serait réjoui. Pour faire perdurer le feu qui déclinait, il aurait ajouté de la nouvelle matière. Il invita alors les autres hommes à venir l’admirer comme s’il l’avait inventé30. Voilà qui n’est nullement vraisemblable, parce que ce feu-là était très connu avant le déluge, et même des tout premiers hommes, comme les semailles n’étaient pas étrangères à Abel et Caïn, l’invention des artisanats à Tubalcaïn, et celle du vin à Noé ! Par conséquent, c’est l’invention d’un autre feu qu’on a attribuée à Vulcain, d’un feu certainement philosophique, c’est-à-dire de la manière dont il doit être appliqué au mercure non vulgaire. Voilà pourquoi on dit que Vulcain a régné le premier chez les Égyptiens. 29. Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, I, 15, 9 à 16, 2. 30. Ibidem, I, 13, 3. 26 LIVRE I « LES HIÉROGLYPHES ÉGYPTIENS » Il en va de même pour Mercure qui fut chez eux l’inventeur de tous les arts et des lettres hiéroglyphiques. Car les arts et les let- [p. 6] tres furent introduits en Égypte grâce à lui. Il a enseigné la rhétorique, l’astronomie, la géométrie, l’arithmétique, et la musique. Rien, en effet, ne se fait dans l’art ni dans la nature, sans nombre, poids et mesure. Raymond Lulle dit : La nature possède en elle la philosophie et la science des sept arts libéraux par lesquels elle opère, parce qu’elle porte en elle-même toute forme géométrique, qu’elle limite toute chose par la vertu de son arithmétique par l’égalité d’un nombre fixé, et qu’elle tire de puissance en acte ton intellect par connaissance rhétorique31. Mercure est lui-même l’interprète traducteur de toutes choses, appelé Hermès par les Grecs, et Osiris utilise constamment ses conseils. C’est que sans Mercure, rien ne se fait. L’olivier lui est consacré, puisqu’il est lui-même l’huile la plus excellente de toutes, qui peut durcir les choses trop molles et amollir les dures par un seul et même feu. On exposera plus loin tout le reste se rapportant à Mercure et à Vulcain. Mais pourquoi Isis a-t-elle construit tout en or tant de temples dédiés à son parent et aux autres dieux ? Pourquoi ce fait inouï, et je dirais unique, puisque jamais on n’a entendu dire qu’on eût érigé un temple d’or, même à notre époque où la quantité d’or extrait des mines ou des fleuves est mille fois plus importante que jadis où l’or était censé avoir été découvert pour la première fois ? Ou bien, pourquoi Isis mettait-elle en honneur les artisans qui travaillaient l’airain et l’or ? La raison est à portée de la main : la déesse est tout simplement une déesse d’or. On la dit sœur et épouse d’Osiris ; on raconte la même chose de Junon et de Jupiter, et de leurs géniteurs Rhéa et Saturne. Rien que cette chose est une marque très évidente et propre à la chymie dont le sujet consiste en un agent mâle et un patient femelle qui, tout en étant conjoints, n’en sont pas moins frère et sœur, comme on va le démontrer tout au long. 31. R. Lulle, Testament, « Théorie », 50 (51) ; Theatrum chemicum, t. IV, p. 75 ; J.J. Manget, Bibliotheca chemica curiosa, t. I, p. 738 ; M. Pereira, B. Spaggiari, Il « Testamentum » alchemico attribuito a Raimondo Lullo, p. 168. 27 LES ARCANES TRÈS SECRETS DE MICHAËL MAÏER Ainsi Osiris et Isis, de même que Vulcain et Mercure, les principaux dieux intellectuels, sont des dieux chymiques, non célestes, mais souterrains et nés par l’art. Comme Isis est la Cérès des Grecs, et qu’Osiris est Bacchus ou Dionysos, nous livrerons leurs autres qualités et caractéristiques infra. Voici toutefois à propos d’Osiris, ce que Diodore rapporte au même endroit : [p. 7] Comme c’était un homme bon et désireux de gloire, il rassembla une immense troupe pour parcourir le monde et apprendre aux mortels à planter des vignobles, à ensemencer des champs de blé et d’orge, et à faire de l’élevage. Il estimait qu’en faisant passer les hommes d’une vie agreste à des mœurs plus cultivées et plus mûres, il s’attirerait des honneurs immortels, ce qui fut le cas. Effectivement, non seulement ses contemporains mais aussi la postérité le considérèrent comme un de leurs plus grands dieux, en raison de ses inventions bénéfiques qui, répandues, sont restées dans leur mémoire. D’autre part, d’après la tradition, une fois le royaume d’Égypte constitué, Osiris remit le soin de toutes les affaires à sa femme Isis. Il lui confia Mercure comme conseiller, étant donné la prudence remarquable dont il faisait preuve parmi ses amis. Mais comme chef de l’armée et de tout ce qui était sous son autorité il laissa Hercule, tant parce qu’il était proche de sa race que parce qu’il était d’un courage et d’une robustesse corporelle étonnants. Quant au gouvernement du royaume, il le répartit en préposant Busiris à la Phénicie et au rivage maritime, et Antée aux royaumes voisins, la Libye et l’Éthiopie. Lui-même partit d’Égypte en expédition avec toutes ses troupes, en emmenant son frère que les Grecs appellent Apollon, celui qui aurait trouvé le laurier. Anubis et Macédon, ses deux fils, suivirent Osiris. Ils avaient des vertus différentes et chacun d’eux utilisait une arme remarquable : un animal correspondant à sa nature. Anubis prit comme insigne pour ses armes un chien, et Macédon un loup. Depuis lors, les Égyptiens ont le plus grand respect pour ces animaux dont les formes servent au culte de ces deux dieux. Osiris emmena aussi Pan pour qui les Égyptiens construisirent en Thébaïde une cité à son nom : Chemnis, c’est-à-dire ville de Pan. Il y eut encore, pour l’accompagner, des experts en agriculture : Maron, le planteur de vignes ; Triptolème, le semeur de froment. Ensuite, une fois tout organisé et les dieux invoqués, il partit et ne toucha plus à sa chevelure, dit-on, jusqu’à son retour en Égypte. Il alla en Éthiopie, et il paraît que là-bas se sont présentés à lui des satyres qui avaient des cheveux jusqu’au nombril. Osiris aimait assez bien rire et s’amuser. Il aurait été un habitué des musiques et des danses en chœur. Ainsi, une multitude de musiciens le suivaient, parmi eux neuf adolescentes vierges, aussi habituées au 28 LIVRE I « LES HIÉROGLYPHES ÉGYPTIENS » chant qu’érudites dans les autres domaines. Ce sont elles qu’à leur tour les Grecs appelèrent Muses. C’est, dit-on, Apollon qui les ins- [p. 8] truisit, ce qui lui valut le titre de musicien. À cette époque, au lever de Sirius, ou de l’étoile du Chien, moment où le Nil atteint d’habitude le sommet de sa crue, le fleuve aurait inondé la majeure partie de l’Égypte, et surtout celle que commandait Prométhée. Tous les habitants de son pays ayant pratiquement été emportés, Prométhée, de douleur, aurait voulu se suicider. Quant au fleuve, vu la rapidité du courant et l’étendue des eaux, on l’appela Aquila32. On veut qu’alors Hercule, tant par sa grande ingéniosité que par son courage, ait sur-le-champ réprimé l’assaut des eaux et ait forcé le fleuve à reprendre son cours précédent. Osiris, lui, qui se trouvait dans les montagnes d’Éthiopie, balisa chaque rive d’une digue pour que l’inondation ne dépassât pas la mesure mais qu’elle sortît en douceur par des espèces de valves au profit des champs. Ensuite il fit route par l’Arabie le long de la mer Rouge pour parvenir chez les Indiens les plus reculés. Il y bâtit plusieurs villes, dont une qu’il nomma Nysa en souvenir de celle où il avait été élevé. Il y planta un lierre dont l’espèce ne pousse que là et à Nysa en Égypte. Il laissa aussi chez les Indiens beaucoup d’autres monuments de son passage. De plus, il érigea en maint endroit des colonnes, témoignages de son expédition. Il parcourut d’ailleurs également les autres nations d’Asie. Passant en Europe par l’Hellespont, il anéantit en Thrace Lycurgue, le roi barbare qui lui résistait. Il mit Maron, le vieillard, à la tête de cette province. Quant à son fils Macédon, il le fit roi de Macédoine et préposa Triptolème à la culture des campagnes de l’Attique. Enfin, lorsqu’il eut pratiquement bouclé le cercle, il retourna en Égypte en y ramenant les cadeaux que lui avaient faits les différents peuples. Ensuite, il passa des hommes aux dieux et on lui rendit, comme au plus grand des dieux, les honneurs et les cultes religieux institués par Isis et Mercure. On ajouta à ce culte beaucoup d’éléments à valeur mystique33, ce qui devait augmenter la puissance de ce dieu34. 2. LES MYTHES SONT ALLÉGORIQUES Qu’il suffise de n’avoir rapporté qu’en bref les propos de Diodore sur l’expédition d’Osiris en Inde. Il est clair que tous ces récits sont hiéroglyphiques ou allégoriques et que, si on les prend 32. Aquila, « aigle » ; aqua, « eau ». 33. Dans le sens : qui concerne les initiés aux mystères. 34. Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, I, 17, 1 à 20, 6. 29 LES ARCANES TRÈS SECRETS DE MICHAËL MAÏER [p. 9] autrement, c’est-à-dire à la lettre, ils sont on ne peut plus opposés à la vérité. Cela vaut à la fois pour ce qui concerne tous ces exploits absurdes et faux si on les prend à la lettre, et pour ce qui a trait à la plantation de la vigne, aux semailles du froment et de l’orge, et à l’élevage des animaux. Tout cela aurait été inventé par Osiris, alors que dans la sainte Écriture, on l’a dit, ces activités étaient déjà ouvertement attribuées aux patriarches d’avant le déluge, et aux tout premiers hommes de l’univers ! Mais celui qui peut avoir une quelconque connaissance de l’art dont il s’agit, celui-là saura non seulement négativement à quelles matières il ne faut pas rapporter ce qu’on a dit jusqu’ici, mais il saura aussi affirmativement à quelles choses uniquement cela convient. Eh bien ! il saura qu’Osiris et Isis sont, dans un seul sujet, l’agent et le patient. Il saura que par l’expédition d’Osiris on signifie la dissolution de l’œuvre, qui est très secrète35. Là, on en vient d’abord aux Éthiopiens noirs, ensuite à la mer Rouge. Ces couleurs interviennent nécessairement au début et à la fin. Dans le principe il y a le noir, qui passe au blanc par des couleurs intermédiaires, et ensuite au rouge. Flamel dit : Car ces choses ont été créées dans cette terre nôtre d’Éthiopie36. Et Rasis : Blanchis ton corbeau. Si tu veux le blanchir, il blanchit d’abord avec le Nil d’Égypte, ensuite avec la Perse dans les secrets, et avec ceci et par ceci apparaîtra la rougeur, comme le pavot dans le désert37. Si le Nil ne pouvait être retenu dans ses bornes mais au contraire débordait trop dans les champs, il en adviendrait un énorme dommage. C’est pourquoi il faut que Prométhée par un 35. Arcanissima. 36. N. Flamel, Annotations ; Theatrum chemicum, t. I, p. 789 ; J.-J. Manget, Bibliotheca chemica curiosa, t. II, p. 366. 37. Secrets de la pierre philosophique ; Artis auriferæ, t. I, p. 390. Les citations que Maïer attribue à Rasis, et à son Épître du reste inconnue, se trouvent généralement dans cet ouvrage anonyme. 30