L`éthique professionnelle chez les vétérinaires. Du

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Mot de passe : kazan
L’éthique professionnelle chez les
vétérinaires. Du praticien libéral au
fonctionnaire d’Etat : choc de
paradigmes ou culture partagée ?
Contexte et objectifs : Les vétérinaires, quel que soit leur domaine d’exercice, font
actuellement face à une défiance croissante de la part de leurs concitoyens. Dans un climat
de remise en question des professions réglementées, les vétérinaires libéraux sont ainsi mis
en cause dans l’augmentation de la résistance des bactéries vis-à-vis des antibiotiques,
accusés de vendre des antimicrobiens à tout va pour bénéficier de marges commerciales
élevées. Des scandales alimentaires incriminant des vétérinaires de l’Etat ont également vu
le jour ces dernières années : on se souvient tous de l’affaire de la viande de cheval et de la
suspicion qu’elle a provoquée chez le consommateur, méfiance actuellement exacerbée par
des questions soulevées par des projets tels que « la ferme aux 1000 vaches » ou le traité
de libre échange transatlantique. C’est dans ce contexte que nous nous proposons
d’apporter un éclairage sur les questions éthiques auxquelles les vétérinaires sont
confrontés aujourd’hui en comparant et en mettant en perspective les réponses des
vétérinaires libéraux et fonctionnaires aux dilemmes éthiques de la profession.
Résumé : Les vétérinaires peuvent exercer dans des domaines bien différents : de l’exercice
libéral à la fonction publique d’Etat, sont-ils confrontés aux mêmes dilemmes éthiques et
comment y font-ils face ? Dotés d’une même base éthique, normative et pratique,
principalement apportée par l’enseignement et un encadrement législatif, les vétérinaires font
face à des situations complexes de conflits d’intérêts, par exemple lors de l’exercice de la
médecine (prescriptions médicamenteuses et influence des laboratoires) ou lors de missions
de contrôle sanitaire (inspection et influence des entreprises agro-alimentaires). Ces
diverses situations sont gérées par le vétérinaire selon sa propre culture éthique mais
également selon les exigences spécifiques à son métier. Le rapport des vétérinaires à
l’éthique animale est également variable et parfois difficile, car ils sont confrontés aux
opinions contradictoires des citoyens vis-à-vis des animaux. Ainsi, les cultures éthiques des
vétérinaires divergent selon l’exercice qu’ils pratiquent mais également au sein d’un même
corps de métier selon leur sensibilité individuelle. Dans tous les cas, les vétérinaires se
doivent d’adopter un comportement éthique irréprochable pour répondre aux attentes
sociétales et regagner la confiance des citoyens.
Références bibliographiques :
[1] Bourgelat, C., Règlement des études dans les Ecoles Royales Vétérinaires, 1777
[2] Code rural et de la pêche maritime
[3] Code de déontologie vétérinaire
[4] Organisation mondiale de la santé animale, Recommandations de l’OIE sur les
compétences minimales attendues des jeunes diplômés en médecine vétérinaire pour
garantir la qualité des Services vétérinaires nationaux, 2012
[5] Loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires
[6] Comité de déontologie du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des
espaces ruraux, Rapport annuel, 2012
[7] Loi n°2014-1170 du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt
[8] Muller, S., A l’abattoir, Travail et relations professionnelles face au risque sanitaire, 2008
[9] Loi n°2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique
[10] Vilmer, J.-B., Ethique animale, 2008
[11] Rollin, B., An introduction to veterinary medical ethics: theory and cases, 2006
[12] Morgan, C., Stepping up to the plate: animal welfare, veterinarians, and ethical conflicts,
2009
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« L'éthique, ce n'est pas pour répondre aux questions faciles. On l'utilise dans cette zone
grise où des dilemmes émergent parce qu'il y a différentes visions, basées sur différents
repères, sur ce qui est bon de faire. » Bryn Williams-Jones, 2011
Le mot éthique vient du grec « êthos », le caractère, et du latin « ethicus », la morale.
C’est une approche philosophique qui se donne pour but d’indiquer comment les êtres
doivent se comporter et agir entre eux. L’éthique professionnelle fait référence au respect de
la morale et des règles de conduite d’usage dans le monde du travail ; elle fait appel au sens
des responsabilités et aux valeurs du professionnel. Les vétérinaires, parce qu’appartenant à
une profession réglementée, disposent d’un Ordre professionnel et d’un code de déontologie
qui visent à faire respecter l’éthique. Mais la profession vétérinaire comprend en fait de
nombreux cœurs de métiers bien différents : du vétérinaire praticien libéral au vétérinaire
fonctionnaire d’Etat, en passant par le vétérinaire salarié dans des industries agroalimentaires ou pharmaceutiques, autant de domaines qui font du métier de vétérinaire une
profession riche et complexe.
Dans cette diversité de métiers, peut-on alors parler d’une seule éthique vétérinaire ?
Les vétérinaires partagent-ils tous une même culture éthique ou bien leurs valeurs divergentelles selon le corps de métier dans lequel ils évoluent ? Comment, dans cette diversité,
parviennent-ils à répondre aux dilemmes éthiques auxquels ils sont confrontés ? Pour
apporter des éléments de réponse à ces questions, nous avons choisi d’explorer les
dimensions de l’éthique professionnelle dans deux domaines d’exercice du vétérinaire : le
vétérinaire pratiquant l’exercice libéral de la médecine et le vétérinaire exerçant dans la
fonction publique d’Etat. Le rôle du vétérinaire libéral est assez évident pour le grand public :
il soigne les animaux de compagnie et de production. Le rôle du vétérinaire fonctionnaire est
moins connu : nous nous intéresserons ici au corps des Inspecteurs de la Santé Publique
Vétérinaire (anciennement vétérinaires inspecteurs) qui exerce des missions variées, du
vétérinaire inspecteur en abattoir ou en élevage au vétérinaire élaborant les politiques
publiques sanitaires et de l’alimentation. Nous nous attacherons tout d’abord à décrire les
bases de l’éthique chez les vétérinaires en montrant leur ancrage dans la profession, à la
fois historique, légal et culturel. Dans un deuxième temps, nous découvrirons que les
vétérinaires ont des identités éthiques multiples selon le domaine dans lequel ils exercent,
voire au sein d’un même champ d’activités.
Un ancrage historique, légal et culturel de l’éthique des vétérinaires
Claude Bourgelat, considéré comme le fondateur des sciences vétérinaires, lance les
bases de l’éthique vétérinaire en écrivant :
« Toujours imbus des principes d'honneur qu'ils auront puisés et dont ils auront vu les
exemples dans les Ecoles, les élèves ne s'en écarteront jamais… »1.
L’approche éthique prônée par Claude Bourgelat fait partie des racines et du patrimoine
de la profession vétérinaire. Des mécanismes de régulation ont ensuite vu le jour : le code
rural et de la pêche maritime2 définit les conditions d’exercice du vétérinaire tandis que le
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code de déontologie3, par l’intermédiaire de l’Ordre national des vétérinaires, définit les
devoirs des vétérinaires dans le cadre de l’exercice de la médecine : obligations envers les
clients et les animaux, règles de bonne pratique de la médecine et des prescriptions
médicamenteuses, relations avec les confrères, etc. A un échelon local, nombre de cliniques
définissent des chartes éthiques ou incluent les aspects d’éthique professionnelle dans leurs
règlements. Cet ensemble de règles est connu de tous les vétérinaires ; en effet, les
étudiants vétérinaires bénéficient tous d’un enseignement de législation et d’éthique
vétérinaires, qui les dote d’un socle commun de valeurs éthiques. L’Organisation mondiale
de la santé animale recommande d’ailleurs aux établissements « d’enseigner les questions
liées aux valeurs et à l’éthique pour promouvoir des normes de conduite irréprochables et
maintenir l’intégrité de la profession »4.
En revanche, les aspects relatifs à l’éthique de la vie publique et aux obligations des
fonctionnaires ne sont enseignés qu’aux vétérinaires ayant passé un concours pour entrer
dans la fonction publique. Les vétérinaires fonctionnaires sont soumis à la loi Le Pors5. Entre
autres, ils doivent respecter le secret professionnel et la discrétion professionnelle, ont une
obligation d’information au public, de réalisation des tâches confiées, d’obéissance
hiérarchique et de réserve. Un manquement à ces obligations est susceptible d’entraîner des
sanctions administratives et/ou pénales. En parallèle de ce droit dit dur, un droit souple a vu
le jour. Ainsi, divers comités de déontologie ont été créés pour renforcer la culture éthique de
la profession ; en particulier, le comité du Conseil Général de l’Agriculture, de l’Alimentation
et des Espaces Ruraux a publié une charte de déontologie pour assurer une évaluation
transparente et indépendante des politiques publiques6. Ce droit souple vise également à
renforcer la culture éthique dans la fonction publique, notamment par l’intermédiaire de la
motivation des agents à contribuer à l’intérêt général.
On constate ainsi un foisonnement de sources éthiques, tant normatives que pratiques,
plus ou moins ancrées dans la profession. A l’issue de l’enseignement commun à l’ensemble
des vétérinaires et à partir de son entrée dans la vie professionnelle, chaque vétérinaire
s’imprègne des valeurs de son cœur de métier. Les identités vétérinaires divergent alors,
avec elles la conception et l’application de l’éthique professionnelle.
Une multiplicité des identités éthiques chez les vétérinaires
Nous aborderons cette diversité à travers deux grands axes de l’éthique : les aspects de
transparence, de communication et d’intégrité puis la problématique de l’éthique animale.
Les vétérinaires face aux conflits d’intérêts
Les principales différences qui s’opèrent dans les valeurs de transparence,
communication et intégrité relèvent de variations d’échelle et de public, à la fois pour les
vétérinaires libéraux et fonctionnaires. En effet, le vétérinaire praticien à des devoirs vis-à-vis
de propriétaires individuels et de la société, et le vétérinaire fonctionnaire a des
responsabilités envers des industriels et également la société dans son ensemble. Pour
prendre quelques exemples, citons le vétérinaire praticien qui doit une transparence totale
envers son client concernant les examens qu’il réalise et leurs résultats ; il a un devoir
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d’information envers son client au regard du diagnostic posé, des incertitudes, du pronostic
de l’animal, des frais qu’il estime à engager, etc. Ce devoir d’information se heurte parfois à
la nécessité de ne pas tout dire, par exemple pour protéger des propriétaires sensibles ou ne
pas les décourager. Les vétérinaires fonctionnaires, quant à eux, se doivent d’être
transparents à la fois envers les structures qu’ils inspectent (élevages, abattoirs,
établissement de transformation, etc.) et envers leurs administrés. Cette position peut parfois
être délicate. Ainsi, les vétérinaires fonctionnaires font face à une demande croissante de
transparence de la part du grand public qui souhaiterait pouvoir consulter les rapports des
inspections menées dans les établissements agro-alimentaires. Cependant, ces rapports
contiennent des informations qui peuvent être confidentielles et que les industriels ne veulent
voir dévoilées à leurs concurrents. La communicabilité des rapports au public est alors chose
difficile. Rappelons ici que l’une des obligations des fonctionnaires est « de satisfaire aux
demandes d’information du public » tout en faisant « preuve de discrétion professionnelle
pour tous les faits, informations ou documents dont ils ont connaissance dans l’exercice ou à
l’occasion de l’exercice de leurs fonctions »5. Le juste milieu peut être difficile à trouver et les
vétérinaires se réfèrent alors à leur hiérarchie : « les fonctionnaires ne peuvent être déliés de
cette obligation de discrétion professionnelle que par décision expresse de l’autorité dont ils
dépendent »5.
En 1777, Claude Bourgelat exhortait déjà les vétérinaires à faire preuve de la plus
grande honnêteté envers leurs clients :
« …Ils distingueront le pauvre du riche ; ils ne mettront pas à trop haut prix des talents qu'ils
ne devront qu'à la bienveillance du Roy et à la générosité de leur Patrie ; enfin ils prouveront
par leur conduite qu'ils sont tous également convaincus que la fortune existe moins dans le
bien que l'on a que dans celui que l'on peut faire »1.
L’un des facteurs clés de la probité est l’absence de conflits d’intérêts ou, à défaut, leur
gestion. Le conflit d'intérêts en médecine vétérinaire représente une situation dans laquelle
le praticien se trouve susceptible d'altérer son jugement professionnel ainsi que ses actions
concernant un intérêt primaire (par exemple l'intérêt du client) en privilégiant, de manière
indue, un intérêt secondaire dans lequel il retire un avantage personnel (par exemple un gain
financier). Le conflit d’intérêts est nécessairement présent en médecine vétérinaire, comme
dans bien d’autres professions libérales d’ailleurs, puisque le praticien a toujours un intérêt
financier dans les consultations qu’il mène. Le jugement éthique du professionnel représente
alors la pierre angulaire des situations de conflit d’intérêts. Le conflit d’intérêts en médecine
vétérinaire a été largement questionné ces derniers mois avec la remise en question de
certaines pratiques des vétérinaires libéraux dans la prescription des médicaments, et
notamment des antibiotiques. En effet, la surconsommation ou le mauvais usage
d’antibiotiques en médecine vétérinaire est l’un des facteurs pouvant mener à une
augmentation de la résistance des bactéries vis-à-vis des traitements antibiotiques. Ainsi,
pour limiter l’impact du conflit d’intérêts dans ce domaine, les législateurs ont, entre autres,
interdit les marges commerciales sur les antibiotiques7. Cet exemple montre qu’un
encadrement législatif s’ajoute ici aux valeurs éthiques du professionnel pour limiter les
dérives de certains et accroître l’indépendance des vétérinaires vis-à-vis des laboratoires
pharmaceutiques privés.
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Les vétérinaires fonctionnaires d’Etat sont confrontés à la même problématique de
conflits d’intérêts, par exemple face aux grands industriels de l’agro-alimentaire. Prenons
l’exemple d’un vétérinaire inspecteur dans un abattoir de bovins. La particularité de cette
situation tient à une grande promiscuité contrôleurs – contrôlés, liée à une surveillance
croisée et permanente des risques sanitaires : dirigeants de l’abattoir et vétérinaire
inspecteur sont tous deux en charge de garantir la sécurité des denrées mises sur le marché
et ils travaillent chaque jour ensemble. L’inspecteur vétérinaire a un rôle à plusieurs
facettes : officiellement il contrôle et sanctionne les pratiques, dans les faits il conseille
également l’entreprise, ce qui le contraint à adopter un discours préventif avant d’envisager
des mesures de sanction à l’égard de l’entreprise. Les relations entre inspecteurs et
dirigeants de l’abattoir sont basées sur un équilibre fragile : les enjeux financiers étant
importants pour l’industriel, le vétérinaire possède parfois une marge de manœuvre réduite
et il évite alors d’employer des méthodes trop directives allant à l’encontre des négociations
quotidiennes sur ce qu’il convient de faire ou non pour ne pas rompre la coopération et
conserver une bonne entente. Un vétérinaire déclare ainsi « L’abattoir, c’est le seul cas où
on vit avec celui qu’on contrôle. On est un peu le cul entre deux chaises, si j’ose dire »8.
Cette coopération forcée aboutit finalement à un ordre négocié entre vétérinaires inspecteurs
et dirigeants de l’abattoir pour mener à bien leur travail tout en respectant les intérêts de
hiérarchies qui se méconnaissent mutuellement. Cette situation est fréquemment rencontrée,
d’où un contrôle strict par la hiérarchie du vétérinaire inspecteur, qui s’expose d’ailleurs à
des sanctions administratives et/ou pénales en cas de manquement à ses obligations. A une
autre échelle, un encadrement législatif s’est imposé pour garantir une plus grande
indépendance de la vie publique vis-à-vis du secteur privé9. La loi de transparence de la vie
publique porte tout particulièrement sur la prévention des conflits d'intérêts et la transparence
dans la vie publique. Il y est exigé que « les membres du Gouvernement, les personnes
titulaires d'un mandat électif local ainsi que celles chargées d'une mission de service public
exercent leurs fonctions avec dignité, probité et intégrité et veillent à prévenir ou à faire
cesser immédiatement tout conflit d'intérêts ». Est également instaurée la Haute Autorité
pour la transparence de la vie publique, organe indépendant visant à surveiller et arbitrer les
situations de conflits d’intérêts. Mentionnons aussi le rôle du Conseil Général de
l’Agriculture, de l’Alimentation et des Espaces Ruraux, instance indépendante qui participe à
la modernisation de l’action publique, à la mesure de la performance des services centraux
et déconcentrés ainsi que des établissements publics, et qui veille au bon emploi des
ressources publiques6.
Les vétérinaires face à la souffrance animale
L’éthique animale peut être définie comme « l’étude du statut moral des animaux, c’està-dire de la responsabilité des hommes à leur égard »10. Le bien-être animal, quant à lui, est
une notion selon laquelle toute souffrance animale inutile devrait être évitée. Dans l’exercice
de la médecine vétérinaire, le dilemme de la double allégeance du vétérinaire praticien
envers l'animal et le client se trouve au cœur de l'éthique vétérinaire. Le Code de
déontologie dicte au vétérinaire de conserver « une attitude empreinte de dignité et
d’attention, tenant compte en particulier des relations affectives qui peuvent exister entre le
maître et l’animal » et qu’il « respecte les animaux »3. Mais la prise en compte du bien-être
animal n’est pas toujours chose facile. Ainsi, Rollin compare le vétérinaire à un mécanicien
automobile ou à un pédiatre11. Dans la première image, le vétérinaire se voit comme un
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technicien qui fonctionne à la demande du propriétaire, ce dernier pouvant exiger d’éliminer
le véhicule si les coûts de réparation dépassent sa valeur. Le second modèle est celui du
vétérinaire qui se voit comme travaillant au nom du patient et ne permettrait pas, par
exemple, qu’un parent élimine un enfant. La prise en compte du bien-être animal est
clairement différente dans ces deux modèles. Pour tenter d'illustrer le travail des vétérinaires,
Morgan les classe selon leurs pratiques12 :
 Premièrement, le fournisseur d’informations dont le rôle est d’éclairer le client pour
qu’il puisse prendre sa décision.
 Deuxièmement, le fournisseur de services dont le rôle est de rendre un service à la
clientèle comme dans une transaction commerciale.
 Troisièmement, l'avocat du client, qui priorise les intérêts du client. La divulgation des
informations peut être limitée et le praticien adopte une approche paternaliste dans le
but de protéger le client contre des décisions difficiles.
 Enfin, le défenseur des animaux, qui donne priorité aux intérêts de l’animal, quitte à
ne pas divulguer certaines informations pour poursuivre le cours des actions le plus
approprié pour l’animal. Ici, le vétérinaire se considère lui-même dans le rôle du
gardien de l’animal.
On voit donc qu’à partir d’une même base éthique professionnelle commune, les
vétérinaires libéraux prennent en compte l’éthique animale de manière bien différente. Il ne
faut pas oublier que les vétérinaires libéraux sont bien souvent amenés à exercer de la
médecine mixte, à la fois pour les animaux de compagnie et les animaux de production. La
situation est alors fort complexe : les vétérinaires praticiens se trouvent dans une position
difficile du fait qu'ils travaillent avec des espèces animales représentant plusieurs facettes
des valeurs sociétales. Le vétérinaire éthique est chargé de servir non seulement les intérêts
du client et de l’animal, mais aussi les aspects affectifs et utilitaires des animaux dans la
société. Avec une structure éthique aussi complexe, il n’est pas étonnant de voir les valeurs
éthiques des vétérinaires diverger.
Chez les vétérinaires fonctionnaires, la variabilité individuelle des pratiques est sûrement
moins exacerbée du fait d’une hiérarchie importante dans l’administration. En revanche, la
prise en compte du bien-être animal est très variable selon le poste occupé. Tant dans
l’administration centrale qu’au niveau départemental, certains services sont chargés de la
protection animale et l’éthique animale est au cœur de leur métier : lutte contre la
maltraitance animale et le trafic d’animaux, etc. Dans certains domaines, l’éthique animale
est bien plus difficile à intégrer dans les pratiques. Par exemple, le vétérinaire inspecteur en
abattoir est non seulement le garant de la sécurité sanitaire des denrées issues de l’abattoir,
mais il doit également veiller à ce que l’animal soit abattu dans les meilleures conditions
éthiques possibles : limitation du temps d’attente, absence de visibilité des autres
congénères abattus, étourdissement préalable à la mise à mort, etc. Une des situations
complexes à gérer pour les vétérinaires est celle de la dérogation à l’étourdissement qui est
accordée dans le cas d’abattage rituel, débat complexe s’il en est un. Le vétérinaire se
trouve tiraillé entre sa conception de l’éthique animale et les obligations auxquelles il est
tenu ; il doit prendre en compte des intérêts qui s’opposent et accorder la supériorité à des
intérêts culturels plus qu’à l’animal lui-même.
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En conclusion, nous avons donc vu qu’à partir d’un socle commun de principes éthiques
apportés par l’enseignement, les vétérinaires présentent des attitudes éthiques qui peuvent
diverger selon le domaine dans lequel ils exercent, mais également au sein d’un même
métier selon leur sensibilité individuelle. Cette diversité d’opinions et d’éthiques est inévitable
vu le foisonnement de domaines dans lesquels la profession vétérinaire est présente. Elle
est également nécessaire et doit être considérée comme une richesse et un atout pour
représenter les diverses places que la société accorde à l’animal, et donc au vétérinaire. Car
les différentes identités éthiques du vétérinaire, qu’il soit libéral ou fonctionnaire,
représentent en fait la multiplicité et les opinions souvent paradoxales de la société
concernant l’animal. Au final, on peut donc comparer l’éthique vétérinaire à une véritable
toile d’araignée, réseau complexe de visions qui s’entremêlent, avec des points de
divergence, des points de convergence, mais qui forme finalement un tout. Extérieurs à cette
complexité et au-delà de leurs contradictions, les citoyens sont dans l’attente d’une plus
grande éthique vétérinaire : face à leur défiance vis-à-vis des professions réglementées
(tarifs élevés, conflits avec les laboratoires, augmentation de l’antibiorésistance), à leur
remise en cause de l’intégrité des vétérinaires de l’Etat (moindre prise en compte du bienêtre animal en abattoir, scandale de la viande de cheval, méfiance globale à l’égard des
personnalités publiques), les vétérinaires ne peuvent répondre que par une éthique
irréprochable et un exercice droit de l’art vétérinaire dans toutes ses formes. Ainsi, pour
apporter une réponse adaptée aux dilemmes éthiques auxquelles il est confronté, aucun
vétérinaire ne devrait négocier avec son intégrité et sa sensibilité personnelles.
« Science sans conscience n'est que ruine de l'âme », Rabelais
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