Le souffle feminin
Tariq Ramadan
Révélation et espoir
Il faut voir la réalité en face. Au-delà des discours d’intention, au-delà des réactions crispées, au-delà
de l’esquive et de la fuite. La question de la femme pose un véritable problème aux musulmans
aujourd’hui. Non pas seulement parce que c’est devenu le sujet de prédilection de ceux qui veulent
s’en prendre à l’islam, mais bien plus profondément parce qu’il existe un fossé immense entre les
orientations fondamentales des sources islamiques et ce que pressentent aujourd’hui les sociétés
majoritairement musulmanes.
À la vérité, la question des femmes est un formidable révélateur des sérieux manquements qui se
sont développés au cœur de la représentation que les musulmans ont de leurs sources et d’eux-
mêmes. Confondant les traditions et les coutumes de leur pays respectif ; connaissant peu, ou très
mal, ou pas du tout, les textes fondamentaux se référant aux femmes ; négligeant par habitude, par
paresse ou par profit, l’exemple du Prophète (PSL), les musulmans éprouvent toutes les peines du
monde à se faire une idée claire sur la question. Pire, leur connaissance très relative en la matière de
même que le poids des coutumes les mènent à développer une représentation de la femme et un
discours plus « anti-occidental » en son orientation que réellement islamique en son essence.
La pensée devient superficielle, dangereusement binaire, avec une logique du type : « Si l’Occident
est si libre et si permissif, donc moins de liberté et plus d’interdit, c’est plus d’islam. » Pensée
simple... et gravement simpliste. Attitude intellectuelle révélatrice d’une situation très périlleuse :
incapables de penser leurs références de l’intérieur, avec clarté et confiance, les musulmans
développent une réflexion frileuse, recroquevillée, réactive, élaborée à partir du miroir négatif de
l’Occident.
Ils sont attachés à des coutumes, craintifs quant à leur environnement, en constant repli, et leurs
références ne sont plus une source vive où ils vont puiser et trouver la force de l’initiative et de la
réforme ; non pas... elles deviennent des prisons, des bastions à protéger... jusqu’à l’étouffement.
S’il est un domaine où ce phénomène est patent, c’est bien celui des femmes. Au lieu de revenir à
nos sources et à ce qu’elles contiennent d’enseignements fondamentaux et essentiels, on se crispe
sur le détail à la lumière de certains textes réducteurs, interprétés littéralement et souvent hors
contexte, pour mieux limiter, pour mieux se défendre.
Le mot est lâché : dans l’esprit de beaucoup de musulmans, parler de la femme en islam se fait avec
l’intention, formulée ou non, de défendre l’islam. C’est la preuve, en soi, qu’ils ont déjà été colonisés
par la logique de « l’autre », celui qu’ils ressentent comme un potentiel détracteur et qui, ainsi, leur
impose son cadre de réflexion et le choix de ses priorités. Impossible alors d’élaborer une
représentation harmonieuse et un discours propre sur la question de la femme en islam... D’emblée,
on est mené à considérer ce qui fait problème pour l’autre, à lui répondre au coup par coup, et
maladroitement... forcément. N’ayant pas pris le temps de méditer, de penser et de dire l’être de la
femme en islam, on développe un discours négatif, et obscur, sur ce que la femme n’est pas, le
foulard n’est pas, la polygamie n’est pas, la répudiation n’est pas, et tout à l’avenant. Entrés, par
négation, dans la logique de l’autre, comment peut-on espérer se faire une idée confiante de nos
propres références ? Comment peut-on espérer faire comprendre à cet autre le sens de notre
conception alors que nous-mêmes y sommes étrangers et l’observons de l’extérieur. Mission
impossible.
Réappropriation
Il est rare de lire aujourd’hui un texte sur la femme qui ne commence pas par rappeler sa situation
déplorable en tant que nouveau-né avant l’islam ou par s’étendre sur son statut très respecté de
« mère » aux pieds de qui se trouve le Paradis des enfants. Toutes les réflexions faites en ce sens sont
intéressantes, vraies et légitimes. Force est de constater cependant que l’on passe insensiblement de