Texte de la 226e conférence de l`Université de tous les

Texte de la 226e conférence de l’Université de tous les savoirs donnée le 13 août 2000.
Les propriétés électriques de la matière
par Jacques Lewiner
L’observation
Chacun de nous a pu constater que certains matériaux transportent ou laissent passer
l’électricité alors que d’autres l’arrêtent. Les fils électriques qui alimentent les nombreux
appareils que nous utilisons comportent une partie métallique conductrice de l’électricité et une
enveloppe extérieure isolante qui ne la laisse pas passer. Or, la matière est constituée d’atomes
qui présentent beaucoup de points communs : un noyau autour duquel des électrons gravitent.
Dans ces conditions, pourquoi certains matériaux sont-ils isolants et empêchent le passage du
courant électrique alors que d’autres laissant les électrons libres de se déplacer sont des
conducteurs ?
Pourquoi un électron initialement attaché à son noyau déciderait-il de l’abandonner en se
laissant entraîner par des forces qui le sollicitent ? Les électrons ont-ils si peu de principes qu’ils
seraient prêts à rejoindre le premier noyau qui les attire ?
Nous allons voir que les électrons qui sont naturellement assez volages respectent
néanmoins un principe fort et que ceci explique la plupart des propriétés électriques de la
matière.
On abordera ainsi le cas des isolants, des conducteurs et des supraconducteurs. Ces
derniers, qui constituent encore une énigme majeure pourraient provoquer une révolution
industrielle.
L’atome
Nous allons décrire la matière en utilisant comme composant élémentaire l’atome. Il
comporte, comme montré sur la figure 1, un noyau chargé positivement, formé de neutrons et de
protons autour duquel gravitent des électrons qui sont chargés négativement. La charge totale des
électrons compensant la charge du noyau, l’atome est électriquement neutre. Si l’on applique un
champ électrique à un tel atome les électrons sont soumis à une force dans le sens opposé à celui
du champ alors que le noyau est soumis à une force dans le même sens.
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Compte tenu des forces internes à l’atome, les électrons et le noyau ne s’écartent que très
peu les uns des autres et les électrons restent attachés à leur noyau. Cette situation est celle que
l’on trouve dans les gaz ou dans les systèmes dans lesquels les atomes sont assez distants les uns
des autres.
Pour voir apparaître un courant électrique il faudrait arracher un ou plusieurs électrons de
leur atome et pour cela leur fournir une énergie supérieure à celle qui les retient. En fait les
électrons autour du noyau occupent des orbites caractérisées par des énergies très précises.
Chaque orbite ne peut contenir qu’un nombre fini d’électrons. Pour passer d’une orbite à une
autre ou pour arracher un électron de l’atome il faut donc lui fournir soit l’énergie qui sépare les
deux niveaux dans le cas d’un changement de niveau, soit l’énergie d’attachement à l’atome,
dans le cas d’un arrachement de l’électron.
La nature nous fournit de telles possibilités. Ainsi les rayons cosmiques qui nous viennent
de l’espace sont porteurs d’une grande énergie susceptible d’arracher les électrons. La
radioactivité naturelle a le même effet. On a affaire dans les deux cas à des rayons ionisants. Ils
transforment un atome neutre en un atome dont on a arraché un ou plusieurs électrons que l’on
appelle ion, et des électrons. On a donc créé deux charges électriques qui sont, chacune,
susceptibles d’être entraînées dans des directions opposées par application d’un champ
électrique. On peut ainsi observer un léger courant électrique. C’est ce principe qui est utilisé
dans de très nombreux instruments de mesure des rayonnements ionisants. C’était la technique
utilisée par Pierre et Marie Curie pour mesurer les premiers radioéléments, le radium, le
polonium, etc.
Lorsque l’on approche les atomes les uns des autres jusqu’à constituer un solide comme
montré sur la figure 2, les orbites électroniques sont du même ordre de grandeur que la distance
qui sépare les atomes. La tentation peut donc devenir grande pour un électron d’abandonner son
noyau pour rejoindre le noyau voisin et ainsi, pour peu qu’un champ électrique exerce une force
sur cet électron, de passer d’atome en atome en adoptant un comportement d’électron « libre ».
Afin de minimiser les énergies, les atomes s’organisent en général de manière très
régulière dans un arrangement périodique presque parfait au moins sur des distances courtes. Les
électrons des couches profondes, les plus proches du noyau, sont fortement liés à leur atome. Au
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contraire, les électrons dans la dernière couche habitée sont ceux qui sont le plus susceptibles de
se déplacer.
Nous désignerons par cœur de l’atome l’ensemble constitué par le noyau et les électrons
des couches profondes. De cette manière l’atome peut être décrit comme un ou plusieurs
électrons négatifs relativement libres gravitant autour d’un cœur d’atome positif. L’arrangement
régulier des atomes est donc associé à un arrangement régulier des cœurs d’atomes, positifs, qui
créent un potentiel électrique ayant la même périodicité que celle de l’arrangement des atomes.
Les électrons des couches périphériques sont soumis à ce potentiel périodique. Cette
périodicité conduit à imposer aux électrons des valeurs de l’énergie permises et des valeurs de
l’énergie interdites. Cette loi générale de la physique, liée aux systèmes périodiques, est dans
certains cas directement sensible à nos sens par exemple quand nous regardons la surface d’un
CD. En observant la lumière réfléchie par une telle surface, nous voyons apparaître des couleurs
ou irisations qui résultent de l’extinction de certaines bandes de fréquence dans la lumière reçue.
Cette lumière qui arrivait « blanche » c’est-à-dire comportant toutes les longueurs d’ondes que
l’œil est capable de détecter, après réflexion sur la structure périodique que constitue
l’arrangement régulier de micro trous du CD, est devenue colorée pour l’œil. Certaines longueurs
d’onde n’ont pu être réfléchies.
Les énergies permises pour les électrons d’un solide sont réparties de manière continue
dans des bandes d’énergies permises, séparées les unes des autres par des zones d’énergies
interdites que l’on appelle bandes interdites.
Les électrons doivent donc se répartir à l’intérieur des bandes d’énergies permises. Selon
une loi générale de la nature ils vont chercher à se mettre dans les états d’énergie les plus faibles.
Dans ces conditions pourquoi ne se regroupent-ils pas tous dans l’état d’énergie minimum? Car
ils respectent un principe , le principe de Pauli, qui stipule que dans un état donné on ne peut
mettre qu’un électron. La vie des électrons serait bien triste. Heureusement la nature leur a donné
un mouvement de rotation sur eux-mêmes que l’on appelle spin. Or le spin de l’électron peut
prendre deux valeurs, ce qui permet de créer deux petites maisons d’électrons à l’intérieur des
états énergétiques tels que décrits précédemment. Grâce au spin on peut ainsi associer deux
électrons sans s’opposer au principe de Pauli.
En respectant cette règle, les électrons de notre solide vont occuper progressivement tous
les états permis en partant du plus profond. Ils vont ainsi remplir une première bande, puis
lorsqu’elle sera pleine, la première bande libre au dessus et ainsi de suite jusqu’à ce que tous les
électrons aient été placés. On symbolise sur la figure 3 le remplissage des bandes par des
hachures. Deux situations sont donc possibles, telles qu’illustrées en a et b.
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Soit la dernière énergie occupée par les électrons se trouve au sommet d’une bande
permise (figure 3a), soit elle se trouve au milieu d’une telle bande (figure 3b). Cette différence
apparemment minime a pourtant des conséquences considérables sur le comportement électrique
du solide.
Les isolants
Considérons tout d’abord le cas présenté sur la figure 3a à savoir 2 bandes permises sont
pleines et toutes les bandes permises au-dessus sont vides. Appliquons maintenant un champ
électrique E en imposant par exemple une tension électrique aux bornes de notre matériau. Ce
champ exerce une force F = qE où q est la charge de l’électron. On serait tenté de penser que les
électrons soumis à cette force vont être entraînés dans un mouvement à accélération constante.
En réalité, le mouvement n’est pas possible. Comme tous les états autorisés sont pleins, les
électrons ne peuvent malgré la force qui les sollicite, se laisser entraîner.
Tout se passe comme si à l’heure de pointe dans un wagon de métro on apercevait à
l’autre extrémité du wagon une personne vers laquelle ont aimerait aller (la force qui nous attire)
mais on ne le peut car il n’y a pas de places libres par lesquelles on pourrait, par une succession
de déplacements élémentaires, avancer. Cette absence de mouvement des électrons en présence
d’un champ électrique permet d’interpréter un tel matériau comme un isolant de l’électricité.
Les isolants sont très utilisés dans les systèmes électriques pour séparer des conducteurs,
pour nous protéger des dangers de l’électricité ou même pour transporter des informations
comme dans les fibres optiques. Certains isolants possèdent en outre des propriétés tout à fait
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étonnantes. Par exemple, il existe des matériaux dans lesquels l’application d’une contrainte
mécanique se traduit par l’apparition de charges électriques. Ceci permet de transformer une
action mécanique en un signal électrique. Le processus inverse existe par lequel l’application
d’une tension ou d’un champ électrique engendre une déformation ou une contrainte mécanique
des matériaux. De tels matériaux, très particuliers, sont dits piézoélectriques.. Ils ont révolutionné
de nombreux domaines de notre vie courante : les télécommunications, la mesure du temps et
bien d’autres. Le quartz, très connu, est utilisé pour stabiliser des fréquences ou mesurer avec
précision des temps. Les montres à quartz sont des produits de grande consommation.
Les corps piézoélectriques sont utilisés également dans d’autres applications, par exemple
en détection sous-marine. Le sonar, qui permet d’explorer sous l’eau la zone devant un bateau
évite les accidents face à des écueils ou des icebergs. L’échographie médicale, maintenant
largement répandue, par exemple en gynécologie, utilise des ondes ultrasonores produites et
détectées par des transducteurs piézoélectriques.
D’autres isolants possèdent encore de nombreuses propriétés étonnantes. Ainsi certains
corps, dits pyroélectriques, génèrent des charges électriques lorsqu’ ils sont soumis à un léger
réchauffement. Le simple rayonnement émis par le corps humain sous forme d’ondes infrarouges
permet de déclencher l’ouverture de portes automatiques ou de détecter des intrus dans un local
surveillé. Peut-être ces matériaux pyroélectriques permettront-ils de détecter un jour, de manière
précoce, les cancers du sein.
Les semi conducteurs
Supposons maintenant que l’écart entre la dernière bande pleine, dite bande de valence et
la première bande vide, dite bande de conduction soit du même ordre de grandeur que l’énergie
due à l’agitation thermique. Dans ce cas on peut imaginer, tout en respectant la conservation de
l’énergie, que des grains d’énergie thermique sont absorbés par certains électrons qui sautent
dans la bande de conduction. Un tel matériau possède des propriétés bien étranges. En le
refroidissant on diminue la probabilité que de telles transitions se produisent alors qu’en
augmentant la température on augmente cette probabilité. De cette manière, à basse température,
on a des bandes pleines surmontées de bandes vides. C’est donc un isolant. Au contraire, à haute
température lorsque des électrons sont envoyés de la bande de valence vers la bande de
conduction, deux effets complémentaires apparaissent. Dans la bande de valence les absences
d’électrons constituent des opportunités pour permettre à ceux qui sont restés de se déplacer sous
l’effet du champ (le wagon de métro s’est partiellement vidé et le mouvement devient possible).
On a donc un courant en présence d’un champ électrique appliqué.
Mais de la même manière les quelques électrons qui ont été envoyés dans la bande de
conduction et qui sont entourés d’états libres peuvent très facilement se déplacer sous l’effet de la
force due au champ appliqué. Ils produisent eux aussi un courant électrique. Ce matériau étrange,
isolant à basse température et conducteur à température plus élevée est ce qu’on appelle un semi-
conducteur intrinsèque. Ses propriétés électriques dépendent considérablement de la température
ce qui le rend peu propice à être utilisé dans des applications industrielles. Qui accepterait
d’avoir une télévision, une radio ou un téléphone qui ne fonctionnerait de manière satisfaisante
qu’entre 20 et 21°C ? Pour cette raison, l’industrie des semi-conducteurs utilise un artifice : le
dopage. Cette opération consiste à rajouter à la place de certains atomes constituant le matériau
des atomes autres ne possédant pas le même nombre d’électrons. Ainsi en substituant à un atome
possédant 4 électrons périphériques comme dans le cas du germanium, un atome d’arsenic
possédant 5 électrons, on se trouve avec un électron supplémentaire sans avoir créé une absence
d’électrons dans la bande de valence. On a affaire à un semi-conducteur extrinsèque. Ce type de
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