SOURCE : Extrait «Les sentinelles de l’Europe »
Impacts du changement climatique sur la biodiversité dans les collectivités d’outre-mer
de l’Union Européenne
Rédaction : Jérôme Petit (UICN)
(Page 47 et suivantes)
2.3) MARTINIQUE
Martinique
France
RUP
Nombre d’îles : 1 île
Population : 397 820 hab. (2005)
Surface : 1 128 km²
Densité : 352 hab/km²
PIB/hab. : 14 293 €/hab. (2000)
Taux de
chômage : 25,2 % (2006)
Secteurs
économiques :
A
griculture, tourisme,
industrie agro-alimentaire
Aires protégées
terrestre :
marine : nd
0 ha (Gabrié 2007)
La Martinique est un département d’outre-mer français situé à environ 700 kilomètres au sud-est de la
République Dominicaine. Le relief de cette île d’origine volcanique est très accidenté, constitué d’un
ensemble de massifs abritant un grand nombre de biotopes. Le dernier volcan actif, la montagne
Pelée, occupe tout le nord de l’île et culmine à 1 396 mètres. Son éruption de 1902 a fait 28 000
victimes. Avec 398 000 habitants en 2005 et 338 habitants par km², la Martinique est la deuxième
collectivité d’outre-mer française la plus densément peuplée après Mayotte. L’économie de la
Martinique est basée essentiellement sur l’agriculture (canne à sucre, banane, ananas), le tourisme et
la petite industrie, principalement agro-alimentaire.
Biodiversité – La Martinique, île la plus vaste des petites Antilles, recèle une flore variée, de
nombreuses espèces endémiques et des fonds sous-marins remarquables. Les écosystèmes
terrestres de cette île sont relativement bien conservés, 26 % de la superficie est occupée par de la
forêt naturelle qui accueille 396 espèces d’arbres indigènes (Gargominy 2003). Eloignée des deux
principaux foyers de dispersion de la faune et de la flore (Amérique du Sud et Grandes Antilles), la
spéciation de Martinique est importante et l’île compte un nombre important d’espèces endémiques,
parmi elles l’oriole de la Martinique (Icterus bonana) et le moqueur Gorgeblanche (Ramphocinclus
brachyurus), deux oiseaux rares et sous haute surveillance, le redoutable serpent trigonocéphale
(Bothrops lanceolatus) à la morsure mortelle, ou encore la mygale matoutou falaise (Avicularia
versicolor). La biodiversité marine de Martinique se caractérise notamment par la présence de 182
espèces de poissons, 48 de coraux, 70 d’éponges et 331 de mollusques. L’île possède des récifs
barrières, des récifs frangeants (d’extension limitée), mais aussi des fonds en milieu ouvert à
recouvrement corallien. Elle comprend également 10 000 hectares de prairie sous-marine et 2 200
hectares de mangroves (Gargominy 2003). En complément du Parc naturel régional de la Martinique,
qui s’étend sur plus de 70 000 hectares, la collectivité dispose d’aires protégées (sites naturels
classés, réserves naturelles, réserves biologiques domaniales) qui couvrent les différents milieux
représentatifs de la biodiversité martiniquaise. Au niveau marin, la Martinique est la seule collectivité
française d’outre-mer à ne pas être dotée d’aires marines protégées. Elle devrait rapidement combler
ce retard avec la création prochaine de deux réserves marines.
Pressions existantes - Les milieux naturels de la Martinique sont fortement dégradés. Aux
catastrophes naturelles récurrentes dans cette collectivité, telles que le volcanisme intense et les
cyclones répétés, s’est ajoutée une pression humaine importante sur les habitats naturels. Le
tourisme et la démographie croissante sont à l’origine de la destruction directe de nombreux habitats
au cours des 20 dernières années. Plusieurs mangroves, véritables nurseries pour de nombreuses
espèces de poissons, ont été massivement remblayées. Ces zones sont également affectées par la
pollution due aux activités terrestres. Sur l’étang des Salines, on constate des concentrations
préoccupantes de certains métaux lourds dans les sédiments. La baie de Fort-de-France, très polluée,
fait l’objet d’un programme de réhabilitation. Certaines ressources marines comme les langoustes, les
oursins blancs (Tripneustes esculentus) et les lambis (Strombus gigas) sont surexploitées, et le
braconnage des tortues marines reste élevé.
Impact du changement climatique sur les écosystèmes terrestres - L’augmentation potentielle de
la fréquence des cyclones et l’élévation du niveau de la mer auront un impact sur les grandes surfaces
de mangroves encore intactes de Martinique. Cependant, il n’existe pas de données scientifiques
précises sur la vulnérabilité de ces écosystèmes en Martinique. Les variations de température
attendues pourraient également affecter les dernières forêts d’altitude préservées des massifs
martiniquais (cf. encadré 2.3).
Encadré 2.3 : Les forêts d’altitude de Martinique menacée
Les forêts d’altitude sont souvent les milieux insulaires les mieux préservés car ils sont relativement
inaccessibles, et donc moins perturbés par les activités humaines et les espèces envahissantes que
les écosystèmes du littoral. Une équipe de l’Université Antilles-Guyane a exploré les modifications
possibles dues au changement climatique sur les forêts d’altitude des petites Antilles. En Martinique,
comme dans toutes les « îles montagnes » des Antilles, la multiplicité des biotopes offre un véritable
laboratoire pour l’étude de la dynamique végétale. Les conditions climatiques de ces îles sont très
différentes d’un versant montagneux à l’autre, se découpant en de multiples « micro-régions
bioclimatiques » en fonction de l’orientation et de l’altitude. La fréquence et l’abondance des
précipitations sont les principaux facteurs qui différencient un bioclimat d’un autre. La répartition
géographique des espèces ainsi que la dynamique spatiale et temporelle des étages végétaux sont
essentiellement conditionnées par le régime des pluies. En Martinique, du littoral aux sommets, on
retrouve un gradient bioclimatique s’échelonnant du bioclimat sec à un bioclimat hyper-humide (cf.
graphique). De cet étagement bioclimatique, dépend un étagement végétal qui s’échelonne de la forêt
sempervirente aux forêts ombrophiles montagnardes. Le changement climatique entraînera
probablement des saisons sèches plus longues et une diminution progressive des précipitations en
zone de montagne. S’ensuivraient alors une migration du bioclimat sec en altitude et une disparition
progressive des bioclimats humides de montagne. Ces milieux naturels pourraient tendre vers une
xéricité (adaptation à la sécheresse) des écosystèmes forestiers avec une migration de la forêt
sempervirente en altitude et une disparition des forêts ombrophiles montagnardes (Joseph 2006). La
migration altitudinale des espèces et la perturbation des équilibres existants risque d’offrir des
conditions de développement favorables aux espèces exotiques opportunistes envahissantes, qui
finiraient par appauvrir et banaliser ces milieux et paysages jusqu'alors préservés.
Impact du changement climatique sur les écosystèmes marins - En 2005, l’Observatoire du Milieu
Marin Martiniquais (OMMM) a constaté un blanchissement massif de l’ensemble des récifs coralliens
de la Martinique. Le pourcentage de coraux blanchis était de 70 % en moyenne. La mortalité relative à
cet épisode de blanchissement a été estimée à 13 % en 2006 (OMMM 2005). Dans le cadre de
l’IFRECOR (Initiative française pour les récifs coralliens), un suivi qualitatif des récifs et des
peuplements de poissons a été mis en place au niveau de 4 stations. Ce dispositif est géré par
l’OMMM. Par ailleurs, une recrudescence de l’activité cyclonique pourrait aussi avoir des incidences
majeures sur la biodiversité marine du territoire. En août 2007, le cyclone Dean a ravagé certains
secteurs du récif sud de l’île et a eu un impact important sur les forêts littorales et les plages où
pondent les tortues imbriquées. Les femelles de cette espèce reviennent généralement pondre sur les
plages où elles sont nées. Si une plage disparaît, sa population de tortue inféodée risque de
disparaître également, ou de se trouver très fragilisée. Un suivi des populations de tortues marines est
assuré par l’association Sepanmar (Société pour l’étude, la protection et l’aménagement de la nature
en Martinique). Chaque année, trois plages sont suivies pendant 15 nuits d’affilée pour évaluer
l’évolution des populations.
Implications socio-économiques - Le cyclone Dean d'août 2007, qui a fait deux morts lors de son
passage sur la Martinique, a causé de très lourds dégâts matériels en particulier pour l’agriculture (cf.
encadré 2.4). Le changement climatique est considéré par les acteurs de terrain comme une menace
majeure pour l’industrie du tourisme, notamment à travers l’accroissement de l’activité cyclonique et
l’érosion de la biodiversité. Malheureusement, aucune évaluation économique chiffrée n’a été produite
pour cette région. Des recherches ont également été menées en Martinique sur l’impact potentiel du
changement climatique sur la santé publique et sur la propagation de maladies infectieuses comme la
dengue (cf. encadré 2.5). Le colloque de l’ONERC sur le changement climatique dans les Caraïbes,
organisé en Martinique en décembre 2006, a contribué à accroître la prise de conscience locale sur
cette problématique majeure.
Encadré 2.4 : Changement climatique et agriculture aux Caraïbes
Les cyclones intenses, qui se multiplient dans la région, ont un impact majeur sur le secteur de
l’agriculture. Lors du passage du cyclone Dean en 2007 en Martinique et en Guadeloupe, l’intégralité
des bananeraies de ces îles ont été décimées. Les pertes économiques engendrées ont été estimées
à 115 millions d’euros (PECE 2007).
Les agrumes sont une production importante pour la Caraïbe, aussi bien pour la consommation locale
que pour l’export. Ces fruits sont très sensibles à un changement de température et de précipitations.
Des modèles utilisant les données de projection du GIEC montrent que les rendements d’agrumes
pourraient diminuer et leur mortalité augmenter significativement dans la région suite à une baisse des
précipitations (Pérez 2003).
Les tubercules comme le manioc (Manihot esculenta), les pommes de terre (Solanum tuberosum) et
les patates douces (Ipomoea batata) jouent aussi un rôle majeur dans le système alimentaire des
Caraïbes (Canari 2008). Ces cultures contribuent pour une grande partie aux apports nutritifs des
populations locales. Des modèles utilisant les variations climatiques projetées montrent que le
changement climatique risquerait également affecter négativement les rendements de ces cultures
(Centalla 2001).
L’impact du changement climatique l’agriculture affecterait profondément l’économie des îles comme
la Martinique, parfois très dépendante du secteur primaire.
Encadré 2.5 : Une recrudescence de la dengue aux Caraïbes
La dengue est une maladie infectieuse en recrudescence mondiale. Selon l’OMS, 2,5 milliards
d’individus seraient exposés dans un total de cent pays en région tropicale ou subtropicale. La dengue
tuerait dans ces régions 20 000 personnes chaque année, dont de nombreux enfants (ONERC 2006)
et 100 millions seraient contaminés. Sous l’influence du changement climatique, l’augmentation des
températures et la modification des conditions d’humidité pourraient avoir des effets importants sur les
vecteurs de transmission de plusieurs maladies infectieuses, dont la dengue. Les maladies à
transmission vectorielle sont basées sur une dynamique très complexe impliquant plusieurs
composantes : les vecteurs (le moustique dans le cas de la dengue), le parasite (la dengue), l’hôte
(l’homme) et les facteurs environnementaux (habitat, pluviométrie, température, humidité,
insolation…). Une modification des facteurs environnementaux entraînée par le changement
climatique pourrait avoir une influence positive sur les performances de l’insecte vecteur (densité, taux
de survie, durée du cycle de vie). On peut donc s’attendre à une augmentation de la prévalence de la
dengue dans les régions tropicales et à une expansion des vecteurs des zones tropicales vers les
zones tempérées (ONERC Rodhain, ref Cuba). La région Caraïbe a connu une augmentation
marquée de l’incidence de dengue au cours de ces 10 dernières années (CAREC 2007). Des
recherches sont menées sur l’écologie du moustique vecteur Aedes aegypti et sur la prévalence de la
dengue en Martinique (Etienne 2006). Les effets de la saison et du site sur les performances du
vecteur sont étudiés pour mieux comprendre la relation entre les facteurs environnementaux et la
prévalence de la dengue. Les premières recommandations avancées suite à ces recherches, valables
pour l’ensemble de la région, sont de renforcer l’expertise de terrain, de renforcer les observations
scientifiques locales et d’organiser la réponse face à une épidémie.
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