L`institutionnalisation de l`anthropologie au

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The Institutionalization of Anthropology in Mexico: A Conflicting Relation Between Knowledge and Power
Political Development in Latin America
CS18
L’institutionnalisation de l’anthropologie au Mexique : une relation
conflictuelle entre savoir et pouvoir
César Guevara González
Abstract
During this presentation we will discuss the beginning of the process of institutionalization of
indigenous anthropology in Mexico between the years 1917 and 1924. We will focus on the
creation, in 1917, of the Directorate-General for Anthropology and the role played by the
anthropologist Manual Gamio as its Director-General. We should point out that in 1920 the
country, after having passed through a period of political and social instability caused by the
1910 revolution, began the gradual process of consolidating its institutions and social regulatory
mechanisms. Despite affirming the existence of a convergence of interests between the postrevolutionary state and indigenous anthropology, we must also highlight conflicts between two
distinct logics and two distinct fields of action. In this sense we also explain from a
sociohistorical perspective the problems and obstacles faced by theoretical categories when
transformed into categories of public action.
Résumé
Cette communication traitera des débuts du processus d'institutionnalisation de l'anthropologie
indigéniste au Mexique dans les années 1917 – 1924. Nous nous concentrerons sur la création de
la direction générale d'Anthropologie en 1917 et sur le rôle qu'a joué l'anthropologue Manuel
Gamio en tant que directeur de cette institution. Il faut signaler que le pays a entamé en 1920 un
lent processus de consolidation de ses institutions et de ses mécanismes de régulation sociale
après avoir connu une période d'instabilité politique et sociale suite à la Révolution de 1910.
Tout en affirmant l'existence d'une convergence d'intérêts entre l'État post-révolutionnaire et
l'anthropologie indigéniste, nous devons également souligner les conflits entre deux logiques et
deux champs d'action distincts. C'est pourquoi nous aborderons aussi dans cette communication
l'explication socio-historique des problèmes et des blocages auxquels se sont trouvées
confrontées las catégories « savantes » lors de leur transformation en catégories de l'action
publique.
Resumen
En esta ponencia abordamos los comienzos del proceso de institucionalización de la antropología
indigenista en México en los años 1917 – 1924. Nos centramos en la creación de la Dirección
General de Antropología en 1917 y en el papel que jugó el antropólogo Manuel Gamio como
director de esta institución. Debe señalarse que en 1920 el país empezó un lento proceso de
consolidación de sus instituciones y sus mecanismos de regulación social, después de haber
atravesado por un período de inestabilidad política y social causado por la revolución de 1910. A
pesar de que afirmamos la existencia de una convergencia de intereses entre el Estado postrevolucionario y la antropología indigenista, también debemos subrayar los conflictos entre dos
lógicas y dos campos de acción distintos. Por ello, en esta ponencia explicamos también sociohistóricamente los problemas y bloqueos que enfrentan las categorías teóricas cuando se
transforman en categorías de la acción pública.
IPSA Santiago de Chile, Juillet 2009
The Institutionalization of Anthropology in Mexico: A Conflicting Relation Between Knowledge and Power
Political Development in Latin America
CS18
L’institutionnalisation de l’anthropologie au Mexique : une relation
conflictuelle entre savoir et pouvoir
César Guevara González*
L’objet de cette communication est d’expliquer la relation qui s’est établie entre le
discours disciplinaire produit par les anthropologues au cours de la première étape
postrévolutionnaire mexicaine et la sphère du pouvoir politique liée à la construction du
nationalisme. L’anthropologue Manuel Gamio représente un exemple important de cette fusion
entre la pratique intellectuelle et la pratique politique. L’objectif de la pratique scientificoinstitutionnelle de Manuel Gamio est d’intégrer les Indigènes à la République par un processus
d’homogénéisation culturel plutôt que par leur insertion politique. Ceci explique en grande partie
le soutien institutionnel dont il a bénéficié, et le fait qu’il ait réussi à poser les bases qui allaient
permettre de développer l’anthropologie comme un nouveau champ d’intervention publique et de
l’institutionnaliser comme science du gouvernement. Il s’agira donc d’analyser le croisement
entre la discipline anthropologique et la pratique politique au-delà du culturalisme essentialiste.
Manuel Gamio va réussir à mettre en pratique ses catégories savantes dans une institution, le
département d'Archéologie et d'Ethnographie (1917) dont la création constitue la première phase
d’institutionnalisation de l’indigénisme mexicain. Dans ce contexte, nous analyserons les réseaux
et les « espaces intermédiaires » qui ont rendu possible sa création et son influence sur la
politique culturelle de l’État mexicain. Il faut souligner que Manuel Gamio a construit des
réseaux anthropologiques à l'échelle internationale, à la faveur de son implication dans l'école
internationale d'Anthropologie et d'Ethnologie.
Pour comprendre l’indigénisme en tant que science du gouvernement et en tant que politique
culturelle d’intégration des Indigènes à l’État révolutionnaire, il est indispensable d'analyser les
réseaux constitués par l'école internationale d'Anthropologie et d'Ethnologie, l’influence de
l’anthropologie américaine dans la formation des anthropologues mexicains et le rôle joué par des
anthropologues tels que Manuel Gamio comme médiateurs culturels entre l’État et les
populations indigènes. Nous essayerons donc d’expliquer dans les paragraphes suivants comment
la science anthropologique commence à s’institutionnaliser au Mexique sous la forme d'une
« anthropologie appliquée1 », dans le contexte du projet assimilationniste de l’État mexicain. De
* Docteur en Sciences Politiques, IEP Grenoble, France. Professeur à la Faculté de Sociologie, Université de Veracruz,
1
Mexique.
Pour une analyse de l’anthropologie appliquée au Mexique, voir
Nahmad, Salomón (1978) « Perspectivas y proyección de la antropología aplicada en México” In Nueva antropología año III,
nº 9, México, p. 103-107
Palerm, Ángel (1969) « Antropología aplicada y desarrollo de la comunidad” In Anuario indigenista, Instituto Indigenista
Interamericano, Vol. XXIX, diciembre, México, p. 153-161.
Romano Agustín (1969) « La política indigenista de México y la Antropología Aplicada” In América Indígena vol. XXIX, nº
4, octubre, México, p. 1065-1076
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même, nous analyserons comment Manuel Gamio a introduit au Mexique la méthodologie
empirique de l’anthropologie moderne pour jeter les fondements de l’intervention publique de
l’État auprès de la population. Cet auteur a en effet le mérite d’unir la recherche savante et la
prescription politique et normative dans une seule structure discursive. à ce propos, le texte
Forjando patria2 est un exemple d’argumentation scientifique et prescriptive qui marque une
rupture avec l’idéologie positiviste et les discours philosophiques qui avaient légitimé les
politiques culturelles et démographiques mexicaines. Bien entendu, la création de groupes de
savants chargés de rationaliser l’action politique et administrative de l’État, demande la création
d'infrastructures, d'écoles, d’institutions, qui seront les responsables de la formation des nouvelles
élites académiques. En même temps, ces institutions produisent des catégories, des concepts et
des visions du monde qui seront repris par les discours politiques et par l’action publique. Dans
cet ordre d'idées, nous analyserons comment l'école internationale d'Anthropologie et
d'Ethnologie et le département d'Archéologie et d'Ethnographie commencent à offrir les
ressources matérielles à partir desquelles l’anthropologie mexicaine va chercher à
s’institutionnaliser. Toutefois, ces processus ne sont pas exempts de conflits avec les anciens
fonctionnaires responsables de la gestion et de la protection du patrimoine national. L’analyse de
ces conflits va nous permettre d’expliquer la difficulté qu'il y a à vaincre les inerties
institutionnelles ou à remplacer les anciennes bureaucraties culturelles. Finalement, nous
analyserons aussi l’impossibilité de réduire l’histoire de l’anthropologie mexicaine à l’histoire de
la discipline sans tenir compte des « sites intermédiaires » (R. Payre) et des réseaux politiques qui
interagissent avec les pratiques savantes. 3
Nous commencerons par analyser la relation entre les institutions mexicaines et la pratique
anthropologique de Manuel Gamio. Il ne faut pas oublier que M. Gamio a été le premier
anthropologue à mettre en évidence de manière systématique et empirique l’importance d'une
connaissance statistique et culturelle des peuples qu'on envisage d'administrer. De ce fait, la
politique publique en général et la politique culturelle en particulier, se voient justifiées par la
connaissance plus que par les doctrines éthiques ou philosophiques. À ce propos M. Gamio
insiste auprès du gouvernement mexicain sur l’importance que «les communes effectuent, le plus
efficacement et ponctuellement possible, les enregistrements et les annotations pour les
recensements et les statistiques régionales, et expliquent avec insistance aux citoyens les
avantages de cette mesure. Il faut obtenir des autorités ecclésiastiques qu'elles exigent de leurs
fidèles des certificats civils de naissance, de décès, de mariage, etc., avant les célébrations
religieuses respectives. Que dans les futurs recensements, il soit tenu compte du type de race et
du type de civilisation des habitants, et pas seulement des caractéristiques qui ont été retenues
jusqu'à présent.»4
Entre 1909 et 1910, M. Gamio obtient une bourse pour étudier avec Franz Boas à l’université
Columbia. Il faut préciser que Franz Boas n'est pas seulement un des anthropologues les plus
prestigieux des États-Unis et un critique de l’anthropologie évolutionniste, mais qu'il a aussi
2
3
4
Gamio, Manuel (1992) Forjando patria, Porrúa, México
Payre Renaud (2003) « Les efforts de constitution d’une science de gouvernement municipal: la vie communale et
départementale ( 1923-1940) » in Revue Française de Science Politique ,volume 53. No. 2, avril. p. 215
Gamio, Manuel (1979) (edición facsimilar) La población del valle de Teotihuacán, Colección INI, nº 8-I, Instituto Nacional
Indigenista, p. XCVII. Sur le même sujet voir: Gamio, Manuel (1979) (edición facsimilar) La población del valle de
Teotihuacán, Colección INI, nº 8-IV, Instituto Nacional Indigenista, p. 133-145
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participé à la création de l'école internationale d'Anthropologie et d'Ethnologie à Mexico en 1911.
Cette école avait l'objectif de former les étudiants mexicains au courant boasien et, en même
temps, de diriger des recherches en archéologie et en anthropologie au Mexique à travers un
réseau international. Après un séjour à Columbia, où il obtient son master en 1912, Manuel
Gamio retourne au Mexique où il s’incorpore comme fellow à l'école internationale
d'Anthropologie et d'Ethnologie.
1917 voit la création, au sein même du ministère de l'Agriculture et du Développement,
du département d'Archéologie et d'Ethnographie, qui change de nom en 1919 pour s'appeler
direction d'Anthropologie. M. Gamio en est nommé directeur dès sa création. Dans cette
institution, il défend l’idée que l’anthropologie est une science intégrale qui doit étudier les
populations indigènes à partir de la statistique, la démographie, l’archéologie, la culture, etc5. En
1917, Manuel Gamio commence une étude intégrale de la population de Teotihuacan dans la
vallée de Mexico, qui sera publiée en 1922. D’après A. Warman, il y a un rapport entre la
construction du nationalisme mexicain et l’anthropologie intégrale de Manuel Gamio.
« L’anthropologie intégrale mexicaine soutient que l’étude de l’homme doit être
menée à partir de plusieurs dimensions : la dimension historique, la biologique,
la biographique, la culturelle. Cependant, toutes ces dimensions seront unifiées
par un seul ensemble conceptuel, celui de l’anthropologie comme une discipline
appliquée aux actions du gouvernement »6.
Sa recherche intégrale sur la population de Teotihuacan permet à M. Gamio d'obtenir son
doctorat de l'université Columbia. Mais cette recherche lui permet également d’obtenir la
reconnaissance d’importants anthropologues nord-américains et il est invité à prononcer des
conférences sur la culture indigène à Washington et à New-York. De cette manière, dans les
années 20, il consolide sa réputation aux États-Unis et la revue Survey Graphic voit en lui
l’anthropologue le plus important d’Amérique latine. Dans le même esprit, l'Association
américaine d'Anthropologie félicite M. Gamio pour ses recherches dans ce domaine7.
En 1921, il est toujours en étroite relation avec son maitre à penser F. Boas, et les deux
anthropologues échangent leurs impressions sur les études anthropologiques en Amérique latine.
De plus, F. Boas essaye d'encourager au Mexique les études de l'école internationale
d'Anthropologie et d'Ethnologie, dont le principal promoteur est M. Gamio.
Après la Révolution mexicaine, une série d’artistes et de penseurs opèrent une récupération
esthétique de pratiques indigènes. Il faudrait situer les études de Manuel Gamio dans ce contexte,
ainsi que ses positions politiques à propos des Indigènes. En effet, cet auteur a produit une des
études les plus importantes sur la zone archéologique de Teotihuacan8 et il a également revalorisé
les Indigènes en proclamant la grandeur de leurs civilisations passées ; enfin, il a essayé de les
5
6
7
8
De la Peña, Guillermo (1996) Op. Cit. p. 62
Warman, Arturo (2002) “Todos santos y todos difuntos; crítica histórica de la Antropología Mexicana” In Bonfil Batalla,
Guillermo, et al. De eso que llaman antropología mexicana, Comité de publicaciones de los alumnos de la Escuela Nacional
de Antropología e Historia, México, p. 23
Comas, Juan (1975) “Manuel Gamio en la Antropología mexicana” In Anales de Antropología. Instituto de Investigaciones
Antropológicas, UNAM, Vol. XII, México, p. 47-66
Gamio, Manuel (1979a) Op. Cit.
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incorporer graduellement à la nation mexicaine, en reconnaissant leurs particularités culturelles.
Si les artistes avaient entamé une exaltation esthétique des Indigènes, Manuel Gamio va, lui,
amorcer une approche scientifique de la population autochtone, au-delà des « préjugés raciaux »,
et il va proposer une étude culturelle et disciplinaire des différentes ethnies habitant le Mexique.
Selon M. Gamio, le Mexique des années 20 n’est pas encore une nation complètement
constituée, dans la mesure où il ne rassemble pas les quatre caractéristiques de base qu'exige la
consolidation d’une nation : une langue commune, une race homogène, un personnalité commune
et une histoire commune. D’après lui, la condition pour former une patrie réside dans
l’intégration des populations autochtones à cette histoire et cette culture commune9. Il a en effet
observé la présence dans les populations natives, d'une multiplicité de langues et de coutumes
différentes. De plus, ces cultures différentes sont isolées et elles ne participent pas à la vie
nationale. Dans ce contexte, l’objectif de M. Gamio est de stimuler une fusion des races et une
fusion culturelle pour en finir avec la fragmentation et parvenir à ce que les populations indigènes
s’incorporent au projet national. Pour y arriver, il est indispensable d’identifier les différents
groupes ethniques, d’analyser s’ils peuvent être regroupés en régions avec une culture et une
histoire commune, préalablement à leur intégration nationale. Les Indigènes ne doivent pas vivre
comme des étrangers dans leur propre patrie, et ils doivent se transformer en Mexicains grâce au
partage d'une langue commune, l’espagnol, et d'une identité historique en tant que Mexicains,
plutôt que comme membres d’une ethnie en particulier. Cependant, M. Gamio considère que la
meilleure manière d’intégrer les Indigènes à la nation mexicaine consiste à commencer par
reconnaitre leurs différences. Autrement dit, une politique d’homogénéisation culturelle demande
comme préalable l’étude de l'hétérogénéité. Les politiques culturelles de l’État seront d'autant
plus efficaces et l’intégration des Indigènes, performante, que l’État sera capable de mettre en
pratique des politiques centrées sur les réalités culturelles et sociales particulières. Or, M. Gamio
a été le premier anthropologue mexicain à se rendre compte que la construction de
l’homogénéisation nationale demandait d’abord de connaitre et de maitriser l'hétérogénéité
culturelle. Dans la mesure où il a été le premier archéologue diplômé du Mexique et un idéologue
de l’incorporation des Indigènes à la nation mexicaine, nous pouvons dire qu’il a fondé
l'anthropologie comme savoir scientifique légitime et discipline de l’action publique10. Bien que
M. Gamio ait souscrit aux thèses culturalistes de F. Boas et ait mis en valeur la grandeur des
populations autochtones, il a continué à considérer que les Indigènes vivaient dans un retard
permanent. Il pensait toutefois que ce retard était la conséquence des siècles de domination et
d'exploitation que les Indigènes avaient subi sous la domination espagnole. De cette manière,
l’infériorité des Indigènes trouvait une explication historique et culturelle, plutôt que biologique
ou raciale.
Au lieu de proposer une politique d’acculturation unilatérale, M.Gamio pense que l’intégration
des Indigènes peut se produire au moyen d'un échange culturel. Ainsi, les Indigènes accepteraient
les valeurs positives de l’Occident, telles que la productivité, la science, la langue et
9
10
Gamio, Manuel (1992) Op. Cit. p. 159-161
« Rédimé en tant que race et en tant que valeur abstraite ou potentielle de sa culture, l'Indien est resté situé à la racine même
de la nationalité et les Indiens sont devenus la matière première de la citoyenneté moderne. C'est pour cela que Gamio, après
avoir favorisé cette idée, a consacré ses études d'anthropologie appliquée à la transformation de l'Indien en Mexicain. Cette
stratégie a marqué le début de l'idylle entre l'anthropologie et l'État révolutionnaire. » Lomnitz, Claudio (1996) « Insoportable
levedad” In Fractal nº 2, julio-septiembre, año I, vol. I, p. 51-76
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l’organisation politique. En revanche, l'Occident et le Mexique récupérerait des Indigènes leur art
et leur passé civilisateur, dégradé par la domination coloniale. Bien entendu, il reviendrait à
l’expertise anthropologique de décider quels éléments culturels indigènes sont récupérables et
quels sont les atavismes et préjugés qui doivent disparaitre.
Un des apports les plus importants de M. Gamio à l’anthropologie mexicaine et au contexte
scientifique de son époque est le fait d'avoir défini l’Indigène par ses caractéristiques culturelles.
De cette manière, les caractéristiques biologiques passent au deuxième plan et, à l’idée d’une
essence indigène, se substitue celle d’une multiplicité de cultures et de modes de vie costituant la
diversité ethnique du pays.
Or, si le Mexique est constitué d'une multiplicité d’ethnies avec des caractéristiques
différentes et complexes, la politique culturelle doit aussi prendre en compte ces différences pour
essayer d’intégrer graduellement les Indigènes à la modernisation. À l'instar de Molina Enríquez,
M. Gamio considère que l’augmentation de la productivité exigée par la modernité et les
allégeances civiques et politiques que réclame la République, ne peuent pas être le seul résultat
de la coercition et de politiques dirigistes. Dans ce sens, l'un et l'autre affirment le besoin de
transformer et d'intégrer la population à partir de l’interaction et de la maitrise des codes culturels
de la population même. Ainsi, la connaissance du peuple est indispensable pour exercer un bon
gouvernement.
Quand le gouvernant connaitra bien ces individus et les collectivités, il sera possible de
légiférer sur leur vie sociale. On pourra alors former une constitution générale faite de lignes
directrices et de lois particulières, adaptées aux caractéristiques ethnico-sociales et économiques
de ces communautés, et aux conditions géographique des régions qu'ils habitent11.
Manuel Gamio s’est toujours revendiqué comme nationaliste, ce qui lui a valu de s'attirer les
sympathies d’hommes politiques révolutionnaires. Le texte Forjando partia, publié en 1916,
constitue d'ailleurs à la fois un texte anthropologique et un texte politique. De plus, en décembre
1915, pendant l’étape de la lutte entre le président V. Carranza et les autres fractions
révolutionnaires, M. Gamio a publié un article dans la Revista de Revistas à propos du blason
national. Dans cet article, il argumentait que l’aigle du blason n’était qu’une copie déformée de
blasons d’aigles européens12 et il proposait d’utiliser un aigle mexicain pour conforter le
nationalisme. Le président V. Carranza a alors ordonné le changement suggéré par M. Gamio et
ce nouvel aigle figure encore actuellement sur le drapeau mexicain13.
De fait, M. Gamio s’était rallié à la cause des armées révolutionnaires qui essayaient d’expulser
Victoriano Huerta et il était identifié comme « carranciste ». Il est probable que cette sympathie
pour le Président Carranza a contribué à sa nomination à la tête de la direction d'Anthropologie14
en 1917.
11
12
13
14
Gamio, Manuel (1992) Op. Cit. p. 31
« Cependant, notre blason manque de caractère national : jusqu'à l'arrivée de la conquête, l'aigle et le serpent apparaissaient
en bijoux, dans des codex, sur des panaches, des étendards, des bas-reliefs muraux, avec la somptueuse originalité – mal
comprise de nos jours – qui caractérise l'art préhispanique. Depuis lors, le blason s'est transformé, artistiquement, en quelque
chose ayant l'apparence d'un fragment de décor de théâtre : les aigles des drapeaux que nous envoient des usines d'outremer
ne sont même pas des aigles napoléoniens ou romains décadents, mais des ersatz dégénérés de chromos et de détestables
peintures. » Gamio, Manuel (1992) Op. Cit. p. 134
González Gamio, Angeles (1987) Op. Cit. p. 47
De la Peña, Guillermo (1996) Op. Cit. p. 61
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Pour bien comprendre le rôle joué par M. Gamio dans la fondation de l’anthropologie en tant
que science du gouvernement, il est nécessaire de préciser que le développement des sciences
sociales au Mexique entre 1919 et 1940 s’est produit dans un contexte d’instabilité politique et de
lutte entre différentes fractions pour construire un État national unifié. Durant cette période, la
sociologie, la démographie et l’anthropologie vont dominer la politique nationaliste
postrévolutionnaire15. En effet, la connaissance de la composition démographique du pays, ainsi
que les caractéristiques culturelles des différents groupes de population, devenaient
indispensables dans la formation d’une république unifiée. Dans ce contexte, on débattait sur la
possible contribution de la migration européenne à l'augmentation de la productivité et au
développement économique du pays, ou encore sur l'importance de la force productive de la
population indigène et sur son éventuelle capacité à assimiler les valeurs et les connaissances de
la civilisation occidentale. Si des pays tels que les États-Unis et le Canada nécessitaient d’urgence
de grands flux migratoires, ils mettaient en pratique des politiques migratoires sélectives en
fonction de conjonctures économiques concrètes et de projets de nation particuliers. En revanche,
avec son importante population indigène, le Mexique a dû se pencher sur des politiques publiques
pour inclure la population autochtone au processus de développement. De plus, la Révolution
avait introduit parmi les intellectuels et les hommes politiques des idées eugéniques16 et de
régénérescence culturelle de la population. Dans ce sens, les discours des anthropologues et des
intellectuels intéressés par la culture du pays, n’étaient pas des discours neutres, dans la mesure
où l’argumentation scientifique s'adressait, bien entendu, à leurs pairs, aux savants qui
maitrisaient les disciplines sociales, mais en même temps, aux hommes politiques, c'est-à-dire à
ceux qui avaient le pouvoir de mettre en pratique les politiques publiques de base pour
transformer un pays politiquement et culturellement fragmenté, en un État-nation fort et unifié,
idéologiquement et culturellement.
Les lettres que Manuel Gamio a adressées à la présidence de la République ou les discours de
Moisés Sáenz, laissent apparaitre dans leurs propositions un mélange de savoirs disciplinaires et
de prescriptions politiques, ainsi qu'une rhétorique exaltant le gouvernement postrévolutionnaire.
De cette manière, les anthropologues essayaient de produire une « demande sociale ». En effet,
au-delà de la rigueur du savoir disciplinaire et des méthodologies anthropologiques particulières,
les scientifiques et les intellectuels mexicains profitaient la conjoncture politique du Mexique
révolutionnaire, pour montrer que leurs études théoriques et leurs catégories d’analyses étaient
également une solution aux besoins politiques et économiques du pays. Comme le souligne bien
B. Latour,17 la réussite d’une recherche scientifique est fortement liée à sa capacité de générer
l'intérêt d’acteurs qui n’appartiennent pas spécifiquement au monde scientifique. Les
anthropologues mexicains, en même temps qu'ils produisaient de nouvelles catégories d’analyses,
essayaient de façonner la société conformément à ces catégories, ce qui était possible uniquement
15
16
17
Urías Horcasitas, Beatríz (2002) “Las ciencias sociales en la encrucijada del poder: Manuel Gamio (1920-1946)” In Revista
Mexicana de Sociología, Instituto de Investigaciones Sociales, nº 3, vol. LXIV, julio-septiembre, p. 93
À ce sujet, voir:
•
Urías Horcasitas, Beatríz (2007) Historias secretas del racismo en México (1920-1950), Tusquets Editores, México.
•
Urías Horcasitas, Beatríz (2007) El hombre nuevo de la postrevolución In Letras libres , México, Mayo, p. 58-61
•
Stern, Alejandra (2000) Mestizofilia, Biotipología y Eugenesia en el México postrevolucionario; Hacia una ciencia de
la historia y el estado, 1920-1960 In Relaciones, Revista del Colegio de Michoacán, vol. 21, nº 81, p. 59-91
Latour, Bruno (1994) Le métier du chercheur. Regard d’un anthropologue, Paris INRA. P.15-18
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s’il y avait des coïncidences et des liens entre les projets politiques et la production scientifique.
De plus, il faut rappeler qu'au cours de cette période, la plupart des intellectuels et scientifiques
sociaux ont entretenu des liens étroits avec les hommes politiques, et que la majorité de ces
mêmes intellectuels ont occupé des postes publics importants au niveau fédéral ou régional. Aussi
peut-on parler de réussite du processus d’institutionnalisation de l’anthropologie mexicaine, grâce
à une convergence entre les praticiens d’un savoir spécialisé et le pouvoir politique. De fait, au
Mexique, il y a, de la part des scientifiques sociaux, une longue tradition d'imbrication de
l’argumentation disciplinaire et de l'argumentation normative sur les rôles de l’État et la société.
Cela peut s’expliquer historiquement par la participation directe d’intellectuels humanistes et,
plus tard, de scientifiques sociaux, aux politiques publiques du Mexique postrévolutionnaire.
Dans ce contexte, les propositions de Manuel Gamio sur l’intégration régionale des Indigènes
reposaient sur une analyse rigoureuse des différents groupes ethniques qui peuplaient le pays et,
parallèlement, ces propositions incluaient une composante prescriptive quant à l’unification
culturelle et à la formation d’un sentiment civique national.
La région culturelle comme catégorie politique
Il convient par ailleurs d'insister sur l'excellente compréhension que M. Gamio
avait du rapport entre connaissance, action publique et études régionales. Si c'est à Julio de la
Fuente18 que revient le mérite de dépasser les études isolées des communautés pour analyser les
relations interethniques et les échanges de marché à l'échelle régionale, ce sont tout de même les
travaux pionniers de la direction d'Anthropologie qui avaient commencé à analyser le rapport
entre études régionales et contrôle politique.
M. Gamio voit une relation entre la connaissance de la diversité et la construction du
nationalisme. Autrement dit, si les politiques d’État cherchent à construire une république
civiquement et culturellement homogène, il faut d’abord connaitre les réalités particulières de
chaque région. L’homogénéisation présuppose la reconnaissance de la différence. Dans ce sens,
on ne peut pas intégrer de la même manière le Sud du Mexique au projet nationaliste que le Nord,
où les coutumes et les formes d’organisation sont totalement distinctes. C'est par ces apports que
M. Gamio devient un important précurseur de l’étude du multiculturalisme, préalable des
politiques modernisatrices. Il a bien compris que la meilleure manière de construire un État
national, une culture civique uniforme et un éthos économique modernisateur entre le paysan et
les Indigènes, passait d'abord par une interaction avec les différences culturelles régionales.
« La substance de la pensée de Gamio est la suivante : le Mexique doit être abordé
en sciences sociales, en tenant compte de son hétérogénéité et des particularismes de
son histoire nationale. Ce sont les conditions régionales qui ont influé sur la
différenciation de la population mexicaine, étant entendu par là les variations et les
différences entre les gens, d'un point de vue ethnique et culturel, incluant la langue,
18
De la Fuente, Julio (1965) Regiones interetnicas, México: INI
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la société et l'histoire. À cela, il faut ajouter les caractéristiques géographiques,
climatiques et biologiques des régions habitées par les groupes humains qui
constituent la nation. Selon Gamio, une région est un territoire culturellement et
socialement homogène, avec une histoire commune qui peut être différenciée de
celle des territoires voisins. La région a une identité propre qui la rend différente des
autres régions et du reste du pays, même si elle fait partie de la nation » 19
De fait, M. Gamio propose d’étudier un groupe ethnique tel que les Otomi, non comme une
communauté isolée, mais bien comme la « grande famille otomi » vivant sur le territoire
mexicain avec ses caractéristiques communes, ses différences et ses métissages culturels et
raciaux avec les Espagnols. Cette étude doit être le résultat d'une recherche empirique, ainsi que
de l’analyse et de la comparaison de données à partir de techniques anthropologiques et
statistiques. De cette manière, l’anthropologie s’éloigne de la spéculation humaniste pour
produire une connaissance scientifique. Selon M. Gamio, les études sur les Indigènes faites par
d’anciens chroniqueurs tels que B. de Sahagún ou Bernal Díaz del Castilo avaient une importance
historique, mais ces études ne remplissaient pas les préalables scientifiques.
Une fois que l’anthropologue a identifié la famille otomi, ses caractéristiques culturelles et
raciales, il peut « déterminer les besoins actuels » des Otomi et proposer une série de mesures
afin de transformer cette population20. Il peut aussi identifier si « la capacité de production des
Otomi est normale ou anormale », après quoi il aura l’autorité scientifique pour conseiller les
politiques gouvernementales nécessaires pour agir sur la population. Nous pouvons dès lors faire
le point sur les principes de base de l’argumentation de Manuel Gamio :
Premièrement, l’importance de marquer une différence entre la connaissance scientifique
actuelle et la connaissance antérieure sur les Indigènes, qui était plutôt une connaissance
humaniste, historique ou encyclopédique, mais qui n’avait pas atteint le niveau de systématisation
ni les techniques exigées par la méthodologie scientifique.
Deuxièmement, la nécessité d'identifier les régions, les aires culturelles, les zones de influence,
les familles, etc., afin de dépasser les monographies sur des communautés isolées.
19
20
Fábregas Puig, Andrés (1992) El concepto de región en la literatura antropológica, Instituto Chiapaneco de Cultura, Chiapas,
México, p. 14. Cité par Ayora Díaz, Steffan Igor (1995) Globalización y Región : Reflexiones sobre un concepto desde la
antropología In Cuadernos de arquitectura y urbanismo, nº 1, Tuxtla Gutierrez, Chiapas, p. 9-40
« Supposons que l'on prétende établir la connaissance anthropologique de la grande famille otomi, établie sur les hauts
plateaux depuis des temps reculés. Eh bien, selon le modus operandi en vigueur encore de nos jours, le chercheur se rendra
dans un petit village peuplé de gens parlant l'otomi et, s'en tenant à une stricte méthodologie ethnologique, il établira la
filiation de ces individus et s'efforcera de faire paraitre son travail dans quelque publication spécialisée, ce sur quoi il
s'estimera satisfait de son travail et, le considérant terminé, s'en ira étudier les individus zapotèques de tel village ou les
Tepehuan de tel autre. Il est évidemment permis de se demander : A part la valeur individuelle de cette étude, en sa qualité de
document isolé, quel intérêt peut-elle avoir, si elle n'est pas reliée aux études ethnologiques de milliers d'Otomi d'autres
villages, ni accompagnée d'études physiographiques, biologiques, archéologiques, historiques et statistico-démographiques
complémentaires?... une fois qu'on connait scientifiquement la façon d'être de la grande famille otomi et les raisons de cette
façon d'être, il faut en venir à l'objectif final et pratique auquel tendent les recherches anthropologiques, qui ne sont pas
spécifiquement spéculatives, comme cela a été dit à plusieurs reprises : il faut déterminer les besoins actuels de cette grande
famille, déduire et fournir des moyens directs d'y remédier et mettre en œuvre l'observation scientifique de leur
développement afin de collaborer dès aujourd'hui à la croissance de leur futur bien-être physique et intellectuel ». Gamio,
Manuel (1992) Op. Cit. p. 17-18
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Troisièmement, l’intervention de l’action publique doit avoir comme préalable la connaissance
scientifique de la population sur laquelle la politique de l’État va se centrer. La connaissance
anthropologique et statistique de la population est considérée comme indispensable.
Quatrièmement, cette connaissance permet à l’anthropologue d’identifier les comportements
normaux et anormaux de la population dans le but de modifier ces derniers et d'autres
« improductifs ». Pour ce faire, il doit élaborer un « recensement culturel représentatif » pour
classer les objets et les caractéristiques entre « utiles », « déficients » ou « nocifs » et, ainsi,
signaler à l’action publique les habitudes de la population qui doivent être transformées :
«Le metate, ou pierre à broyer le maïs et le huarache, ou sandale, seront inscits
comme objets déficients, le premier parce qu'il exige une extraordinaire dépense
d'énergie de la part des femmes qui l'utilisent, et leur impose en outre de rester
longtemps dans une position inconfortable ; quant au deuxième, il favorise
l'infection parasitaire de type oncinariose ou tungose, qui se contractent par le
contact du pied avec sol infecté ; encore qu'il ne faille évidemment pas oublier,
dans le cas de indigènes qui marchent pieds nus, de leur recommander de porter au
moins des sandales, dans la mesure où celles-ci présentent une défense – quoique
peu efficace – pour éviter le contact avec des parasites et des germes pathogènes
du sol. Si la charrue est le modèle ancien en bois avec un coutre en fer, elle sera
qualifiée de déficiente, mais si elle possède un soc en métal, elle sera dite utile.
L'alcool, la marijuana et les autres drogues, ainsi que les accessoires utilisés dans
les jeux de hasard recevront la qualification de préjudiciables. La production de
beaux vêtements typiques portés dans certaines régions, les sarapes et les ponchos,
les poteries décorées, les objets laqués et, de manière générale, les objets
artistiques et artistiques utilitaires de manufacture indigène devront être rangés
parmi les objets utiles, et leur production devra être encouragée de toutes les
manières.»21
Les études de M. Gamio sur les régions et leurs caractéristiques culturelles vont façonner un
modèle politico-scientifique auquel vont souscrire d’autres anthropologues tels que Julio de la
Fuente et, plus tard, le grand gourou de l’indigénisme mexicain, Gonzalo Aguirre Beltrán. De
fait, l’argumentation scientifique anthropologique sur l’importance des cultures régionales,
devient aussi un « front de recherche » capable de fédérer des arguments politiques et
économiques autour d’une explication savante produite par la science anthropologique.
Ainsi, l’INI (Institut national indigéniste, créé en 1947) va longtemps avoir pour principe
l’intervention régionale. C'est dans ce contexte que Julio de la Fuente propose en 1949 le critère
d’« intégration régionale » comme une manière de résoudre le « problème indigène ». Dans le
modèle de De la Fuente, l’intégration régionale constitue un niveau d’organisation plus complexe
et performant que l’organisation communautaire. L’organisation communautaire en effet, modèle
social classique des Indigènes, représente la fragmentation et l’isolement des différents groupes
ethniques qui composent le pays. À partir de cette fragmentation, il est vraiment compliqué de
réussir une intégration nationale que, par contre, l’identification de régions culturelles et
d’organisations supracommunautaires facilite22.
21
22
Gamio, Manuel (1992) Op. Cit. p. 189
Díaz, Steffan Igor (1995) Op. Cit.
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« Vu que l'intérêt était d'intégrer les indigènes à la nation mexicaine, le projet
indigéniste favorisait les relations interculturelles pour faciliter cette synthèse
nationale. Dans la commune, l'identité indigène serait renforcée dans ses dimensions
ethnique, religieuse, politique et sociale, mais à l'échelle régionale, il y a des relations
entre les indigènes et les métis, qui favorisent l'intégration des premiers à la nation. »23
Ainsi, la région culturelle devient-elle une catégorie descriptive, mais elle est parallèlement
une catégorie de l’action publique qui essaye de construire ce qu’elle nomme. Autrement dit, le
caractère « performatif »24 de cette catégorie repose sur sa capacité à passer de la compétence
anthropologique à la sphère de l’action et de la politique publique. S'il revient à l’anthropologue
d'identifier et de classer une région culturelle supracommunautaire, c'est l’action d’acteurs
officiels et d'entrepreneurs politiques qui peut contribuer à faire d'une région culturelle une réalité
politique et un espace d’intervention publique. L’indigénisme officiel considérait donc que
l’identification et la construction des régions était une solution au problème indigène, dans la
mesure où les régions sont plus faciles à intégrer à l’idéologie républicaine.
Déjà, M. Gamio avait emprunté à Franz Boas le concept d’« aire culturelle » dans le but de
diviser la population indigène du pays en 11 régions qui devaient être étudiées par équipes
multidisciplinaires. Ces études constitueraient la base de la politique intégrationniste de l’État25.
À l'heure actuelle, la catégorie savante de région culturelle a été reprise par des associations
non gouvernementales et par les groupes indigènes organisés en mouvements ethno-politiques,
dans le but de construire des projets qui puissent s'articuler sur l'État-nation. Ainsi, les
populations de la région mixe de Oaxaca, les organisations indigènes de Alto Balsas dans l'État
de Guerrero, le mouvement de l'Isthme de Tehuantepec et l'EZLN dans l'État du Chiapas sont
des exemples de mouvements ethno-politiques qui essaient de construire un espace d'autonomie
régional, pour avoir historiquement partagé l'occupation d'un territoire, d'une culture et d'une
identité particulière (les trois caractéristiques de base pour définir un « peuple indigène »).
Certes, les mouvements autonomistes acceptent qu'il puisse y avoir une mosaïque pluriethnique à
l'intérieur d'une même région autonome, mais les groupes qui la constituent reconnaissent
partager certaines valeurs ainsi qu'une histoire commune sur laquelle s'est construite leur région
autonome26. L'anthropologue Héctor Díaz Polanco27 a également souligné que l'exigence d'une
autonomie communale rendait pratiquement impossible la relation politique avec un État-nation.
C'est pourquoi cet auteur insiste sur la construction politique des régions à partir de l'intégration
et de l'articulation démocratique des différentes communautés.
23
24
25
26
27
Díaz, Steffan Igor (1995) Op. Cit.
Austin, J.L. (1976) How to do things with words, Oxford Paperbacks
Hewitt de Alcántara, Cynthia (1988) Imágenes del campo : la interpretación antropológica del México rural, El colegio de
México, México
Alicia Barabas y Miguel Bartolomé ont insisté sur la difficulté d'identifier des groupes indigènes qui partagent une identité
collective et une forme d'organisation commune au-delà de petites communautés. La langue elle-même ne suffit pas à former
une identité, parce que des groupes indigènes partageant la même langue ne se reconnaissent pas pour autant dans un même
référent identitaire. Dans ce contexte, Barabas et Bartolomé font allusion au travail d'organisations politiques comme autant
de mécanismes de construction d'identité. Barabas, Alicia; Bartolomé, Miguel (coords.) (1999) Configuraciones étnicas en
Oaxaca. Perspectivas etnográficas para las autonomías, vol. 1, INI/Conaculta-Inah, México, p. 19-22 et 40-45
Díaz-Polanco, Héctor; Sánchez, Consuelo (2002) México diverso. El debate por la autonomía, Siglo XXI, México, p. 88-93
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Comme Eric Hobsbawn a déjà parlé de l’« invention de la tradition »28 et François Bayart, de
« l’illusion identitaire »29, justement pour montrer la relation entre les processus culturels et le
pouvoir politique, nous pouvons ici parler de la construction des régions et des ethnies comme
résultat d’une interaction et d'une négociation entre les paradigmes théoriques dominants et les
forces politiques soucieuses de définir et redéfinir les espaces sociaux et symboliques. La
préoccupation de Manuel Gamio pour l’intégration régionale dépassera le contexte historique des
années 20 et se convertira en politique d’État jusque dans les années 60 au moins.
L'anthropologie appliquée
Les idées de Gamio sur l’intégration régionale et la formation d’une république à vocation
universaliste trouveront une occasion d’être mise en pratique à la Direction d’Anthropologie. La
création de cette institution n’a pourtant pas été exempte de conflits. S'il est vrai que M. Gamio a
pu fonder cette direction grâce à son amitié avec le ministre de l'Agriculture, Pastor Rouaix, il
n'en est pas moins certain qu'à plusieurs reprises, M. Gamio avait offert aux pouvoirs publics la
création d’une institution forte, capable de fournir des informations empiriques sur la population
mexicaine, et faisant de la conjonction entre la statistique, la démographie et l’analyse
anthropologique, la base de la politique culturelle et d’intégration. Cela marque une rupture
historique avec les discussions antérieures sur les Indigènes, qui étaient influencées par un
mélange d’arguments philosophiques et positivistes30.
Dans ce sens, Olivé Negrete31 avait raison quand il signalait que l’anthropologie appliquée était
née au Mexique avec la création de la direction d'Anthropologie. L’objectif de cette Direction
était d’utiliser l’anthropologie pour réussir l’unification culturelle du Mexique, qui permettrait de
construire la nationalité et la patrie. Lorsque M. Gamio en a proposé la création au sein du
ministère de l'Agriculture et du Développement, le ministre Pastor Rouaix a accepté à condition
que M.Gamio convainque le congrès de l’importance de cette Direction32, en conséquence de
quoi M. Gamio a assisté à tous les débats des législateurs sur le sujet. Dans ce cas précis, le
mélange d’arguments scientifiques et politiques s'est avéré indispensable pour justifier
l’importance de la recherche scientifique.
Dans la sphère politique, cette nouvelle Direction est créée en 1917, pendant la période du
Président V. Carranza, et coïncide pratiquement avec la promulgation de la Constitution de 1917.
Il faut se souvenir que le gouvernement carranciste présente alors un projet économique
modernisateur et essaye en même temps de donner des responsabilités politiques à la société
civile. La Direction a, à cet effet, rassemblé des intellectuels importants du carrancisme tels que
28
29
30
31
32
Hobsbawn, Eric et Terence Ranger (2006) L’invention de la tradition, Éditions Amsterdam
Bayart, Jean-François (1996) L’illusion identitaire, Éd. Fayard, Paris
Stern, Alejandra (2000) Op. cit.
Olivé Negrete, Julio César (1989) “Dirección de Estudios Arqueológicos y Etnográficos de la Secretaría de Fomento
(Dirección de Antropología” In García Mora, Carlos y Mercedes Mejía (coords) La antropología en México. Panorama
histórico. 7: las instituciones, colección Biblioteca del INAH, INAH, México, p. 57-70
González Gamio, Ángeles (1987) Op. Cit. p. 48
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Molina Enríquez, qui soutenait l’importance d’une Réforme agraire et la formation d’une nation
métissée comme réponse aux problèmes démographiques et économiques que rencontrait le pays
pour rentrer dans la modernité. De son côté, M. Gamio réalise des recherches archéologiques et
culturelles à Teotihuacan et il essaye de « donner aux gouvernants des renseignements dignes de
foi à propos d’une réalité sociale que ceux-ci ne connaissaient pas33 ». Il faut ici se rappeler
qu’avant M. Gamio, les problèmes indigènes et de la culture populaire en général étaient analysés
par les humanistes. Ceux-ci proposaient bien des solutions au gouvernement pour consolider et
unifier la nation, mais leurs stratégies pour assoir leur prestige et leur autorité intellectuelle,
reposaient plus sur leur érudition et sur leurs compétences artistiques et philosophiques que sur
une méthodologie scientifique.
Pendant les années 20 et 30, nous observons une correspondance entre les propositions
indigénistes et une pensée médicale, inspirée des thèses eugéniques et de la criminologie, qui
cherche à mettre en place des politiques de « prophylaxie sociale » pour éliminer les habitudes
« négatives » de la population. Ainsi, une des préoccupations du ministre de la SEP, José
Manuel Puig Casauranc, est-elle d'éliminer « le triangle tragique du fanatisme, de l’alcoolisme et
les unions sexuelles prématurées entre les Indigènes34 ». Les eugénistes vont identifier les
« pathologies sociales » qu'il est nécessaire d’éradiquer à l'aide de politiques et de campagnes
spécifiques de santé et de prise de conscience. De même, l’anthropologie essaye d’identifier et de
classer la population afin d’éliminer les habitudes et les caractéristiques culturelles qui seraient
l’expression de la « décadence » des Indigènes suite à la domination ibérique. Ainsi, M. Gamio
va-t-il identifier et étudier les coutumes de la population, son niveau de religiosité et ses formes
d’alimentation, dans le but de transformer ces habitudes et d'éliminer la « dégénérescence »
sociale des Indigènes. Bien que M. Gamio parle de « décadence » et que les responsables du
gouvernement acceptent la nécessité de faire progresser la population, ils pensent que cette
régénération peut se mettre en pratique à partir de politiques sociales et que la race, comme
donnée biologique, ne joue pas un rôle déterminant dans la condition des Indigènes35. Pour M.
Gamio, ce sont le catholicisme, le colonialisme et la mauvaise alimentation qui se trouvent à
l’origine de « l’infériorité » des Indigènes, tandis que la race ne joue qu'un rôle secondaire. De la
même façon que d’autres penseurs, il affirmait que les caractéristiques de la vie rurale
déterminaient le retard des Indigènes et que le changement de ces conditions allait rendre
possible la manifestation de leur puissance.
Influencé par les thèses de Jean Baptiste de Lamarck, M. Gamio va décrire les Indigènes
comme des personnes dégénérées, mais qu'une modification des conditions économiques et
sociales qui sont les leurs pourrait sauver. Il pense qu’une alimentation à base de viande et de soja
33
34
35
Urías Horcasitas, Beatríz (2002) Op. Cit. p. 101
Dawson, Alexander S. (2004) Indian and Nation in Revolutionary Mexico, The University Of Arizona Press, Tucson, p. 21
Ainsi, dans son texte sur la vallée de Teotihuacan, Gamio s’éloigne aussi du déterminisme racial et soutient que la décadence
des Indigènes a été provoquée par des questions sociales : « la population de la vallée présente dans ses trois étapes de
développement, précolonial, colonial et contemporain, une évolution inverse ou descendante. En effet, durant le première
période, les habitants de la région faisaient preuve d'un splendide épanouissement intellectuel et matériel, si l'on en juge par
les florissantes traditions et les majestueux vestiges de toute sorte qui sont arrivés jusqu'à nous. L'époque coloniale a signifié
la décadence de la population, qui a perdu sa nationalité, vu que les lois, le gouvernement, l'art, l'industrie, la religion, les us et
coutumes aborigènes, se sont vus détruits ou harcelés sans trève par la culture des envahisseurs, qui n'ont rien, ou
pratiquement rien, pu ou su leur donner en échange de ce qu'ils leur arrachaient. ». Gamio, Manuel (1979a) Op. Cit. p. XIX
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contribuerait à l’amélioration des conditions physiques et de la capacité de production de la
population36.
Outre l’analyse de la convergence entre les études d’anthropologie et les intérêts de l’Étatnation mexicain comme variable permettant d’expliquer la reconnaissance de M. Gamio en tant
qu'expert du gouvernement dans les questions culturelles, il faudrait expliquer d’autres
conjonctures politiques qui ont permis la consolidation de M. Gamio comme un des fondateurs
de l’indigénisme institutionnel. Sous la présidence de V. Carranza et d'A. Obregon, il avait réussi
à s'imposer comme un important scientifique social et que son amitié avec Pastor Rouaix
(ministre de l'Agriculture et du Développement) lui avait permis de conserver la direction
d'Anthropologie, en dépit des problèmes que celle-ci connaissait avec le Musée national, et des
luttes entre fractions révolutionnaires.
Après la défaite de Venustiano Carranza en 1919, M. Gamio réussit à obtenir le soutien des
politiciens de Sonora (la fraction victorieuse de la Révolution mexicaine, qui fonde l’État
moderne), dont il partage l’esprit de rénovation qui caractérisait le mouvement révolutionnaire.
De plus, M. Gamio a su mobiliser son habileté politique pour conserver la direction
d'Anthropologie après la chute du Président V. Carranza, le général vaincu par la fraction de
Sonora, elle-même dirigée par A. Obregón et P. E. Calles notamment. Le nouveau Président, A.
Obregón, gardera M. Gamio à la tête de la direction d'Anthropologie, en dépit du fait que ce
dernier était identifié comme sympathisant du carrancisme. Alvaro Obregón avait lu le texte
Forjando Patria, dans lequel M. Gamio exposait l’importance d’homogénéiser une nation
composée de « petites patries » culturellement très fragmentées, ce qui lui fera déclarer que
Forjando Patria est un texte que « tous les Mexicains doivent lire »
La Direction de M. Gamio avait pour responsabilité de classer les coutumes de la population
entre « normales » et « anormales » et plus particulièrement, de signaler les caractéristiques
physiques et culturelles des Indigènes qui devaient être changées ou préservées en fonction des
objectifs de l’État37. Dans ce contexte, nous devons à présent analyser la relation entre les
propositions de M. Gamio et l’anthropologie appliquée au Mexique.
D’après Salomon Nahmad38, l’anthropologie appliquée consiste à utiliser la
discipline anthropologique pour résoudre les « problèmes sociaux » et pour intervenir dans des
politiques publiques particulières, ou répondre à des demandes de l’initiative privée. Ainsi, S.
Nahmad cite les études anthropologiques de W. Warner dans les années 30 et les recherches des
anthropologues du Bureau of indians affaires comme exemples d’anthropologie appliquée. Un
autre des pionniers de l’anthropologie appliquée moderne était F. Boas, qui a fait des études sur la
migration et a montré comment l’anthropologie pouvait contribuer à la formulation de politiques
36
37
38
Comas, Juan (1975) Op. Cit. p. 50-51
«Nous avons déjà indiqué que, pour que se normalise le développement déficient dans lequel les groupes indigènes végètent
depuis si longtemps, il est nécessaire d'analyser et de qualifier les caractéristiques de leur vie matérielle et intellectuelle, pour
ensuite conserver et encourager celles qui sont utiles et bénéfiques, extirper et corriger celles qui sont préjudiciables,
substituer celles qui sont déficientes par d'autres plus efficaces et, finalement, introduire bon nombre de celles qui leur
manquent actuellement et qui leur sont indispensables, étant donné les exigences de la vie humaine actuelle». Gamio, Manuel
(1992) Op. Cit. p. 192
Nahmad Sittón, Salomón et Thomas Weaber (1990) “Manuel Gamio, el primer antropólogo aplicado y su relación con la
antropología norteamericana” In América indígena, Instituto Indigenista Interamericano, Vol. L, no4, octubre-décembre,
México, p. 291-319
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publiques spécifiques par rapport à la migration et aux problèmes que représentait l’intégration de
minorités ethniques. Dans cette perspective, S. Nahmad soutient que les études de M. Gamio sur
la Vallée de Teotihuacan peuvent être considérées comme pionnières dans le domaine de
l’anthropologie appliquée. Nous avons déjà analysé comment ces études mêlent à la recherche
scientifique, des recommandations de politiques publiques d’homogénéisation culturelle.
D’après S. Nahmad, les thèses qui orientent la recherche de M. Gamio à la tête de son service,
se trouvent déjà énoncées dans le texte Forjando Patria. On peut y constater comment les thèses
sur l’homogénéisation culturelle et les politiques d’intégration deviennent un objectif de base de
sa recherche. M. Gamio déclare à ce propos que l’anthropologie a une responsabilité pratique et
qu’elle ne devrait pas se borner à produire une connaissance abstraite. De la même manière, il
considère l’anthropologie comme une science permettant la prise de décisions politiques pour
permettre aux populations indigènes de continuer un « développement évolutif normal 39».
L’anthropologie de M. Gamio a toujours essayé de proposer des actions concrètes pour que les
populations indigènes puissent se développer. En 1916, dans son texte Forjando Patria40, M.
Gamio avait déjà critiqué la grande industrie et il avait marqué la différence entre « l’industrie
étrangère » et « l’industrie nationale typique » (l’industrie artisanale). Les différentes
interventions de M. Gamio sur ce thème mettaient en relief l’importance de l’industrie nationale
typique parce que ce type de production pouvait être exporté et, de plus, n’était pas une simple
copie de produits étrangers. Ainsi, à partir de la sphère productive, l’État pouvait générer un
sentiment nationaliste ancré dans l’activité économique.
En réalité, M. Gamio ne s’opposait pas radicalement à la grande industrie d’origine étrangère,
mais il donnait la priorité à l’industrie artisanale et pensait qu’une industrie typique forte était une
condition nécessaire pour réaliser une fusion avec la grande industrie. La création d’un
nationalisme culturel et économique était donc indispensable pour interagir avec l’extérieur et
évoluer vers la modernité.
Après que M. Gamio est revenu de son voyage au Japon en octobre 1929, il a commencé a
promouvoir « l’industrie domestique artisanale ». Il a ainsi écrit différents articles sur le Japon,
parmi lesquels on trouve un article intitulé La industria japonesa : sugerencias para fomentar y
mejorar la producción de los mexicanos . Dans cet article, à partir d’une étude des statistiques
officielles du Japon pour 1927, Manuel Gamio explique que l’exportation de trois produits de
l’industrie domestique japonaise, la céramique, la soie et la porcelaine, représentent le double des
exportations totales du Mexique. À partir de cette constatation, M. Gamio recommande de
promouvoir au Mexique l’industrie artisanale41. Examinons les arguments principaux qu’il donne
pour stimuler cette industrie. Tout d’abord, il distingue au Mexique deux types d’industries :
l’industrie mécanique et l’industrie artisanale. D’après lui, en 1930, seuls 4% de la population
travaillaient dans l’industrie mécanique. De ce fait, stimuler l’industrie artisanale apportera des
bénéfices à la majeure partie des forces de travail, qui obtiennent un revenu à partir de l’industrie
39
40
41
Ibidem, p. 298
Gamio, Manuel (1992) Op. Cit. p. 143-148
Omura, Kanae. Manuel Gamio y Japón In Revista de la Universidad de México p. 89-93
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domestique. Deuxièmement, ce sont des Mexicains qui contrôlent les processus de production de
l’industrie artisanale. Par contre, l’industrie mécanique dépend fondamentalement des
importations de pays tels que les États-Unis. Troisièmement, l’industrie mécanique est répétitive
et ne stimule pas la créativité. Par contre, l’industrie artisanale peut encourager les Mexicains à
exprimer leur personnalité et la richesse de leur culture. Dans ce sens, nous pouvons dire que
Manuel Gamio a été un des premiers promoteurs de l’activité artisanale pour produire des
revenus parmi les Indigènes. Et, de fait, cette idée de stimuler les activités artisanales va être
reprise par beaucoup d’institutions indigénistes jusque dans les années 80, avec l’objectif de
placer l’artisanat mexicain sur les différents circuits des marchés nationaux et internationaux et,
en même temps, de chercher un soutien aux producteurs auprès des institutions officielles42.
3. Les conflits politiques et l'interruption de l'institutionnalisation anthropologique
Il est possible d’analyser comment les relations interinstitutionnelles et les conflits
politiques peuvent affecter les communautés épistémiques des anthropologues mexicains, en
étudiant les problèmes qui ont opposé le Musée national et la direction d'Anthropologie dirigée
par Manuel Gamio, conflits qui ont affecté l'école internationale d'Anthropologie et d'Ethnologie
et la direction d'Anthropologie elle-même. Nous avons en effet déjà dit que Franz Boas et
Manuel Gamio jugeaient fondamentale la création au Mexique de l'école internationale
d'Anthropologie et d'Ethnologie43. Cette école représentait le courant de pensée dirigé par F. Boas
et constituait en même temps une plateforme de lancement du culturalisme boasien vers
l’Amérique latine. Cependant, les problèmes politiques entre Manuel Gamio et le Musée, ont
empêché la consolidation de l'École internationale et l’expansion du courant de pensée animé par
F. Boas parmi les anthropologues mexicains. Rappelons à ce propos que M. Gamio était un
important intermédiaire entre l’anthropologie américaine et l’anthropologie mexicaine. De fait, il
a contribué à la circulation du discours culturaliste boasien au Mexique et en Amérique latine.
Dès cette époque, se développent des stratégies de diffusion internationale des discours
académiques, combinant indissolublement l’activité politique et la recherche universitaire. En
derniers recours, ce sont les anthropologues qui contrôlent le « cycle de crédibilité » des faits
scientifiques et ce sont eux aussi qui peuvent garantir la constitution de réseaux permettant la
circulation et la promotion internationale de ces discours.
Or, cette fonction de M. Gamio comme promoteur du discours culturaliste et de l’indigénisme
mexicain, a été bloquée par les anciennes institutions anthropologiques. Il a souvent été dit que la
l'École internationale, inaugurée en 1911, n’a pas réussi à se développer à cause du conflit
42
43
Ibidem
Les deux grands promoteurs de l’École internationale furent Eduardo Seler et Franz Boas, respectivement premier et
deuxième directeur de l’École. Tous deux ont signé la constitution de l’École. Seler, en représentation du gouvernement
prussien et Boas en représentation de l’université Columbia. L’École a été inaugurée le 20 janvier 1911 par le Président
Porfirio Diaz, en quoi on peut voir l'importance que revêtait le prestige pour Porfirio Diaz : la préoccupation du régime
porfiriste pour l’archéologie et les civilisations anciennes du Mexique était une manière d'imiter l'engouement européen et
américain pour les civilisations anciennes. De la Peña, Guillermo (1996) Op. Cit. p. 46
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révolutionnaire44 et de problèmes budgétaires, mais les problèmes interinstitutionnels et la lutte
pour obtenir l’hégémonie dans le domaine de l’anthropologie mexicaine semblent avoir été
également des facteurs de poids et méritent une analyse.
En effet, l’examen de la confrontation entre une ancienne institution telle que le Musée
national dirigée par Castillo Ledón et la direction d'Anthropologie fondée par M. Gamio, peut
nous aider à comprendre la lutte pour l’hégémonie anthropologique et la disparition de la
direction d'Anthropologie qui en résultera, en dépit du prestige de M. Gamio. Pour comprendre
cet antagonisme, il faut tout d'abord rappeler que le Musée national a été fondé en 1825 par un
décret du Président Guadalupe Victoria. Sa création célébrait de manière symbolique
l’indépendance du Mexique de la couronne espagnole et la reconnaissance du patrimoine
archéologique d’une nation souveraine.
La génération de médecins, géologues et chimistes qui, depuis 1870, avaient mené des
recherches sur le patrimoine archéologique dans un perspective naturaliste était en train de
disparaitre. C'est dans ce contexte que débute en 1906 l’enseignement de l’anthropologie au
Musée national. Face à une nouvelle génération composée principalement, en ce début du XXe
siècle, d’avocats, d’ingénieurs, d’anthropologues étrangers et d'architectes, la tradition naturaliste
commence à perdre du terrain45 au profit d’une conception plus historique. Et, dans un contexte
où le passé indigène doit renforcer l'histoire nationale, la recherche passe progressivement d’une
étape naturaliste à une étape archéologique et historique.
Manuel Gamio avait donc travaillé jusqu’en 1916 comme inspecteur en chef du département
d'Inspection générale des monuments archéologiques, qui dépendait du Musée national. En 1917,
grâce à son amitié avec Pastor Rouaix, et en utilisant son prestige d'archéologue et de disciple de
F. Boas, il fondait la direction d'Études archéologiques et ethnographiques, future direction
d’Anthropologie, qui dépendait du ministère de l'Agriculture et du Développement et obtenait à
la fois son indépendance du Musée national et un important budget. C'est ce qui a provoqué une
rupture46 entre le musée et la nouvelle Direction47. Ces différences vont entrainer des accusations
publiques mutuelles entre le musée (Mena y Castillo Ledón) et Manuel Gamio pour
d'hypothétiques falsifications de pièces archéologiques pendant les années 20.
Cette rivalité affectant les projets que F. Boas faisait reposer sur la pérennité de l'École
internationale, ce dernier avait donc besoin de la réconciliation entre son ancien disciple et le
44
45
46
47
C’est la thèses de Haydée Garcia de Cueto selon laquelle l’École a commencé avoir des problèmes à cause de la Révolution
mexicaine à l'échelle nationale, et à cause de la Première Guerre mondiale à l'échelle internationale. À ce sujet, voir : García
Cueto, Haydée (1989) “Escuela Internacional de Arqueología y etnología americanas” In García Mora, Carlos y Mercedes
Mejía (coords) La antropología en México. Panorama histórico. 7: las instituciones, colección Biblioteca del INAH, INAH,
México, p. 371-383
Rutsch, Mechthild (2001) “Ramón Mena y Manuel Gamio. Una mirada oblicua sobre la antropología mexicana en los años
veinte del siglo pasado” In Relaciones, nº 88, vol. XXII, otoño, p. 81-116
Avant cette rupture, pendant que Gamio travaillait dans une dépendance du Musée national, il n’y avait pas de conflit déclaré
entre Castilo Ledón et M. Gamio. Le 18 janvier 1916 (p. 99) Castillo Ledón, directeur du Musée national, avait présidé un
séance de la conseil de direction de l'école internationale d'Anthropologie et d'Ethnologie nord américaine. Au cours de cette
séance, il avait été décidé de nommer Manuel Gamio, responsable des travaux de l’école. On peut donc en déduire qu’il n’y
avait pas encore de rupture entre eux et, qu'à ce moment-là, la communauté du musée acceptait M. Gamio et le courant de F.
Boas. Rutsch, Mechthild (2001) Op. Cit. p. 100
Le Musée et le département d'inspection étaient en constante rivalité depuis 1885, l'année de création de l'Inspection. Ainsi la
rivalité entre le Musée et la Direction de Gamio prolongeait une confrontation ancienne. Rutsch, Mechthild (2001) Op. Cit.
p. 101
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directeur du Musée national, pour consolider son courant de pensée au Mexique et continuer à
développer des recherches particulières à caractère archéologique et ethnographique. Il essayera,
dans différentes lettres adressées à M. Gamio et à Castillo Ledon, d'apaiser cette rivalité, mais les
différences resteront irréconciliables en raison de polémiques théoriques, certes, mais aussi pour
des questions budgétaires et politiques. Malgré son prestige international, M. Gamio n’a pas
réussi à consolider la professionnalisation de l’anthropologie mexicaine, en raison de son
incapacité à établir des alliances avec la génération antérieure d’anthropologues et avec le
personnel du Musée national. Autrement dit, il a essayé de construire une nouvelle institution et
une nouvelle génération d’anthropologues en se dissociant complètement des anciennes
institutions. Mais le Musée national a su bloquer ses projets et, principalement, le développement
de l'école internationale d'Anthropologie et d'Ethnologie 48.
D'autre part, la direction d'Anthropologie a aussi connu des conflits avec le ministère
d'Éducation publique (SEP), à cause de sa conception de l’éducation indigène. Alors que la
Direction proposait une éducation spéciale pour les Indigènes, la SEP, elle, considérait que les
Indigènes pouvaient s’incorporer rapidement dans les écoles existantes. De plus, la SEP et la
Direction s’accusaient mutuellement de faire double emploi. Tous ces facteurs ont empêché
l'ancrage de l'École internationale au Mexique et la professionnalisation de l’anthropologie
mexicaine49.
Vers la fin de la présidence d'Álvaro Obregón, en 1924, M. Gamio essaye de gagner la
sympathie du candidat officiel à la présidence de la République, Plutarco Elias Calles, mais
différents problèmes, que nous allons maintenant détailler, l'empêchent d'opérer ce
rapprochement.
En 1924, il écrit différentes lettres de soutien au général Calles en tant que futur candidat à la
présidence de la République. Ainsi, dans une lettre dirigée à Ramón P. De Negri, personnage
étroitement lié à la campagne du général Calles, il expose:
« Je dois signaler que je n'ai jamais reçu la moindre faveur, et à plus forte raison, de
rémunération d'aucun type de la part du général Calles, et que si, depuis ma modeste
sphère, j'ai essayé de contribuer à sa propagande, ce n'est pas que j'aspire à une
récompense d'aucun type mais simplement que je considère que le général Calles
saura donner l'importance que vous et moi accordons au problème indigène et que,
par conséquent, je crois que votre précieuse recommandation m'aidera
considérablement à amplifier un peu la sphère d'action de nos recherches relatives à
la classe indigène. »50
Par ailleurs M. Gamio essaye alors de s'imposer comme interlocuteur et informateur de la
position des États-Unis à propos de la candidature de P.E. Calles. Ainsi, il envoie à R. De Negri
des renseignements sur l’opinion de fonctionnaires et de politiciens américains à ce propos.
D’après M. Gamio, le candidat était considéré par les américains comme un « homme fort »
capable de contrôler toutes les fractions en lutte et les différents intérêts politiques.
48
49
50
Rutsch, Mechthild (2001) Op. Cit. p. 112
Urías Horcasitas, Beatríz (2002) Op. Cit. p. 93-121
Lettre de Manuel Gamio adressée à Ramón P. Denegri, Washington le 20 mai 1924. Cité par Urías Horcasitas, Beatríz
(2002)Op. Cit. p. 107
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M. Gamio suggère également au candidat présidentiel la formation d’un ministère de la
Population, projet élaboré par Manuel Gamio lui-même en collaboration avec Puig Casauranc.
De cette manière, le scientifique social essaye de construire une demande et de montrer comment
les intérêts de la Révolution coïncident avec les objectifs de la recherche anthropologique et
démographique. La création du ministère n’aura pas lieu mais, sous la présidence de P. E. Calles,
M. Gamio sera nommé vice-ministre d’Éducation publique tandis que Puig Casauranc remplacera
José Vasconcelos au poste de ministre. Manuel Gamio ne restera toutefois en poste qu'une courte
période avant d'abandonner le pays.
Plusieurs causes ont provoqué le départ de M. Gamio du vice-ministère et son exil du pays. Il
faut mentionner tout d’abord les problèmes qu’il a eus avec le ministre de l’Éducation Puig
Casauranc, suite à ses dénonciations de pratiques de corruption, d'administration déficiente et à
ses critiques sur les politiques suivies. D’autre part, différents articles journalistiques ont accusé
M. Gamio de vouloir prendre la place de Casauranc et d’avoir soutenu la création d'une
commission nommée par le sénat des États-Unis dans le but d’obtenir des informations sur le
Mexique. L’anthopologue a réfuté ces accusations et a envoyé des lettres et des rapports au
président P. E. Calles pour lui expliquer les motifs de son désaccord avec l’administration de
Casauranc. Mais le président a soutenu son ministre et M. Gamio n’a pas pu supporter la
pression ; les institutions académiques mexicaines dépendaient en effet de la sympathie et du
soutien politique51 et les membres de la communauté académique devaient intervenir très
activement en politique afin de conserver leur poste ou essayer de grimper dans l’échelle
institutionnelle.
Pendant cette période, l’autonomie entre le système politique et le système académique était
pratiquement nulle. De plus, les polémiques qui avaient opposé M. Gamio à Castillo Ledón,
avaient déjà affaibli son capital politique et les réseaux qu’il avait construits de son poste à la
direction d'Anthropologie. Il est donc parti aux États-Unis pour continuer ses recherches
anthropologiques et il a élaboré une étude classique sur la migration mexicaine aux États-Unis52.
Il reviendra ensuite au Mexique où il occupera différents postes dans l’administration publique,
mais ne parviendra plus à occuper de position aussi élevée que pendant le gouvernement
d’Alvaro Obregón. En dépit du fait que, lorsque il se trouvait aux États-Unis P. E. Calles n’avait
pas accepté de se réunir avec lui, M. Gamio va continuer à chercher une réconciliation et il
continuera à l'informer de l’opinion des politiciens américains sur la présidence du Mexique53.
Tout cela montre à quel point le pouvoir et les décisions présidentielles étaient incontournables
pour les intellectuels et les scientifiques sociaux de l’époque qui essayaient d’occuper des postes
institutionnels. Malgré le prestige intellectuel de M. Gamio (premier mexicain à obtenir un Ph.D
en anthropologie dans une université étrangère et reconnu par la communauté anthropologique
américaine) et bien que ses positions scientifiques répondissent généralement aux attentes de
l’État moderne, les conflits politiques avec un fonctionnaire très proche de la présidence, et le
refus de M. Gamio d'établir des conciliations avec le Musée, ont joué un rôle déterminant pour
finalement empêcher l’institutionnalisation de l’anthropologie indigéniste comme science du
51
52
53
Urías Horcasitas, Beatríz (2002) Op. Cit. p. 106
Alanís Enciso, Fernando Saúl (2003) Manuel Gamio: el inicio de las investigaciones sobre la inmigración mexicana a
Estados Unidos, Historia Mexicana, El Colegio de México, Vol. LII, nº 4, abril-junio, México, p. 982
Urías Horcasitas, Beatríz (2002) Op. Cit. p. 93-121
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gouvernement pendant cette étape. C'est durant le cardénisme que l’anthropologie indigéniste va
connaitre un développement impressionnant et bénéficiera d'un soutien économique et politique
sans précédent54. Entre-temps, malgré son exil et la perte des faveurs présidentielles, les
catégories d’analyse et les énoncés prescriptifs de M. Gamio ont continué à filtrer dans les
discours politiques de fonctionnaires responsables des politiques culturelles et économiques du
pays. De cette manière, l’activité savante a procuré aux politiques publiques de nouvelles
manières de se justifier et un nouveau champ d’intervention.
54
Núñez Loyo, Verónica (2000) Crisis y redefinición del indigenismo en México, Instituto Mora, México, p. 33
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