Acteur de la sécurité des médicaments en Europe

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Acteur de la sécurité des
médicaments en Europe
Jean-Michel Dogné
représente, pour un
mandat de 3 ans, la
Belgique au sein de la
PRAC comme membre
effectif, et son suppléant
est Virginie Chartier,
ancienne étudiante
du Département de
pharmacie namurois qui
travaille à l’AFMPS.
INNOVATION
JEAN-MICHEL DOGNÉ
Le professeur Jean-Michel Dogné (Département de pharmacie et NARILIS), a été
nommé à la nouvelle commission de pharmacovigilance (PRAC) de l’Agence européenne des médicaments (EMA). Un rôle et une responsabilité de taille puisque
cette commission se charge du suivi de la sécurité des médicaments dès leur
demande d’autorisation de mise sur le marché. L’objectif est de favoriser un usage
optimal du médicament et d’évaluer, lorsque des effets indésirables sérieux sont
constatés, si l’utilisation du produit doit être adaptée afin de minimiser les risques
ou si celui-ci doit être retiré de la vente en Europe.
Quels sont les éléments qui
ont motivé votre nomination ?
Mes compétences en pharmacologie et pharmacovigilance. Outre
mes recherches concernant ces
domaines, je collabore depuis plus
de cinq ans avec l’EMA et suis
expert auprès de l’Agence Fédérale
des Médicaments et des Produits
de Santé (AFMPS).
Pourquoi l’Europe a-t-elle
constitué cette nouvelle
commission ?
Au regard de l’importance grandissante de la pharmacovigilance ces
dernières années et pour répondre
à la volonté d’avoir une commission totalement indépendante,
bien que complémentaire, de celle
chargée de l’autorisation de mise
sur le marché des médicaments.
La PRAC travaillera en totale
transparence et l’entièreté des
rapports des experts sera disponible sur le site Web de l’EMA,
une démarche inédite dans le
monde du médicament ! Bien
entendu on ne pourra contrôler
ce que font les firmes pharmaceutiques avec ces rapports, s’ils
s’en servent pour dévaloriser les
produits de leurs concurrents…
C’est aux médecins et pharmaciens d’être prudents quant à
l’utilisation de ces informations
et de fournir les renseignements
adéquats aux patients. De plus,
l’EMA communique directement
vers les professionnels de la santé,
notamment en leur envoyant une
lettre expliquant les risques liés à
tel médicament.
Quelles sont les raisons
de cet essor ?
Le renforcement de la pharmacovigilance ne vient pas du fait
que nous prenons plus de médicaments ou qu’il y a plus de problèmes d’effets secondaires, mais
de deux facteurs. Le premier est
que nous profitons du développement constant de techniques de
pharmacovigilance et de pharmacoépidémiologie basées sur l’analyse de rapports d’effets indésirables et sur des données émanant
de patients.
Chaque patient est invité à expliquer aux médecins ou aux pharmaciens les éventuels effets indésirables et ces professionnels ont
le devoir de faire part de leurs
observations aux agences des
médicaments nationales qui les
rapportent à l’EMA et à l’organisation mondiale de la santé (OMS).
Depuis peu, les patients des états
membres de la communauté européenne peuvent rapporter directement les effets indésirables sans
TRIMESTRIEL N°87 NOVEMBRE 2012
passer par les professionnels de la
santé, via le site Web de l’AFMPS.
Au total, cette récolte internationale de données permet une
analyse pointue des risques
médicamenteux.
où le risque est moindre, voire
absent. Lorsque ces mesures
s’avèrent inefficaces, le retrait du
marché doit être envisagé lors
d’une réévaluation complète du
bénéfice-risque du produit.
Notre commission s’intéresse plus
particulièrement aux effets indésirables graves, c’est-à-dire ceux
qui ont nécessité une hospitalisation ou une prolongation de celleci, ont mis la vie en danger, ont
entraîné un décès, une invalidité
ou incapacité durable ou importante ou une anomalie ou malformation congénitale. Et/ou aux
effets inattendus, c’est-à-dire ceux
dont la nature, la sévérité et/ou
l’évolution ne correspond pas à ce
qui est mentionné dans le résumé
des caractéristiques du produit.
Au niveau belge, une attention
particulière est portée au rapport spontané des médecins et
pharmaciens sur des effets indésirables survenus pour des populations sensibles (enfants, femmes
de dollars. Il est inutile de préciser
que le refus de la mise sur le marché, ou le retrait d’un produit, peut
avoir des conséquences majeures
pour les fi rmes… L’argument ne
manque pas d’être directement
ou indirectement avancé lorsqu’on
envisage une telle décision.
En outre, nous intervenons toujours sur base de cas d’effets
indésirables rapportés dans des
situations dramatiques et nous
devons travailler rapidement pour
des raisons évidentes de santé
publique mais sommes tenus de
baser nos décisions sur base de
rapports robustes et complets qui
nécessitent la prise en compte de
nombreuses données.
Et le second ?
C’est la multiplication des médicaments d’une même classe pharmacothérapeutique offrant de nombreuses alternatives. Il est dès lors
parfois justifié de limiter l’utilisation
de certains produits sans priver le
patient d’un accès à un traitement
tout aussi efficace et moins dangereux. Pensons par exemple aux
décisions, très médiatisés, relatives
au retrait de médicaments utilisés
dans le traitement du diabète, tel
que le mediator®. Ce retrait a in fine
L’aspect ‘communication’ est
eu un impact positif en termes de
donc également une difficulté ?
santé publique.
Lorsqu’une décision est prise, l’exerEn outre, il y a eu une prise de
cice de la communiquer est en effet
conscience politique et publique
particulièrement délicat. Prenons le
qu’il n’existe pas de médicaments
cas d’une jeune fi lle en Grande-Bresans effets indésirables. Même
tagne, décédée deux heures après
si, bien entendu, la
avoir pris le vaccin
probabilité de dévecontre le col de l’utélopper un effet indérus Cervarix ®. La
sirable est souvent
presse s’est imméfaible. Ainsi, même
diatement emparée
s’ils sont mentionde l’affaire… Finanés dans la notice
lement, l’autopsie
du méd ica ment,
-dont les résultats
cer ta ins r isq ues
ont été obtenus
graves doivent être
après 48 heures- a
relativ isés. Vous
montré que la jeune
avez auta nt de
fille souffrait d’une
risque de développ at holo g ie c a rper certains effets
diaque responsable
indésirables très
de son décès. Mais
rares, voire mortels,
entretemps, l’EMA
que d’être touché
était sur la sellette…
par la foudre en marLa difficulté est de
chant dans la rue !
faire comprendre
La question réside
que la vraie vie du
dans la balance du
médicament comCette nomination favorise les recherches en pharmacovigilance
risque-bénéfice…
mence avec sa mise
menées par le Département de pharmacie en collaboration avec le
sur le marché, donc
CHU Mont-Godinne, notamment sur les anticoagulants dans le cadre de la
en quelque sorte,
C’est bien là
plateforme de NARILIS, le Namur Thrombosis and Hemostasis Center (NTHC).
nous sommes tous
que se situe tout
des cobayes ! Ce
votre travail ?
enceintes ou allaitantes, pern’est pas toujours facile à accepEn effet, si nous constatons un
sonnes âgées, insuffi sants rénaux
ter. Bien entendu, tout médicaproblème, nous regardons si le
ou hépatiques), ou lors de l’admiment a déjà été analysé et testé au
bénéfice est supérieur au risque
nistration de vaccins, ou en cas
cours d’une ou plusieurs(s) étude(s)
encouru en prenant le médicad’usage « inapproprié » ou « hors
clinique(s) avant sa mise sur le
ment. S’il l’est, nous laissons le
indication » de médicaments.
marché, mais celles-ci sont réalimédicament sur le marché et suisées sur des populations limitées
vons son utilisation, en particulier
en nombre (4000-8000), homogènes
par la population la plus concerLa responsabilité
et sélectionnées soigneusement.
née par les risques. S’il ne l’est
est donc lourde…
Par exemple, les patients âgés
pas, plusieurs possibilités doivent
Tout à fait. Le PRAC joue un rôle
sont fréquemment sous-représenêtre envisagées pour minimiser les
majeur en santé publique et pour
tés et les prises concomitantes
risques. Il peut s’agir de nouvelles
les firmes pharmaceutiques car
d’autres médicaments ne sont
contre-indications ou précautions
nous devons prendre une décision
pas fréquentes. Donc il reste une
particulières d’utilisation. Par
objective, indépendante des presfoule d’incertitudes sur la sécuexemple, si nous constatons qu’un
sions populaires, médiatiques,
rité du produit lorsque celui-ci
médicament entraîne un décès sur
politiques, et de l’industrie pharest mis sur le marché, mais il est
10 000 patients traités, nous regarmaceutique elle-même. Le coût de
impossible de fonctionner autredons si l’on peut restreindre l’utidéveloppement de certains médiment aujourd’hui. C’est pourquoi la
lisation à une certaine population
caments peut atteindre le milliard
pharmacovigilance est essentielle.
Elle propose des plans de gestion
de risques identifiés et potentiels,
ainsi que des études pharmacoépidémiologiques permettant d’évaluer les risques « plus rares dans la
vraie vie ».
Utilise-t-on trop
de médicaments ?
Je pense qu’on utilise certains
médicaments de manière inappropriée, trop longtemps ou
trop dosés. Des campagnes de
l’AFMPS récurrentes mettent en
avant les excès d’utilisation de
certaines classes de médicaments
comme les anxiolytiques, hypnosédatifs, antidépresseurs et antibiotiques pour ne citer qu’eux. Et
cela fait partie aussi de la pharmacovigilance de réguler l’utilisation
du médicament et de prévenir les
abus. Certains produits ont été
retirés du marché uniquement
parce qu’ils avaient été mal utilisés : par exemple, des médecins
ont prescrit des médicaments
pour maigrir à des personnes qui
n’étaient pas obèses ! Non seulement l’efficacité n’était pas prouvée dans ces populations mais les
risques restaient bien présents.
Doit-on avoir peur du
médicament en Europe ?
Non, nous sommes bien protégés et
peut-être même mieux qu’ailleurs.
Le fait que 27 pays à la sensibilité
et aux pratiques différentes votent
est évidemment source de richesse.
Par exemple, si la Suède met en
avant un risque médicamenteux
détecté sur base de cas rapportés
en raison d’une utilisation plus
importante sur son sol, les décisions éventuelles prises au niveau
européen seront d’application également dans les autres pays où ce
risque n’avait pas été identifié. En
effet, dès que la commission a pris
une décision, tous les pays doivent
l’accepter, même les pays minoritaires qui avaient éventuellement
voté contre.
Une harmonisation mondiale
existe-t-elle ?
Il y a une harmonisation de la
majorité des règles de pharmacovigilance entre l’Europe, les ÉtatsUnis, le Canada, le Japon et dans
une moindre mesure, l’Australie,
mais les décisions sont propres à
chacun. Cependant les commissions des agences européennes et
américaines communiquent activement, même si une harmonisation des décisions reste utopique à
ce jour.
Propos recueillis par E.D.
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