Charlie Hebdo et « le problème musulman ».

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Charlie Hebdo et « le problème musulman ».
Jean-François Mignot et Céline Goffette cherchent, dans ces colonnes (25/02/2015), à démontrer que
Charlie Hebdo n'est pas obsédé par l'islam. Une fois la démonstration, à leur estime, établie, ils
posent les bonnes questions, celle notamment de savoir dans quelle mesure les terroristes et plus
largement les fondamentalistes musulmans bénéficient, en France, d’une base sociale rejetant les
valeurs de la République. Une autre bonne question (c'est un peu la même) est, déclarent-ils,
d'expliquer non pas pourquoi Charlie Hebdo était islamophobe, mais pourquoi, de nos jours, seuls
des extrémistes se revendiquant de l’islam cherchent à museler un journal qui se moque – entre
beaucoup d’autres choses – de leur religion. Il s'agit là, chacun en conviendra, d'un véritable tour de
force, voire d'une sorte de prodige de la multiplication de l'information. Car le tout, qu'on se le dise,
a été fait à l'aide de quelques règles de trois effectuées à partir de l'analyse de 523 Unes du journal.
Voici les résultats de ces sociologues qui n'ont pas peur de la calculette et assoient sur du dur leurs
raisonnements. Sur les 523 Unes étudiées, seules 7 (1,3%) concernent l'islam. Ergo : Charlie n'est
pas obsédé par l'islam. Les chercheurs ont, certes, conscience qu'on ne saurait juger du contenu de
la publication par ses Unes, mais ils résolvent sans coup férir le problème : Charlie Hebdo ayant fort
peu d'abonnés, les attaques dont il est l'objet doivent provenir surtout de la lecture de ses Unes,
visibles chez les marchands de journaux. On reste pantois ; on s'empresse toutefois de retenir la
méthode pour l'appliquer à tout ce qu'on voudra : la sociologie, finalement, ce n'est pas si
compliqué.
Mais les chercheurs ne s'arrêtent pas là ; ils auraient eu tort, en effet, de ne pas exploiter pleinement
les données fiables qu'ils ont recueillies. Ils vont donc poser les bonnes questions. Ils remarquent si
l'on peut dire, que, ces derniers temps, ce sont principalement les associations musulmanes qui ont
intenté des procès au journal et que les derniers actes violents dont Charlie Hebdo a été victime ont
été commis au nom de l'islam. Ils dégagent alors une question, LA QUESTION, celle dont on a déjà
parlé : pourquoi de nos jours, seuls des extrémistes se revendiquant de l’islam cherchent à museler
un journal qui se moque – entre beaucoup d’autres choses – de leur religion.
Comme il ne se conçoit pas que ce soit pour rien que nos sociologues associent, dans le même
paragraphe, les actions en justice et les attaques violentes subies par le journal, il faut bien
comprendre qu'à leurs yeux attaquer Charlie Hebdo devant les tribunaux et le faire à la kalachnikov
sont des faits sociologiques justiciables de la même question. Qu'entre la démarche respectueuse de
la légalité républicaine et l'attaque terroriste il y ait un gouffre tellement profond que, pour l'ignorer,
il faille se placer à un niveau formidable de généralité est une idée qui ne les effleure pas. L'idée ne
les préoccupe pas non plus qu'une comparaison au doigt mouillé entre le nombre de procès intentés
au journal ces derniers temps par catholiques et musulmans puisse ne pas suffire à définir LA
QUESTION sociologique qu'il faut se poser. Mais c'est bien. Cela veut dire que le chercheur peut
désormais se passer de tous ces travaux de sa discipline qui portent sur le sujet -compliqué- des
disparités dans le recours à la justice. La sociologie, c'est simple comme un propos de café du
commerce.
Ont-ils, ces hérauts de la démonstration chiffrée, comparé le nombre de procès intentés par des
organisations juives, catholiques et musulmanes en France ? Remarqué que 80% des familles qui
ont contacté le CPDSI (Centre de Prévention contre les Dérives Sectaires Liées à l'Islam) sont
athées et que ces familles appartiennent à plus de 84% aux classes sociales moyennes ou
supérieures, avec une forte représentation des milieux enseignants et éducatifs (50% de ces 84%)1 ?
Peut-on les inviter à réfléchir sur le fait que ces derniers temps les procès contre des organes de
presse que l'on chercher à museler ne sont pas l'apanage des associations musulmanes ? Se
rappellent-ils le procès interminable qui valut un certain reportage à Charles Enderlin, celui en
1
http://www.bouzar-expertises.fr/images/docs/METAMORPHOSE.pdf, page 9.
antisémitisme intenté à Edgar Morin, Danielle Sallenave et Sami Naïr ? Le Monde d'aujourd'hui
nous informe que le magazine Valeurs Actuelles (05/03/2015) a été condamné pour ses propos sur
les roms, qui ne semblent pas très éloignés de certaines prises de position de Charlie Hebdo. Mais
arrêtons de pinailler alors qu'il faut surtout remercier nos sociologues d'avoir si bien débroussaillé le
terrain. C'est presque, se demande-t-on, si cela vaut la peine d'entreprendre un travail déjà si bien
balisé. En fait, la seule chose à faire désormais, c'est sortir son thermomètre et mesurer le degré de
rejet des valeurs de la République par les musulmans.
Ce qui est bien aussi, c'est qu'ils fournissent une méthodologie permettant à chacun, avec trois fois
rien, de faire de la sociologie. Quelques pourcentages, LA QUESTION, et voilà, le tour est joué.
Moi aussi, j'ai voulu faire de la sociologie. Voici mes résultats. A la lumière des informations citées
plus haut, il est urgent, par exemple, de savoir notamment dans quelle mesure les terroristes
bénéficient, en France, d’une base sociale d'enseignants ou éducateurs rejetant les valeurs de la
République. Ou encore : de savoir notamment dans quelle mesure les terroristes bénéficient, en
France, d’une base dans les classes moyennes ou supérieures rejetant les valeurs de la République.
On peut aussi affirmer que la question n'est pas de savoir si Valeurs Actuelles répand la haine, mais
de savoir pourquoi, aujourd'hui, en France, ce sont les associations anti-racistes, aidées par les
tribunaux, qui cherchent à museler la presse. La sociologie, ce n'est vraiment pas compliqué, ça se
confirme. Même moi, qui n'ai presque pas fait d'études universitaires, j'arrive à en faire.
J'ai quand même comme un doute : me prendra-t-on au sérieux ailleurs qu'au Monde ou dans le
laboratoire des auteurs?
Maintenant, sur la question, centrale, en principe, dans l'article, de l'obsession avec l'islam de
Charlie, on n'est pas plus avancé, c'est vrai. Mais, contrairement à ce qu'on a cru en commençant à
lire, ce n'est pas là que réside l'intérêt de ce texte. Ce dont il s'agit, avec cet habillage sociologique
et pourcentuel du bon sens populaire, c'est de contribuer à l'attrition vertigineuse dont est saisie une
certaine pensée dès lors qu'il est question d'islam et de terrorisme. Pour elle, tout se ramène à
l'opération de mesure d'une cause unique et évidente qui doit être au coeur de toutes les réflexions :
le rejet des valeurs de la République par les musulmans.
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