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la recherche2. Selon Michèle Tribalat, les modes du croire musulman tendent à se calquer sur ceux de
la population majoritaire, catholique. Le signe indiscutable de cette tendance est la baisse considérable
de l'observance cultuelle chez les enfants d'immigrés musulmans, ainsi que des pratiques à caractère
communautaire censées pérenniser les liens entre les membres de chaque communauté nationale ou
ethnique. La machine assimilatrice se porterait donc plutôt bien, puisque les enfants d'immigrés, dans
leurs comportements religieux, tendent à suivre la voie tracée par les vagues de migrations antérieures:
la déperdition de la pratique cultuelle, chez les générations successives à l'immigration des populations
musulmanes, étant interprétée comme le corollaire de l'acquisition des valeurs de la société française. Y
subsisteraient quelques pratiques à caractère collectif, comme le respect du ramadhan ou des interdits
alimentaires, sorte de résidu servant à garder une affiliation minimale au groupe d'appartenance3.
L'interprétation que donne Michèle Tribalat de cette déperdition de l'observance religieuse pose
question. Certes, si très peu de fils d'immigrés musulmans franchissent la barrière ultime de la
désaffiliation religieuse, en affirmant ne plus être musulman, bien peu s'en tiennent à un suivi rigoureux
ou régulier des prescriptions canoniques. Cependant, il n'est pas du tout certain que le respect du
ramadhan et des interdits alimentaires par une majorité de musulmans traduise une simple affiliation
identitaire au groupe d'origine.
Comme toute enquête quantitative, l'étude masque le processus, beaucoup plus subtil, de mutations
et de recomposition qui voit les nouvelles générations privilégier le rapport affectif et intellectuel à la
religion d'origine, plutôt qu'un conformisme strict à des actes considérés comme relevants de la
tradition des ancêtres. L'affirmation de l'auteur ne prend pas non plus en compte l'impact du regard
porté par la société environnante sur le regain de religiosité, qui peut augmenter de façon sensible chez
des personnes qui se pensent en situation de ségrégation.
De même, lorsque l'on considère l'âge relativement jeune des fils et petits-fils de migrants, il est
nécessaire de situer leurs déclarations dans un parcours religieux, parfois chaotique, souvent fluctuant,
où le regain d'observance religieuse peut se manifester après l'entrée dans l'âge adulte. Le phénomène
des «jeunes musulmans », apparu au début de la décennie 1990, en est d'ailleurs une parfaite
illustration.
3. Une individualisation croissante
Cette individualisation de la pratique, chez les musulmans, s'inscrit dans le processus général de
2 Cf. Michèle Tribalat, «les immigrés et leurs enfants», in Population et Sociétés, n° 300, avril 1995, ainsi que Michèle
Tribalat, De l'immigration à l'assimilation, La découverte, 1996, annexe 1, pp 274-285.
3 Michèle Tribalat, Faire France, La Découverte, 1995, p 103.