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Un merveilleux conte à rebours
Après avoir été enseignant, Jean-Pierre Dopagne est aujourd’hui Délégué de la SACD (Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques) pour
la Wallonie. Sa pièce L’enseigneur (Prix littéraire du Conseil de la Communauté française) créée en 1994 au festival de Spa, l’a fait connaître du
grand public. Il nous livre ici ses impressions d’auteur sur le texte de Jean Debefve. A lire avant ou après Chagrin d’amour…
Pourquoi, à la lecture de Chagrin d’amour, a-t-on l’impression de se trouver devant un conte ? Parce que c’est une histoire destinée aux enfants ?
Sûrement pas. Parce que les règles du conte sont respectées, voire apparentes ? Parce qu’il y a les bons et les mauvais ? Le tragique et le merveilleux ? Oui et non…
Certes, l’univers du conte est présent de bout en bout : l’héroïne est une petite fille malheureuse ; les objets parlent et se meuvent ; le temps est
malléable ; la magie vient à la rescousse… Il est vrai qu’on pourrait résumer la pièce comme l’histoire de Fanny, déchirée entre sa mère, chez qui
elle vit et son père, qui a une « nouvelle fiancée » avec laquelle l’entente n’est pas au beau fixe… Il est vrai aussi que Chagrin d’amour reprend le
thème bien connu du coucher. Fanny, ce soir-là, est triplement seule : son père, tout occupé à son nouveau drame amoureux, l’a renvoyée plus tôt
que prévu ; sa mère est au restaurant avec un ami ; et la baby-sitter regarde la télé en mangeant des chips…
L’ultime refuge est donc la chambre, la traditionnelle chambre à coucher, que Fanny partage avec ses jouets : l’ours – qui s’appelle Nounours
comme tous les ours – et Melba, la poupée. Chagrin d’amour est ainsi, comme tous les contes, un mélange de tendresse et de cruauté. A la
cruauté du malaise que vit Fanny et des questions qu’elle se pose sur l’amour des grandes personnes et la vérité humaine, répond la tendresse
des jouets.
C’est ici que le conte devient plus qu’un conte. C’est ici que le conte se retourne contre les lois du genre, pour donner aux personnages et à la
thématique une force impressionnante : Jean Debefve ne fait pas des jouets les compagnons de Fanny ; il donne à ces objets les premiers rôles.
Au lieu d’être les simples interlocuteurs de la fillette malheureuse, les jouets sont les protagonistes par les yeux desquels la situation est perçue. A
travers les vies parallèles de Melba et de Nounours – épaulés par l’extraordinaire journal qui raconte lui-même les nouvelles qu’il colporte – se
dessine tout le tissu de la société humaine. Se chamaillant dès la première scène comme un vieux couple qui s’aime et qui se hait, Melba et Nounours deviennent porteurs des différences sociales : la poupée, assise sur une étagère qui lui fait mal aux fesses, est jalouse de l’ourson qui se
prélasse toute la journée dans le lit. Sans oublier les soupçons quant à l’infidélité de Fanny, qui pourrait bien posséder, dans la maison de son
père, des jouets semblables à eux-mêmes…
La logique du conte comme récit-miroir et récit-révélateur est poussée à l’extrême par la connaissance que ces personnages-jouets ont de leur
existence. A aucun moment, il ne s’agit d’une simple métaphore de la vie. Au contraire, les objets sont constamment conscients de leur matérialité
d’objets et de leur condition de jouets. (L’ours, par exemple, éprouve un malin plaisir à rappeler à la poupée qu’elle a « une petite tête en plastique
creux, avec des cils en nylon). De la sorte, c’est parce qu’ils sont à la fois objets et humains que Nounours et Melba ont la force et la capacité
d’exercer auprès de la petite Fanny, leur métier et leur mission : « consoler et endormir ». Histoire d’un coucher, histoire d’une tristesse, la pièce
de Jean Debefve nous offre des « chagrins d’amour » à tous les degrés, depuis les parents jusqu’aux jouets, en passant par l’enfant. A petites
touches, sans jamais appuyer le moindre effet, elle renvoie à ce que Malraux appelait « la condition humaine », c’est-à-dire la solitude existentielle
de l’homme. Dans la version qu’il nous a été donné de lire en mai 1996, l’auteur signale que sont texte n’est pas définitif et qu’il doit connaître
encore quelques remaniements. Peut-être. Mais, tel quel, le propos est déjà fort, les dialogues bien ciselés et la construction circulaire de très
bonne facture. On ne peut qu’attendre avec impatience le passage à la scène de ces personnages pleins de subtilité et de psychologie. La lecture
de Chagrin d’amour amène étrangement le lecteur à oublier qu’il s’agit d’une pièce destinée au jeune public. Et c’est, je crois, la meilleure garantie
qui soit. Car la puissance d’un texte – et a fortiori d’un texte jeune public – se mesure à son universalité. En ces temps où, dit-on, les jeunes n’ont
plus de certitudes ni de racines auxquelles s’accrocher, le conte apparaît de plus en plus, sous ses différentes formes, comme une nouvelle réserve de mythes et comme autant d’interrogations philosophiques d’une fin de siècle. De la même manière qu’Arloc de Serge Kribus ou que Le
huitième jour de Jaco Van Dormael, Chagrin d’amour séduit d’emblée par sa quête de la vérité et s’imposera assurément comme un texte du répertoire.
Jean-Pierre Dopagne
Carnet de la CTEJ, n°3
Chagrin d’amour
Ils sont nombreux les petits aujourd’hui à vivre de très près le chagrin d’amour de leurs parents. Comment leur en parler sans utiliser des mots
déjà usés, sans dramatiser ? Avec finesse et délicatesse, avec humanité, avec la douceur des métaphores. Autant d’éléments que Jean Debefve,
fondateur de l’asbl « Graine de Kobold », a réunis dans « Chagrin d’amour », publié aux éditions Lansman dans le souci d’offrir peu à peu au théâtre jeunes publics le répertoire qui lui manque tant.
Lu publiquement à Huy, voici deux ans, « Chagrin d’amour » entre aujourd’hui dans la sélection en une version théâtrale mise en scène par Margarette Jennes qui affirme une volonté d’accentuer la symbolique. Ainsi, chargé de signes, le lit de Fanny est recouvert d’une peau de bête, son
petit ours grandit démesurément et la poupée Melba, jouée comme Fanny par Valérie-Marie Chadelaud, laisse partir sa voix dans des tonalités
aiguës. Poupée qui, lassée d’être confinée à son étagère, jalouse, dans le grenier revisité de l’enfance, le vieil ours rapiécé mais cajolé et admis
dans le lit de Fanny. Tous deux attendent le retour de leur « maman » partie pour la semaine chez son papa. A-t-elle là aussi un ours et une poupée ? Est-il triste ou déjà consolé ? Pour le savoir, il faudra grandir. Parfois plus vite que prévu.
Laurence Bertels
Le 26 août 1998 – La libre Belgique
« Chagrin d’amour de Jean Debefve
Là, on entre à pas feutrés dans la chambrette romantique d’une fillette que son papa inquiète. Car il est malade, malade de manque d’amour…
Heureusement, ses amis, la poupée Melba, son chouchou de nounours et son journal vont l’aider à se glisser dans le monde des adultes et à
tenter de comprendre ce qui se passe dans leur caboche.
Mis en scène par MArgarette Jennes, « Chagrin d’amour » est interprété avec brio par Valérie-Marie Chadelaud et Guy Rombaux, passant, avec
la même souplesse ingénieuse, de la dimension d’une peluche ou d’une poupée à celle d’une petite fille ou d’un cahier. C’est très drôle, subtil,
truffé d’émotions cachées et de belles complicités.
Christelle Prouvost et Laurent Ancion
Le 26 août 1998 – Le soir
Et soudain Huy fut le théâtre de chagrins
La mise en scène volontairement baroque de Margarete Jennes, un lit chargé recouvert de peau de bête et un ours démesurément grand peuvent
fragiliser un spectacle d’une grande sensibilité. Cette option a également de grandes chances de parler aux enfants plus touchés par la symbolique des événements que par leur dure réalité.
Fanny souffre elle aussi du chagrin d’amour de ses parents. Le texte délicat de Jean Debefve, la détresse d’un ours et d’une poupée abandonnés
une semaine sur deux par Fanny viennent dire autrement la séparation d’un papa et d’une maman.
Fanny a-t-elle également un nounours rapiécé mais câliné, dans l’autre maison ? Pour le savoir, il faut quitter le grenier revisité de l’enfance. Et
grandir un peu trop vite, un peu trop mal.
(De 7 à 10 ans).
Le 4 septembre 1998 - La Libre Culture
Chagrin d’amour
Théâtre Graine de Kobold
Fanny, petite fille de parents séparés, possède une poupée appelée Melba et un ours en peluche qui répond forcément au nom de Nounours.
Melba est jacassière et Nounours consolateur. Ah oui, il y a aussi le journal intime… qui a des airs d’être vivant. Fanny est inquiète : son papa
déprime (il a laissé brûler le dîner), atteint d’un nouveau chagrin d’amour. Afin de savoir exactement ce qu’il en est, Fanny géantise Nounours
d’une formule magique et l’envoie enquêter sur place. Pauvre Nounours : il va mettre la ville en émoi, et tout le monde, effrayé par sa présence
« monstrueuse », voudra, lui faire la peau fissa. Pendant ce temps-là, il y a une baby-sitter qui s’empiffre de chips en regardant la télé ! Un psychodrame à tiroirs qui peut aussi s’appréhender comme un conte d’Andersen contemporain (rapport aux jouets qui pensent, causent, ont des problèmes sentimentaux, souffrent). Quelques images mémorables : l’ours berce la petite fille dans ses bras, l’ours prend peur en se voyant dans un
miroir comme un Dracula de film d’horreur parodique.
Le 30 septembre 1998 – Le Ligueur
Secrets partagés
Dans l’intimité de la chambre d’une petite fille, une poupée et un nounours devisent en l’absence de leur jeune maîtresse. Le temps est à l’orage.
Le papa de Fanny vit ailleurs, avec sa nouvelle fiancée. Maman est absente, en « réunion au restaurant avec un monsieur ».
Et la baby-sitter avale des chips, scotchée devant la télé… La petite Fanny, qui en a vraiment assez qu’on lui dise qu’elle est trop petite pour comprendre, se recrée un univers d’amour qui lui fait momentanément défaut, tant les adultes sont préoccupés ailleurs.
Son ours-consolateur accueille patiemment ses sautes d’humeur, ses colères et ses élans de tendresse. Et sa poupée Melba, fâchée de prendre
la poussière sur une étagère, attend l’heure de jouer elle aussi son rôle.
Un grand lit-refuge sert de décor central à l’action : la petite fille s’y jette comme on prend la fuite du monde. C’est là qu’elle puise des forces et
rebondit. Le lit-bateau sert de lieu de naufrage et de renaissance.
C’est là qu’on embrasse son nounours et qu’on cache son journal où sont consignés petits malheurs et grands espoirs. Les objets-personnages
servent d’exutoire et de confidents ; les deux acteurs (Valérie-Marie Chadelaud et Guy Rombaux) changent de peau avec subtilité et humour. Jeux
de rôle, jeux de mots, l’histoire – qui s’étire un peu vers la fin – se déroule dans la tête de la petite fille et sur la scène, avec ses moments drôles,
d’autres plus sérieux. On y aborde les questions graves avec légèreté et à côté du chagrin, il y a la place pour le rire et la vie. Fanny apprend à
composer avec les silences et les larmes des grandes personnes mais elle garde ses jeux de petite fille et refuse qu’on lui vole son enfance.
F.M.
Le 24 mars 1999 – L’Alsace
Le Varia leur parle déjà d’amour
Imaginée voici dix ans au Varia, premier théâtre à accueillir le jeune public en ses murs, la Scène des enfants s’apprêt à lever le rideau sur deux
spectacles de grande qualité : « Echange Clarinette » et « Chagrin d’amour ». Sélectionnée par Catherine Simon, ancienne présidente de la
Chambre des théâtres pour l’enfance et la jeunesse, cette programmation fait donc la part belle aux éternelles histoires d’amour traversées par
quelques autres lectures.
ALLUMER LA MECHE
Ecrit deux ans avant d’être joué, « Chagrin d’amour » a d’abord vécu sous forme de texte. Puis le rêve de l’auteur, Jean Debefve, membre fondateur du célèbre Théâtre de la Galafronie, a pris la séduisante forme d’une pièce de théâtre : « Mon rêve est qu’un jour ce texte soit « pris en
amour » par une équipe, et fasse l’objet d’un re-travail collectif, qu’à mon « Chagrin d’amour » s’arc-boutent ceux d’autres artistes. C’est ma seule
ambition d’auteur : allumer la mèche ».
Le feu a pris, entretenu par la metteuse en scène Margarete Jennes, réchauffant les Rencontres/sélection de Huy, par sa logique du conte comme
récit-miroir et récit-révélateur.
Le père, la mère, l’ours, la poupée, Fanny elle-même, tout le monde souffre de la séparation des parents de la petite fille. Seuls dans la chambre
d’enfant, Nounours, vieille peluche rapiécée mais cajolée et Melba, belle poupée confinée à sa vitrine, sont abandonnés une semaine sur deux par
leur Fanny en garde alternée chez son père. Et si elle avait une autre poupée là-bas ? S’inquiète Melba.
Fanny revient un jour plutôt que prévu car son papa a un nouveau chagrin. Une baby-sitter l’attend, sa maman est au restaurant avec un ami. Aux
questions que se pose Fanny sur l’amour des grandes personnes et la vérité humaine, répond la tendresse des jouets. Par leurs interrogations et
leur jeu se raconte la vie d’un enfant du divorce. Le tout dans un décor baroque, un symbolique imposante et sans doute plaisante pour les enfants d’âge de raison au cœur parfois tout chamboulé. (Dès 7 ans)
Laurence Bertels
Le 24 mars 1999 – La libre Belgique
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