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Universi catholique de Louvain
Centre Interdisciplinaire
d’Études de l’Islam dans
le Monde Contemporain
CISMOCCISMODOC
Compte-rendu*
La guerre des subjectivités en islam, de Fethi Benslama, Lignes, 2014, 382 p.
Naïma El’Makrini - juin 2016
L’ouvrage regroupe un ensemble de textes et d’articles de Fethi Benslama issus de difrents
colloques ou parus dans divers journaux, revues scientifiques, etc. entre 1996 et 2016. À travers ces
différents textes, l’auteur retrace la géalogie du sujet en islam ainsi que la conflictuali interne, voire
les déchirures des subjectivis musulmanes.
Cet ouvrage s’inscrit dans la lignée des travaux qui se développent autour de la psychanalyse et
de l’islam en général et plus particulièrement l’étude du sujet musulman. Des auteurs musulmans comme
Olfa Youssef
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, Houriya Abdelouahed
2
et Malek Chebel
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incarnent ce tournant psychanalytique qui
veloppe une approche critique et appelle à la libération du sujet musulman. Des auteurs non
musulmans montrent également un intérêt pour l’analyse psychanalytique des figures et des idées de
l’islam.
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L’auteur et ses écrits
F. Benslama est en Tunisie en 1951. Il a effectdes études de psychopathologie à l’Université
Paris 7 et des études en anthropologie à l’EHESS pour ensuite réaliser un doctorat en psychologie à Paris
13 qu’il obtient en 1999. Il est professeur de psychopathologie à l’Universi Paris-Diderot il dirige
l’UFR d’Etudes Psychanalytiques. Au part, le religieux ne faisait pas partie de ses préoccupations mais
en tant « qu’intellectuel musulman » et psychanalyste il a éconfronté à la question de l’islam.
Le compte rendu propose une synthèse de l’ouvrage présenté lors de l’atelier de lecture dont la publication est soumise à évaluation
critique préalable du comité directeur du CISMOC.
Naïma El’Makrini est chercheuse-documentaliste au CISMODOC.
Pour citer ce texte : N. El Makrini, La guerre des subjectivités en islam de F. Benslama, compte-rendu du CISMODOC, mars 2016, 4 p.
1
Olfa Youssef (2007), Le Coran au risque de la psychanalyse, Albin Michel.
2
Houriya Abdelouahed (2012), Figures du féminin en islam, Presses universitaires de France.
3
Malek Chebel (2002), Psychanalyse des Mille et une nuits, Payot.
Malek Chebel (2002), Le sujet en islam, Seuil.
Malek Chebel (2014), L'inconscient de l'islam : réflexions sur l'interdit, la faute et la transgression, CNRS.
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Voir à titre d’exemple:
Jean-Michel Hirt (1993), Le miroir du prophte : psychanalyse et Islam, Grasset.
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Dans son entourage familial, il y a un int particulier pour l’interprétation des rêves et
l’ritage arabo-musulman
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. Ses premiers ouvrages traitent de l’islam des origines. Par ailleurs, son
premier essai sur la fondation subjective de l’islam, La nuit brisée: Muhammad et l'énonciation
islamique, qui sort en 1988, tente une psychanalyse de l’épisode de Laylat al-Qadr (la nuit sacrée de
Ramadan et celle de la descente du Coran)
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. Après 1989, avec l’affaire Rushdie, ses écrits deviennent
plus critiques vis-vis de l’islam moderne. Son ouvrage le plus systématique La psychanalyse à
l'épreuve de l'islam est publiée en 2002
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dans lequel il mobilise des mystiques et philosophes musulmans pour
montrer qu’un niveau d’individualité était présent dans la culture islamique médiévale
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. La guerre des
subjectivités en islam reprend ce thème du sujet musulman et le développe en y incluant la crise qui se
joue dans le monde musulman contemporain. Son dernier ouvrage, publen 2016, analyse les aspects
psychologiques de la radicalisation djihadiste sous le titre d’Un furieux désir de sacrifice : le surmusulman.
Dans les lignes qui vont suivre, nous psenterons une synthèse des éléments les plus importants
qui, selon F. Benslama, permettent de comprendre les crises que traverse le sujet musulman
contemporain.
Un sujet musulman est-il possible ?
Selon l’auteur, un sujet historique musulman dans le sens de l’émergence de personnes
singulières est possible. Dans les savoirs islamiques et la culture arabe, on en trouve un enracinement.
Les savoirs islamiques peuvent et doivent donc, selon lui, constituer un ressort symbolique. Dans ce but,
Benslama mobilise des auteurs tels qu’Ibn Arabi, le maître mystique mort en 1240, qui développe une
théorie du sujet. Toutefois, pour préciser comment la subjectivation individuelle est possible, il établit
une distinction entre l’individualisme (qui est une idéologie du moi, une torie ou tendance qui voit
dans l'individu la suprême valeur dans le domaine politique, économique et moral) et l’individuation (qui
est le fruit d’un processus de subjectivation).
Crise d’identité dans les sociétés musulmanes
Ensuite, l’auteur part d’un constat de malaise dans lequel se trouvent les sociétés majoritairement
musulmanes, une crise du sujet musulman. Cette crise (ou guerre) est liée au passage de la tradition à la
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Saur Raja Benslama publie aussi sur la psychanalyse de l’islam et de la littérature arabe, notamment en arabe.
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Traduit en arabe en 2005.
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Traduit en turc en 2006, en arabe en 2008, en anglais en 2009, en italien en 2012 et en allemand en 2016. Ces traductions témoignent de
l’intérêt que l’auteur suscite chez des publics académiques et non académiques, en Europe.
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Il y soutient notamment que « la problématique de l’individualité a été hautement élaborée dans l’islam et qu’elle relève d’une complexité
qui ne saurait autoriser le réductionnisme ou les traitements triviaux auxquels nous assistons aujourd’hui ».
Fethi Benslama (2002), La psychanalyse à l'épreuve de l'islam, Aubier, p. 301.
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modernité. Dans le monde musulman, selon lui, nous sommes dans une riode de transition, une période
caractérie par le vide : « Ce qui a été n’est plus et ce qui vient n’est pas encore là ». Selon l’auteur, il
y a une cassure irrémédiable des structures traditionnelles, un éclatement de la structure du sujet
traditionnel
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. Devenir autre nécessite une transformation et engendre de l’angoisse. Le conflit se situe,
d’une part, en l’espoir d’être un autre et, d’autre part, le désespoir d’un peuple qui veut être et rester lui-
me. Le conflit se situe déjà dans la manre de se définir musulman, c’est-à-dire dans la question
« Qui suis-je ?, Qu’est-ce qu’être musulman » mais aussi « Comment rester musulman » ? L’auteur
explique que ces questions deviennent un sujet de guerre dans la vie du musulman et ne sont pas traies
spirituellement.
Causes et généalogie de cette crise des subjectivités
Il tente de comprendre les causes de cette guerre des subjectivités et propose une généalogie ainsi
que l’histoire du sujet musulman avant sa radicalisation et sa médiatisation durant les dernières
cennies. Le premier choc fut « La rencontre avec les Lumières » que F. Benslama situe au moment de
l’expédition de Bonaparte. L’élite composée principalement de théologiens va se rendre compte qu’ils
« ne vont pas dans le mouvement de l’histoire ». Le deuxième moment est à situer à l’époque coloniale.
Daprès l’auteur, le « choc colonial » va accentuer ce « mal-être ». C’est l’abolition du califat par
Mustafa Kemal et l’instauration d’un Etat laïc qui vont être vécues comme un traumatisme. Toutefois,
d’après lui, lors de la première rencontre avec l’Occident, au-delà de l’enthousiasme pour la science et
la technique, il y a eu aussi une admiration pour les idées véhiculées pas les Lumières ainsi quune
fascination pour l’idée d’Etat-nation et ses avancées politiques, dont la séparation des pouvoirs et toutes
les libertés fondamentales telles que la liberté d’expression. L’abolition du califat est interprétée comme
une évacuation de la religion, y compris par les partisans des Lumières, dont certains sont de persécuter
ceux qui maintiennent ce lien entre politique et religion. Or c’est à ce moment- qu’apparaissent les
contre Lumières qui rejettent en bloc l’apport des sciences modernes. Selon F. Benslama, ce sont ces
derniers qui vont s’allier avec le wahhabisme et produire les mouvements les plus radicaux. Ils vont
prôner un retour à l’époque de la fondation. L’objectif de ces mouvements radicaux est de « devenir
encore plus eux-mêmes » par une recherche d’une authentici absolue qu’ils surnomment le
« surmusulman ». Pour eux, la solution devient religieuse d’autant plus que les gimes postcoloniaux
de gauche n’ont pas tenu leurs promesses.
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D’après F. Benslama, c’est la prise de conscience du sujet moderne. La société traditionnelle s’individualise tout en maintenant une
importante solidarité. Toutefois, il ne s’agit pas encore de distinction entre le sujet philosophique et le sujet théologique.
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Radicalisation et crise des subjectivités
Selon notre auteur, cette crise des subjectivités a connu une radicalisation dans les années 1960.
Il veut comprendre d’où vient cette potentialité sacrificielle. Il avance l’hypothèse d’un changement
historique dans le rapport à la guerre et à la mort. Il constate une sécularisation de la guerre sainte car,
selon lui, le suicide est en réalité une arme politique qui se base sur une interprétation du martyre. Le
martyr devient celui qui veut aller à la mort dans un contexte la question de la vie et de la mort devient
importante. L’époque de transition dans laquelle se trouve le monde musulman prend des formes
destructrices. Face à la faille identitaire - ainsi que la souffrance et l’angoisse que cela engendre -, la mort
est un moyen de quitter ce monde abject en permettant une nouvelle naissance dans un monde parfait.
Mourir, c’est quelque part survivre. La destruction se veut salvatrice ; il s’agit dune réappropriation de
soi par la mort.
Ce livre apporte des pistes de flexion sur une thématique très peu exploitée, celle de la guerre
des subjectivités en islam. Cependant, il ne s’agit pas d’une étude systématique des sujets musulmans.
Nous sommes en présence d’un ensemble d’articles éclectiques écrits sur plusieurs années l’auteur
effectue une psychanalyse collective des crises identitaires, religieuses et politiques du monde
musulman. Celle-ci nous permet de replacer les flexions sur les sursauts dramatiques du monde
musulman contemporain dans un contexte plus large d’interptation.
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