Guerres et sociétés dans les mondes grecs

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Avant-propos
Patrice Brun
L'étude de la guerre sous la forme induite par le libellé de la question
implique certes une analyse des batailles, mais ne saurait se limiter à
une approche chronologique : c'est la raison pour laquelle il a paru préférable de développer les aspects les plus importants du sujet.
La guerre, terrestre ou maritime, possède des conceptions particulières au monde des cités grecques. Mais elle n'est pas aussi simple qu'il
n'y paraît. Kalomira Mataranga montre que, contrairement aux valeurs
qu'il prétend défendre, le combat hoplitique fait usage de la ruse, sans
que quiconque y trouve matière à la moindre malhonnêteté. La guerre
sur mer a souvent été occultée par les opérations terrestres, mais
Daphné Gondicas met en valeur l'importance, dans la lutte pour l'hégémonie, du contrôle de la mer ; les conséquences sociales à Athènes de la
puissance maritime furent d'ailleurs considérables et marquent de leur
empreinte l'ensemble de la période. L'image de tactiques et de techniques immuables, parfois mise en avant par les historiens, doit être
largement modulée, surtout en ce qui concerne le IVe siècle. L'étude par
Sophie Collin-Bouffier des innovations apportées par Denys Ier de Syracuse au tout début du IVe siècle, dans le domaine de la poliorcétique en
premier lieu, celle des innovations de Philippe II et Alexandre de Macédoine par Sylvie Le Bohec-Bouhet, en second lieu, permettent de comprendre à quel point les régions considérées souvent comme périphériques au monde grec traditionnel ont été déterminantes pour l'évolution des pratiques guerrières grecques.
La dimension religieuse de la guerre est en effet très importante bien
que, il est indispensable de l'avoir en mémoire, les Grecs aient toujours
ignoré l'idée de guerres menées au nom de leurs dieux. Les liens sont cependant très forts, comme le montre Louise Bruit-Zaidman, puisque
tous les actes de la cité, depuis l'entrée en guerre jusqu'à la célébration
de la victoire, étaient en même temps des actes religieux. La contribution de Pierre Sineux sur la question des morts à la guerre atteste de
la profondeur des liens unissant, au travers de la religion civique, les
hommes et leurs institutions politiques.
L'analyse d'un exemple fort (Yves Lafond) permet de comprendre la
place que tenait la guerre dans le quotidien des Grecs. Athènes, où l'on
voit, par la place que la cité dans son ensemble accordait à ses citoyens
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morts à la guerre, tout un système idéologique se créer au Ve siècle.
Sans doute cette cité, pour laquelle nous avons les meilleurs renseignements à la période considérée, n'est-elle pas un modèle que l'on peut
retranscrire aveuglément dans le reste du monde grec : elle n'en offre
pas moins une image essentielle. Mais la guerre n'est pas seulement
affaire de tactique et d'idéologie.
On le comprend aisément, l'ensemble de la société grecque, même si
elle n'est pas toujours tournée vers la guerre, était affectée par cette
dernière. La pratique admise du rançonnement des prisonniers de guerre, dans la mesure où ils n'étaient pas réduits en esclavage, permet à
Anne Bielman de mettre en valeur les solidarités qui se faisaient alors
jour. Sylvie Vilatte montre d'ailleurs que les philosophes du IVe siècle,
Platon et Aristote, ne critiquent pas le principe des guerres, même à
l'intérieur des cités idéales qu'ils prônent dans leurs écrits. Sans doute
parce que la guerre, consubstantielle à la cité, interdit d'y voir autre
chose que l'expression d'une certaine normalité : d'où la place, étudiée
par Alexandre Tourraix, accordée aux mercenaires, et singulièrement
ceux qui se battaient au service du roi perse, qui n'était pas, au contraire de ce que l'on pense trop souvent, considéré de façon systématique
comme l'ennemi héréditaire. Une autre preuve de la grande place prise
par la guerre dans la société grecque est fournie par Jacques des Courtils au travers de la représentation iconographique des combats, à la fois
mythologiques et historiques : la guerre est vraiment un élément fondamental de la Grèce antique.
L'argent est le nerf de la guerre à toutes les époques. Si, comme on l'a
vu plus haut, réduction en esclavage et rançonnement permettaient
d'espérer de fructueux profits, très souvent les opérations militaires coûtaient cher et Patrice Brun analyse les tentatives des différentes cités
d'organiser leurs finances, à défaut de les avoir jamais planifiées. Seulement, et c'est l'essence des pages de Fabrice Delrieux, tout change avec
Alexandre le Grand, dont l'expédition, qui se solde sur le plan monétaire
par la mise en circulation des immenses trésors perses, fait entrer le
monde grec dans une nouvelle ère.
Ces études, à la fois contributions personnelles et bilans historiographiques up-to-date, doivent permettre de situer les enjeux de la guerre
en Grèce : point uniquement tactiques et techniques, mais débordant
sur la plupart des aspects de la vie grecque. En ce sens, la guerre agit
comme un révélateur des pratiques sociales de tout un peuple.
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