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Le mois d’aout 1914
GENEVIÈVE WARLAND
le dossier
LAREVUENOUVELLE -AOUT 2014
la revue applique la réforme de l’orthographe
Il y a cent ans, le 4 aout 1914, la Première Guerre mondiale débutait par
l’invasion des troupes allemandes en Belgique. Le roi des Belges, Albert Ier, et
son gouvernement avaient rejeté l’ultimatum allemand du 2 aout sommant la
Belgique de laisser les troupes impériales traverser le pays, au motif que l’armée française s’apprêtait à « marcher sur l’Allemagne par le territoire belge1 ».
La Grande-Bretagne, garant de la neutralité belge, adresse un ultimatum à
l’Allemagne le 3 aout : l’Allemagne le refusant, la guerre est déclarée entre les
deux pays. Le 3 aout également, l’Allemagne déclare la guerre à la France qui
avait mobilisé, comme elle, ses troupes le 1er aout. La Belgique avait, quant à
elle, ordonné la mobilisation le 31 juillet en raison du climat de fortes tensions
internationales. L’offensive allemande est déclenchée le 4 aout : au petit matin,
deux armées sous la direction du général Otto von Emmich, secondé par l’officier Erich Ludendorff (qui deviendra le général en chef des armées allemandes
de 1916 à 1918), franchissent la frontière belge et se dirigent vers la position
fortifiée de Liège.
Comment en était-on arrivé à la guerre, point culminant de l’escalade qui
débute dans les Balkans par l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand et de
sa femme à Sarajevo le 28 juin 1914 ? Sans retracer ici la complexité des évènements, circonstances, communications, négociations et erreurs d’appréciation
qui constituent ce que les historiens appellent la « crise de juillet 2 », il apparait
que la guerre, loin de rester localisée dans les Balkans, déjà secoués par deux
confl its en 1912 et 1913, s’étendit à toute l’Europe et frappa singulièrement le
nord de la Belgique et de la France3. La déclaration de guerre de l’Empire austro-hongrois à la Serbie le 28 juillet avait entrainé la mobilisation de l’armée
russe le 30 juillet. L’Allemagne se sentant menacée par ce puissant voisin de
l’Est, allié à la France dans un système d’accords entre puissances européennes
1 Sur le soupçon d’esprit de revanche de la France à la suite de la perte de l’Alsace-Lorraine en 18701871, voir notamment Jean Stengers, « Guillaume II et le roi Albert à Potsdam en novembre 1913 »,
Bulletin de la classe des lettres et des sciences morales et politiques de l’Académie royale de Belgique,
7-12, 1993, p. 227-253.
2 Une synthèse est fournie par Gerd Krumeich, Juli 1914. Eine Bilanz, Paderborn, Ferdinand Schöningh,
2014.
3 Pour une présentation générale, succincte et très éclairante, voir Jean-Jacques Becker, La Grande
Guerre, PUF, 2013. Du même auteur, lire également, pour un aperçu synthétique couvrant toute l’Europe, L’année 14, Armand Colin Poche, 2013.
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(la Triple Entente entre la France, la Grande-Bretagne et la Russie, d’un côté, et
la Triple Alliance entre l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie et l’Italie, de l’autre),
lui déclare la guerre le 1er aout. Dans son objectif de prendre l’armée française
en tenaille, elle attaque la Belgique selon un plan militaire établi en 1905 et
ajusté aux circonstances et projections (le plan Schlieffen-Moltke).
L’exécution du plan imposait de réduire rapidement la résistance de Liège
et de sa ceinture de douze forts qui empêchait le passage de la Meuse et barrait la route de Paris. La résistance de l’armée belge, forte de 30 000 hommes
contre les effectifs ennemis qui en comptaient le double, est une surprise pour
les Allemands. Ils ont alors recours à l’artillerie lourde en plus de l’artillerie
classique : deux obusiers de 420 mm, connus sous le nom de « Grosse Bertha »,
viennent à bout des derniers forts de Liège, notamment Pontisse et Loncin où
s’était replié, dès le 6 aout, le lieutenant-général Leman (1851-1920), commandant de la division de l’armée défendant Liège. Le fort de Hollogne se rend
le 16 aout. La voie était libre pour les troupes allemandes. Bruxelles tombe
le 20 aout. La position fortifiée de Namur, pilonnée par l’artillerie lourde, se
rend le 24 aout.
le dossierLE MOIS D’AOUT 1914
L’armée allemande atteint la frontière française après les batailles de
Charleroi du 21 au 23 aout, de Mons où s’illustre la British Expeditionary
Force les 23 et 24 aout et celle des frontières (du 10 au 28 aout) dans le Sud
Luxembourg où elle fait reculer les Français. L’avancée allemande se poursuit
jusqu’à la bataille d’arrêt de la Marne du 6 au 9 septembre 1914. L’armée belge
s’était, quant à elle, repliée dès le 20 aout sur Anvers, où se trouvaient le roi
Albert, sa famille et le gouvernement, une place considérée comme imprenable.
Elle réalise néanmoins quelques sorties en renfort des armées britanniques
et françaises. Après la défaite de la Marne, les Allemands se retirèrent vers
l’Aisne : commença alors ce que l’on a appelé ultérieurement la « course à la
mer » : elle désigne ces combats, le plus souvent à l’initiative des Allemands,
qui remontent progressivement vers la frontière belge, en traversant les plaines
de Picardie, d’Artois et de Flandre entre le 19 septembre et le 17 novembre
1914. À cette date, le front de l’Ouest se stabilise : il trace une ligne sinueuse
allant de la mer du Nord à la frontière suisse sur près de 680 kilomètres. Dès ce
moment, on passe de la guerre de mouvement à la guerre de position. Celle-ci
durera quatre ans et sera ponctuée de plusieurs offensives bien plus couteuses
en pertes humaines qu’en territoire gagné (et parfois repris par l’adversaire),
comme lors de la bataille de Verdun lancée par les Allemands en 1916 et celle
du Chemin des Dames par les Français en 1917.
À côté de l’affrontement entre les armées, une autre guerre est menée
d’aout à octobre 1914 : la répression et les massacres contre les civils qui coutent
la vie à 6 500 personnes (hommes, femmes, enfants et nourrissons) en Belgique
et dans le Nord de la France. Cette seconde guerre, qu’évoque Benoît Lechat
dans son analyse, a fait l’objet d’une étude historique remarquable par deux
historiens irlandais, John Horne et Alan Kramer : 1914, les atrocités allemandes 4.
4 Voir la référence mentionnée dans l’introduction.
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Ces violences trouvent leur origine dans une peur, à la fois instinctive et
entretenue, des soldats allemands qui remonte à la guerre franco-prussienne
de 1870-71 : être la cible de francs-tireurs. La brutalité déployée en aout 2014 a
provoqué l’exode de plus d’un million de Belges. Elle jette un discrédit sur les
Allemands qualifiés de barbares, de Huns semant la terreur sur leur passage.
Dès le début de la guerre, la question des atrocités devient un enjeu stratégique. Les Alliés et les Allemands s’affrontent sur la réalité des évènements.
Les Allemands défendent longtemps la thèse des francs-tireurs, qui est un pur
produit de l’imagination.
le dossier
LAREVUENOUVELLE -AOUT 2014
En dehors des habitants des principales localités où ces massacres ont
été commis, et encore, bien peu de Belges savent qu’au cours des quatre premières semaines de la Grande Guerre, l’armée allemande a tué plus de civils
que de militaires belges. Dès le 5 aout 1914, c’est-à-dire dès leur entrée sur le
territoire belge, les régiments allemands commencent à fusiller des civils. Ils
pillent les maisons et incendient villes et villages. La liste des localités frappées
suit quasiment la route empruntée par l’envahisseur : Soumagne, Battice, Visé,
Tamines, Andenne, Ethe, Dinant sont quelques-uns des noms qui figurent sur
cette très longue liste5.
La presse allemande utilisa la lutte contre les francs-tireurs pour justifier
la lenteur de la progression de son armée en territoire belge. Les gouvernements anglais et américains grossissent le trait pour convaincre leurs opinions
publiques. Ils dépeignent une armée allemande assoiffée de sang. Ces excès
narratifs et la forte opposition de points de vue rendent difficile une étude plus
distanciée sur la réalité des évènements dans leur contexte particulier. Ce n’est
qu’après la Deuxième Guerre mondiale que les historiens allemands abandonnèrent ce qu’il est convenu d’appeler la « légende des francs-tireurs ».
Cela étant, les violences extrêmes contre les civils sont la triste réalité
vécue par de nombreux Belges au mois d’aout 1914 : un aspect moins connu
de l’invasion allemande, mais qui justifie le qualificatif de Poor Little Belgium
donné par les Alliés6.
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5 Pour une étude concernant deux de ces villes en particulier et y expliquant les origines psychologiques
des meurtres commis par les troupes allemandes, voir Aurore François et Frédéric Vesentini, « Essai
sur l’origine des massacres du mois d’aout 1914 à Tamines et à Dinant », Cahiers d’Histoire du Temps
Présent , 7, 2000, p. 51-82 (disponible sur http://bit.ly/1kuSipE).
6 Voir l’émission proposée par la RTBF sur cette thématique : http://bit.ly/1mTClNL.
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