INTRODUCTION En cette période d'intense activité pour la construction de l'Europe, l'étude des différents courants de pensée auxquels se rattachent les futurs citoyens européens devrait revêtir une importance toute spéciale. Dans cette partie du monde, dont la culture a été fondamentalement modelée par le christianisme occidental, on n'accorde en général pas assez d'importance au fait que 20 millions de musulmans y ont trouvé définitivement leur lieu de vie (sans compter la Turquie qui se rattache davantage à un islam oriental). L'islam n'est plus un phénomène étranger, extérieur, "rapporté", mais il fait bien partie maintenant de la culture occidentale et, du coup, contribue à la modeler. Se pencher sur ce courant culturel pour mieux le saisir est 1 une de ces démarches qui permet de relever le défi européen qui consiste à faire cohabiter dans la paix et la compréhension mutuelle tous les peuples qui composent l'Europe. Toutes les personnes ou institutions qui portent une responsabilité dans le monde éducatif, culturel ou social (et cela concerne évidemment aussi les personnes et les institutions musulmanes), sont confrontées à une tâche historique et à une responsabilité incontournable: dépasser, une fois pour toutes, tous les préjugés du passé et ouvrir la route d'une coexistence harmonieuse. On ne peut nier que, durant des siècles, la rencontre entre l'Occident chrétien et l'Orient musulman s'est sou- vent faite à travers des guerres et dans un rejet mutuel. Est-il vraiment utopique de croire que la tension existante entre la culture occidentale et l'islam puisse un jour être vaincue, alors qu'elle imprègne, encore de nos jours, toutes nos politiques et toutes nos idéologies? La réponse est: non, si l'on accepte d'entrer dans un processus difficile : celui de se mettre à l'écoute les uns des autres. Cela suppose, de la part de tous, une réelle volonté d'ouverture et de responsabilisation, surtout dans la sphère de l'éducation de la jeunesse. Une condition est essentielle: connaître l'autre; que l'occidental ait une vue pertinente sur ce qu'est un musulman; que le musulman, éloigné des traditions de son lointain pays d'origine, sache donner une nouvelle expression à sa foi, en harmonie avec le contexte européen. Poussés par un sens aigu de la responsabilité pour la mise en place d'une société multiculturelle à travers l'éducation, un grand nombre d'enseignants allemands de diverses disciplines ont essayé, depuis 1982, d'éradiquer tous les préjugés qui handicapent les bonnes relations entre musulmans et occidentaux. De manière très concrète, ce travail se fit par une analyse exhaustive de tous les manuels scolaires qui traitent du thème "islam" (manuels d'Histoire, de Géographie d'Instruction religieuse, civique, etc.). Le succès de cette entreprise encouragea leurs auteurs à étendre ce projet à l'ensemble des pays européens. Ainsi, dans chaque pays, un groupe de chercheurs, en collaboration avec des conseillers musulmans, ont réalisé ces analyses, regroupées sous le titre de: "International Research Project: Islam in Textbooks". Ce programme de recherche, sous la direction des Professeurs Abdoldjavad FALATURI, Herbert SCHULTZE et Udo TWORU- SCHKA, a obtenu la pleine approbation des Institutions internationales telles l'UNESCO et le Conseil de l'Europe. Pour la France et la Suisse francophone, ce travail a été réalisé par Roger FOEHRLE, co-auteur du présent ouvrage; il a été publié sous le titre de: "L'Islam pour les Profs", publié aux Éditions Karthala,Paris, en 1992. L'écrit d'aujourd'hui veut être le bref condensé de ces recherches menées depuis de longues années à travers l'Europe. Il ne présente pas des études exhaustives à propos de chaque concept islamique, mais il en interprète clairement le contenu en essayant d'écarter malentendus et préjugés. C'est un outil précieux pour quiconque est appelé à approcher la culture musulmane et pour ceux qui la vivent au quotidien. Il voudrait atteindre un but précis: dans un esprit de compréhension mutuelle et de coopération culturelle, attirer l'attention de tous les élèves, étudiants, enseignants, chercheurs, écrivains, auteurs de manuels scolaires, éducateurs, responsables religieux, institutions publiques et privées, centres culturels religieux, sociaux, chrétiens et musulmans, sur leur responsabilité respective pour l'avancement de la paix parmi les peuples, en commençant par ceux de l'Europe. Sans doute aucun, on peut affirmer que le cœur du message des trois religions: judaïsme, christianisme et islam, est la recherche de la justice et de la paix, et ceci, sur la base de la préservation et de la protection des Droits de l'Homme. Ces valeurs restent inchangées mal- gré qu'elles fussent toujours brisées par les fidèles de ces religions. C'est le devoir des responsables juifs, chrétiens et musulmans de la présente génération de s'épauler mutuellement dans la responsabilisation pour la paix en Europe et dans le monde, et non pas de contrevenir à ces valeurs par de nouvelles querelles partisanes. D'innombrables textes qui incitent à une telle démarche existent dans les Écritures de chacune de ces religions. Il n 'y aura pas de paix dans le monde sans l'engagement conscient et décidé des disciples des trois grandes religions mondiales. Les Auteurs NOTES POUR LE LECTEUR Chaque concept étudié sera traité en deux parties : interprétation correcte, interprétation incorrecte. En voici la signification: Interprétation correcte Est considérée comme bonne interprétation l'image de l'islam ou des musulmans qui est fidèle aux résultats des différents champs de recherche sur les valeurs propres de l'islam et à la manière dont les musulmans se voient eux- mêmes. Jugements et affirmations sont corrects quand ils sont en accord avec le Coran, la Sunna, les écoles juridiques qui en sont issues et les mouvements théologiques reconnus. Des interprétations nouvelles ou récentes de l'enseignement islamique sont correctes si elles dérivent du Coran et de la Sunna. Il est également correct de relever les différentes écoles de pensée, pour éviter les généralisations, et ainsi marquer clairement la différence entre ce qui est islamique dans son origine, (c'est-à-dire qui prend sa source dans le Coran et dans la Sunna) et ce qui est issu de croyances populaires, de coutumes locales et d'usages à caractéristiques culturelles, qui n'ont rien à voir avec les sources islamiques. Il est correct aussi de montrer les pratiques des musulmans d'aujourd'hui, de ceux d'hier, les coutumes d'ici et celles des pays islamiques, pour respecter le vrai esprit de l'islam, mais aussi de montrer du doigt tous les abus qui ont été commis au nom de l'islam, par exemple, l'utilisation du jihad pour des fins politiques, la soumission de la femme, etc. Interprétation incorrecte Incorrects sont les jugements, les images et les idées qui sont en contradiction avec les sources islamiques, les écoles juridiques et les écoles de pensée reconnues. Sont traitées d'incorrectes toutes les accusations sou- levées contre l'islam pour des raisons polémiques, en tirant de fausses conclusions à partir de faits isolés, d'écoles non reconnues, de formes de conduite, qui contre- disent les sources de l'islam. Sont considérés comme incorrects les jugements sur la religion qui s'appuient sur les agissements de certains États islamiques qui vont contre les sources islamiques. Il est aussi incorrect de baser la réflexion sur des pratiques individuelles qui sont de l'ordre de décisions personnelles ou de traditions culturelles, sans se référer aux sources du Coran. L'expérience montre que la plus grande source de confusion et de mécompréhension vient du fait que l'on se base sur la pratique de quelques adhérents d'une religion pour porter un jugement général sur cette dernière. Et l'on conclut faussement qu'il n'y a pas de commune mesure entre la doctrine de la religion et sa pratique. Par exemple, ce n'est pas parce qu'un juif, un chrétien ou un musulman commet un vol (ce qui est contraire au commandement: "Tu ne voleras point", commun aux trois religions), qu'il faut conclure que le vol est une pratique tolérée ou admise dans la pratique religieuse. 1. ISLAM Interprétation correcte * Le mot "islam" dérive de la quatrième tige de la racine "s-l-m" qui signifie "être sain et sauf', "être sans blessure". D'ailleurs le concept "paix" (en arabe: salam, en hébreu: shalom) dérive de la même souche. La notion de "soumission à Dieu" n'est pas incluse dans cette raCIne. * Dans la conception coranique, le mot "islam" revêt à la fois un aspect exclusif et un aspect inclusif. - L'aspect exclusif, comme point de départ du message de Mohammed contre les polythéistes en général, détermine la nature intrinsèque du mot: aucun autre être que le Dieu unique ne peut être honoré comme divinité. Cela est exprimé à la fois dans la confession de foi: "11 n'y a pas d'autre Dieu à part le Dieu unique, Mohammed est le messager de Dieu", et dans différents versets du Coran. - L'aspect inclusif, positif, se définit par la grande vénération pour Dieu. Adoration et vénération ne peu- vent s'appliquer qu'à lui en tant que Créateur et Initiateur des cieux et de la terre. Cela est mis surtout en évidence dans le "verset du trône", sourate 2, 255. * Cet engagement volontaire pour Dieu (= islam) se manifeste et dans la foi et dans la conduite. C'est ainsi que l'on comprend que l'islam n'enseigne pas uniquement des actes rituels pour honorer Dieu mais qu'il englobe tous les actes de la vie humaine. * L'islam ainsi explique qu'il y a une relation directe entre l'Homme et Dieu, dans un monothéisme strict et absolu. * Cette conviction est la base même de cette attitude positive et respectueuse de l'islam à l'égard de ceux que l'on nomme "les Gens du Livre". Tous ceux qui ont proclamé la foi en un Dieu unique, Abraham, Moïse, Jésus, ainsi que leurs disciples, sont inclus dans cette expression coranique. * Le rejet de l'idée d'une faute originelle transmise à toute l'humanité, la conviction que l'humanité a été créée avec la prédisposition naturelle d'être tournée vers Dieu (din al-fitra), l'idée, issue du strict monothéisme, qu'il n'existe pas d'intermédiaire entre Dieu et l'Homme (un intermédiaire ne pourrait que gêner la relation entre Dieu et l'humanité): ces affirmations ne laissent pas de place à la notion de rédemption telle qu'elle apparaît dans le christianisme. La relation Dieu/Humanité n'est pas déterminée par le couple péché et rédemption, mais par le couple repentir et pardon. * C'est le devoir de l'Humanité de toujours chercher la proximité de Dieu (qurbat ila Allah) en cette vie. Toute bonne action et tout acte rituel doit être marqué par l'effort d'atteindre ce but. Toutefois, actes ou rites ne donnent droit à aucune récompense; la relation de chaque homme avec Dieu est bien plus marquée par un sentiment d'espoir et de confiance en la divine bonté et en la divine miséricorde.