corée du nord : une perestroïka à l`envers nucléaire, fusées et

CORÉE DU NORD : UNE PERESTROÏKA À L'ENVERS NUCLÉAIRE,
FUSÉES ET RÉFORMES ÉCONOMIQUES
Arnaud Leveau
L'Esprit du temps | Outre-Terre
2014/2 - N° 39
pages 197 à 208
ISSN 1636-3671
Article disponible en ligne à l'adresse:
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http://www.cairn.info/revue-outre-terre1-2014-2-page-197.htm
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Pour citer cet article :
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Leveau Arnaud, « Corée du Nord : une perestroïka à l'envers Nucléaire, fusées et réformes économiques »,
Outre-Terre, 2014/2 N° 39, p. 197-208.
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Corée du Nord : une perestroïka
à l’envers
Nucléaire, fusées et réformes
économiques
Arnaud Leveau1
Le ministre sud-coréen de l’Unifi cation, Ryoo Kihl-jae avait confi rmé le mercredi
4 décembre 2013 au cours d’une réunion parlementaire de la Commission des aff ai-
res étrangères et de l’unifi cation qu’il y avait une « forte probabilité » pour que Chang
Song-taek, oncle de Kim Jong-un et vice-président de la Commission de la défense
nationale ait été démis de ses fonctions. L’information ayant été révélée la veille dans
une dépêche de l’agence d’information sud-coréenne Yonhap. Cette dernière faisait
suite à un compte rendu « portes closes » des services de renseignements (NIS - Na-
tional Intelligence Service) à l’Assemblée populaire. Toujours selon ces mêmes sources
les services administratifs de Chang auraient été démantelés et deux de ses collabora-
teurs, Ri Ryong-ha et Jang Su-gil, exécutés fi n novembre. Son beau-frère, Jon Yong-
jin, ambassadeur de Corée du Nord à Cuba rappelé à Pyongyang de même que son
neveu Jan Yong-chol, ambassadeur en Malaysia. Son épouse à la santé précaire Kim
Kyong-hui n’aurait cependant pas été aff ectée par ce remaniement. L’information fut
confi rmée le lundi 9 décembre par une dépêche de l’agence de presse nord-coréenne
(KCNAKorean Central News Agency). Des rumeurs reprises par Radio Free North
Korea faisaient également mention de son exécution le 5 décembre2.
Chang a occupé plusieurs postes importants au sein de l’appareil nord-coréen. Il
a ainsi été membre du Politburo, de la Commission militaire centrale, du Comité
central, vice-président de la Commission de la défense nationale, président de la
Commission d’orientation pour le sport et la culture et délégué du Présidium de
l’Assemblée populaire suprême. Il est également général quatre étoiles. Il est connu
pour avoir en grande partie coordonné les relations entre la Corée du Nord et la
Chine, développé des relations diplomatiques personnelles en dehors du ministère
des Aff aires étrangères et encouragé les réformes économiques.
1 Confondateur du cabinet de conseil stratégique d’A&B Strategy, membre d’Asie21
2 Cf. Sébastien Falletti, « Kim Jong-un impose la loi du sang », Le Figaro, 14-15 décembre 2013.
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UNE REPRISE EN MAIN MUSCLÉE
Cette mise à l’écart illustre la rivalité croissante entre le ministère de la Sécurité
du peuple contrôlé par Chang et le ministère pour la Sécurité d’État placé sur le
contrôle du Département de l’organisation et de l’orientation (DOO) du Parti des
travailleurs. Du temps de Kim Jong-il cette rivalité était encouragée afi n d’équili-
brer les menaces potentielles contre son autorité. Il semblerait que Kim Jong-un ait
mis fi n à cette politique du « diviser pour régner », le DOO ayant pris l’ascendant
sur le ministère pour la Sécurité d’État. Cette opération d’évincement progressif
avait été entreprise de longue date. Déjà fi n 2011 le directeur adjoint de la Sécurité
d’État, Ryi Kyong, avait été exécuté. En avril 2012 le général U Tong-chuk proche
de Chang, fut également écarté.
En évinçant Chang, Kim Jong-un a perdu une partie de la « mémoire de la Corée
du Nord ». Peu de gens avaient comme ce dernier et son épouse une expérience aussi
longue du pouvoir dans le pays. En renforçant le DOO Kim a voulu privilégier son
armée et le développement du programme nucléaire au détriment des relations avec
la Chine et de l’ouverture économique. Sous Kim Jong-un, le premier reste la clef de
voûte de la survive du régime.
DES SUCCÈS SCIENTIFIQUES
Mercredi 12 décembre 2012, quatorze ans après son premier essai, la Corée du
Nord a réussi à placer sur orbite une seconde version du satellite d’observation de la
terre Kwangmyongsong 3 (광명성 3) à bord de la fusée Unha 3 (은하-3), dérivée
du missile balistique Taepodong -2 (대포동 2). Ce lancement constitue un succès
technologique pour les ingénieurs et scientifi ques nord-coréens. La Corée du Nord
a surmonté les diffi cultés rencontrées lors du précédent lancement d’avril 2012 en
réussissant le décrochage entre le second et le troisième étage de sa fusée. Comme
pour les tirs de 2009 et du printemps 2012, celui du 12 décembre a été assimilé
à une tentative de mise au point d’un missile balistique à longe portée. Selon les
estimations, la portée de la fusée va de10 000 à 13 000 km. Le couplage avec une
trajectoire de lancement polaire permettrait à la Corée du Nord de cibler le territoire
américain en représailles à une éventuelle attaque. Cette menace est toutefois plus
politique que militaire. Il y a un fossé entre la capacité à eff ectuer un essai nucléaire
souterrain et celle de monter une ogive nucléaire, même faible, sur un missile à
longue portée. Même si le jour et le lieu du lancement sont tenus secrets, la surprise
reste limitée. Les États-Unis, le Japon et même la Corée du Sud ont aisément suivi
le lancement et la trajectoire de la fusée. Ce qui ne peut cependant masquer l’échec
de la politique nord-coréenne du Sud. Malgré des dénégations tardives du ministre
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Corée du Nord : une perestroïka à l’envers
Nucléaire, fusées et réformes économiques
sud-coréen de la Défense, Kim Kwan-jin, la Corée du Sud a été incapable de prévoir
la date du lancement de la fusée. La veille du lancement, la plupart des experts et
analystes affi rmaient, photos à l’appui, qu’il serait repoussé de plusieurs jours voire
de semaines. L’équipe en charge du suivi du dossier avait même été réduite. Depuis
la fi n de la politique de dialogue avec la Corée du Nord voulue par le Président Lee
Myung-bak, la Corée du Sud a perdu une grande partie de ses relais, contacts et
capacités d’analyse sur la Corée du Nord, ce qui limite ses capacités d’anticipation
et de réaction.
Le succès nord-coréen est avant tout politique. Pyongyang joue en permanence
de l’ambiguïté de son programme nucléaire et spatial. Le pays maintient toujours
ses programmes en dessous du niveau qui déclencherait des représailles sérieuses de
la communauté internationale. De même qu’en affi chant une capacité émergente
à menacer le continent nord-américain et pas seulement les forces américaines sta-
tionnées en Corée du Sud et au Japon, la Corée du Nord a réussi à réduire le poids
politique et militaire de la Chine à son égard. Les dirigeants nord-coréens avaient dé-
sormais le sentiment de pouvoir attendre sereinement la mise en place de la nouvelle
administration sud-coréenne issue de l’élection présidentielle de décembre 2012 et
ils se préparaient à entamer un nouveau cycle de négociations avec les États-Unis, le
Japon et la Corée du Sud au printemps ou à l’été 2013. La Corée du Nord n’a plus
besoin d’apporter la preuve de ses capacités spatiales. Un argument supplémentaire
dans le cadre des négociations à venir. Elle pourrait du même coup accepter de coo-
pérer dans le domaine spatial avec d’autres nations ou bien faire appel à des lanceurs
étrangers, russes ou chinois pour ses propres satellites. Ce succès y conforte indénia-
blement le pouvoir. Le sentiment de sécurité intérieure et extérieure qu’il a généré
chez les dirigeants nord-coréens pourrait laisser supposer que ces derniers feront
montre dans les mois qui viennent de plus d’audace en politique extérieure. Il n’est
pas à exclure qu’ils se sentiront suffi samment en confi ance pour amorcer une légère
ouverture internationale afi n de limiter l’extension de leur dépendance économique
à l’égard de la Chine.
À peine deux mois après avoir lancé avec succès une fusée Unha 3 dérivée du
missile balistique Taepodong -2 la Corée du Nord a procédé le 12 février 2013 à
son troisième essai nucléaire depuis 2006. Un couplage qui pourrait lui permettre
de menacer à terme directement le territoire américain. Toujours la provocation :
plusieurs clips ont été récemment diff usés par les médias nord-coréens dont l’un
présentant une ville américaine en fl ammes et un autre remerciant ironiquement
les États-Unis pour leur contribution indirecte au développement du programme
nucléaire nord-coréen par leur politique considérée comme agressive. Enfi n le 19
février, quelques jours avant la prise de fonction de la nouvelle présidente sud-co-
réenne Park Geun-hye, la Corée du Nord menaçait le Sud de « destruction totale » si
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celui-ci adoptait à son encontre les sanctions votées par l’ONU auxquelles la Chine
avait pourtant souscrit le 7 mars.
Une des premières conséquences géopolitiques de cet essai : il a paradoxalement
entraîné une baisse des tensions en Asie du Nord-Est. De même qu’il a permis aussi
bien à la Chine qu’au Japon de faire diversion, mettant provisoirement entre paren-
thèses leurs diff érends maritimes. Quant au dossier nord-coréen, les intérêts chinois
et japonais en matière de sécurité et de politique étrangère peuvent en eff et se rejoin-
dre. Les provocations nord-coréennes ont aussi donné l’occasion au Japon et à la Co-
rée du Sud de mettre de côté les contentieux (baisse du yen, île Dokdo/Takeshima,
femmes de réconfort). Permettant de la sorte à la Corée du Sud de revenir dans le jeu
de l’alliance des puissances moyennes asiatiques que le Japon tente de (re)constituer
pour juguler la montée en puissance de la Chine.
Dès lors que les changements à la tête des exécutifs chinois, sud-coréen et japo-
nais ont été entièrement accomplis, semblable rapprochement contraint pourrait
relancer le processus sécuritaire à trois (États-Unis, Japon, Corée du Sud) fortement
souhaité par les Américains. Face à la menace nord-coréenne les deux pays du Nord-
Est asiatique pourraient accepter de travailler ensemble avec les États-Unis et leurs
alliés dans le développement de leur programme de missiles.
L’essai nucléaire nord-coréen peut encore avoir des conséquences directes sur les
relations sino-américaines. Tout comme pour la Corée du Sud et le Japon, la menace
réelle ou exagérée de la Corée du Nord off re aux deux géants de la région la possi-
bilité de faire cause commune. En Chine le débat sur le soutien ou non à la Corée
du Nord a été relancé. Si la première arrive à faire pression sur la Corée du Nord
pour que celle-ci accepte de négocier et de limiter ses provocations, elle gagnera en
crédibilité auprès des Sud-Coréens et des Japonais. Ce qui lui donnera un argument
supplémentaire pour expliquer à ses voisins que le « pivot américain » n’est pas ou
plus nécessaire pour garantir la stabilité dans la région.
Cet essai illustre également l’échec des Pourparlers à six (Corée du Nord, États-
Unis, Chine, Japon, Russie et Corée du Sud) entamés en 2003 et censés trouver
une solution pacifi que au démantèlement du programme nucléaire nord-coréen.
Loin d’assouplir ses positions, la Corée du Nord a maintenu son cap et dispose
aujourd’hui en matière nucléaire et balistique d’un savoir-faire inquiétant. Le pays
reculera d’autant moins que ce programme nucléaire lui donne un sentiment de
garantie d’indépendance aussi bien vis-à-vis des États-Unis que de la Chine. Il est
temps de prendre acte de la situation, de localiser de nouveaux canaux de discus-
sion et de négociation afi n d’éviter notamment une prolifération incontrôlée. Dans
l’entourage de la nouvelle présidente sud-coréenne de même qu’au sein des milieux
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