corée du nord : une perestroïka à l`envers nucléaire, fusées et

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CORÉE DU NORD : UNE PERESTROÏKA À L'ENVERS NUCLÉAIRE,
FUSÉES ET RÉFORMES ÉCONOMIQUES
Arnaud Leveau
L'Esprit du temps | Outre-Terre
2014/2 - N° 39
pages 197 à 208
ISSN 1636-3671
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Pour citer cet article :
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Leveau Arnaud, « Corée du Nord : une perestroïka à l'envers Nucléaire, fusées et réformes économiques »,
Outre-Terre, 2014/2 N° 39, p. 197-208.
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Arnaud Leveau1
Le ministre sud-coréen de l’Unification, Ryoo Kihl-jae avait confirmé le mercredi
4 décembre 2013 au cours d’une réunion parlementaire de la Commission des affaires étrangères et de l’unification qu’il y avait une « forte probabilité » pour que Chang
Song-taek, oncle de Kim Jong-un et vice-président de la Commission de la défense
nationale ait été démis de ses fonctions. L’information ayant été révélée la veille dans
une dépêche de l’agence d’information sud-coréenne Yonhap. Cette dernière faisait
suite à un compte rendu « portes closes » des services de renseignements (NIS - National Intelligence Service) à l’Assemblée populaire. Toujours selon ces mêmes sources
les services administratifs de Chang auraient été démantelés et deux de ses collaborateurs, Ri Ryong-ha et Jang Su-gil, exécutés fin novembre. Son beau-frère, Jon Yongjin, ambassadeur de Corée du Nord à Cuba rappelé à Pyongyang de même que son
neveu Jan Yong-chol, ambassadeur en Malaysia. Son épouse à la santé précaire Kim
Kyong-hui n’aurait cependant pas été affectée par ce remaniement. L’information fut
confirmée le lundi 9 décembre par une dépêche de l’agence de presse nord-coréenne
(KCNA – Korean Central News Agency). Des rumeurs reprises par Radio Free North
Korea faisaient également mention de son exécution le 5 décembre2.
Chang a occupé plusieurs postes importants au sein de l’appareil nord-coréen. Il
a ainsi été membre du Politburo, de la Commission militaire centrale, du Comité
central, vice-président de la Commission de la défense nationale, président de la
Commission d’orientation pour le sport et la culture et délégué du Présidium de
l’Assemblée populaire suprême. Il est également général quatre étoiles. Il est connu
pour avoir en grande partie coordonné les relations entre la Corée du Nord et la
Chine, développé des relations diplomatiques personnelles en dehors du ministère
des Affaires étrangères et encouragé les réformes économiques.
1
2
Confondateur du cabinet de conseil stratégique d’A&B Strategy, membre d’Asie21
Cf. Sébastien Falletti, « Kim Jong-un impose la loi du sang », Le Figaro, 14-15 décembre 2013.
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Corée du Nord : une perestroïka
à l’envers
Nucléaire, fusées et réformes
économiques
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Cette mise à l’écart illustre la rivalité croissante entre le ministère de la Sécurité
du peuple contrôlé par Chang et le ministère pour la Sécurité d’État placé sur le
contrôle du Département de l’organisation et de l’orientation (DOO) du Parti des
travailleurs. Du temps de Kim Jong-il cette rivalité était encouragée afin d’équilibrer les menaces potentielles contre son autorité. Il semblerait que Kim Jong-un ait
mis fin à cette politique du « diviser pour régner », le DOO ayant pris l’ascendant
sur le ministère pour la Sécurité d’État. Cette opération d’évincement progressif
avait été entreprise de longue date. Déjà fin 2011 le directeur adjoint de la Sécurité
d’État, Ryi Kyong, avait été exécuté. En avril 2012 le général U Tong-chuk proche
de Chang, fut également écarté.
En évinçant Chang, Kim Jong-un a perdu une partie de la « mémoire de la Corée
du Nord ». Peu de gens avaient comme ce dernier et son épouse une expérience aussi
longue du pouvoir dans le pays. En renforçant le DOO Kim a voulu privilégier son
armée et le développement du programme nucléaire au détriment des relations avec
la Chine et de l’ouverture économique. Sous Kim Jong-un, le premier reste la clef de
voûte de la survive du régime.
DES SUCCÈS SCIENTIFIQUES
Mercredi 12 décembre 2012, quatorze ans après son premier essai, la Corée du
Nord a réussi à placer sur orbite une seconde version du satellite d’observation de la
terre Kwangmyongsong 3 (광명성 3호) à bord de la fusée Unha 3 (은하-3), dérivée
du missile balistique Taepodong -2 (대포동 2호). Ce lancement constitue un succès
technologique pour les ingénieurs et scientifiques nord-coréens. La Corée du Nord
a surmonté les difficultés rencontrées lors du précédent lancement d’avril 2012 en
réussissant le décrochage entre le second et le troisième étage de sa fusée. Comme
pour les tirs de 2009 et du printemps 2012, celui du 12 décembre a été assimilé
à une tentative de mise au point d’un missile balistique à longe portée. Selon les
estimations, la portée de la fusée va de10 000 à 13 000 km. Le couplage avec une
trajectoire de lancement polaire permettrait à la Corée du Nord de cibler le territoire
américain en représailles à une éventuelle attaque. Cette menace est toutefois plus
politique que militaire. Il y a un fossé entre la capacité à effectuer un essai nucléaire
souterrain et celle de monter une ogive nucléaire, même faible, sur un missile à
longue portée. Même si le jour et le lieu du lancement sont tenus secrets, la surprise
reste limitée. Les États-Unis, le Japon et même la Corée du Sud ont aisément suivi
le lancement et la trajectoire de la fusée. Ce qui ne peut cependant masquer l’échec
de la politique nord-coréenne du Sud. Malgré des dénégations tardives du ministre
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UNE REPRISE EN MAIN MUSCLÉE
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Le succès nord-coréen est avant tout politique. Pyongyang joue en permanence
de l’ambiguïté de son programme nucléaire et spatial. Le pays maintient toujours
ses programmes en dessous du niveau qui déclencherait des représailles sérieuses de
la communauté internationale. De même qu’en affichant une capacité émergente
à menacer le continent nord-américain et pas seulement les forces américaines stationnées en Corée du Sud et au Japon, la Corée du Nord a réussi à réduire le poids
politique et militaire de la Chine à son égard. Les dirigeants nord-coréens avaient désormais le sentiment de pouvoir attendre sereinement la mise en place de la nouvelle
administration sud-coréenne issue de l’élection présidentielle de décembre 2012 et
ils se préparaient à entamer un nouveau cycle de négociations avec les États-Unis, le
Japon et la Corée du Sud au printemps ou à l’été 2013. La Corée du Nord n’a plus
besoin d’apporter la preuve de ses capacités spatiales. Un argument supplémentaire
dans le cadre des négociations à venir. Elle pourrait du même coup accepter de coopérer dans le domaine spatial avec d’autres nations ou bien faire appel à des lanceurs
étrangers, russes ou chinois pour ses propres satellites. Ce succès y conforte indéniablement le pouvoir. Le sentiment de sécurité intérieure et extérieure qu’il a généré
chez les dirigeants nord-coréens pourrait laisser supposer que ces derniers feront
montre dans les mois qui viennent de plus d’audace en politique extérieure. Il n’est
pas à exclure qu’ils se sentiront suffisamment en confiance pour amorcer une légère
ouverture internationale afin de limiter l’extension de leur dépendance économique
à l’égard de la Chine.
À peine deux mois après avoir lancé avec succès une fusée Unha 3 dérivée du
missile balistique Taepodong -2 la Corée du Nord a procédé le 12 février 2013 à
son troisième essai nucléaire depuis 2006. Un couplage qui pourrait lui permettre
de menacer à terme directement le territoire américain. Toujours la provocation :
plusieurs clips ont été récemment diffusés par les médias nord-coréens dont l’un
présentant une ville américaine en flammes et un autre remerciant ironiquement
les États-Unis pour leur contribution indirecte au développement du programme
nucléaire nord-coréen par leur politique considérée comme agressive. Enfin le 19
février, quelques jours avant la prise de fonction de la nouvelle présidente sud-coréenne Park Geun-hye, la Corée du Nord menaçait le Sud de « destruction totale » si
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sud-coréen de la Défense, Kim Kwan-jin, la Corée du Sud a été incapable de prévoir
la date du lancement de la fusée. La veille du lancement, la plupart des experts et
analystes affirmaient, photos à l’appui, qu’il serait repoussé de plusieurs jours voire
de semaines. L’équipe en charge du suivi du dossier avait même été réduite. Depuis
la fin de la politique de dialogue avec la Corée du Nord voulue par le Président Lee
Myung-bak, la Corée du Sud a perdu une grande partie de ses relais, contacts et
capacités d’analyse sur la Corée du Nord, ce qui limite ses capacités d’anticipation
et de réaction.
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Une des premières conséquences géopolitiques de cet essai : il a paradoxalement
entraîné une baisse des tensions en Asie du Nord-Est. De même qu’il a permis aussi
bien à la Chine qu’au Japon de faire diversion, mettant provisoirement entre parenthèses leurs différends maritimes. Quant au dossier nord-coréen, les intérêts chinois
et japonais en matière de sécurité et de politique étrangère peuvent en effet se rejoindre. Les provocations nord-coréennes ont aussi donné l’occasion au Japon et à la Corée du Sud de mettre de côté les contentieux (baisse du yen, île Dokdo/Takeshima,
femmes de réconfort). Permettant de la sorte à la Corée du Sud de revenir dans le jeu
de l’alliance des puissances moyennes asiatiques que le Japon tente de (re)constituer
pour juguler la montée en puissance de la Chine.
Dès lors que les changements à la tête des exécutifs chinois, sud-coréen et japonais ont été entièrement accomplis, semblable rapprochement contraint pourrait
relancer le processus sécuritaire à trois (États-Unis, Japon, Corée du Sud) fortement
souhaité par les Américains. Face à la menace nord-coréenne les deux pays du NordEst asiatique pourraient accepter de travailler ensemble avec les États-Unis et leurs
alliés dans le développement de leur programme de missiles.
L’essai nucléaire nord-coréen peut encore avoir des conséquences directes sur les
relations sino-américaines. Tout comme pour la Corée du Sud et le Japon, la menace
réelle ou exagérée de la Corée du Nord offre aux deux géants de la région la possibilité de faire cause commune. En Chine le débat sur le soutien ou non à la Corée
du Nord a été relancé. Si la première arrive à faire pression sur la Corée du Nord
pour que celle-ci accepte de négocier et de limiter ses provocations, elle gagnera en
crédibilité auprès des Sud-Coréens et des Japonais. Ce qui lui donnera un argument
supplémentaire pour expliquer à ses voisins que le « pivot américain » n’est pas ou
plus nécessaire pour garantir la stabilité dans la région.
Cet essai illustre également l’échec des Pourparlers à six (Corée du Nord, ÉtatsUnis, Chine, Japon, Russie et Corée du Sud) entamés en 2003 et censés trouver
une solution pacifique au démantèlement du programme nucléaire nord-coréen.
Loin d’assouplir ses positions, la Corée du Nord a maintenu son cap et dispose
aujourd’hui en matière nucléaire et balistique d’un savoir-faire inquiétant. Le pays
reculera d’autant moins que ce programme nucléaire lui donne un sentiment de
garantie d’indépendance aussi bien vis-à-vis des États-Unis que de la Chine. Il est
temps de prendre acte de la situation, de localiser de nouveaux canaux de discussion et de négociation afin d’éviter notamment une prolifération incontrôlée. Dans
l’entourage de la nouvelle présidente sud-coréenne de même qu’au sein des milieux
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celui-ci adoptait à son encontre les sanctions votées par l’ONU auxquelles la Chine
avait pourtant souscrit le 7 mars.
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Nucléaire, fusées et réformes économiques
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universitaires sud-coréens et américains certains réfléchissent déjà à la création de
nouvelles structures de dialogue. L’affrontement et l’isolement n’ayant pas donné de
résultats, la communauté internationale risque ainsi de devoir se montrer, après une
période de remontrances, plus ouverte au dialogue avec Pyongyang.
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S’appuyant sur des images satellites, l’Institut américain pour la science et la sécurité internationale3 a révélé en août 2013 que le complexe nucléaire de Yongbyon
était en cours d’expansion. Le site pourrait accueillir 4 000 centrifugeuses, soit 2 000
de plus qu’auparavant. Les travaux auraient commencé en mars 2013.
Étant toujours sous le coup de sanctions internationales, la Corée du Nord n’a
vraisemblablement pas été en mesure d’importer les équipements et les technologies
nécessaires à la fabrication des 2 000 centrifugeuses supplémentaires que devraient
accueillir les nouveaux locaux. Cela signifie donc qu’elle est aujourd’hui capable de
construire par elle-même et sur son territoire les matériels nécessaires au développement de son programme nucléaire. La politique de sanctions a bel et bien atteint
ses limites. La reprise d’éventuelles négociations ne portera plus sur l’arrêt du programme nucléaire nord-coréen mais plutôt sur des tentatives de limitation des essais
et sur la non-exportation des technologies développées. Cela n’empêchera certes pas
la Corée du Nord de continuer à enrichir de l’uranium, mais semblable limitation
des essais pourrait réduire sa capacité à améliorer la qualité des armements.
Tant que le régime se maintiendra, il ne renoncera pas à son programme nucléaire, ce dernier lui conférant un double avantage intérieur et extérieur.
1) À l’extérieur, la marge de manœuvre des États-Unis et de leurs alliés s’est considérablement réduite. S’ils retournent à la table des négociations, cela s’effectuera sur
des bases proches des positions nord-coréennes et chinoises.
2) À l’intérieur, le régime est conforté non seulement par ses succès technologiques
mais aussi par une certaine relance économique, bien sûr faible mais réelle, et
par la consolidation de ses institutions. À l’inverse de son père qui concentrait
l’essentiel des pouvoirs, Kim Jong-un a renforcé le rôle du Politburo et témoigne
d’un respect plus important du système. S’il assume l’héritage de son père, Kim
Jong-un n’a pas encore établi sa propre doctrine et son idéologie.
3) Sur le court terme, la situation devrait perdurer. Kim Jong-un a renforcé ses positions tout en conférant plus de poids aux institutions notamment en faveur du
3
ISIS : Institute for Science and International Security
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NUCLÉAIRE ET RENFORCEMENT DU RÉGIME
Arnaud Leveau
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Parti des travailleurs mais au détriment de l’armée. Des factions existent au sein
de l’appareil, mais aucun signe de division ne s’est manifesté.
4) Avec le développement économique, le régime se montre moins répressif et une
nouvelle classe d’entrepreneurs est en train d’apparaître. Ces derniers, même s’ils
désapprouvent le régime continueront de le soutenir et tenteront de récuser une
éventuelle unification avec le Sud. Il leur sera en effet plus aisé de développer leurs
affaires sous le parapluie protecteur d’un régime légèrement réformé que de se
confronter à la concurrence des entreprises du Sud.
5) Un effondrement du système ne semble plus être à l’ordre du jour. Le régime s’est
apparemment stabilisé pour les prochaines années. Kim Jong-un est jeune. Il sait
que s’engager dans un véritable cycle de réformes pourrait déstabiliser le système.
Cela dit : même avec une reprise de la croissance, le fossé ne cesse de grandir entre
l’économie nord-coréenne et celles de la Chine et de la Corée du Sud. À terme, la
situation risque de ne pas être tenable.
6) La question est de savoir si Kim Jong-un aura la vision et le courage nécessaires
pour préparer son propre avenir et celui de son pays au-delà de la zone de confort
dans laquelle il se trouve actuellement. En dehors de la question nucléaire, laquelle reste sans solution acceptable, le pays évolue tout de même dans un sens souhaité par les États-Unis et leurs alliés. Les États-Unis auront-ils réciproquement la
volonté d’accompagner et d’encourager le régime dans les réformes économiques
et sociales qu’il a timidement initiées ?
DES RÉFORMES TIMIDES
Pak Pong-ju, ancien Premier ministre de Corée du Nord (2003-2007) a été de
nouveau installé début avril 2013 dans ses fonctions. Avec Ro Do-chul, Kwak Pomgi et Chon Sung-hun, il avait été l’un des artisans des réformes économiques entreprises de 2003 à 2006. Ces dernières avaient permis de revoir le système de rationnement, d’autoriser les marchés de rue et d’accorder une plus grande autonomie
aux entreprises. Elles avaient également contribué à une augmentation des salaires
fondée sur l’incitation et les rendements. L’inflation provoquée par ces réformes, les
conflits générés avec le Parti des travailleurs et l’armée notamment sur les questions
du prix du charbon et de l’attribution des fonds d’État, ainsi que des accusations de
« capitalisme » lui coûtèrent son poste en avril 2007. Il allait faire un timide retour
en août 2010, en tant que directeur du département de l’Industrie légère. Réputé
proche de Chang Song-taek, Pak Pong-ju a été élu le 31 mars 2013 membre du
Politburo avant d’être désigné à nouveau Premier ministre le lendemain. Ingénieur
de formation, ancien manager de l’usine alimentaire de Yongchon Park, Pong-ju est
perçu comme un technocrate pragmatique. Alors que la Corée du Nord avait, dans le
cadre de sa campagne de provocation à l’égard de la Corée du Sud et des États-Unis,
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À peine un mois après ce retour politique du réformateur, Kim Jong-un utilise
le terme de « réforme » dans une lettre adressée aux personnels des organisations
gouvernementales et de l’armée ayant contribué à la construction d’un parc à l’extérieur du palais du Soleil de Kumsusan. Dans cette lettre rendue publique par voie de
presse et de radio le 30 avril 2013, il écrit que les différentes agences gouvernementales du pays doivent « non seulement accomplir une grande réforme et un grand saut
en avant dans tous les secteurs de l’économie (…) mais aussi contribuer activement
à l’accomplissement d’un revirement décisif pour l’amélioration du niveau de vie de
la population ». Il s’agit là d’une des premières déclarations publiques utilisant à la
fois le terme de « réforme » et de « grand saut ». Ce qui laisse supposer que les termes
de « réforme » et de « grand saut » ont déjà fait l’objet de plusieurs communications
internes non diffusées dans les médias, sans doute pour éviter de provoquer de trop
grandes attentes dans la population. La nature exacte des réformes annoncées n’a pas
été précisée, mais elles ne concerneront que le domaine de la « première économie »
(civile et populaire) placée sous le contrôle formel du gouvernement et du Parti
des travailleurs. L’armée étant exclue du processus. Par ailleurs aucun calendrier n’a
été fixé. Ces éventuelles réformes s’inscrivent dans la continuité du communiqué
du Parti des travailleurs de mars 2013 appelant à avancer simultanément dans la
construction économique du pays et le développement de l’arme nucléaire. Il est
cependant encore trop tôt pour apprécier la portée de ces déclarations : volonté de
réforme ou simple effet d’annonce ? La reprise en main politique de la fin de l’année
2013 avec l’éviction de Chang Song-taek et la timide volonté de réforme semblent
en effet contradictoires.
L’IMPACT LIMITÉ DES SANCTIONS
En dépit de son isolement et des sanctions qui ont été imposées à la Corée du
Nord, la situation économique s’y est améliorée en 2012. D’une manière générale,
la production industrielle et agricole a augmenté, les échanges économiques avec la
Chine ont progressé et la situation alimentaire n’est plus aussi catastrophique que
par le passé. Il s’agit d’une nette amélioration de la situation sur l’ensemble du territoire. Au cours d’un tour de table organisé à Séoul le 10 avril 2013 par l’Institut Asan
d’études politiques le Dr. Go Myong-hyun a dressé un bilan de l’économie nord-
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ordonné en avril 2013 la fermeture du complexe industriel intercoréen de Kaesong à
dix kilomètres de la frontière entre les deux Corées (côté nord) – rouvert en septembre –, il a la délicate charge de redynamiser l’économie nord-coréenne et d’engager le
pays dans un nouveau cycle de réformes économiques. Aura-t-il les coudées franches
pour accomplir sa tâche ? Le contexte sécuritaire dans la péninsule coréenne lui permettra-t-il d’engager son pays vers une timide ouverture économique ?
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coréenne hors aide humanitaire. S’appuyant sur plusieurs études réalisées notamment par l’Organisation mondiale de la Santé, le Programme alimentaire mondial,
l’Unicef, le ministère sud-coréen de l’Unification ou l’Association coréenne pour le
commerce international (KITA), le Dr Go a mis en lumière l’échec de la politique
de sanctions menées à l’encontre de la Corée du Nord. Elles n’ont pas réussi à obliger
ce pays à interrompre ses programmes nucléaires, mais lui ont permis de relancer son
économie en le contraignant à diversifier ses productions, à redévelopper ses industries légères, à renforcer son commerce avec la Chine et à se rendre moins dépendant
des marchés mondiaux.
Échanges Chine/Corée du Nord (en
millions d’USD)
Source : nknews.org
Balance des comptes courants
nord-coréens
Source : Noland & Haggard, 2013
Si dans le cas de la Corée du Nord la dépendance économique à l’égard de la
Chine augmente, le pays a connu en 2012 une balance de ses échanges commerciaux
excédentaire. Toujours en 2012 la production de riz aurait augmenté de 11% et celle
de maïs de 10 %. Cette hausse de la production est venue combler le déficit alimentaire généré par la baisse drastique de l’aide alimentaire sud-coréenne depuis 2008
et l’arrêt de l’aide américaine depuis 2009. Ainsi le pourcentage de malnutrition
aiguë globale (MAG) relevé par l’Unicef et le Programme alimentaire mondial aurait
baissé sur l’ensemble du territoire nord-coréen et pas uniquement dans la région de
Pyongyang en 2012, le pays se rendant indépendant de l’aide internationale. Tout
comme la consommation de pétrole, de biens manufacturés, de produits technologiques (téléphones portables) et d’articles de luxe a parallèlement augmenté.
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Source : Institut Asan et Association coréenne pour le commerce international
% MAG infantile par province
2014-2012
Source Asan Policy Institute, North Korea,
Beyond the Humanitarian Aid, présentation de
Go Myong-hyun le 10 avril 2013
Aide du gouvernement sud-coréen
(en millions de won)
Source : Institut Asan et ministère sud-coréen
de l’Unification
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Types d’échanges entre la Chine et la Corée du Nord
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Loin d’avoir eu l’effet escompté, les sanctions ont renforcé l’économie du pays
tout en le rendant plus dépendant de ses échanges avec la Chine. La clef de la question nord-coréenne ne se trouve ni à Washington, ni à New York, ni à Tokyo ou
Séoul, mais bien à Pékin et à Pyongyang. En 2013 la Corée du Nord s’est sentie plus
forte. Les menaces et les provocations à répétition qu’elle lance n’ont pas pour objectif une reprise de l’aide internationale. Ce qu’a illustré la fermeture provisoire du
complexe industriel intercoréen de Kaesong. La Corée du Nord n’a plus besoin des
investissements sud-coréens pour garder la tête hors de l’eau. Elle se retrouve donc
avec une carte supplémentaire en main alors que les États-Unis et la Corée du Sud
se sont privés d’un de leurs arguments dans le cadre d’éventuelles négociations. Des
pressions trop directes sur la Chine pour lui demander de peser sur son turbulent
voisin risqueraient également d’être contre-productives. Seules des puissances non
directement impliquées dans le conflit pourraient arriver à ramener l’ensemble des
protagonistes autour de la table. Dans ce cadre l’Union européenne, certains pays
européens et dans une moindre mesure la Russie voire l’Association des nations du
Sud-Est asiatique seraient susceptibles de jouer un rôle positif d’apaisement.
CORÉE DU NORD-CHINE : UNE RELATION FORTE
En Corée du Nord, la monnaie de référence pour les échanges est à présent
le yuan chinois. Plus de la moitié de l’ensemble des échanges commerciaux de
la Corée du Nord s’effectuent avec la seule Chine. En 2010, celle-ci fournissait
près de 90% des importations nord-coréennes de pétrole, 80 % de ses biens de
consommation et environ 45 % de ses importations de produits alimentaires.
De janvier à mai 2011, le montant des importations en provenance de Chine
aurait augmenté de 217% comparativement à l’année précédente et celui des
exportations de 58 %). En 2012 les échanges entre les deux pays ont continué
d’augmenter mais à un rythme moins soutenu. Selon un diplomate sud-coréen
posté à Pékin ils auraient baissé de 6% au cours du premier semestre 2013.
L’agence de presse sud-coréenne Yonhap parlant de son côté d’une stabilisation
des échanges sur les huit premiers mois de l’année (4,1 milliards de dollars).
La plupart des échanges frontaliers s’opérant en cash, la monnaie chinoise
tend même à prendre la place, dans certaines provinces, de la monnaie nationale, les calculs et les estimations en won nord-coréens s’en trouvant périmés.
Depuis 2003, la coopération économique avec la Corée du Nord fait partie
du plan de revitalisation du Nord-Est chinois. Les provinces du Liaoning et du
Jilin sont fortement impliquées dans ces programmes de coopération économique. Le plan chinois comprend l’aménagement de deux corridors reliés à la
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Corée du Nord. Le premier longera le golfe de Bohai, de Huludao à Dandong
en passant par Dalian, et doit être prolongé jusqu’à Pyongyang ; entre 70 et
75 % des exportations chinoises en direction de la Corée du Nord transitent
par le port de Dandong. Le second s’appuie sur le programme du Tumen River
Area Development et doit relier Oulan-Bator en Mongolie à Rajin en Corée du
Nord en traversant la province chinoise du Jilin. Il constitue l’épine dorsale de
la zone pilote de développement économique de Changjitu (Changchun, Jilin,
Tumen). La partie nord-coréenne de cet axe reliant les frontières chinoises aux
deux ports de Rajin et de Ch’ongjin représente un enjeu important dans la
mesure où une bonne partie des exportations chinoises vers la Corée du Sud et
le Japon devrait à terme y transiter.
Cet approfondissement des relations économiques entre les deux pays complique la politique américano-sud-coréenne à l’égard de la Corée du Nord car
il limite l’impact des sanctions économiques et rompt en partie l’isolement
international du régime. Certains s’inquiètent également d’une mainmise trop
importante de la Chine sur les affaires nord-coréennes, allant jusqu’à évoquer
une « future annexion » de la Corée du Nord par la Chine. Il ne fait aucun
doute que les autorités de Pyongyang ont parfaitement conscience du risque
encouru du fait d’une trop grande dépendance économique vis-à-vis de la
Chine, mais cette dernière semble perçue par les Nord-Coréens comme moins
dangereuse qu’une trop forte influence sud-coréenne susceptible de fragiliser
le système.
Les autres principaux partenaires de la Corée du Nord sont la Russie, l’Inde,
la Thaïlande, Taiwan, Singapour, l’Indonésie, l’Allemagne et le Brésil.
CORÉE DU NORD : HONG-KONG
DÉVELOPPEMENT DES ÉCHANGES ÉCONOMIQUES
En 2012 Hong-Kong est devenu le second partenaire économique de la
Corée du Nord après la Chine. Selon l’Association sud-coréenne pour la promotion du commerce et des investissements (KOTRA), les échanges entre
Hong-Kong et la Corée du Nord ont atteint 111 millions de dollars, ce qui
réalise une hausse de 457 % par rapport à l’année précédente. Les exportations
nord-coréennes se seraient élevées à 58 millions de dollars tandis que les importations en provenance de Hong- Kong auraient avoisiné les 53 millions de
dollars. Hong-Kong apparaît comme un instrument essentiel dans la consolidation des relations entre Chine et Corée du Nord. L’essor du commerce
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Corée du Nord : une perestroïka à l’envers
Nucléaire, fusées et réformes économiques
Arnaud Leveau
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entre la Région administrative spéciale et la Corée du Nord coïncide avec la
mise en place depuis 2011 de deux zones économiques sino-nord-coréennes
sur les îles de Hwanggumpyong et de Wihwa situées non loin de la ville frontalière chinoise de Dandong. Or, la même année Hong-Kong n’était que le
13e partenaire commercial de la Corée du Nord. L‘accélération des échanges
en 2011-2012 est remarquable. Elle relativise en outre les menaces chinoises
de réduction de l’aide en direction de la Corée du Nord consécutivement au
dernier essai nucléaire mené par le pays en février 2013. On peut imaginer
que dans le futur une partie des échanges transiteront en effet par Hong-Kong
ou par Macao. Mais dans le cas présent, la Chine ne serait-elle pas en train de
développer avec Hong-Kong une stratégie « un pays, double jeu » ?
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