Focus n°1 de la PFOSS sur... Etude sur les processus d’exclusion et d’insertion en milieu rural Juillet 2009 Publication réalisée par la PFOSS de Bourgogne Yann EVEN, Fnars Bourgogne Mise en page : ORS Bourgogne Retrouvez les Focus de la PFOSS sur le site www.ors-bourgogne.org Dans le cadre de la plateforme de l’observation sanitaire et sociale, la FNARS Bour- gogne a commandé une étude à l’IRTESS sur les phénomènes de pauvreté en milieu rural. L’objet de cette étude était de s’interroger, d’une part sur la construction du processus d’exclusion en milieu rural, d’autre part de comprendre les spécificités qui pouvaient s’en dégager et ainsi caractériser les formes d’intervention sociale en milieu rural. Le monde rural est doté des mêmes caractéristiques et processus d’exclusion que les autres territoires. Il n’y a pas une spécificité du monde rural mais une réalité de l’exclusion multiple. Cette réalité est traversée par des construits sociaux propre à chaque territoire. Ainsi, la compréhension de ces processus nécessite une approche multidimensionnelle. Deux phénomènes sont à considérer : la faible densité de population, d’habitat et d’équipement, et le rapport particulier à la densité géographique lié à l’enclavement géographique et à la faiblesse des transports en commun. Il semblerait que les processus de disqualification social peuvent être accentués ou aggravés par des spécificités propres au monde rural. Ainsi, l’approche en terme de réclusion montre que des caractéristiques rurales, comme la difficulté de mobilité, l’isolement géographique et l’isolement social, accentuent à la fois les processus de stigmatisation et de désocialisation, et l’enfermement des personnes sur les territoires et dans des logiques d’assistance. Les modes d’approche de l’intervention sociale génèrent des comportements de prise en charge. C’est dans une logique de développement territorial qu’il est alors possible de libérer les capacités de personnes souvent définies négativement par les constructions sociales. La mise en réseau et une approche de développement social local engagent à construire des réponses, où l’action sociale trouve une place à part entière dans un projet politique de territoire. Ainsi aborder la pauvreté en milieu rural révèle une nouvelle dimension : la dimension territoriale. La pauvreté en milieu rural nous amène à poser la politisation, au sens du politique et non de la politique, de l’action du travail social. L’IRTESS de Dijon a choisi une méthodologie ambitieuse et exhaustive des pratiques d’enquêtes sociologiques : questionnaires, entretiens individuels, groupe de travail en s’appuyant sur quatre territoires d’observation regroupant souvent deux cantons : Pierre de Bresse –Seurre, Epinac – Couches, Lormes – Saulieu et Vermenton. Ces territoires ont été choisis en fonction des indicateurs de précarité et de la diversité du monde du rural qu’ils pouvaient représenter. 2 Étude sur les processus d’exclusion et d’insertion en milieu rural Focus n° 1 - juillet 2009 La ruralité des septs cantons L’objet de l’étude n’était pas de faire un diagnostic de la situation de l’exclusion sur les sept cantons mais d’observer ce qui se passait sur ces territoires pour proposer une analyse plus générale des phénomènes de pauvreté en milieu rural. Toutefois une approche en termes de monographie a été faite sur ces quatre territoires qui peut se présenter à travers les schémas ci-dessous. L’examen comparé des trois graphiques permet de remarquer qu’un canton, celui de Couches, est systématiquement en position haute. Il se distingue des autres cantons par une densité de population plus importante, par un dynamisme démographique plus fort, par un niveau de formation, un revenu médian et un revenu moyen plus élevés, par un taux de prestation plus faible et par une problématique de chômage moins sérieuse. A l’inverse, les cantons de Lormes, Saulieu et Epinac alternent des positions moyennes et basses et semblent présenter un profil moins favorable. Enfin, les cantons de Seurre, Pierre-deBresse et Vermenton présentent des situations contrastées en étant, selon les critères, sur des positions basses, moyennes et hautes. Étude sur les processus d’exclusion et d’insertion en milieu rural Focus n° 1 - juillet 2009 3 Les dynamiques d’exclusion Les approches monographiques des territoires étudiées nous présentent un spectre large des processus d’exclusion à l’œuvre dans le secteur rural : pauvreté financière, des situations sanitaires inquiétantes, insalubrité des logements, routard, emploi…Nous avons à faire à une pauvreté «traditionnelle», «historique», à une «habitude de vivre» qui est intégrée dans les territoires mais aussi à des phénomènes de disqualification sociale et de stigmatisation touchant les populations qui s’installent. Même si elle existe, la solidarité du milieu rural comme protection rapprochée en cas de difficulté ou d’accident de la vie est à relativiser. Le rural ne protège pas de l’isolement. L’ensemble des acteurs s’accorde pour mettre en avant «une invisibilité de la pauvreté dans l’espace public rural qui la rendrait plus anonyme et moins ostentatoire qu’en ville». Nous pouvons voir là une situation paradoxale. Il est souvent difficile d’être anonyme en milieu rural mais en même temps il semblerait qu’un anonymat des situations sociales existe. Il en découle un phénomène de suradaptation, une résistance à la misère, de maintien d’une certaine indépendance notamment par une économie de subsistance alliant culture de jardins, petits boulots et aide ponctuelle. Cette débrouille permet de ne pas rentrer dans une logique d’assistanat mais enferme dans une pauvreté silencieuse, une absence de lien social. La notion de réclusion pour comprendre l’exclusion en milieu rural La double problématique de l’isolement et de la stigmatisation se traduit de manière différente selon les populations concernées. L’IRTESS propose de nommer réclusion ce processus qui conduit des personnes ou des familles à se sentir comme assignées à résidence sur un territoire. La réclusion amène à croiser des phénomènes connus dans les processus de précarité comme le cumul de difficultés, la fragilisation, la marginalisation avec des phénomènes propres au territoire dans lequel ils se développent. Dans le cadre de la ruralité ces phénomènes sont «l’isolement et la mise à distance» liés à la rareté des ressources institutionnelles et publiques aidantes et à une forte visibilité sociale, source de stigmatisation. Cette double dimension anxiogène qui s’ajoute à des parcours difficiles se traduit par «un processus d’internalisation de leur exclusion qui les conduit à se refermer sur eux-mêmes, ajoutant à cette réclusion externe une réclusion interne». Les formes de l’intervention sociale Malgré la rareté des acteurs, les territoires ruraux sont occupés par les travailleurs sociaux, les bénévoles avec le soutien des collectivités locales. Les risques de précarité et de désaffiliation sont contenus même si certains territoires peuvent ne pas être couverts. Toutefois les acteurs soulignent la difficulté à combattre la pauvreté. Face à des situations de plus en plus ingérables, les intervenants sociaux développent selon leur territoire des modes de faire se situant sur un spectre de l’intervention sociale. Plus les acteurs agissent seuls 4 plus ils désespèrent et vont aller vers des modes classiques d’intervention centrés sur l’accompagnement individuel. Souvent dans ce cadre, l’assistance domine. Il s’agit d’éviter la chute. Même si elle est nécessaire, cette démarche d’assistance ne suffit pas à lutter contre l’exclusion et la pauvreté. Au contraire, cette logique contribue à la stigmatisation notamment en milieu rural. Ainsi ces logiques de prise en charge conduisent les personnes sur certains territoires à «intérioriser les stigmates de la pauvreté». Étude sur les processus d’exclusion et d’insertion en milieu rural Focus n° 1 - juillet 2009 Il ne s’agit pas d’abandonner l’accompagnement individuel. Il est au contraire l’outil qui permet d’aller vers, de faire une médiation entre la personne et l’extérieur et donc participer à la restauration de la personne. Il doit s’inscrire dans une forme d’intervention plus globale. Cette dernière conduit à une coordination et une articulation entre différentes prises en charge. L’accompagnement généraliste s’articule avec l’accompagnement spécialisé notamment en matière de santé et de logement et se coordonne avec des prises en charge plus collectives notamment liées à l’insertion par l’activité économique. Enfin la logique la plus intégrée en terme de prise en charge est quand l’articulation de ces prises en charge individuelles et collectives s’inscrit dans une dynamique de développement local qui permet aux personnes d’intégrer un collectif concernant des populations diverses du territoire et socialement valorisées. La mise en place de logique d’intervention collective doit être pensée en intégrant la question du transport. Ainsi les expériences étudiées montrent que si les intervenants sociaux se situent dans un projet interinstitutionnel et collectif, ils dégagent des capacités à innover et les acteurs sont moins désenchantés. Cette approche interinstitutionnelle renvoie dans un premier temps à la question des partenariats dans les territoires qui ne sont pas toujours faciles à construire. Afin d’éviter les effets mille feuilles des différents dispositifs, il s’agit de construire les complémentarités et les cohérences des interventions et co-produire. sur des volontés qui viennent d’en-haut et parallèlement sur une volonté ascendante. Ainsi cette dimension de projet territorial renvoie au politique et à la politisation du champ social «c’est-à-dire leur intégration dans un projet politique local qui considère les usagers comme des citoyens». Cette approche en terme de développement social local conduit à envisager la personne non par ses manques mais comme une personne qui a des capacités à se prendre en charge collectivement. Comme le territoire contribue à la désaffiliation sociale, les réponses construites par les acteurs sociaux dépendent «directement de la façon dont le social est encastré dans une construction institutionnelle suffisamment cohérente et de ce fait facilitante» sur le local. Ainsi de l’ensemble des expériences observées et des entretiens avec les acteurs locaux, il peut se dégager deux logiques de territoires qui se caractérisent par cinq dimensions. La première peut se qualifier de logique d’assistance et la seconde de logique de développement territorial. La réalité de chaque territoire se trouve entre ces deux situations. Ainsi les dynamiques interinstitutionnelles amènent à faire autrement et à développer à terme des projets et des moyens supplémentaires sur le local. Cette dimension collective et de projet territorial s’appuie Étude sur les processus d’exclusion et d’insertion en milieu rural Focus n° 1 - juillet 2009 5 Indicateurs pour la typologie des territoires au regard de l’action sociale Logiques d’intervention sociale Développement territorial versus Assistance Indicateurs La cohérence d’un cadre politique et institutionnel L’insertion des intervenants sociaux dans les démarches de développement local Structuration d’une organisation sociale locale de canton Cadre structurant Sans cohérence apparente Participation ou sentiment de participation Non évoquée En construction ou effective Absence Coopération Coordination Dispositif social local Monodimensionnelle et individualisée Registre des relations opérationnelles entre intervenants sociaux sur le territoire Méthodes de l’intervention sociale En conclusion, l’IRTESS préconise des pistes d’action en matière de formation du travail social. La notion de site qualifiant, comme espace de co-construction entre employeurs, futurs professionnels et établissements de formation, peut placer les territoires comme des «organisations apprenantes» au même titre qu’une organisation employeur. Ainsi les territoires ruraux peuvent par leur dimension de développement local s’avérer plus propices à l’acquisition de compétences stratégiques, à l’apprentissage du travail en partenariats, en réseau. Enfin il semble nécessaire de développer les compétences en ingénierie de projet dans le travail social. Typologie des dynamiques d’exclusion En s’appuyant sur la description de ces problématiques et le construit des acteurs rencontrés, le rapport nous propose différents profils relevant des figures traditionnelles de la pauvreté mais des aussi de figures spécifiques au secteur rural liées à la notion de réclusion. Les figures classiques de la pauvreté : § Des personnes fragilisées suite à une rupture occasionnelle § Des travailleurs pauvres dans une logique de précarité déstabilisatrice § Les personnes âgées à faible revenu dans une logique de dépendance intégrée § Les gens du voyage dans une dynamique de marginalité installée Les figures spécifiques au milieu rural § Les familles ou les personnes qui cumulent des difficultés parfois depuis longtemps. Elles sont venues s’installer par choix en milieu rural. Mais l’éloignement des services, l’absence de réseau social, le coût des déplacements ajoutés aux difficultés existantes conduit à vouloir partir de ce territoire pour aller vers la ville. Elles sont dans une logique de réclusion subie. A l’inverse, d’autres assument cette marginalisation et cet éloignement. Il s’agit d’un choix. On peut les qualifier dans la typologie de réclusion acceptée. § Les agriculteurs en difficulté ou les ouvriers agricoles se situent plus dans des logiques de réclusion inversée. Dans leur situation spécifique, la sortie du territoire ne peut pas être une solution à leurs difficultés. L’attachement au territoire rend toute logique de mobilité difficile. Ainsi la réclusion n’est pas subie elle est au contraire revendiquée. Sauf problème d’alcool, ils ne sont pas victimes de stigmatisation. Mais la réclusion reste un piège car elle ne permet pas d’envisager des solutions. § La dernière catégorie concernée est celle des jeunes avec de très faibles niveaux de qualification. La réclusion peut être dans une logique d’apathie qui installe les jeunes dans un ennui permanent ou dans une logique de réclusion destructrice qui peut conduire à des pratiques d’addiction. Démunis en termes d’éducation, d’ouverture culturelle, parfois victimes de violence familiale, isolés socialement, ces jeunes n’ont pas d’autre possibilité que de rester chez leurs parents. Cette étude a reçu le soutien du Conseil Régional de Bourgogne, Bourgogne, de la DRASS de Bourgogne, du Conseil Régional de Saône-et-Loire, du Conseil Général de l’Yonne, de Caisse Centrale de MSA, de la Fondation Caisses d’Epargne pour la solidarité, de la MSA de Saône-et-Loire. 6 Étude sur les processus d’exclusion et d’insertion en milieu rural Focus n° 1 - juillet 2009