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OCTOBRE 2015
LA BETTERAVE SUCRIÈRE
FACE AU RÉCHAUFFEMENT
CLIMATIQUE
AGRICULTURE
L’augmentation du CO2et, à
un moindre degré, des autres
gaz à effet de serre est
incontestablement due à l‘activité
humaine », indiquait l’Académie des
sciences dès 2010 dans son rapport sur
le changement climatique. Si l’effet de
serre est avant tout un phénomène
physique naturel qui permet à
l’atmosphère de réchauffer la Terre et de
limiter les variations de température, il
existe un effet de serre additionnel dit
« anthropique », car lié aux gaz produits
par les Hommes : vapeur d’eau, dioxyde
de carbone, méthane, protoxyde d’azote,
ozone... Ce sont les fameux gaz à effet de
serre (GES) qui sont, pour partie, à
l’origine du réchauffement global de la
planète et des évolutions climatiques.
Ainsi que le rappelle Hervé Escriou,
responsable du Département
scientifique de l’Institut technique de la
betterave (ITB), « l’élévation de la
température moyenne nationale est de
l’ordre de +1,5°C sur les quinze dernières
années, et les scénarios de croissance
climatique prévoient +1 à +2°C d’ici à 2050.
De plus, cela s’accompagne d’importants
changements au niveau des précipitations.
Bien que les volumes d’eau restent
globalement identiques, leur répartition
évolue, avec une alternance d’épisodes de
sécheresse et de phénomènes extrêmes
(orages, pluies diluviennes) qui génèrent des
dégâts : destruction partielle des cultures,
ruissellement, dégradation des sols… »
Prévenir et esquiver
les conséquences
du réchauffement
Comme la plupart des cultures végétales,
la betterave sucrière est exposée aux
conséquences des évolutions climatiques.
Le dérèglement climatique favorise
l’alternance d’épisodes de sécheresse et de
phénomènes météorologiques violents.
«
L’agriculture s’inscrit au cœur des enjeux mondiaux qui seront débattus à Paris, fin 2015, lors
de la Conférence des Nations Unies sur le réchauffement climatique (COP 21). Un sujet
complexe dans la mesure où l’agriculture est à la fois source de gaz à effet de serre et victime
des évolutions climatiques. Pour en limiter les impacts et réduire les émissions, le monde
agricole dispose de solutions opérationnelles. La culture betteravière en offre des exemples
concrets.
AGRICULTURE
Dans un premier temps, on a constaté que
celles-ci pouvaient avoir un aspect
bénéfique en termes de rendements en
sucre. « En effet, explique Hervé Escriou,
l’augmentation des températures et du taux
de CO2dans l’atmosphère stimule la
photosynthèse qui, de fait, favorise le
développement de la biomasse et accroît les
quantités de sucre stockées dans chaque
plante. On estime ainsi que le réchauffement
climatique serait, pour moitié, à l’origine de
la progression des rendements enregistrés
depuis les années 1990. Lautre facteur
permettant dexpliquer les performances de
rendements de la filière betterave-sucre
française1réside dans les progrès accomplis
aux niveaux de la génétique (sélection
variétale) et des pratiques culturales. »
Reste que ce coup de pouce est à double
tranchant dans la mesure où le
réchauffement climatique peut également
pénaliser les cultures : non seulement les
épisodes de sécheresse freinent le
développement de la plante, mais en plus,
elle cesse complètement de pousser à
partir de 35°C. À moyen terme, le stress
hydrique associé à des températures
élevées représente donc une réelle menace
pour la betterave sucrière, et cela même
dans ses zones de prédilection, la moitié
nord de la France, qui lui sont
traditionnellement favorables en raison
d’un climat tempéré et des bons niveaux
de précipitations.
Afin de répondre à cette situation, les
acteurs du monde betteravier (planteurs,
semenciers, chercheurs…) ont mis au
point des stratégies visant à doter les
plantes de moyens de défense accrus. Cela
se traduit tout d’abord sur le terrain, avec
un décalage des cycles culturaux afin
d’éviter les épisodes de sécheresse en fin
de saison. Lorsque les conditions le
permettent (absence de gelées, sols non
détrempés), les semis sont effectués la
première quinzaine de mars, soit avec
presque un mois d’avance par apport aux
dates habituelles. Ensuite, la recherche
travaille en permanence à la mise au point
de variétés mieux tolérantes au stress
hydrique et de variétés plus résistantes à
certains parasites et autres maladies dont
les modifications du climat favorisent
l’apparition ou la prolifération.
Réduire les émissions
de gaz à effets de serre
Enfin de nouvelles pratiques culturales
sont mises en œuvre afin de répondre,
plus spécifiquement, aux défis posés par
des sols très secs. « La sécheresse complique
la lutte contre les adventices (mauvaise
herbes), confirme Hervé Escriou. Les
désherbants sont moins efficaces, et pour ne
pas recourir à une augmentation des doses de
produits, les agriculteurs privilégient
aujourd’hui les techniques de binage et de
désherbage mécanique. » Cette initiative
s’inscrit dans une dynamique plus large,
portée par le rapide développement de
nouvelles pratiques culturales et de
« l’agriculture de précision », dont l’objectif
est de réduire l’impact climatique et
environnemental.
Au niveau mondial, l’agriculture est en
effet le troisième secteur émetteur de
GES, loin derrière l’industrie et les trans-
ports, avec environ 12 % des émissions
globales. Si elle produit peu de CO2, elle
délivre en revanche des gaz dont l’impact
est supérieur en terme de réchauffement.
Principalement du méthane (CH4), généré
par l’élevage (fermentation entérique des
ruminants, fumiers), qui représente 56 %
des émissions agricoles2. Puis, dans une
moindre mesure, du protoxyde d’azote
(N2O), issu de l’épandage d’engrais de syn-
thèse nécessaires aux cultures (13 %)2. Le
dioxyde de carbone est, quant à lui,
produit par les équipements motorisés, le
chauffage des serres et bâtiments et par la
combustion de résidus.
6GRAIN DE SUCRE n°37
Le développement d’une agriculture de précision soutenue par les hautes technologies est un des leviers que la culture betteravière met à
profit pour prévenir l’impact des évolutions climatiques et réduire son bilan carbone.
Les cultures végétales disposent, par elles-
mêmes, d’un premier atout pour rééquilibrer
leur « bilan CO2» grâce à la photosynthèse
chlorophyllienne, qui est un allié redoutable-
ment efficace pour capter et stocker du gaz car-
bonique. Cet avantage se traduit à deux
niveaux. D’une part, les surfaces cultivées
contribuent activement à la réduction globale
des gaz à effet de serre. D’autre part, les
ressources végétales utilisées à des fins non
alimentaires (biocarburants, chimie verte…)
n’augmentent pas, à la fin de leur cycle d’usage,
la quantité de GES émis dans l’atmosphère, à
la différence des ressources extraites du sol.
En France, au-delà de ces acquis, les agri -
culteurs se sont mobilisés de longue date pour
mettre en place des techniques et des pra-
tiques ayant un impact positif au plan environ-
nemental, et plus spécifiquement au niveau
des émissions de N2O. Au cours des quinze
dernières années, les apports d’azote minéral
ont été réduits de 30% sur l’ensemble des
grandes cultures et, pour la betterave sucrière,
la baisse atteint 44% sur quarante ans3. La
quantité annuelle de N2O émise par l'agricul-
ture française est ainsi en baisse de 17 % par
rapport à 1990, et celle de CH4a diminué de
2%
4. D'autre part, la progression des rende-
ments en betteraves (+ 1,1 t par hectare et par
an au cours des trente dernières années) se
traduit par une augmentation des quantités de
CO2stockées par hectare, et donc par une par-
ticipation accrue à la réduction des émissions
globales de CO2.
Une agriculture de pointe
Afin de rendre les apports d’azote plus efficients,
autrement dit afin d’apporter moins d’azote à
productivité égale, de nouveaux protocoles sont
mis en place, comme les cultures intermédiaires
(couverts végétaux provisoires qui fixent l’azote
sur le sol entre deux cultures), le pilotage de pré-
cision (qui adapte les interventions et les
apports au juste besoin), ou encore l’enfouisse-
ment localisé (l’engrais n’est pas épandu mais
déposé au niveau de la graine). Les bénéfices en-
vironnementaux de ces pratiques culturales ont
été formellement identifiés : diminution des
pertes dazote par volatilisation dans l’air, baisse
des rejets de microparticules, réduction du
phénomène de lessivage des nitrates vers les
nappes phréatiques...
Parallèlement, ces techniques diminuent le nom-
bre de passages sur les parcelles, ce qui engendre
une moindre consommation de gazole et donc
moins de rejets de CO2… Et les résultats sont là.
En France, les émissions de GES d’origine agricole
ont chuté de 10 % entre 1990 et 20155. Enfin,
plus en aval, les différents acteurs de la filière su-
crière investissent et se mobilisent eux aussi, au
niveau des activités industrielles et logistiques,
pour abaisser le bilan carbone du sucre qui arrive
sur la table des consommateurs (voir Grain de
sucre n°35). À l’heure où le monde entier s’apprête
à converger vers la France pour débattre du
réchauffement climatique, la culture betteravière
française s’inscrit résolument à la pointe d’une
course de vitesse à laquelle le monde agricole en-
tend apporter toute sa contribution.
1
Avec des rendements de l’ordre de 13 tonnes de sucre par hectare,
la France se situe dans ce domaine au premier rang européen.
2
Source : FAO
3
Source : Colloque Syndicat des Énergies Renouvelables-France
Biomasse Énergie, 30 juin 2015
4
Source : Rapport CGAAER, octobre 2014
5
Source : Inventaire France, périmètre Kyoto, CITEPA/MEDDE, avril
2014
Canne à sucre et autosuffisance énergétique
Sous d’autres latitudes, la canne à sucre participe elle aussi à la lutte contre le réchauffement climatique. Sur l’île de La
Réunion, les acteurs de la filière canne-sucre ont choisi de faire porter leurs efforts sur l’optimisation énergétique. Depuis
plus de 25 ans la bagasse (résidus de la canne après extraction du sucre) est utilisée comme combustible pour produire de
l’énergie électrique et de la vapeur.
Non seulement ces énergies renouvelables couvrent la totalité des besoins des deux sucreries de l’île mais en plus le
dispositif, excédentaire, permet d’alimenter le réseau local d’électricité pendant la campagne sucrière. Sachant qu’une tonne
de bagasse équivaut à 260 kg de charbon ou 180 l de fioul, la bagasse se substitue ainsi aux combustibles d’origine fossile
pour délivrer, au final, un bilan CO2neutre.
Côté pratiques culturales, tout comme pour la culture betteravière, les techniques mises en œuvre pour la production de
canne à sucre évoluent elles aussi. Par exemple, en gérant au mieux le paillis laissé au champ, il est possible de limiter
l’enherbement tout en fournissant du fourrage aux filières locales d’élevage. Les co-produits des sucreries (écumes, cendres
de bagasse) sont utilisés pour réduire la fertilisation minérale. D’autres projets sont à l’étude comme des méthodes
alternatives de lutte contre les mauvaises herbes avec l’utilisation de plantes de « services » ou encore l’application des
techniques culturales simplifiées pour
réduire le nombre de passages des
tracteurs.
Enfin, côté prévention des impacts
climatiques, la filière canne-sucre
réunionnaise bénéficie avec eRcane d’une
structure de recherche dont les travaux
d’amélioration variétale permettent de
mettre à la disposition des planteurs des
variétés de cannes à sucre capables de
s’adapter aux évolutions du climat et aux
conditions de culture à échelle locale.
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OCTOBRE 2015
Mesure de la teneur en sucre des
betteraves dans une sucrerie.
Si l’augmentation des températures
favorise, jusqu’à un certain niveau,
la concentration en sucre,
elle peut également nuire au
developpement de la plante.
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