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à
l'intérieur du système hindou des castes, auparavant dominant. De
cette histoire est résultée la représentation d'un islam syncrétique,
profondément divisé au XIXème siècle entre classes populaires et
élite. La fracture qui marque l'islam bengali a débouché sur la vision
forgée par les couches supérieures de leur allochtonie mythique,
supposée garantir leur adhésion
à
un islam purifié par sa proximité
géographique avec la terre et la lignée du prophète.
Parallèlement, l'islam du peuple autochtone a été relégué vers
l'impureté, l'impossible éradication des symboles et des pratiques
issues du passé hindouiste, l'animisme, bref un amalgame religieux
incluant
le
'pirisme' (le
pir
est selon les cas un guide ou une sorte de
chef sectaire musulman),
le
culte des
saint's
et des tombeaux. Cette
dévalorisation de l'islam populaire, supposé éloigné de l'orthopraxie
islamique construite sur la norme originaire de l'islam "arabe"
a
instruit dans la conscience des acteurs un sentiment d'infériorité en
regard de leurs pratiques religieuses. La perception intériorisée d'un
risque endogène de déviance, d'écart, pouvant être l'objet d'une
accusation de la part des législateurs attitrés de l'islam, avive la
potentialité d'une culpabilité personnelle et collective
;
celle-ci
constitue la topique sensible aisément exploitable par tout leader
arguant d'un nécessaire retour aux sources de l'islam.
L'illégitimité entretenue
-
en particulier par les classes supérieures
envers leurs subalternes
-
rend inévitable que toute perspective de
relégitimation soit investie par ceux qui
se
sentent déficients en matière
religieuse, d'une légitimité dont l'ambivalence intrinsèque ne pourra
être contrée que par la mémoire de la période fondatrice du
Bangladesh. Ces lignes de distinction sociale et hiérarchique, qui
traversent la construction de l'islam au Bengale et qui viennent
contredire l'idée d'égalité dans
le
dogme religieux, apparaissent aussi
diterminantes dans
les
logiques d'identification des acteurs. Loin
d'stre unitaires, celles-ci donnent
à
voir tout au long de l'histoire un
oscillement permanent entre l'identité religieuse et l'identité bengalie,
matérialisée au plan culturel par la langue. Cette fission au sein de
l'édification identitaire
se
présente comme incolmatable, y compris
lorsque l'islam est convoqué, par exemple, contre la colonisation
britannique. Autrement dit, l'appartenance
à
l'islam ne saurait en fin
de compte épuiser la recherche identitaire, recouvrir totalement
les
matrices culturelles, comme l'enseigne avec force la période de lutte
pour l'indépendance de cette province du Pakistan dénommée
à
l'époque Bengale de l'Est.
Pour bien saisir la place attribuée
à
l'islam dans l'identification
collective au cours de ces moments décisifs, un angle d'attaque
pertinent consiste
à
réinterroger les perceptions indigènes présidant au
combat en considérant que la construction de sens est,
ici
comme
ailleurs, loin d'être une évidence "objective" mais désigne bien plutôt
les enjeux qui travaillent les représentations.