Le Vieux Juif blonde : du drame universel au drame intime Du 28

Culture, le magazine culturel en ligne de l'Université de Liège
© Université de Liège - http://culture.ulg.ac.be/ - 25/05/2017
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Le Vieux Juif blonde : du drame universel au drame intime
Du 28 novembre au 14 décembre, la compagnie Artaban présente au Centre Culturel Bruegel, à Bruxelles,
Le Vieux Juif blonde d'Amanda Sthers, dans une mise en scène d'Antoine Motte dit Falisse. Ce texte
contemporain y est doté par de jeunes artistes d'une approche originale et audacieuse.
C'est au sein du quartier des Marolles, dans un
centre Bruegel actuellement en travaux de rénovation, que se joue cinq soirs par semaine et pour encore
quinze jours une pièce au nom étonnant : Le Vieux Juif blonde. Il s'agit d'une œuvre de l'écrivain français
Amanda Sthers, publiée en 2006 chez Grasset et créée la même année à Paris, au Théâtre des Mathurins,
par Jacques Weber, avec l'actrice Mélanie Thierry comme interprète. Néanmoins, c'est pourvus d'un regard
neuf que les membres de la compagnie Artaban se sont approprié ce texte, qu'ils n'avaient jamais vu
représenté. Sous la direction d'Antoine Motte dit Falisse, ce qui était à la base un monologue est devenu
un spectacle mobilisant plusieurs comédiens, de la musique et même quelques pas de danse, tout en
conservant une grande sobriété dans sa mise en scène.
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Le projet trouve sa constitution au Conservatoire Royal de Bruxelles, dont ses cinq artisans sont issus, mais
son origine remonte aux humanités artistiques d'Antoine Motte dit Falisse à l'Athénée Royal de Fragnée, où
il se découvre un coup de cœur pour ce texte tout juste édité. Il s'est entouré de Laura Dussard et de Valéry
Stasser, diplômés comme lui en théâtre et art de la parole, ainsi que de Chloé Burlet qui, elle, a effectué son
cursus en violon et d'Eve Louisa Oppo qui est chargée de l'assistanat à la mise en scène. Portée par cette
équipe, leur version de la pièce est concrétisée une première fois en 2010 à l'occasion du festival Courants
d'Airs, avant de l'être à nouveau actuellement - cette fois dans un cadre professionnel - grâce à l'accueil
du Centre Culturel Bruegel qui la coproduit. Il est à noter que cette œuvre, qui vient d'être libérée d'une
exclusivité sur ses droits de représentation, jouit d'une certaine popularité puisqu'elle a déjà été produite à
Bruxelles au mois d'octobre, dans une mise en scène toute différente de Jack Levi.
Histoire à deux échelles, la pièce présente imbriqués l'un dans l'autre le drame personnel d'une fille
de vingt ans et - plus implicite - le traumatisme universel de la Shoah.
Le Vieux Juif blonde, c'est l'histoire de Sophie : une jeune fille de première apparence ordinaire. Mais
c'est aussi celle de Joseph Rosenblath, né à Vienne en 1931, qui partage son corps. Joseph est juif ;
vieux aujourd'hui, il a survécu à Auschwitz. Le Vieux Juif blonde, c'est donc aussi l'histoire d'une maladie
appelée trouble schizoïde et de l'incongrue cohabitation qu'elle suscite. Elle emprunte des aspects du
récit de mémoire, bien sûr (la Shoah est un thème cher à Amanda Sthers, qui créa pour la Télévision
française juive l'émission « Histoires d'en parler » visant à recueillir des témoignages de rescapés des
camps de concentration), mais se constitue avant tout comme un drame intime, qui met en scène tour à
tour la détresse du vieil homme et les blessures de la jeune fille ; l'impatience de la mère et le désarroi du
père. C'est une histoire de blessure, au fond, car cette étrange situation n'est pas dépourvue d'une cause
enfouie...
La salle est petite, d'une capacité de quelque quarante spectateurs. Les gradins resteront inoccupés car l'on
est invité à prendre place en rond sur des chaises. Au centre, les acteurs sont déjà présents, immobiles.
Pas de scène surélevée ici ; chacun est au premier rang et voit évoluer les comédiens à trois pas de lui,
souvent plus près encore. Cette disposition inhabituelle et intimiste convient particulièrement à une pièce
dont l'identité personnelle est le fil rouge ; selon l'expression de Valéry Stasser : ce cercle, c'est un crâne.
L'obscurité règne d'abord, puis l'on visse une ampoule à un socquet qui pend du plafond. Elle clignote
d'abord, chancèle un peu au bout de son fil puis se stabilise et enveloppe le plateau d'une lumière diffuse.
Ce sont les trois coups de brigadier de cette mise en scène moderne : le conte commence. Les comédiens
s'animent, le parquet craque.
Le spectateur étant au plus prêt de l'action, la mise en scène rejoint l'absence de pudeur du texte.
Écartelé entre plusieurs interprètes, Le Vieux Juif blonde n'en reste pas moins du théâtre de
l'intériorité, qui présente une véritable plongée dans l'intimité de son protagoniste.
C'en est vraiment un, de conte, car c'est au public que les comédiens s'adressent, l'interpelant souvent,
cherchant ses regards. Le monologue est assumé par Laura Dussard et Valéry Stasser dont les prises de
paroles s'alternent, parfois se superposent. Il n'y a pas de coulisses, dans ce théâtre ; mêmes muettes, les
deux identités de Sophie - en scène déjà avant l'entrée du public - n'iront nulle part avant le dénouement
final. Une audace de la mise en scène se trouve dans le partage du texte : contrairement à ce qu'on
aurait pu attendre, c'est Laura qui prend en charge les passages où transparait la personnalité de Joseph
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Rosenblath, le vieux juif, et Valéry qui narre ceux focalisés sur Sophie, explicitant ainsi le basculement
incessant du texte d'une personnalité à l'autre. L'effet est cependant réussi car cette dichotomie sexuelle
entre l'interprète et son personnage est abordée avec une grande sobriété, sans que le jeu d'acteur tombe
jamais dans la caricature.
Avec cette ambiance de veillée, où l'ampoule électrique joue le rôle du traditionnel feu de bois, l'on n'est
pas étonné d'entendre bientôt le son du violon. Parce que Sophie s'en plaint souvent : elle a des violons
dans le cœur et dans la tête qui jouent « faux fort », qui s'amusent d'elle, « [riant]avec leurs rires de violons,
à faire des blagues de violons, à jouer de vieux airs de vieux violons ». Or, comme c'est dans la tête du
personnage que le cercle de spectateurs se trouve, la violoniste fait tout cela en son centre, de cette
façon aussi explicitant le texte. L'instrument se fait donc tour à tour ironique, discordant, oppressant même
et souligne ainsi ces moments de tension ou de relâchement. Il y aura également place pour de vraies
mélodies, dont une accompagnées de paroles en yiddish, pleine de mélancolie. Mais le rôle de Chloé Burlet
ne se cantonne pas à celui d'orchestre : elle incarne un personnage, elle aussi, qui sert d'arbitre lorsque
le besoin s'en ressent, interrompant le vieux juif qui, goguenard, veut sans cesse raconter des blagues ou
couvrant de ses coups d'archet la dispute de Sophie et de ses parents.
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La pièce dure environ une heure, qu'on ne voit pas passer. Des premières tirades volontiers
sarcastiques du vieux juif - certes fort grincheux mais plein d'humour - l'on passe aux
questionnements d'une Sophie à l'identité tiraillée, tandis que le voile de son mal-être se lève
progressivement.
Le Vieux Juif blonde telle qu'elle est mise en scène par la compagnie Artaban est une pièce d'une grande
sobriété. C'est dans un décor presque vide que les interprètes évoluent, se reposant avant tout sur la
richesse du texte et leur talent d'acteur pour donner vie à ce drame humain. Pas d'accessoires non plus,
si ce n'est des barrettes à cheveux et un T-shirt rouge, qui sont là en tant que symboles du traumatisme et
de son dénouement plutôt que dans une intention mimétique. Le conte n'a pas besoin de plus : guidé par
le violon, la voix et le regard, son public s'aventure sans résistance dans le monde de Sophie, qui cache
derrière son pitch sommaire le large panel d'émotions des grandes œuvres. Une belle réussite.
Au terme de la représentation, nous sommes allé à la rencontre de la compagnie Artaban, afin de
discuter avec ses membres des particularités de cette mise en scène…
À la base, Le Vieux Juif blonde est un monologue, mais réparti, dans cette mise en scène, entre
deux personnages. Ce découpage s'est-il imposé de lui-même ou a-t-il été fait en fonction du groupe
d'acteurs disponible ?
Ève Louisa Oppo : C'est une idée d'Antoine Motte dit Falisse, le metteur en scène, qui est apparue à sa
lecture du texte et qui précède donc l'équipe : diviser Sophie et le vieux juif. Et la violoniste. Ce sont trois
personnalités, qu'il a voulu faire apparaître chacune séparément. C'est une vraie volonté de mise en scène,
qui a du sens : c'est donner matière à chaque identité qui apparaît dans le texte. Cependant la pièce est
prévue pour une jeune femme, qui prend en charge les deux personnalités. Dans les didascalies, c'est
bien clair que c'est une seulepersonne ; c'est écrit comme un monologue. C'est la volonté d'Antoine de le
fracturer, à destination du plateau.
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Cette division s'est faite à la fois logiquement, puisqu'elle suit la focalisation du texte, et
illogiquement puisque les interprètes sont comme inversés : Laura joue le rôle du vieux juif, et
Valéry celui de la jeune fille...
Eve : C'est la deuxième idée de mise en scène qui lui est apparue spontanément. Cela prolonge l'idée
de la schizophrénie, que les personnalités ne sont pas à leur place. Il y a trouble de l'identité, que ce soit
l'identité sexuelle, l'identité de genre, l'identité mentale... Tout cela se rejoint. L'idée de la dualité dans la
schizophrénie est reprise au travers du genre.
Faut-il y voir un postulat théorique, disant qu'il y a une part féminine et une part masculine chez
chacun ?
Eve : Cela s'est fait instinctivement. C'était surtout une idée intéressante par rapport au fait qu'il s'agit d'une
adolescente qui n'est pas bien dans son corps. De là est venue cette inversion des sexes. C'est après - bien
après car on est trois ans après la première mise en scène - qu'on s'est mis à réfléchir aux liens que cette
décision pouvait avoir avec les études de genre et à tout ce que cela peut connoter philosophiquement. On
n'a pas voulu traiter l'identité de genre ; c'est venu en accord avec nos idées et, surtout, en accord avec la
pièce. Il ne s'agit pas de superposer ce thème très actuel sur un texte existant, c'est plutôt intrinsèque au
personnage de Sophie ; cette dualité existe dans le texte. Cela dit, sans que ce soit pour nous une volonté
première, nous sommes en accord avec ce que cette mise en scène peut connoter.
Dans le texte édité, il y a une scénographie suggérée, assez précise. Vous ne l'avez pas conservée...
Laura Dussard : La scénographie est
venue avec la division du texte, avec l'envie que les gens se sentent concernés. On a donc évité de faire un
truc frontal. À partir du moment où on est en cercle, on ne pouvait pas employer des miroirs, des poupées...
Il fallait quelque chose d'épuré, où il y ait juste Sophie.
Eve : Le cercle représente un peu l'enfermement dans lequel elle est, l'oppression. C'est la tête de Sophie.
À nouveau, c'est une volonté de départ d'Antoine, très précise. L'ampoule a une importance magistrale : elle
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