Discours - Académie des sciences

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INSTITUT de FRANCE
Académie des sciences
Séance Solennelle
Mardi 25 novembre 2003
Réponse de David SABATINI
Lauréat de la Grande médaille de l’Académie des sciences
C’est, bien sûr, un grand honneur pour moi de recevoir la Grande Médaille d’Or de
cette vénérable Institution. Pour quelqu’un comme moi, qui est né et a été éduqué en Argentine,
cette reconnaissance a une signification additionnelle toute particulière parce que j’appartiens à
une génération qui, dans ce pays lointain, cherchait en Europe, et en particulier en France, une
nourriture intellectuelle et culturelle et aussi l’inspiration. Quelques une des figures marquantes
de la Science argentine telles Bernardo Houssay et Luis Leloir, lauréats du Prix Nobel, qui
pendant ma jeunesse incitèrent de nombreux disciples à emprunter leurs pas dans les domaines
de la biochimie et de la physiologie, avaient des racines profondes dans ce pays. Cela va peutêtre vous amuser d’apprendre qu’à cette époque les exposés présentés à Buenos-Aires lors
des rencontres mensuelles de la Société argentine de biologie étaient résumés, traduits en
français par le Professeur Houssay et publiés dans les Comptes Rendus de la Société de
Biologie de Paris. Et c’est de cette façon que ma première publication scientifique a vu le jour.
Lorsque je considère la stature scientifique de ceux qui m’ont précédés comme
récipients de la Grande Médaille d’Or, j’ai du mal à croire que je suis vraiment digne de cet
honneur. J’ai plutôt le sentiment que j’ai eu la chance de jouer un rôle dans le développement
d’une discipline qui était mûre pour accueillir les découvertes nouvelles.
Puisque j’ai été le témoin de l’intérieur du bourgeonnement spectaculaire de la biologie
cellulaire, le domaine de vocation que j’ai choisi, qui aujourd’hui occupe une scène centrale
parmi les sciences biomédicales, je vais utiliser cette occasion pour réfléchir sur les
circonstances et les changements qui, de mon vivant, ont accompagnés la maturation de cette
discipline, d’une science de morphologie née au début du dix neuvième siècle, à une qui est
venue au contact de nombreuses autres disciplines, en particulier de la biochimie, la génétique et
la biologie du développement qui en sont devenus parties intégrantes et inséparables.
Bien évidemment, la biologie cellulaire fut engendrée par l’invention du microscope
optique qui, par la suite, a prouvé la validité d’ensemble de la théorie cellulaire et aussitôt
commença à révéler l’existence des organites subcellulaires et la complexité énorme du
cytoplasme. Intrigué par les représentations artistiques plutôt fantaisistes de l’organisation du
cytoplasme que l’on trouve dans les premiers traités d’histologie et de pathologie, j’étais attiré
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par le microscope comme l’instrument que j’utiliserais pour pénétrer les secrets de la cellule.
J’étais fasciné par des questions telles que celles de savoir si les mystérieux organites cellulaires
différents, bien que coopérant vraisemblablement les uns avec les autres pour soutenir l’activité
de la cellule, avaient “une sorte de vie propre”. Ou, pour l’exprimer d’une façon plus
scientifique, par quels mécanismes se perpétuaient-ils comme structures distinctes à l’intérieur
de la cellule et d’une génération cellulaire à une autre tout en retenant leur individualité. Si peu
était connu concernant ces questions que je les considérais presque équivalentes aux questions
se rapportant à la structure de la matière elle-même.
J’ai eu le privilège de joindre le domaine de la microscopie électronique sous la tutelle
d’Eduardo De Robertis, l’un des pères de la biologie cellulaire moderne et un maître dans l’art
de la microscopie, et bientôt, je fût capable de jeter un coup d’oeil aux “entrailles” de la cellule
au travers des yeux puissants du microscope électronique. Je pouvais donc voir de première
main que les organites eux-mêmes étaient dotés d’une architecture propre complexe, qui, bien
évidemment, impliquait une organisation moléculaire spécifique. En fait, les décennies des
années cinquante et soixante ont étés marquées par le développement des techniques
biochimiques de fractionnement cellulaire et de leur mariage ultérieur à la microscopie
électronique. L’analyse de quantités en masse des constituants subcellulaires purifiés a abouti à
la démonstration que les différents organites avaient des compositions chimiques et
enzymatiques définies leurs permettant d’accomplir des fonctions spécialisées essentielles pour
la vie de la cellule.
Au moment où je me suis rendu aux Etats-Unis, on savait depuis longtemps que les
protéines sont les constituants fonctionnels majeurs de la cellule, mais le processus par lequel les
protéines elles-mêmes sont synthétisées était un mystère jusque vers la fin des années cinquante
quand il a été reconnu que la synthèse des protéines a lieu dans les ribosomes, qui, dans le cas
des cellules eucaryotes, avaient été découverts par Palade en 1953 comme les “petits
constituants granulaires du cytoplasme”. Néanmoins, jusqu’en 1961, lorsque Jacob et Monot
proposèrent l’hypothèse de l’ARN messager, l’idée qui prévalait était que les ribosomes
individuels étaient “congénitalement spécialisés” à synthétiser des protéines spécifiques.
[C’était l’année où j’ai joint le laboratoire de George Palade à l’Institut Rockefeller,
étant déterminé à travailler sur la synthèse des protéines qui s’effectue au niveau du réticulum
endoplasmique, un organite membranaire contenant d’abondants ribosomes attachés qui avait
été découvert grâce à la microscopie électronique et qui, comme on l’avait montré, était
l’endroit où les protéines sécrétoires étaient synthétisées.]
Bien que l’énigme du mécanisme par lequel les ribosomes décodent l’information
génétique dans les ARN messagers avait été essentiellement éclaircie au début des années 1960
par des biochimistes travaillant sur des bactéries; à cette époque, peu de gens étaient concernés
par ce qui me semblait être un mystère encore plus grand : celui de la nature des mécanismes et
voies qui assurent dans les cellules eucaryotes que les protéines une fois synthétisées deviennent
les pièces structurales des organites dans lesquels elles accomplissent leur fonction. Bien que
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notre connaissance des propriétés des membranes fut maigre, il était difficile d’imaginer
comment des protéines pouvaient traverser librement les barrières membranaires intracellulaires
omniprésentes qui délimitent les compartiments subcellulaires. Depuis cette époque, beaucoup
de travaux dans un grand nombre de laboratoires de par le monde, y compris le mien, ont été
consacrés à des questions de ce type et, à partir d’un intérêt initial pour la biogenèse des
membranes et des organites, un nouveau domaine, celui du trafic des protéines, a prospéré. A
l’heure actuelle, grâce aux avancées spectaculaires des technologies d’imageries, nous sommes
capables de visualiser directement les voies de transport intracellulaires en suivant à l’intérieur
d’une cellule le voyage de protéines qui ont été rendues lumineuses par le chercheur.
Le vingtième siècle, à la suite de la redécouverte des lois de Mendel et de leurs
explications en termes de comportement des chromosomes, a été le témoin du développement
explosif de la génétique qui a mené à la révolution de l’ADN. Cela a débuté par l’identification
de l’ADN comme dépôt de l’information génétique et, alimenté par l’éclaircissement de la
structure de la molécule d’ADN, a mené au développement phénoménal de la biologie
moléculaire, une discipline qui était à l’origine presque exclusivement concernée par la
replication et l’expression de l’information génétique.
Cela nous amène à l’ère des technologies de recombinaison de l’ADN au début des
années 1970 qui ont pourvu le fondement technique des avancés rapides dans les sciences
biologiques dont nous sommes actuellement les témoins. Ici, les avancées technologiques qui
nous permettent d’isoler, de muter et d’exprimer des gènes à volonté dans des cellules en
culture et dans des animaux transgéniques ont conduit à la phase la plus nouvelle de la biologie
cellulaire, celle de la biologie cellulaire et moléculaire. L’étude de la biosynthèse et de la fonction
de n’importe quel constituant cellulaire fait autant partie de cette nouvelle discipline que l’étude
des mécanismes qui contrôlent l’expression d’un gène.
Le mélange des techniques et d’approches de biologie cellulaire, biochimie et génétique
qui doivent être utilisées à l’heure actuelle dans l’étude de presque n’importe quel problème de
biologie a effacé les limites, qui pendant toutes les années passées, ont définies les différentes
disciplines traditionnelles.
Alors que pour la plus grande partie du siècle passé notre domaine de recherche a fait
de grandes enjambées avec l’approche analytique consistant à déconstruire la cellule en ses
constituants, ce qui est essentiellement la méthode réductionniste qui a dominé les sciences
biologiques depuis la chute du vitalisme, une nouvelle étape de la biologie cellulaire que
j’appellerais la phase synthétique a déjà commencé. Cela consiste à reproduire dans le tube à
essai les interactions qui ont lieu entre les organites durant leur fonction et leur biogenèse. Le
progrès dans ce domaine est en train de devenir tellement rapide tant les méthodes de biologie
moléculaire et génétique permettent l’identification et la modification des protéines qui jouent
des rôles clés dans ce processus, que nous allons peut-être à notre guise vers la reconstitution
d’une cellule vivante à partir de ses constituants dispersés semi-synthétiques. Ce jour-là
marquera la naissance du Génie Cellulaire.
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Pendant plus d’un siècle et demi, la biologie cellulaire s’est efforcée de décrire et
d’expliquer les propriétés générales de la cellule en tant qu’unité intégrée. Maintenant, bien plus
de ses efforts sont dévoués aux défis engendrés par la biologie du développement. Parmi les
plus importants sont l’élucidation au niveau moléculaire des programmes génétiques qui mènent
à la génération de différents types de cellules spécialisées et les interactions intercellulaires qui
orchestrent l’assemblage de ces cellules en tissues, en organes et en systèmes.
Après tout, notre humanité et la curiosité qui nous a amenés ici aujourd’hui sont des
propriétés émergentes des collections de cellules.
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