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Version du 13/12/2009.
A quelques amis et connaissances
du monde des médias, de la politique et des communautés religieuses
A toute personne concernée
Voici deux textes proposés à votre lecture et à votre réflexion.
Si vous le jugez bon, vous pouvez les faire connaître à toute personne qui pourrait être intéressée.
Je me désolidarise de toute citation partielle hors contexte. Seuls les textes complets expriment ma pensée actuelle.
I. Après le vote sur l’initiative anti-minarets (29 novembre 2009)
De l’ébranlement à la reconstruction
par Shafique Keshavjee
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« Il y a un temps pour démolir et un temps pour reconstruire »
L’Ecclésiaste, 3/3
L’acceptation le 29 novembre 2009 de l’initiative anti-minarets par 57,5% de la population suisse a été un
choc
2
.
* Choc pour les initiants eux-mêmes qui ne s’attendaient pas à un tel succès.
* Choc pour bien des acteurs du monde politique, médiatique et religieux qui, opposés à l’initiative, ont
découvert qu’une grande partie de la population suisse ne les avait pas suivis.
* Choc pour de nombreux musulmans de Suisse, d’Europe et du monde qui, soudain, ont découvert que
quelque chose de leur religion était pointé du doigt, critiqué et discriminé.
* Et aujourd’hui, s’y ajoute encore un choc entre ces groupes…
Il n’est pas facile d’avoir une parole claire sur ce choc et ses effets, car il est pratiquement impossible
dans une même parole, de s’adresser à ces trois publics si différents et si disparates
3
.
Trois paroles sont donc nécessaires :
1. pour les musulmans de Suisse (d’Europe et du monde)
2. pour les partisans de l’initiative
3. pour les opposants à l’initiative
A cela, il faut rajouter une quatrième parole pour les rassembler
4
.
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Pour ceux qui ne me connaissent pas, je suis actuellement professeur de théologie à Genève et à Lausanne après avoir été
pasteur pendant bien des années (en paroisse, puis impliqué dans le dialogue œcuménique et interreligieux, ainsi que dans des
questions d’engagement éthique des Eglises). Avec d’autres, j’ai fondé la maison de l’Arzillier à Lausanne, maison de dialogue
entre Eglises, religions et spiritualités. Je suis aussi écrivain (auteur des livres Le roi, le sage et le bouffon (consacré au
dialogue interreligieux) et La princesse et le prophète (consacà la mondialisation), ouvrages parus aux éditions du Seuil à
Paris et traduits dans de nombreuses langues (bulgare, turc, russe, coréen, chinois, japonais…). Par ailleurs, j’ai émembre de
la Constituante vaudoise.
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Le journal 24 heures, dans son édition du 30 novembre, a titré en grand sur la première page : « Le choc ».
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Pour une bonne analyse à chaud (29 novembre) de l’adoption de cette initiative, cf. de Jean-François Mayer : « Analyse : le
peuple suisse décide d’interdire la construction des minarets » (http://religion.info/french/articles/article_454.shtml). L’auteur
passe en revue la diversité des motivations qui ont poussé à son acceptation.
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Pour la clarté de mon texte, je dois dire que j’ai vocontre l’initiative en considérant que c’est une mauvaise réponse à une
bonne question. L’article constitutionnel donne un mauvais signal, car il stigmatise dans la Constitution une Communauté
particulière et crée un amalgame entre tous les musulmans qui sont d’une extraordinaire diversité. La décision étant prise, il est
possible soit de chercher à l’invalider (ce qui serait une mauvaise réponse à une mauvaise réponse ; car l’initiative, même
mauvaise, ne remet pas en question la démocratie en osant critiquer une minorité qui pourrait saper les fondements de la
démocratie, mais au contraire cette initiative cherche à défendre la mocratie) soit de mettre le doigt sur les éventuelles
bonnes questions posées par ceux qui ont accepté l’initiative. Et j’opte pour cette seconde possibilité.
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1. Une parole pour les musulmans de Suisse (d’Europe et du monde)
A la grande majorité des musulmans qui interprètent et vivent paisiblement l’islam, en respectant
consciencieusement la Constitution suisse et les conventions des droits humains, il est important de dire :
« Ce vote ne s’adresse pas à vous ! ». « Avec vous, et tous ensemble, nous voulons continuer de créer
une Suisse ouverte et respectueuse de ses valeurs fondamentales qui sont : la liberté, la démocratie,
l’indépendance, la paix, le respect de l’autre et l’équité (cf. le Préambule de la Constitution
fédérale). »
Par contre, à une petite minorité de musulmans qui défendent un islam littéraliste, militant et conquérant
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,
et qui respecteraient tactiquement la Constitution suisse et les droits humains (dans le but d’utiliser cette
liberté de religion pour imposer des valeurs et une forme d’islam dominateur), il est important de dire tout
aussi clairement : « Ce vote s’adresse à vous ! ». « Les Suisses
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ne veulent pas voir disparaître leurs
valeurs judéo-chrétiennes et humanistes et ces valeurs sont non négociables. »
A tous les musulmans, il n’est pas inutile de redire : « L’article constitutionnel adopté n’interdit pas la
construction de mosquées, mais bien celle de minarets». Et paradoxalement, sur ce point, aussi bien les
initiants opposés à un islam « traditionaliste » que les partisans d’un islam « traditionaliste » pourraient
être d’accord !
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Et à tous les musulmans, il est important de rappeler : « Parmi les valeurs non
négociables en Suisse il faut mentionner : la liberté de croire, de ne plus croire, de ne pas croire et
de croire autrement; l’égalité pleine entre l’homme et la femme ; le respect de la majorité et le
respect des minorités ; l’attachement à la démocratie, une neutralité de l’Etat en faveur du bien de
tous, la non domination d’un groupe sur un autre ; la protection du plus faible… Il a fallu des
siècles pour les établir. Il ne saurait y avoir de retour en arrière. »
Puisque plusieurs de ces valeurs semblent contredites par certains textes fondateurs de l’islam (cf.
document en annexe « Les textes difficiles de l’islam qui demandent des explications ») il est important
que les musulmans puissent rassurer les Suisses en leur expliquant comment ils les interprètent
aujourd’hui et quelle compatibilité ils voient entre ces textes, leur interprétation et la Constitution.
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La diversité interne de l’islam (comme de toute religion) est très grande : Non seulement entre sunnites et chiites (sans
oublier les mouvements minoritaires tels les Habaches de La Mosquée de Lausanne ou les Ahmadiyya constructeurs du
premier minaret en Suisse, mouvements reconnus comme hétérodoxes par la majorité des autres centres islamiques), entre
musulmans turcs, balkaniques, arabes, iraniens ou pakistanais, entre les pratiquants (réguliers ou irréguliers) et les non-
pratiquants, entre les politisés, les laïcisés ou les soufis, etc. mais aussi parmi les mouvements de retour aux racines au sein de
l’islam. Ainsi, il faut différencier parmi ces mouvements les littéralistes-piétistes, les réformistes, les révolutionnaires, les
conversionnistes, les excommunicateurs, les terroristes (Sur cette diversité interne des mouvements « islamistes », cf. de
Bruno Etienne, Islam, les questions qui fâchent, Paris, Bayard, 2003, p.87s. Ou encore son livre plus ancien, L’islamisme
radical, Paris, Hachette, 1987). Une autre difficulté vient de ce que les catégories ne sont pas étanches. Un musulman dit
« modéré » peut très bien avoir de la sympathie par exemple pour la lutte armée en « Palestine » et les attentats-suicides qui y
sont perpétrés. Et de même, un musulman dit « extrémiste » par ses propos, peut très bien être reconnaissant à la Suisse pour le
cadre constitutionnel qui lui est offert.
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Il y a bien sûr des Suisses qui sont musulmans (0,5% de la population en 2000 ; plus aujourd’hui). Pour ne pas alourdir le
texte j’utilise malgré tout les catégories de « Suisses » et de « musulmans » sachant que ces deux catégories intègrent une
grande pluralité de personnes.
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Dans un bon article de Jean-François Meyer « Minarets : entre variété architecturale et symbole de l’islam autour d’un
débat en Suisse » paru avant les votations (http://religion.info/french/articles/article_445.shtml), il est rappelé que: «l'islam des
origines ne connaissait pas le minaret. En l'an 632 de l'ère chrétienne, à la mort de Muhammad, il n'existait pas un seul minaret
dans le monde musulman. Cela explique que des milieux musulmans salafistes, qui se disent attachés au modèle de l'islam des
origines, soient eux-mêmes défavorables aux minarets, perçus comme innovation. ». L’initiative vise notamment l’islam des
Frères musulmans dont la doctrine était « un retour à la foi des ancêtres ou salaf, prôau début du siècle par le
réformisme dit des Salafiya, mais un retour à la foi conçue sous sa forme traditionaliste. Al-Bannâ déclarait : « L’islam est
dogme et culte, patrie et nationalité, religion et Etat, spiritualité et action, Coran et Sabre » » (cf. l’article « Frères musulmans »
in Janine Sourdel et Dominique Sourdel, Dictionnaire historique de l’islam, Paris, Quadrige/PUF, 2004, p. 303). Ainsi, en
limitant cette forme d’islam par l’initiative, la majorité du peuple suisse a réussi à introduire dans sa propre Constitution un
article auquel ces musulmans traditionalistes pourraient se rallier ! Sous forme de boutade, on pourrait dire qu’une bonne
raison pour les initiants eux-mêmes de vouloir enlever un jour cet article de la Constitution pourrait précisément être celle de
refuser ce premier pas de l’islamisation de la Constitution suisse !
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2. Une parole pour les partisans de l’initiative
Aux partisans de l’UDC et de l’UDF qui ont lancé et soutenu l’initiative, il est possible de clairement
dire : « Vous avez eu raison de réaffirmer certaines de nos valeurs non négociables». 80% de la
population suisse se réclame du christianisme et cette identité ne doit pas être bafouée. De même, il y a
une saine fierté à être Suisse. « Vous avez raison aussi de dire qu’une forme d’islam agressif, pouvant
subvertir des valeurs fondamentales de la Constitution, doit être limitée ».
Mais à ces mêmes partisans il est tout aussi important de dire : « Vous auriez tort d’amalgamer tous les
musulmans à cette forme d’islam conquérant. Et vous avez tort chaque fois que vous attisez la peur
de l’étranger. » En effet, au cœur de la tradition chrétienne et de la Suisse, il y a la valeur centrale de
l’accueil de l’étranger, de l’étranger acceptant d’être accueilli et de s’intégrer dans une nouvelle patrie.
Quant aux partisans d’autres partis politiques (ou sans parti politique) qui ont soutenu l’initiative au nom
d’une liberté fondamentale à préserver, de l’égalité femme-homme à défendre, de racines chrétiennes à
cultiver, ou encore par exaspération à l’égard du président Kadhafi (l’affaire des otages suisses ; son appel
en Italie à des jeunes femmes à se convertir à l’islam) il est possible de dire : « Vous avez eu raison de
soutenir ces valeurs. Et vous avez raison de résister à toute forme de xénophobie primaire».
3. Une parole pour les opposants à l’initiative
A tous ceux qui considèrent que cette initiative est une mauvaise réponse à (éventuellement) une bonne
question, il est possible de clairement dire : « Vous avez eu raison de vous y opposer. Partisans de
l’intégration et de l’ouverture, vous savez que les stigmatisations et les généralisations sont
dangereuses ».
Mais à ces mêmes personnes, il est tout aussi important de dire : « Vous auriez tort de croire que c’est
une ignorance de l’islam qui a motivé tous les partisans de l’initiative et qu’une meilleure
connaissance de l’islam va résoudre le problème. Une partie de l’islam, petite mais bien réelle,
promeut des valeurs auxquelles vous aussi êtes opposés ».
La naïveté et les bons sentiments sont aussi dangereux que les amalgames
8
.
Trop de journalistes, de politiciens et même de responsables d’Eglises ont tenu (et tiennent) un discours
« creux ». Il ne suffit pas de clamer qu’il faut défendre « la liberté de religion » et la « non-
discrimination » à l’égard de groupes minoritaires. (Un tel discours ne rassure pas les personnes qui ont
des craintes légitimes à l’égard de certains groupes. En plus, comme le résultat du vote l’a montré, il ne
peut que contribuer à élargir le fossé entre ces personnes et ceux qui tiennent ces discours.)
Au nom de la liberté de croyance pour tous, il est parfois nécessaire de limiter la liberté d’expansion,
voire d’expression, de certains dont la croyance est que la liberté des autres doit être limitée.
8
On peut reprocher à certains partisans de l’initiative d’avoir amalgamé tous les musulmans en un seul « bloc ». Mais on peut
aussi reprocher à certains opposants à l’initiative de ne pas différencier suffisamment entre les « religions ». L’essor de
l’Organisation de la conférence islamique (57 Etats membres) et tous leurs efforts à promouvoir la défense de l’islam sur le
plan politique devrait ouvrir les yeux des politiciens occidentaux qui considèrent que l’islam est une religion comme une autre.
(Il n’y pas d’Organisation de la conférence chrétienne –même si le christianisme catholique romain a la particularité d’être
représenté par ses évêques et, pour certains sujets, par l’Etat du Vatican- ou d’Organisation de la conférence bouddhiste
rassemblant des pays partageant une me religion). Non, l’islam n’est pas une « religion » comme les autres. C’est la seule
« religion » en Europe certains de ses responsables moignent d’une difficulté réelle à accepter des lois qui lui sont
étrangères et veulent promouvoir une législation particulière. Puisqu’elle (une partie d’elle) se veut différente, elle (cette partie
d’elle) mérite un traitement différencié ! Sans être « prophète », il est presque sûr que dans les décennies à venir, il y aura des
partis « islamiques » dans la plupart des démocraties ; puis, quand les musulmans seront suffisamment nombreux, des
tribunaux islamiques pour gérer selon leur propre Loi certaines affaires de leurs communautés. Sur ce sujet, voir l’évolution
récente du Kenya.
4
Et au nom de la non-discrimination à l’égard de tous, il faut savoir opérer parfois une discrimination à
l’égard de ceux dont la conviction est qu’il faut promouvoir une discrimination à l’égard de certains.
Ou pour le dire autrement, et simplement, il est irresponsable de traiter avec égalité les communautés qui
défendent l’égalité et celles qui la nient
9
.
Sans quoi les fondements mêmes de la liberté, de la non-discrimination et de l’égalité seront détruits.
4. Une parole pour tous
Ainsi, aux partisans de l’initiative, il est possible de dire : « Vous avez raison de défendre les valeurs de
la majorité de ce pays, valeurs menacées par une minorité ». Et aux opposants de l’initiative, il est
possible d’affirmer : « Vous avez raison, au nom des valeurs de ce pays, de vous préoccuper du bien-
être des minorités ». Mais à ceux qui défendent la majorité sans se soucier des minorités et à ceux qui
défendent les minorités sans voir les menaces possibles sur la majorité, il est important de dire: « Il est
vital que la majorité respecte activement les minorités et que les minorités respectent loyalement la
majorité ! ».
Le choc provoqué par l’acceptation de l’initiative est national (avec des répercussions internationales).
Au sein de l’islam, certaines pratiques font peur. Et à cause de ces pratiques et de cette peur toute la
communauté musulmane a été montrée du doigt.
Dans les textes fondateurs de l’islam, (comme dans les textes fondateurs de toutes les religions) il y a des
violences qui contredisent frontalement la Constitution suisse. A ces violences, l’initiative a réagi avec
violence pour les limiter. Et en le faisant, elle en a provoqué d’autres.
Il appartient aux uns et aux autres de parler de ces violences avec vérité. Comme le dit si bien Ghaleb
Bencheikh dans son ouvrage Alors, c’est quoi l’islam ? : « Seul le langage de vérité nous guérira de la
violence »
10
.
Après le choc, et les émotions contrastées qui l’accompagnent, le temps doit venir pour un débat serein.
Sans généralisations et sans idéalisme. Un débat qui prendra du temps
11
.
Et si ce langage de vérité se déploie, dans une réelle écoute et sensibilité, alors sur des fondements
partagés, un édifice commun pourra s’élever.
9
Cette difficulté à accepter l’égalité ne se trouve pas seulement en islam, mais aussi dans le christianisme ! En Suisse, pendant
des années, la présence des jésuites a été interdite et la constitution d’un nouvel évêché nécessitait l’approbation de la
Confédération. Cette interdiction et cette réserve (qui figuraient dans la Constitution fédérale) exprimaient clairement la
volonté de l’Etat d’assurer activement la paix confessionnelle et celle d’une majorité du peuple suisse qui ne voulait pas que
cette paix soit troublée par l’ingérence d’organismes non mocratiques. L’Eglise catholique romaine ayant beaucoup évolué
depuis Vatican I, ces limitations n’ont plus eu de sens et ont été enlevées.
10
Ghaleb Bencheikh, Alors, c’est quoi l’islam ?, Paris, Presses de la Renaissance, 2001, p. 64.
11
Puisque la Confédération peut « prendre des mesures pour maintenir la paix entre les membres des diverses communautés
religieuses » (CNST CH, article 72.2), le Conseil Fédéral et le Parlement pourraient constituer un groupe de travail rassemblant
les protagonistes touchés par cette crise. Ce groupe devrait rassembler des représentants des initiants et des opposants ; des
représentants des Eglises historiques (réformée, catholique romaine et catholique chrétienne…), de la Communauté de travail
des Eglises chrétiennes de Suisse, de la Communauté de travail interreligieuse de Suisse, du Conseil suisse des religions et bien
sûr d’organisations faîtières musulmanes telle la Fédération d’organisations islamiques de Suisse. A ce groupe de travail
pourraient être associés aussi des représentants de groupes de dialogue interreligieux cantonaux (comme la Plateforme
interreligieuse de Genève, la maison de l’Arzillier du canton de Vaud et le groupe cantonal neuchâtelois de réflexion et de
dialogue interreligieux)). Ce groupe devrait intégrer aussi l’apport de chercheurs du monde académique et d’organismes
compétents comme Religioscope (cf. leur site http://www.religion.info/).
5
II.
Les textes difficiles de l’islam qui demandent des explications
Avertissement
Poser des questions aux musulmans (aux responsables des Centres islamiques et aux fidèles) sur les
violences de leurs textes (et de certaines pratiques), ce n’est pas les placer devant un tribunal. Car
eux aussi ont le droit de nous poser leurs propres questions difficiles sur nos violences ! Et celles-ci
sont certainement tout aussi nombreuses !
Mise en perspective
Toute tradition (religieuse ou non) a ses lumières et ses obscurités
12
. La tradition chrétienne a été violente
dans le passé, peut-être plus que n’importe quelle autre. Et elle continue directement ou indirectement
parfois à l’être (par exemple en échouant à convaincre des Etats à cesser d’exporter ses armes vers des
dictatures, ou en étant incapable de limiter l’avidité de conquête de certains gouvernements ou de
certaines multinationales). Elle a apprendre à rejeter ce qui, en son sein, a justifié un antijudaïsme
meurtrier, les Croisades, la destruction d’autres cultures. Elle a dû apprendre aussi à refuser toute
connivence avec un gouvernement voulant se servir d’elle pour justifier ses conquêtes politiques,
militaires ou économiques. Ce fut un long travail, et il n’est jamais achevé.
Chaque tradition (religieuse ou non) doit faire ce travail d’épuration intérieure. Cela concerne aussi bien
les chrétiens, les juifs, les hindous, les bouddhistes, les athées… que les musulmans. Personne d’entre
nous n’a choisi ce qui se trouve dans les textes fondateurs de sa religion (Torah, Coran, Bible, Bhagavad
Gîtâ…). Mais nous avons tous la liberté et la responsabilité de limiter les effets négatifs d’une lecture
littérale (ou traditionaliste) des textes problématiques qui s’y trouvent.
Lumières et obscurités au sein de l’islam
Dans le Coran et la Sunnah (somme des dires et actes de Mohammed permettant d’interpréter le Coran), il
y a de très beaux textes
13
. La tradition musulmane est porteuse de belles réalisations (religieuses,
mystiques, scientifiques, architecturales…)
14
. Et les musulmans peuvent être fiers de ces réalisations. A
travers les siècles en effet, la civilisation musulmane a souvent brillé de manière peu commune. On peut
rappeler ici le rayonnement de Bagdad, notamment sous l’impulsion du calife al Ma’mun (786-833) et sa
création de l’académie bayt al-hikma ou « maison de la sagesse » dans laquelle les œuvres des Grecs
furent traduites et commentées avec compétence ; celui de Cordoue, capitale de l’Andalousie et occupée
par les musulmans de 711 à 1236 qui abrita des géants de la pensée et de la mystique tels Ibn Rushd
(Averroès, 1126-1198) ou Ibn Arabi (1165-1240) ; celui de Fatehpur Sikri où le souverain Akhbar (1542-
1605) fonda l’ibadet khane, « la maison d’adoration », musulmans, hindous, chrétiens et juifs étaient
appelés à se rencontrer et à débattre.
12
Sur ce sujet, cf. mon article « Les religions : causes de violence ou facteurs de paix ? » in Daniel Marguerat, Dieu est-il
violent ?, Paris, Bayard, 2008, p. 195-234. Cf. aussi Joseph Yacoub, Au nom de Dieu ! Les guerres de religion d’aujourd’hui et
de demain, Jean-Claude Lattès, 2002 ; Michel Dousse, Dieu en guerre. La violence au cœur des trois monothéismes, Paris
Albin Michel, 2002 ; Karen Armstrong, Le combat pour Dieu. Une histoire du fondamentalisme juif, chrétien et musulman
(1492-2001), Paris, Seuil, 2005.
13
Mon livre Le roi, le sage et le bouffon, diffusé dans des pays musulmans, présente plusieurs de ces beaux textes. Si je me
permets aussi d’évoquer des textes obscurs de la tradition musulmane, je ne le fais pas en oubliant les textes lumineux. Par
ailleurs, une partie de ma famille étant musulmane (ismaélienne), je connais toute la générosité et l’humanité dont ses membres
sont capables.
14
Un ouvrage classique présentant l’apport du monde arabe dans toutes sortes de disciplines (mathématiques, astronomie,
médecine, architecture, musique, poésie…), est celui de Singrid Hunke, Le soleil d’Allah brille sur l’Occident, Paris, Albin
Michel, 1963 ; cf. aussi de Marshall G.S. Hodgson, L’Islam dans l’histoire mondiale, Actes Sud, 1998. Pour une présentation
classique de l’islam, cf. de Roger du Pasquier, Découverte de l’islam, Paris, Seuil, 1984. Pour un bon ouvrage de « passerelle »
entre l’Occident et l’Islam, cf. de Xavière Remacle, Comprendre la culture arabo-musulmane, Bruxelles, Editions Vista, 2002.
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