Tourisme et Développement

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UNIVERSITÉ DE TOULOUSE II
- LE MIRAIL
CENTRE D’ÉTUDES DU TOURISME,
DE L’HÔTELLERIE ET
DES INDUSTRIES DE
L’ALIMENTATION
MASTER TOURISME - HOTELLERIE - ALIMENTATION
Parcours « Tourisme et Développement »
MÉMOIRE DE PREMIÈRE ANNÉE
Dans quelle mesure le développement touristique est-il un facteur
d’altérations sociales et culturelles des populations locales ?
Présenté par :
Valérian Gouëset
Année universitaire : 2011 - 2012
Sous la direction de : Pierre Torrente
Le CÉTIA de l’Université de Toulouse II –
Le Mirail n’entend donner aucune
approbation, ni improbation dans les projets
tutorés et mémoires de recherche. Ces
opinions doivent être considérées comme
propres à leur auteur(e).
Remerciements
Je tiens à remercier toutes les personnes qui m’ont aidé à la réalisation de ce
mémoire.
Notamment, mon maître de mémoire, Pierre Torrente, d’abord pour le temps qu’il
m’a consacré, ensuite pour les conseils qu’il a pu me prodiguer, me permettant ainsi
d’élargir mon champ de vision sur un sujet complexe.
Mais aussi Samba Gaye et Véronique Boizante pour leur accueil chaleureux, la
richesse de notre entretien et l’inspiration personnelle qu’ils m’auront apportée pour mes
projets futurs.
Merci à Laurence Tibère et Jacinthe Besssière pour m’avoir aidé à m’orienter au
milieu d’une vaste thématique.
Merci à mes amis, Claire, Margot, Agnès, Juliette et Kevin pour leurs conseils avisés
et leurs encouragements. Je leur souhaite beaucoup de réussite.
Je souhaite enfin remercier mes parents pour leurs encouragements et la confiance
qu’ils ont en moi.
4
Sommaire
Introduction générale ............................................................................................................. 7
Partie I - Développements touristiques et identités ............................................................... 9
Chapitre I : Le développement touristique international ................................................ 11
1. Le développement touristique, un pilier de l’économie....................................... 11
2. Le tourisme durable ............................................................................................. 15
Chapitre II : Etude du processus de développement : ses dynamiques, ses acteurs et la
structuration des forces. .................................................................................................. 18
1. La démarche descendante .................................................................................... 18
2. La démarche ascendante ..................................................................................... 20
3. Les acteurs économiques .................................................................................... 25
Chapitre III : Identité et interculturalité .......................................................................... 27
1. La notion de culture ............................................................................................ 27
2. La notion d’interaction......................................................................................... 29
3. Les conséquences de l’interculturalité ................................................................. 31
Partie II - Développement touristique et altérations identitaires ......................................... 35
Chapitre I : Niveau de développement et place du tourisme dans le tissu économique,
facteurs d’altérations des populations locales ................................................................. 36
1. Mise en contact de populations et écarts d’efforts de subsistance ....................... 36
2. Place du tourisme au sein du tissu économique ................................................... 38
3. Importance du développement touristique : les cas de populations locales......... 39
Chapitre II : Niveau d’implication des populations locales dans le développement
touristique, facteur d’altérations culturelles et sociales. ................................................. 43
1. Participation et appropriation............................................................................... 44
2. De l’action à la démarche, les facteurs déterminants........................................... 45
Chapitre III : Représentations et acteurs du développement touristique ........................ 52
1. Les acteurs exogènes, représentations et développement touristique .................. 53
5
2. De l’acteur exogène à l’acteur endogène, représentations et développement
touristique................................................................................................................. 55
Partie III - Etude terrain et méthodologie : le cas du peuple cri de la région d’Eeyou Istchee
............................................................................................................................................. 59
Chapitre I : Présentation du territoire.............................................................................. 60
1. Population et histoire ........................................................................................... 60
2. Situation géographique et démographie locale .................................................... 61
3. Culture ancestrale et altérations ........................................................................... 64
4. Portrait socio-économique : ................................................................................. 65
5. Activité touristique :............................................................................................. 66
Chapitre II : Analyse du territoire : tourisme et population locale ................................. 67
1. Niveau de développement et place du tourisme................................................... 67
2. Implication de la population crie au sein du développement touristique ............. 69
Chapitre III : Propositions d’outils ................................................................................. 74
1. Niveau de vie et place du tourisme dans la société crie....................................... 75
2. Implication de la population crie au développement touristique ......................... 77
3. L’influence des représentations dans la mise en tourisme du peuple cri ............. 79
Conclusion générale............................................................................................................. 82
6
Introduction générale
Depuis son apparition, le tourisme a parcouru un long chemin, autant dans la forme
que dans l’espace qu’il occupe. D’abord réservé à une élite, il est devenu pratique courante
chez le reste de la population des pays développés. La hausse du niveau de vie, le
changement des valeurs et l’augmentation du temps libre a permis à la masse d’accéder à
cette pratique autrefois élitiste. L’augmentation de la mobilité par le développement rapide
des modes de transport a permis également d’aller de plus en plus loin. Les distances n’ont
cessé de se réduire et en quelques décennies plus aucun lieu n’était inaccessible. Un certain
nombre de pays et de populations continue aujourd’hui d’accéder à ce loisir. Ainsi par la
croissance importante que connais aujourd’hui leur pays, de plus en plus de chinois
peuvent se permettre de partir à l’étranger faire du tourisme. Le phénomène social qu’est le
tourisme, est devenu également un phénomène économique porteur.
Les contacts entre des populations aux racines culturelles plus ou moins éloignées se
multiplient donc. Les identités sont amenées à se rencontrer dans un cadre conditionné par
le développement touristique, souvent dans une logique du voyage très marchande. Dans
un contexte comme celui-ci, il semble pertinent d’adopter une approche interculturelle de
ce phénomène très économique qu’est le tourisme.
Avec maintenant un peu de recul, nous connaissons certaines conséquences néfastes de
cette version marchandisée du voyage. La plupart du temps ce sont les populations locales
des pays récepteur qui payent un lourd tribu. Certaines formes de tourisme sont apparues
dans le but d’éviter les biais du tourisme de masse. Cependant elles sont minoritaires et
leur succès est très discutable.
La poursuite du tourisme de masse et le but inachevé du tourisme durable posent un enjeu
toujours aussi actuel pour les populations, celui de la conservation de leur identité. La
compréhension du lien entre développement touristique et population locale semble
indispensable avant de pouvoir penser à préserver les identités des populations mise en
contact. La question de départ de ce mémoire sera donc la suivante : quelles interactions
sociales et culturelles entre développement touristique et populations locales ?
7
Dans une première partie nous présenterons les différentes notions théoriques nécessaires à
l’établissement du cadre de notre étude. Nous exposerons les différentes visions du
tourisme et l’importance qu’il a pris ces dernières décennies au niveau mondial. Nous
décrirons également les conditions de sa mise en œuvre et les mécanismes qui composent
le processus décisionnel du développement touristique. Nous ferons enfin le lien avec notre
sujet en étudiant les notions d’interaction sociale et culturelle ainsi que les phénomènes
altératifs qui en découlent.
La seconde partie s’articulera autour de trois hypothèses ayant pour but de répondre à notre
problématique. Il s’agira de mesurer l’influence qu’ont certains facteurs s ur le
développement touristique et les altérations qu’il engendre.
Enfin, dans notre troisième partie, nous exposerons une méthodologie composée d’outils
d’enquête qualitatifs et quantitatifs ayant pour objectif de vérifier nos hypothèses à travers
un terrain d’application adapté.
8
Partie I - Développements touristiques et
identités
9
Introduction de la première partie
L’objectif de cette première partie est de définir le cadre de notre question de départ.
Depuis l’apparition du tourisme comme activité économique à part entière, le
développement touristique met en contact des populations différentes. De nombreuses
interactions sociales et culturelles découlent de cette mise en contact, ce qui n’est jamais
sans conséquences.
Dans un premier chapitre, nous nous pencherons donc sur le développement
touristique au niveau mondial et ses différentes facettes : du moteur de développement
économique au moteur de développement d’un territoire.
Dans un deuxième chapitre, nous verrons comment le développement touristique
opère sur un territoire local à travers l’étude des processus de développement local. Nous
verrons la décomposition de ce processus, le rôle des différents acteurs et les sources des
initiatives de développement.
Enfin dans un troisième chapitre nous verrons les définitions d’identité,
d’interculturalité d’interaction culturelle et d’interaction sociale ainsi que ce qu’elles
impliquent.
10
Chapitre I : Le développement touristique international
Dans ce chapitre nous aborderons les différentes visions et applications du
développement touristique afin d’en comprendre mieux, par la suite, les principes et
conditions de mise en contact des populations.
Depuis maintenant plusieurs dizaines d’années, les pays n’ont cessé de s’ouvrir à
l’international et de devenir interdépendants dans tous les domaines, le tourisme ne fait pas
exception. Ces dernières décennies, les flux touristiques internationaux se sont développés
de façon importante en nombre de voyageurs et dans l’espace. Le tourisme est devenu un
phénomène social, un phénomène de masse, des déplacements qui étaient autrefois
réservés à une élite sont maintenant accessibles à un grand nombre de touristes. Les
statistiques le montrent : en 1950, on comptabilisait 25 millions de voyageurs
internationaux et 980 millions en 2011 soit une augmentation a nnuelle d’environ 6.5% 1 . Le
tourisme s’est également étendu en termes d’espace, beaucoup de zones sont devenues
accessibles et cela pour deux raisons principales. D’une part un certains nombre de
territoires anciennement retranchés se sont ouverts, tels que l’ex bloc soviétique, la Chine
ou encore l’Afrique du Sud post apartheid. D’autre part les transports ont évolué, la
mobilité a augmenté avec la démocratisation de la voiture familiale ou le transport aérien,
la baisse de leur coût, l’augmentation du temps libre et du pouvoir d’achat.
1. Le développement touristique, un pilier de l’économie
1.1 Développement économique
Les institutions internationales telles que la CNUCED ou l’OMT défendent un
tourisme vecteur de développement social et humain en parta nt du principe que croissance
économique engendre développement (BATAILLOU & SCHEOU, 2006, p20). Le
tourisme, phénomène économique, représente selon l’OMT 12,5% du PNB mondial et 231
millions de personnes ayant un travail lié au tourisme. C’est d’abord comme un vecteur de
développement économique que le tourisme a été perçu, Jean-Michel Hoerner prend
1
DEHOORNE Oliv ier. Le tourisme international dans le monde : logiques des flux et confins de la
touristicité. Disponible sur <http://etudescaribeennes.revues.org/882#tocfro m1n1>. (Consulté le 30-01-2012)
11
l’exemple du développement touristique mené sur la côte languedocienne, conçu comme
solution économique au dépérissement des activités traditionnelles locales. En Irlande, les
petits ports du Sud du pays sont menacés de perdre leurs traditions de pêche, pour eux le
tourisme est un complément leur permettant de survivre et de préserver leurs traditions
(BENSAHEL & DONSIMONI, 2007). Avec l’étalement des flux touristiques ces dernières
décennies, certaines PMA et PED se sont retrouvées rapidement face à un phénomène
nouveau ou peu connu, porteur d’espoir de croissance économique. Le tourisme, source de
devises étrangères, a souvent été perçu comme un outil de lutte contre la pauvreté pour les
sociétés d’accueil.
Pour certains de ces pays, le développement touristique représente un moyen de
rééquilibrer une balance commerciale déficitaire, victime de la concurrence exacerbée
d’une économie maintenant mondialisée. Les devises étrangères qu’apporte le tourisme
permettent de stimuler l’économie interne du pays au sens global, il favorise l’importation
de ressources telles que des biens d’équipement permettant à leur tour une production
interne et donc un développement d’activité créateur d’emploi 2 , de pouvoir d’achat
entraînant ainsi le pays récepteur un cercle économique vertueux. Cette dynamique est plus
communément appelée « effet d’entraînement ».
Liliane Bensahel et Myriam Donsimoni prennent l’exemple de la Chine pour qui le
tourisme est devenu une manne financière. Autrefois opposée à l’accueil d’étrangers sur
leur territoire, ils ont réalisé que le tourisme pouvait représenter un secteur bien plus
rentable que les autres secteurs du tertiaire. Il nécessite en effe t moins d’investissement
pour un bénéfice économique non négligeable, permettant de créer de l’emploi et
d’améliorer le niveau de vie (BENSAHEL & DONSIMONI, 2007, p3).
Il est conçu comme le point de départ du développement d’un pays. Les bénéfices
économiques qu’il est censé produire sont supposés amener le développement social et
humain.
Pourtant, là où passe le tourisme il n’y a pas toujours développement.
2
ALOUI Wadii et al. . Le tourisme facteur de développement économique de long terme. Disponible
sur : < http://www.ps2d.net/media/ALOUI%20Wadii.pdf >. (Consulté le 30/01/12)
12
1.2 La face cachée du développement touristique vecteur de développement
économique
Gilles Caire et Pierre Le Masne remettent en cause le tourisme vecteur de
croissance économique en soulignant l’écart important entre la croissance du nombre de
touristes internationaux et celle des recettes économiques dans les PMA, au désavantage de
ces derniers. D’après les statistiques de la CNUCED (Conférence des Nations Unies pour
le commerce et le développement) ces fuites sont non négligeable s, elles représentent pour
les PMA africains 85%, 80% pour ceux des Caraïbes, 70% pour ceux de la Thaïlande, 40%
pour ceux de l’Inde et enfin, entre 10 et 20% pour les PED les plus avancés 3 (T et D,
regards croisés, p31-32). Ils expliquent cela concrètement par le fait que les services et
biens consommés par les touristes ne bénéficient aux pays récepteurs qu’à une certaine
hauteur : le voyage et l’organisation sur place est souvent à la charge de tour opérateurs
extérieurs au pays visité, les hôtels qui appartiennent à des chaînes étrangères rapatrient
une partie des bénéfices dans le pays où le siège social est basé, les produits alimentaires
consommés, les moyens de transport sont souvent importés. Il faut savoir également que
les pays du Nord, acteurs du développement touristique dans les PMA ou PED, viennent
souvent concurrencer les opérateurs touristiques locaux. Ce rapport de force amène
souvent à une concurrence des prix et engendre une diminution des salaires, de la valeur
ajoutée restant dans le pays et donc du niveau de vie (p32).Comme nous l’avons vu cidessus, ces fuites successives sont d’une ampleur différente suivant le niveau de
développement des pays récepteurs.
3
Ces chiffres sont utilisés par Gilles Caire et Pierre Le Masne mais la source init iale n’a pas pu être
établie.
13
Figure 1 : Décomposition des dépenses d’un touriste international dans un pays
récepteur 4
Dépense totale d’un touriste international se rendant dans un pays étranger
Dépense contribuant à la valeur ajoutée du pays de
destination au titre du tourisme récepteur
Valeur ajoutée du pays de
destination au titre du tourisme
récepteur
Valeur
ajoutée restant
dans le pays
de destination
Dépense contribuant à la valeur
ajoutée du pays d’origine au titre du
tourisme interne
Importations du
pays de destination au
titre du tourisme
récepteur
Rapatrie
ment de
profits
Réalisation : Valérian Gouëset
Les auteurs de ce schéma considèrent que l’Etat du pays récepteur joue un grand rôle
dans la part de valeur ajoutée restant dans le pays de destination. Il est de sa responsabilité
de développer l’économie de son pays pour diminuer le besoin d’importation dans le
domaine du tourisme, entre autres par le système des subventions. Il est également de son
devoir d’utiliser son pouvoir réglementaire pour définir un taux de rapatriement adapté des
bénéfices.
D’un point de vu social et culturel, le tourisme ne tient pas non plus toutes ses
promesses en termes de développement. De nombreux effets néfastes sont même observés.
Dans sa quête de l’ailleurs, le touriste peut être intrusif au sein des sociétés qu’il
vient découvrir et sans s’en rendre compte, il peut les amener à changer leur mode de vie.
La source de revenus que le tourisme peut constituer pour certaines populations, peut les
pousser à abandonner leurs anciens modes de subsistance, parties intégrantes de leurs
traditions (pêche, chasse, culture des sols… ) et facteurs de cohésion sociale. Or baser sa
subsistance sur une économie monostructurelle reposant sur un facteur aussi variable que
4
Reproduction à partir d’un schéma de Gilles Caire et Pierre Le Masne
14
les flux touristiques peut se révéler dangereux pour les populations. On peut même parfois
observer des phénomènes extrêmes tels que l’exode rural, le chômage ou encore
l’apparition d’un tourisme sexuel.
Enfin, au niveau environnemental les exemples d’impacts néfastes du tourisme sur
le territoire de sa mise en œuvre ne manquent pas. Bien souvent le développement
touristique n’a pas pris en compte la nécessité de préserver l’environnement naturel dans
lequel il opérait et/ou sur lequel il se basait.
Liliane Bensahel et Myriam Donsimoni nous expliquent que le lien de causalité entre
développement touristique et croissance économique dépend de plusieurs facteurs : à
savoir des conditions de mise en place du tourisme, des contraintes sur le territoire, des
financements disponibles, du patrimoine culturel et naturel, des modèles de gestion adoptés
(publics ou privés, long terme ou court terme) et de l’ensemble de l’environnement
économique (BENSAHEL & DONSIMONI, 2007).
2. Le tourisme durable
Même si les effets négatifs du tourisme durable ont été constatés il y a déjà plusieurs
décennies, le terme de tourisme durable n’est apparu que dans les années 1990 à la suite du
sommet de Rio et de l’Agenda 21 avec le concept de développement durable. Selon
l’article 1 de la charte du tourisme durable de l’OMT, le tourisme durable « doit être
supportable à long terme sur le plan écologique, viable sur le plan économique, et équitable
sur le plan éthique et social pour les populations locales ». Cependant il n’existe pas de
définition du tourisme durable communément reconnue. Il vise en général à éviter les
dérives du développement touristique tel qu’il avait été conçu les décennies précédentes en
en revoyant les principes de façon à ce qu’il s’intègre bien au territoire mis en tourisme et
qu’il soit vraiment vecteur de développement pour les populations d’accueil. C’est un
principe qui s’appuie sur la prise de conscience que les ressources des territoires mis en
tourisme étaient non seulement dégradables mais aussi indispensables à la continuité de
l’activité. Le tourisme doit donc être une activité pérenne. La préservation du milieu
naturel, du patrimoine historique et culturel d’un territoire est au centre de ce concept. A
15
travers celui- ci, le tourisme a donc commencé à être perçu comme un outil de préservation
et d’amélioration de la qualité de l’environnement. 5
Dans ce sens l’OMT s’est d’abord attaché à redéfinir les notions de développement et
de progrès par la révision des indicateurs quantitatifs autrefois utilisés ainsi qu’à prendre
en compte tous les coûts du tourisme sur le long terme et le bien être des populations
visitées. L’OMT a aussi intégré le principe de consultation, d’information constante, de
participation des populations locales et de tous les acteurs locaux aux processus
décisionnels comme principe fondamental du tourisme durable 6 . Il a donc pour but non
seulement de ne pas impacter négativement un territoire mais aussi d’aider à son
développement.
Cependant pour aider au développement, le développement touristique nécessite des
investissements importants. Par conséquent les retours sur investissement sont à plus long
terme et la rentabilité en est plus réduite que pour un modèle de développement touristique
obéissant aux règles du libéralisme visant des investissements à court terme, des bénéfices
rapides et une forte productivité. Dans un environnement économique contraignant, le
choix le plus tentant est celui d’un développement touristique rentable à court terme
(BENSAHEL & DONSIMONI, 2007). On peut donc se demander si le tourisme durable
est vraiment compatible à cette économie mondialisée que nous connaisso ns aujourd’hui ?
Le tourisme durable est-il compatible avec activité marchande ?
5
TORRENTE Pierre. Le tourisme durable et la notion de projet : apports théoriques et méthodes.
Cours Master 1 Touris me et Développement, CETIA, Site de Foix, Université Toulouse II Le M irail 2012.
6
CAIRE Gilles & ROULLET -CAIRE Monique. Le touris me peut-il êt re un élément de
développement
durable ?
2001,
p13.
Disponible
sur :
<
http://sceco.univpoitiers.fr/gedes/docs/DT16_TourDurCo mp_Caire.pdf> (Consulté le 05/ 02/ 2012)
16
Ce chapitre nous montre le contexte dans lequel les politiques de développement
touristique opèrent aujourd’hui.
Compte tenu des résultats chiffrés, le tourisme sert les pays du Nord en termes de
développement économique, social et humain. Il a donc longtemps été considéré comme
un moteur de développement, peu importe là où il s’implantait. L’expérience du tourisme,
particulièrement celui mené par le Nord dans les pays du Sud, a montré que cela est plus
compliqué qu’il n’y paraissait, qu’une certaine stabilité économique était nécessaire et que
l’activité touristique devait venir en simple complément dans l’économie nationale. Pour
les pays du Sud, le développement touristique n’est pas
source de développement
économique, social et humain car ils n’y sont pas préparés. Au contraire, il créé un certains
nombre de déséquilibres environnementaux, sociaux et culturels.
Cependant l’apparition du tourisme durable qui a résulté de cette prise de conscience,
est loin de s’être répandue partout. Le tourisme durable reste une branche du tourisme
minoritaire. Le développement touristique est encore souvent imposé au pays du Sud, au
profit des pays du Nord.
17
Chapitre II : Etude du processus de développement : ses
dynamiques, ses acteurs et la structuration des forces.
L’étude du processus de développement, de ses démarches, ses acteurs, de leurs
forces ainsi que de leurs limites nous aidera à comprendre d’une part le développement
touristique en tant que processus décisionnel précédant l’activité touristique, d’autre part le
lien entre celui-ci et la participation des populations locales. Paul Houée conçoit le
territoire objet d’un développement comme un espace politique « déterminé par les zones
d’appartenance, d’influence » (HOUEE, 1992, p43). Les politiques de développement sont
l’objet d’un jeu d’adhésion, d’attente ou d’opposition de la part des acteurs (promoteurs,
population, groupes intermédiaires).
Paul Houée distingue deux démarches dans le processus de développement, une
démarche descendante et une démarche ascendante. Elles déterminent l’ordre dans lequel
les acteurs du développement jouent leur rôle ainsi que l’importance de celui-ci. Cela nous
indique aussi comment une participation de la population peut avoir lieu.
1. La démarche descendante
1.1 Définition et explication du processus
La démarche descendante part de la décision du pouvoir central pour s’appliquer de
façon concrète au niveau local. L’Etat se trouve donc au sommet de cette chaîne
hiérarchique, il s’y impose par la légitimité qu’il a au niveau national, ainsi que par son
pouvoir d’investissement et de réglementation. La complexité de cette chaîne hiérarchique
dépend entièrement des pays, le nombre d’acteurs entre le pouvoir central et le territoire
local varie. Il existe presque autant de schémas hiérarchiques du développement local que
de pays au monde. Aussi bien nous traiteront ce sujet de façon générale.
Certains Etats comme la France auront développé un appareil administratif composé
d’organismes interministériels, de services extérieurs ayant chacun un cadre de
compétences déterminé. Le pôle de décisions suivant peut être un élu, représentant d’un
territoire de plus petite taille (le préfet au niveau régional en France). Il fait office d’agent
18
de liaison entre les administrations et les acteurs locaux. Il organise les actions des
différentes administrations qui peuvent voir leur domaine de compétences se croiser et
adapte les directives nationales aux particularités du territoire local. Cette adaptation, selon
Houé, est indispensable à l’adhésion des acteurs locaux, ce qui maintient « la paix sociale »
(p42). Les organismes de l’Etat ne peuvent pas mettre en place de directive de
développement sans la participation d’élus influents qui rallient au projet les différents
pouvoirs locaux (maires, conseillers…autant de freins si ils n’étaient ralliés). Un autre
exemple de pôle de décisions serait le président du Conseil Général bien qu’à un niveau de
taille inférieure. « La procédure de développement local recevra un accueil différent selon
l’influence du groupe initiateur, sa place dans le système local et sa relation au système
global, selon le degré d’ouverture ou de résistance, de la fragilité, d’adapta tion ou de
créativité de la collectivité locale, selon la représentation qu’elle se fait de son avenir et de
la signification qu’elle accorde à ce qui lui est annoncé » (HOUEE, 1992, p48)
On peut différencier différents groupes de promoteurs des politiques de
développement qui font la liaison entre les politiques étatiques et le niveau le plus local
(HOUEE, 1992, p43-44) :
-
Les grands leaders qui accèdent directement aux cabinets e t aux directions des
ministères ;
-
Les leaders départementaux et régionaux ;
-
Les dirigeants micro-régionaux ;
-
Les élus locaux dont l’adhésion est indispensable pour mettre en place les
directives nationales inédites ;
-
La participation de la population.
Il y a un souvent un écart lors de la rencontre des politiques de développement
initiées par le pouvoir central et la population. Les perceptions sont différentes. Alors que
l’un a une perception et une démarche globale, l’autre a une perception locale ou
sectorielle du développement. La compréhension est gênée par la différence d’approche et
l’abstraction qui en résulte chez la population.
Le défi pour les promoteurs est de rendre leur approche accessible à la population
sans quoi elle se désintéressera des projets.
19
1.2 La participation dans la démarche descendante
Le degré de participation initié dans une démarche descendante varie grandement
d’une société de culture « démocratique » laissant place régulièrement à la discussion et
une société « hiérarchique » où les décisions sont prises par le pouvoir.
Finalement, l’état des rapports entre l’Etat et ses relais, la société locale et ses
représentants détermine la place que prend la population locale da ns le développement
territorial. On peut aller d’un cas où la démarche descendante se limite à la simple
adhésion des élus à un cas où une même démarche va faire réagir la population locale et va
la pousser à participer dans une démarche ascendante.
Les applications des décisions de développement de façon autoritaires sont rares en
France en raison d’une forme d’interdépendance entre les acteurs du développement mais à
l’étranger cela arrive suivant l’Etat concerné, ses traditions…etc. Cela peut arriver lorsque
celui-ci n’a pas pu trouver de compromis avec les acteurs locaux ou alors qu’il n’en
cherche tout simplement pas car il n’y a pas d’acteurs ou d’autorité reconnue au niveau
local.
2. La démarche ascendante
2.1 Définition
Le développement local ascendant ne suit pas de procédure préétablie comme la
démarche descendante, elle est informelle et différente pour chaque collectivité locale. Elle
se définie par le fait que l’initiative de développement provient des acteurs du territoire
local concerné.
2.2 Conditions d’apparition de la démarche ascendante
Pour Paul Houée, elle apparaît lorsqu’une collectivité locale se trouvant déjà dans
une situation précaire va voir sa situation se dégrader sans que les pratiques habituelles des
pouvoirs établis n’aient pu apporter de solution. Il y a selon Houée trois facteurs de ces
20
situations de « dépérissement » : des facteurs géographiques et démographiques, des
facteurs socio-économiques et des facteurs politico-administratifs.
Au niveau géographique, les zones concernées sont le plus souvent des zones
périphériques, soit à l’écart des axes de communication et des centres urbains soit
justement, sont proches de ceux-ci mais ne profitent pas des richesses qui y sont dégagées.
Au niveau démographique, la caractéristique la plus souvent observée est le
vieillissement de la population en raison d’un taux de naissance insuffisant pour envisager
son renouvellement ainsi que l’exode des jeunes. Cette diminution de la populat ion
engendre évidement ce que Paul Houée appelle une « spirale de dévitalisation » (HOUEE,
1992, p52) : les activités et les services ne peuvent pas être maintenus en raison du manque
d’habitants et cela menace également la « reproduction du système local ». Cependant,
dans la majorité des cas, un minimum de vitalité est nécessaire pour que les collectivités
locales mourantes puissent voir apparaître une initiative endogène de développement local.
Dans certains cas, le renouveau social vient d’une initiative que Houée considère comme
étant mi endogène, mi exogène. C’est le cas lorsque de nouveaux groupes sociaux arrivent
dans la collectivité locale et impulsent des initiatives de développement local.
Le dépérissement est donc également socio-économique, il concerne des zones
oubliées du développement économique moderne et qui sont restées sur des activités
principalement agricoles ou artisanales. Il découle souvent de la diminution de la
population comme on l’a dit ci-dessus. En revanche le dépérissement peut également ve nir
du fait de l’arrivée soudaine d’un évènement perturbateur de l’ordre économique et
sociale : la liaison brutale à un axe de communication majeur, une extension urbaine, une
grande implantation industrielle ou touristique…etc. Le terme « perturbateur » n’est pas à
voir de façon forcément négative, sa nature dépend de l’image, la représentation que la
collectivité locale se fait de l’arrivée de cet évènement et de sa capacité à s’y adapter. La
vie sociale et culturelle est bouleversée par ces évolutions, qu’elles soient lentes ou
brutales. Elles conduisent souvent à une perte de l’identité locale. Cependant, quand la
société locale a gardé assez de consistance, certaines initiatives ascendantes apparaissent
pour défendre l’autonomie et l’identité locale.
21
Enfin, la situation politico-administrative représente un dernier facteur de
dépérissement. De la mauvaise situation géographique décrite précédemment découle
souvent une « marginalité politique ». La faible importance démographique de ces zones
s’ajoutant à cela, le pouvoir de l’élu concerné, son influence, en est plus qu’amoindri.
Une initiative de développement local ascendant provient de l’interaction de quatre
éléments essentiels (p68) : une prise de conscience par une collectivité locale encore en
capacité d’analyse et de mise en œuvre d’actions correctrices de la situation précaire dans
laquelle elle se trouve, une formation d’un réseau d’acteurs partageant les mêmes racines
culturelles, la même analyse et la même volonté d’action, le degré d’autonomie ou
d’intégration de la collectivité locale face au système global, la proximité qu’il entretient
avec ce modèle dominant aussi bien politique, social ou culturel.
Paul Houée décrit trois principaux types de prise de conscience (HOUEE, 1992,
p68) :
-
De façon continue et progressive ;
-
De façon soudaine, imprévue, suite à un événement menaçant la collectivité locale ;
-
De façon provoquée, par l’organisation d’évènement ayant pour but d’informer, de
sensibiliser ;
Si ces quatre éléments essentiels sont présents, une initiative de développement local
peut naître d’un groupe d’acteurs. Le succès de ce groupe et de sa dynamique dépend de
l’analyse qu’il fait de la situation et de son environnement ainsi que de sa faculté de
regrouper et mobiliser à travers la formulation du problème. L’enjeu pour ce groupe
initiateur est d’arriver à passer d’une implication individuelle ou sectorielle à une
implication plus globale de la société locale.
2.3 Les différentes phases de la démarche ascendante
Cela passe par plusieurs phases. Il y a d’abord ce que Paul Houée appelle le
« niveau informel » où le groupe initiateur a une cohésion assez forte pour pouvoir se
contenter d’un support institué minimal. L’évènement déclencheur du mouvement est
encore récent et bien ancré dans l’esprit des membres. Puis vient un palier d’élargissement
du mouvement, des acteurs locaux qui ne sont pas forcément directement concernés s’y
ajoutent (experts, responsables…). On entre dans un système de fonctionnement « localglobal » où les points de vues divergents, initialement gommés par la menace de
22
l’évènement perturbateur (cette situation de dépérissement décrite plus haut),
réapparaissent. Il y a souvent une séparation entre « réalistes » et « idéalistes ». Ces
divergences peuvent engendrer soit un conflit dont l’issue déterminera l’orientation du
mouvement, soit un compromis entre les différentes orientations. Tout dépend du contexte,
c'est-à-dire de l’urgence du problème, de la force des acteurs externes et aussi de la force
du mouvement initial.
Une fois que le projet est décidé, que le mouvement va vouloir agir, il va devoir
acquérir une reconnaissance, une légitimité d’action, des moyens financiers, il va devoir
adopter une forme instituée. Dans un cas de développement local, il va en général se
tourner vers une forme associative. Dans ses rapports avec les élus, la forme associative
peut parfois être instrumentalisée par ces derniers pour servir une dynamique globale, cette
collaboration peut ensuite être influencée par les changements de politique locale. L’enjeu
pour les associations est de garder leur autonomie et de conserver l’orientation initiale de
leur mouvement.
Paul Houée souligne également l’importance des « structures extérieures d’appui »
(organismes de formation, bureau d’étude…) qui favorisent le développement et l’action
de ces mouvements nés de la participation de la population locale.
2.4 Population locale, structuration des ses acteurs et participation dans la
démarche ascendante
On peut définir la notion de population locale comme une population
« traditionnellement organisée sur la base de la coutume et unie par les liens de solidarité
clanique ou parentale qui fondent sa cohésion interne. Elle est caractérisée, en outre par
son attachement à un terroir déterminé »7 .
En raison du thème de ce mémoire, il est surtout important de définir « population
locale » par la présentation de son mécanisme interne dans le cadre d’un développement
local. Houée discerne différents niveaux d’acteurs du développement local ascendant pour
comprendre le développement touristique dans sa dimension participative. Il établit quatre
niveaux : le noyau des dirigeants et permanents, le cercle des adhérents, les forces de
résistance et d’opposition, la participation populaire.
7
Code forestier, art icle 1er al.17
23
Le noyau des dirigeants et permanents est constitué d’une personnalité politique (par
exemple, un leader informel d’un mouvement initial qui a acquit le statut d’élu) et d’agents
du développement.
Le cercle des adhérents est composé de ceux qui suivent le projet dans ses moments
forts (réunions, assemblées générales…). Ils adhèrent pour des raisons et à des degrés
différents mais c’est une force de soutien du projet qu’il convient de garder impliquée car
c’est un poids politique.
Les forces de résistance et d’opposition sont difficiles à cerner mais on constate de
grandes orientations qui sont susceptibles d’être la cause d’éloignement d’abord et
d’opposition ensuite. Une séparation s’opère le plus souvent entre « réalistes » et
« idéalistes », entre militants radicaux et gestionnaires. Le fait de ne pas trouver de
compromis amène parfois les groupes en désaccord à scinder le mouvement initial.
La participation populaire qui concerne une partie souvent importante de la
population locale est l’objet d’évolutions dans le temps. A l’origine, elle est spontanée ou
volontaire car elle correspond à un besoin d’intégration à la communauté mais aussi à une
réaction commune face au danger de dépérissement de la collectivité locale. Cependant
elle est amenée à changer rapidement pour devenir une participation de nature plus
fonctionnelle. Ce changement s’explique par la complexité croissante qui s’empare du
processus de développement : tenues de réunions, intervention de commissions
spécialisées, utilisation de langages et méthodes techniques. Un éloignement se créé entre
le projet de développement et la population, ce qui pousse cette dernière à se désengager et
à laisser les personnes qu’ils considèrent qualifiées s’en occuper (responsables, élus…).
Paul Houée note que certaines classes de la société sont absentes ou se désengagent
rapidement :
-
Ce sont d’abord les catégories rurales traditionnelles. Ce sont des populations qui
se caractérisent par leur manque de moyens et de savoirs, dont la vision s’étend à
court terme, au quotidien de la vie locale (du village) et à leur famille. L’auteur
prend pour exemple les petits agriculteurs, les artisans-commerçants retraités.
24
-
Il y a aussi un type de population souvent faiblement intégrée à la collectivité
locale, contraints par des dépendances externes et la mobilité. Il cite la catégorie
des ouvriers et des petits salariés. Enfin, le dernier groupe se caractérise par son
indépendance vis-à-vis du reste de la vie locale. Ces personnes possèdent leurs
propres réseaux d’influences et leur propre sphère socio-économique, ils n’ont pas
d’intérêt pour les éventuels projets de développement local car ils ne sont pas ou
peu mis en danger par les risques de dépérissement. Ce sont des chefs d’entreprises
ou de grands agriculteurs.
3. Les acteurs économiques
Le territoire du développement touristique est également le lieu où évolue un
certain nombre d’acteurs économiques (qui répondent aux impulsions données par les
initiateurs du développement). Ils n’appartiennent pas plus spécifiquement à une démarche
qu’à une autre. Ils sont présent autant dans la démarche descendante que celle descendante.
Dans les deux cas ils ont un pouvoir d’influence certain sur le développement touristique.
Il est donc intéressant pour le sujet abordé de présenter la typologie que Houée en fait.
Afin de déterminer les comportements des acteurs économiques, l’auteur distingue
deux types d’entreprises et de services suivant leur fonctionnement et leur relation aux
ressources locales :
-
Les « unités ou groupements d’unités économiques » dont le centre décisionnel se
trouve en dehors du territoire concerné (multinationales…) ;
-
Les « unités ou groupements d’unités économiques » dont la plus grande partie de
l’activité dépend de l’utilisation des ressources locales qu’elle s soient matérielles
ou immatérielles (sociales, culturelles…).
La différence entre ces deux types d’appareils économiques se situe dans leur taille et
leur fonctionnement. La grande taille du premier induit une démarche globale qui ignore
les collectivités locales ce qui n’empêche pas ces dernières d’être impliquées dans leur
devenir. A l’inverse, les appareils de petite taille sont plus insérés dans le tissu économique
local.
25
A travers ce chapitre nous avons pu voir le rôle important que jouent les institutions
officielles et les acteurs locaux dans le développement local mais aussi touristique. Outre
leur rôle, le lien qui est présent entre global et local (et vice-versa) est déterminant pour le
développement. En effet dans la démarche descendante les acteurs qui font le lien entre le
sommet et la base semblent avoir une influence sur la façon dont est mené le
développement et dont la population est impliquée au sein de celui-ci. Enfin, dans la
démarche ascendante, le dynamisme et la capacité fédératrice des acteurs initiateurs du
développement semble être également décisive dans l’implication du reste de la population
locale et donc dans le type de développement touristique qui peut en ressortir.
26
Chapitre III : Identité et interculturalité
La mondialisation, l’augmentation des flux touristiques et l’accessibilité croissante
des territoires amène inévitablement les touristes et les populations locales des pays
récepteurs à se rencontrer. Mais il s’agit plus que d’une simple rencontre, il s’agit souvent
d’une rencontre entre différentes identités.
Afin de pouvoir adopter une approche interculturelle, nous étudierons dans ce chapitre, les
notions qui lui sont liées.
1. La notion de culture
Avant d’envisager d’aborder les concepts d’interculturalité, de rencontre des
cultures nous devons définir la notion de culture.
1.1Définition
Le mot culture vient du mot latin « cultura » désignant, à son apparition dans la
langue française au XIIIe siècle, un culte religieux ou une parcelle de terre cultivée 8 . Nous
nous concentrerons sur le sens socio-anthropologique. D’une façon générale, le
dictionnaire des sciences humaines défini
la culture comme
« l’ensemble des
connaissances et des comportements qui caractérisent une société humaine ». Avec le
temps, chaque auteur a amené sa pierre à l’édifice, complémentaires les unes des autres.
Nous nous efforcerons de faire ressortir les aspects importants de chaque sens pour arriver
à une définition aussi complète que possible.
Pour E.Tylor, la culture est contenue dans la société et c’est cette dernière qui la transmet à
l’individu. Il l’a définie en 1871 comme l’ensemble des « connaissances, croyances, arts,
lois, de morale, de coutume, et tous autres capacités ou habitudes acquises par l’homme en
tant que membre de la société »9 .
8
VERDURE Christophe. La culture, reflet d’un monde polymorphe.
<http://www.futura-sciences.com/fr/doc/t/philosophie/d/la-culture-reflet-dun-mondepolymorphe_227/c3/ 221/p4/>. (Consulté le 03-02-2012)
9
Ibidem
27
Disponible
sur
En 1931, B.Malinowski aborde la notion de culture par sa dimension anthropologique.
Pour lui, elle est constitué « des techniques, des objets fabriqués, des procédés de
fabrication, des idées, des mœurs et des valeurs hérités »10 . Par son observation, il est
possible de comprendre les institutions et les interactions de la société.
De cet ensemble constitutif de la culture, M.A.Robert distingue deux aspects : la culture
explicite et la culture implicite. La culture explicite est constituée des éléments matériels
tels que la nourriture et les ustensiles, l’habitat, les rites, les danses, les vêtements… La
culture implicite est le système de valeur, de représentation et des sentiments qui est
matérialisée par la culture explicite.
1.2 L’identité culturelle
La notion « d’identité culturelle » désigne « l'ensemble des éléments de culture par
lesquels une personne ou un groupe se définit, se manifeste et souhaite être reconnu »11 , à
savoir les éléments de la culture implicite et explicite au sein d’une personne ou d’un
groupe.
Il est intéressant de se pencher sur le travail de Frederick Barth pour compléter la
définition de la notion d’identité culturelle. Il commence par réfuter la thèse d’une identité
culturelle figée et introduit l’idée d’une identité dynamique, variable, construite en
fonction de ses contacts avec d’autres identités 12 . Pour lui l’identité n’est pas un centre
rigide unique mais un noyau de taille variable, entourée d’une périphérie de taille variable
elle aussi. La « périphérie » de l’identité est le lieu le plus exposée aux variations, il est le
point de rencontre avec d’autres identités.
10
Ibidem
SOW Abdoulaye. L’importance des responsabilités et droits culturels dans le développement.
Disponible sur <http://www.interarts.net/descargas/interarts495.pdf>. (Consulté le 03-02-2012)
12
AYM ES Marc et al. . Question d’identité : l’apport de Frederick Barth. Disponible sur
<http://labyrinthe.revues.org/503>. (Consulté le 03-02-2012)
11
28
2. La notion d’interaction
Maintenant que nous arrivons à la rencontre entre deux identités culturelles, il semble
indispensable de définir la notion d’interaction et de son résultat, l’interculturalité pour
mieux comprendre les notions d’altération culturelles dont il sera question dans ce
mémoire.
2.1 Interaction culturelle et interculturalité
L’interaction culturelle est la rencontre de deux identités culturelles. Cette notion
est fortement liée à celle d’interculturalité qui en est le résultat.
En effet l’interculturalité est définie comme "l'ensemble des processus psychiques,
relationnels, groupaux, institutionnels générés par les interactions de cultures, dans un
rapport d'échanges réciproques et dans une perspective de sauvegarde d'une relative
identité culturelle des partenaires en relation" (CLANET, 1993).
Les notions de « centre » et de « périphérie » développées plus haut pour expliquer la
notion d’identité culturelle peut nous servir de bas pour expliquer le concept d’interaction
culturelle et d’interculturalité. Cette approche est également adoptée par Alfred Kroeber et
Clark Wissler qui parlent « d’aires culturelles »13 . Le noyau dans ces aires est un lieu où les
éléments constitutifs de la culture ou les « traits culturels » sont figés et denses, ils sont
propres à une population. En revanche, en périphérie de ce noyau, l’identité culturelle est
perméable. Les populations sont en contact avec d’autres cultures, et leurs traits culturels
en viennent donc à se mélanger.
2.2 L’interaction sociale
A la base, l’interaction sociale est un processus de communication, d’information et
de rétroaction déterminé par le contexte et la dynamique propre à chaque système
relationnel. C’est un processus régulé et structuré par la culture, les institutions et les
13
HERSKOVITS Melville J. Les bases de l’anthropologie culturelle. Disponible sur
<http://classiques.uqac.ca/classiques/Herskovits_melv ille/bases_anthropo/bases_anthro.pdf>. (Consulté le
03-02-2012)
29
rituels sociaux : plus précisément par ce que Hymes appelle les normes d’interprétation.
Celles-ci « impliquent le système de croyance d’une communauté » et donc « les messages
sont transmis et reçus en fonctions de représentations et d’habitudes socioculturelles »
(Edmond M. et al., 1989, p28).
Dans la culture s’inscrit les valeurs et les représentations sociales, celle-ci fondent
donc les pratiques collectives et l’échange.
Rimé soutient l’idée que la communication est également « l’établissement d’une
certaine forme du rapport psychosocial entre deux personnes » (Rimé, 1984, p. 420). La
relation psychosociale est en fait un rapport déterminé par l’identité sociale des interactants : leur position sociale respective et le type de relations qui les relie. A une échelle
plus large, ces deux identités sociales, ces deux personnes peuvent être rapprochées à deux
cultures, deux populations possédant chacune un système propre de valeurs.
La notion de contexte est importante dans l’interaction sociale. Elle peut être vue
sous deux aspects, d’abord le contexte comme environnement sémiotique (« l’inter-texte »)
et ensuite, et c’est surtout dans ce sens que la notion nous intéresse ici, le contexte comme
cadre et circonstances dans lesquels se déroule l’interaction. Selon Marc et Picard, il
convient de distinguer quatre composantes de cet aspect : le cadre, la scène, le contexte
institutionnel et les rituels.
D’abord le cadre, comme lieu spatial et temporel de l’interaction. Cet espace est
subjectif, il est imprégné par la culture du lieu et cela influence l’interaction sociale.
La scène est la relation qui lie les protagonistes, le « scénario » de la rencontre
comprenant les motivations, les attentes, les représentations qu’ils se font les uns des
autres.
Le contexte institutionnel est ce qui défini le statut des interactants et donc, par
conséquent, les rapports qu’il y a entre eux.
Les rituels sont particuliers à chaque culture, ils définissent les règles des interactions
sociales.
30
3. Les conséquences de l’interculturalité
Les interactions qui ont lieu entre les populations de cultures différentes engendrent
des altérations au sein de ces dernières. De façon à comprendre les altérations qui peuvent
être engendrées par le développement touristique sur les populatio ns locales, nous allons
définir ici la notion d’acculturation, les processus qui en dépendent ainsi que les facteurs
de variation des ces mêmes processus.
3.1 L’acculturation
Contrairement à l’image que l’on peut se faire de la notion d’acculturation au
premier abord, le « a » commençant le mot, n’est pas un « a » privatif, il vient en fait du
latin « ad » qui exprime le rapprochement. L’acculturation n’est donc pas nécessairement
synonyme de « déculturation » (terme que nous verrons par la suite), elle regroupe bien
d’autres processus d’altération.
Alors que l’Ecole des cercles culturels définissait l’acculturation comme un
phénomène de diffusion des traits culturels d’une culture à une autre, Fortes ne se limite à
cette vision d’échange et envisage l’acculturation comme « un processus continu
d’interactions entre groupes de cultures différentes ». Le Mémorandum du Social Science
Research Council l’a défini en 1936 comme l'« ensemble des phénomènes résultant du
contact direct et continu entre des groupes d'individus de cultures différentes avec des
changements subséquents dans les types de culture originaux de l'un ou des autres
groupes » introduisant ainsi l’idée d’un rapport dominant/dominé.
3.2 Les processus acculturatifs
Parmi ces « phénomènes », on compte des processus de transculturation, de
déculturation, de conflits, d’assimilation, d’ajustement et syncrétisation, d’intégration ou
encore de contre-acculturation.
31
Le processus de transculturation est un mot créé par He rskovits en 1940 et définie
par le dictionnaire des sciences humaines comme la phase de transition d’une culture à une
autre, s’étalant du déclin ou de la disparition d’une culture jusqu’à l’adoption d’une
nouvelle culture. Durant cette phase de transition, des sous-cultures ou des cultures
syncrétiques peuvent apparaître.
La syncrétisation est une « synthèse, agrégation ou amalgame de deux éléments
culturels différents ou de deux cultures d’origine différentes qui subissent ainsi une
réinterprétation » (GRESLE & al., 1990), c'est-à-dire qu’il y a combinaison entre la culture
d’origine et la nouvelle culture. Ce phénomène est en fait un type d’acculturation que l’on
pourrait aussi nommer « métissage culturel ».
L'intégration est « un processus par lequel un individu intériorise des normes et des
valeurs de la culture avec laquelle il est en contact, et ce d'une façon conduisant à une
insertion réussie à cette culture » (J.-F. COUET et A. DAVIE, op. cit., p. 56).
Selon le dictionnaire des sciences humaines, l’assimilation est l’ « adoption et la
fusion dans un tout culturel cohérent gardant les caractéristiques essentielles de la culture
traditionnelle, d’éléments empruntés à une autre culture », c'est-à-dire qu’il y a disparition
de la culture initiale en raison de l’acceptation intégrale des valeurs de la nouvelle culture.
La contre-acculturation est le refus et le rejet d’une nouvelle culture de la part d’une
autre.
La déculturation est le processus de dégradation d’une culture face à la domination
d’une autre culture.
Cependant pour Marie-Nelly Carpentier et Jacques Demorgon, il est encore réducteur
d’envisager
les
phénomènes
d’influence
culturelle
sous
un
jour
uniquement
dominant/dominé, c’est pourquoi ils jugent nécessaire d’utiliser une autre notion qui est
celle de l’ « interculturation » (THESEE, 2010) ou celle de métissage, déjà utilisée par
Laplantine,
Nous
ou
Guillebaud,
mais
qui
désigne
les
mêmes
processus
d’altération. L’interculturation suppose une acculturation réciproque de deux cultures
différentes, sans situation de domination.
32
Roger Bastide distingue différents facteurs de variation de l’acculturation, cette
typologie détermine l’importance et la nature du phénomène acculturatif. D’abord, il y a le
fait que l’acculturation se produise entre des sociétés dans leur globalité ou seulement entre
des groupes spécifiques de ces sociétés (groupes religieux, groupes économiques…). Le
second facteur est l’état d’esprit des populations mises en contact, le fait que
l’acculturation se fasse dans l’amitié ou l’hostilité. Le troisième facteur est la démographie,
les phénomènes acculturatifs varient suivant si les populations sont égales en nombre ou si
l’une est démographiquement majoritaire ou minoritaire. Le fait que les populations soient
relativement proches ou éloignées dans leur état d’esprit engendre également des
phénomènes différents. Enfin le dernier facteur de variation est le lieu où les phénomènes
acculturatifs se déroulent.
Les phénomènes acculturatifs ne sont pas indépendants les uns des autres, Roger
Bastide distingue des séquences qui se répètent à l’intérieur du processus de mise en
contact de deux cultures. Au début de la mise en contact il y aurait une période de rejet de
la nouvelle culture suivit après un contact prolongé d’une pér iode d’acceptation et
d’intégration partielle de la culture autrefois considérée comme « conquérante ». A ce
moment, l’échange n’est pas forcément à sens unique, les deux cultures peuvent être
l’objet de l’adoption de certains traits culturels de l’autre. On parle dans ce cas de
syncrétisation ou métissage. Au fil du temps on peut arriver à un phénomène d’assimilation
où l’une des cultures disparaît pour avoir adopté intégralement la culture majoritaire ou
bien au contraire on peut trouver un phénomène de contre-acculturation par lequel la
culture menacée d’extinction s’emploi à restaurer son ancien mode de vie.
Les interactions sociales et culturelles sont des phénomènes qui méritent d’être
abordés avant de tenter de pousser plus loin notre question de départ. L’interculturalité,
résultante de ces phénomènes, est omniprésente dans le domaine du tourisme. La plupart
du temps, le tourisme est un voyage (à l’intérieur ou l’extérieur du pays) qui met des
populations d’origines différentes en contact. Cette rencontre a inévitablement des effets
sur les identités culturelles. Cependant, ces effets sont variables, ils peuvent mener à des
changements culturels et/ou sociaux plus ou moins importants comme on l’a vu avec la
notion d’acculturation.
33
Conclusion de la première partie
La mondialisation est loin de constituer un phénomène nouveau, l’augmentation
des flux touristiques, la mise en contact croissante des populations mondiales ou la
marchandisation des espaces ou des populations à des fins to uristiques non plus.
Cependant c’est la poursuite de cette croissance qui mérite notre attention. De plus, malgré
la prise de conscience des effets néfastes du tourisme de masse, la demande pour ce type
de tourisme est loin d’être assouvie. Il se pourrait que ce soit une façon de voyager avec
laquelle il faille composer sans pour autant en accepter tous les côtés néfastes. De son côté,
le concept de tourisme durable, qui prétend apporter une solution au tourisme de masse, est
souvent victime d’une utilisation marketing ou de l’interprétation variable des concepts
éthiques. Les effets néfastes du tourisme en général sont toujours observés dans de
nombreux endroits dans le monde malgré l’apparition d’initiatives prometteuses.
A travers l’analyse de ce contexte, il paraît de plus en plus pertinent d’adopter une
approche interculturelle dans la mise en tourisme des territoires. Il semble falloir compter
avec la mise en contact de populations toujours plus importante et les altérations qui en
découlent inévitablement. Le point qui semble intéressant de se pencher, c’est sur la
question de l’importance des altérations culturelles et sociales chez les populations locales
et leur lien avec la façon dont est développé le tourisme. Quels sont les mécanismes qui
lient ces deux éléments ?
Dans quelle mesure le développement touristique est- il un facteur d’altérations
sociales et culturelles des populations locales ?
34
Partie II - Développement touristique et
altérations identitaires
35
Introduction de la deuxième partie
Afin de répondre à notre problématique, nous proposerons dans cette partie
certaines hypothèses dans le but d’identifier à la fois en quoi le développement touristique
est- il facteur d’altération culturelle et sociale pour les populations locales et dans quelle
mesure. Chaque hypothèse traitera d’un facteur. Nous n’avons pas la prétention d’identifier
l’ensemble des facteurs altératifs du développement touristique sur la culture et
l’organisation sociale des populations locales. Nous essayerons avant tout de porter notre
attention sur certains facteurs clés et leur mécanisme. Il est important de préciser que
chaque hypothèse est potentiellement interdépendante, la présence (ou non présence) d’un
facteur n’engendre pas un résultat unique, le résultat dépend de la présence ou non
présence des autres facteurs.
A partir des éléments de définition donnés dans la partie I, on partira du princ ipe que
tout contact entre tourisme et population locale engendre des changements culturels et
sociaux. Les conditions de contact étant cependant différentes, on suppose que la nature
des changements est également différente.
Chapitre I : Niveau de développement et place du tourisme dans
le tissu économique, facteurs d’altérations des populations
locales
Notre objectif dans ce chapitre est de tenter de déterminer l’importance que tie nnent le
niveau de développement et la part du tourisme dans le tissu économique dans les
modifications culturelles et sociales des populations locales accueillant le développement
touristique.
1. Mise en contact de populations et écarts d’efforts de subsistance
Par la lecture d’un certain nombre d’ouvrages on est amené à penser que le niveau de
développement joue un rôle déterminant dans le type d’altérations engendré par le
développement touristique sur les populations locales. Mimoun Hillali explique que dans
36
un contexte où la pression de la pauvreté et de la démographie est forte, les populations
pensent avant tout à leur survie individuelle et non au développement global de leur
territoire. Par conséquent, si le tourisme est amené à se développer, il est peu probable que
ce soit un tourisme durable (HILLALI, 2003, p4-6).
Dans l’entretien que nous avons eu ensemble, M. Gaye de l’association de Palabres
Sans Frontière prend l’exemple marquant des Dogons au Mali dont les conditions de vie
sons très rudes, la subsistance y est assurée au prix de rudes efforts. Il explique que cette
population s’est longtemps isolée afin d’échapper à la domination des colons et de
préserver son mode de vie et sa culture. Par la suite, cette culture préservée a attisé l’intérêt
des ethnologues, et très vite, la curiosité des touristes. Rapidement, la population locale
s’est rendue compte que le tourisme leur apportait un moyen de subsistance bien plus aisé
que celui dont ils dépendaient auparavant.
Il est important de préciser que malgré l’étalement spatial croissant du tourisme au
niveau mondial, les pays développés restent les centres de la dynamique touristique, ils
continuent à être les principaux récepteurs et émetteurs de touristes au niveau mondial 14 .
Ainsi, le développement amène potentiellement à mettre en contact des populations d’un
niveau de développement différent. C’est le cas pour l’exemple dont nous parlons
actuellement, la richesse des touristes était de loin supérieure à celle de la population locale
qu’ils venaient visiter. Le rapport à la subsistance en a été complètement changé. Par
exemple, un touriste européen peut payer 10€ pour l’achat d’un produit d’artisanat, pour
lui, il ne s’agit pas d’une grosse somme. En revanche, pour la population d’accueil c’est
une somme extrêmement importante. Par ces écarts de revenus, pour une q uantité d’efforts
infiniment moindre, le tourisme rapportait donc bien plus, assurant ainsi la subsistance et
plus encore. La population a vu rapidement changer sa culture et son organisation sociale.
Elle a abandonné ses anciennes activités, parties intégrantes de sa culture et certains
phénomènes qui n’existaient pas auparavant, tels que le chômage, sont apparus.
Il faut bien préciser que ces phénomènes de déculturation ne proviennent pas
seulement du fait que la satisfaction des besoins primaires n’est pas ou difficilement
14
DEHOORNE Olivier. Le tourisme international dans le monde : logiques des flux et confins de la
touristicité. Disponible sur <http://etudescaribeennes.revues.org/882#tocfro m1n1>. (Consulté le 30-01-2012)
37
atteinte, ni du fait de la différence de niveaux de richesse entre deux populations mais bien
de la réunion de ces deux éléments.
On pourrait donc supposer que quand un projet de développement touristique met en
contact une population d’accueil avec une population touristique dont les revenus sont très
différents, l’écart entre l’effort de subsistance par les moyens traditionnels et l’effort de
subsistance par le tourisme détermine le type d’altération culturelle et sociale. Si l’effort
pour satisfaire les besoins primaires est grand comme dans le cas de la population des
Dogons alors qu’un développement touristique nouveau offre la possibilité d’une
subsistance à bien moindre effort, dans ce cas on risque d’observer des phénomènes de
syncrétisme voire même, de déculturation.
Cependant attention, cette hypothèse mérite d’être nuancée et complétée.
L’importance du tourisme dans le tissu économique semble jouer un rôle important dans le
développement local et par conséquent dans la nature des phénomènes altératifs.
2. Place du tourisme au sein du tissu économique
Le type d’altération culturelle et sociale ne tient pas qu’à l’écart d’effort pour la
subsistance expliqué ci-dessus mais aussi à la place que prend le tourisme au sein du tissu
économique.
« Ce n’est pas le tourisme seul qui permet le développement du pays mais bien le
développement général du pays qui parvient à rendre le tourisme profitable »
(BATAILLOU & SCHEOU, 2006, p22).
Cette citation de Bernard Schéou nous explique clairement le lien entre niveau de
développement du tissu économique et place du tourisme au sein de celui-ci. Ce n’est qu’à
condition qu’il y ai un développement global de l’économie que le tourisme peut être
profitable. C’est ainsi que le développement global des autres secteurs économiques
français a pu rendre le secteur touristique globalement viable (HILLALI, 2003, p6).
Nous irons même plus loin en disant que le niveau de développement du tissu
économique détermine l’importance qu’un développement touristique peut prendre au sein
de celui-ci. Si le tissu économique d’un territoire est peu développé, le tourisme peut
potentiellement y prendre une place centrale.
38
De plus, dans le cas d’une intervention de l’Etat, il mobilise des ressources qui
auraient pu être employées au développement d’autres secteurs économiques (PY, 1992,
p126). Ainsi c’est un cercle vicieux : si le développement touristique se met au centre d’un
tissu économique lorsqu’il n’est pas développé, il concentrera les efforts de développement
économique dans le maintien de sa domination. « Il est source d’une inflation qui peut
pénaliser les populations locales et peut provoquer des désordres sociaux divers :
alcoolisme, délinquance, prostitution, acculturation » (PY, 1992, p126).
En outre, le développement touristique n’est pas forcément impulsé par des
institutions officielles mais arrive directement aux populations locales par le biais d’acteurs
économiques tels que des tours opérateurs. L’importance que prend le tourisme au sein du
tissu économique n’en n’est pas moindre. On pourra dire qu’il concentre la concentra tion
de la population locale sur lui.
Cependant Bernard Schéou n’explique pas à quel point le tissu économique doit être
développé pour que le tourisme ne prenne pas une importance majeure. On peut supposer
qu’il doit être suffisamment développé pour satisfaire les besoins primaires d’une
population mais au prix de quel degré d’effort de subsistance ? A partir de quand le niveau
de développement du tissu économique est-il suffisant pour que le développement
touristique contribue au développement local ? Il est difficile de répondre à ces
questionnements, cet essai n’en a d’ailleurs pas l’ambition, mais nous aurons par la suite
des exemples qui pourraient fournir des pistes de réponses ou de réflexions.
3. Importance du développement touristique : les cas de populations locales
L’association Palabres Sans Frontières a pour but d’aider le développement de la
population locale de Keur Samba Yacine par des projets tels que la construction d’un poste
de santé (2003-2006) ou d’un collège. L’association finance ces actions de développement
par un certain nombre de soutiens financiers et par le tourisme. Elle fait partir des
voyageurs dans le petit village sénégalais dans une optique de tourisme social et équitable,
pour découvrir le mode de vie de la population locale. Le tourisme n’est conçu que comme
un complément économique, c’est volontairement que son importance est réduite. Samba
Gaye explique qu’il ne faut pas que le tourisme se trouve au centre de l’économie, sans
quoi les altérations culturelles et sociales peuvent être catastrophiques.
39
C’est ce qui s’est produit selon lui dans la population des Dogons, le développement
du tissu économique étant faible et parvenant difficilement à subvenir aux besoins
primaires de la population locale, le tourisme s’est positionné au centre du système
économique. L’opportunité économique du tourisme était telle que la population a été tenté
de se servir du tourisme de façon exacerbée, comme l’instrument d’une survie à atteindre
coûte que coûte. Les exemples ne manquent pas, Samba Gaye explique également que la
petite côte du Sénégal est touchée par ce même phénomène. Il en résulte une forte de
dépendance économique qui a elle- même un impact social indéniable. En 2011, lorsqu’il y
a eu une prise d’otages au Mali et le printemps arabe dans les pays d’Afrique du Nord, les
flux touristiques vers le Sénégal ont fortement baissé. C’est dans cette situation que l’on
voit apparaître du chômage là où il n’y en avait jamais eu.
On citera l’exemple du village miao de Langde, dans la région du Guizhou, en Chine.
Cette région étant l’une des plus défavorisée du pays, elle s’est tournée vers ce qui semblait
être son unique richesse, sa diversité culturelle. Les Miaos, minorité ethnique en Chine
mais très présents dans cette région, ont donc été mis en avant, notamment au village de
Langde servant de vitrine pour cette ethnie. Un développement touristique initié par la
région offre aux touristes la possibilité de venir assister aux spectacles de danse et aux
rituels traditionnels animés par les jeunes filles du village ornées des costumes et bijoux
traditionnels qui font la réputation des Miaos.
Depuis la mise en tourisme de ce village les habitants ont pris l’habitude de réclamer
de l’argent en échange de photos. Les rituels sont accomplis en dehors des périodes
traditionnelles. L’activité économique s’est organisée autour du tourisme, la fabrication et
le commerce d’objets artisanaux ont pris une importance accrue. Le vol et la prostitution
ont même fait leur apparition (GRILLOT, 2001, p72-74).
On peut supposer que si l’écart est important et que le tourisme prend une place
centrale dans le tissu économique, alors on peut voir apparaître des phénomènes
acculturatifs tels que la déculturation. En revanche, si le tourisme reste un complément
dans le tissu économique, les altérations seront plus de l’ordre du métissage culturel.
A contrario, dans le village de Keur Samba Yacine où les revenus du tourisme ne
comptent que pour une partie des revenus servant au développement, les altérations
40
culturelles et sociales constatées se limitent à un métissage culturel : l’utilisation de modes
de culture modernes par exemple.
Nous pouvons résumer notre réflexion par le schéma suivant :
Figure 2 - Schéma de relations entre niveau de développement, place du tourisme,
type de développement touristique et altérations
Différence du
niveau de vie des
populations mise
en contact
Importance du
tourisme au sein
du tissu
économique
Développement
touristique
Altérations
culturelles
et sociales
Réalisation : Valérian Gouëset
41
En conclusion de ce chapitre, nous pouvons attester d’un certain lien entre le
changement de l’effort de subsistance d’une population locale exposée au développement
touristique et l’importance que prend celui-ci dans le tissu économique. Si l’effort de
subsistance vient à se renverser totalement, le tourisme sera plus facilement amené à
prendre place au centre du tissu économique. L’ensemble aura de grande s chances de
mener à d’importantes altérations culturelles et sociales. Il est pourtant difficile, voire
impossible de déterminer le seuil où l’écart du niveau de vie des populations mises en
contact est assez grand pour amener à un basculement vers une économie basée sur le
tourisme.
Ce lien de dépendance est donc loin de constituer une vérité absolue. L’exemple de
ce village sénégalais de Samba Yacine nous prouve qu’une population dont l’effort de
subsistance qui se trouve en fort contraste avec l’effort de subsistance que représente
l’arrivée du tourisme n’est pas sujette à la centralisation de son écono mie autour du
tourisme. Elle n’est donc pas forcément non plus l’objet de phénomènes altératifs amenant
à la disparition d’une culture ni même à des phénomènes sociaux néfastes. Le fait que le
tourisme tienne une place secondaire au sein de l’économie atténue son influence sur la
culture et l’organisation sociale de la population concernée. C'est-à-dire que le tourisme
n’est pas l’unique réponse pour la subsistance et surtout, ne suffit pas à la satisfaction des
besoins primaires.
Des facteurs endogènes ou exogènes peuvent donc influer sur l’hypothèse que nous
avons traitée dans cette partie. Nous allons voir dans un deuxième chapitre un de ces
facteurs.
42
Chapitre II : Niveau d’implication des populations locales dans
le développement touristique, facteur d’altérations culturelles et
sociales.
A travers certains ouvrages et des entretiens exploratoires, il est rapidement apparu
que la notion d’implication de la population locale était un élément de réponse central à la
problématique qui se pose à nous.
Dans ce chapitre nous verrons donc l’importance et l’influence de l’implication de la
population locale au sein du développement touristique sur le type d’altération qui se
produit dans sa propre culture et sa propre organisation sociale. Nous essayerons de
différencier deux types d’implications : la participation et l’appropriation. Nous porterons
également notre attention sur les liens entre ces derniers et la nature des phénomènes
altératifs.
Figure 3 - Influence du type d'implication des populations locales sur les types
d'altérations sociales et culturelles
Participation
Implication de la
population au
sein de son
développement
touristique
Altérations
sociales et
culturelles
Réalisation : Valérian Gouëset
43
Appropriation
1. Participation et appropriation
Si on est amené à parler de types d’implications c’est que lors de situations
précises, les différents rôles que les populations locales ont pu jouer dans leur
développement se sont avéré engendrer différentes altérations dans leur culture et leur
organisation sociale. De plus, certains schémas ont tendance à se répéter dans les différents
exemples qu’on a pu rencontrer.
Nous reprendrons l’exemple de la population des Miaos qui s’est vue impliquée dans
son propre développement touristique mais qui a subit des modifications culturelles
sociales. Le village de Langde est en fait l’objet d’un développement touristique encouragé
par le gouvernement chinois dans le sens où la Chine, pour développer son industrie
touristique, a décidé de considérer les minorités telles que les Miaos pour la première fois
comme des richesses culturelles. Cette orientation est suivie et mise en œuvre par les
provinces et les régions. En l’occurrence, dans la région du Qiandongnan pour ce qui est
du village de Langde (GRILLOT, 2001, p70-74).
Le village miao y est donc utilisé comme vitrine, la population comme démonstration
vivante d’une culture minoritaire. Cette population est mise en tourisme au même titre que
le Mont St Michel est mis en tourisme, comme objet. Pourtant on peut considérer que la
population participe à leur développement touristique, seulement leur participation est dite
« exécutive ». Le développement du tourisme sur leur territoire leur est imposé. Nous
avons déjà noté dans le chapitre précédent que ce village avait été l’objet d’une
restructuration de l’activité économique (basé sur le tourisme), de l’apparition de
phénomènes sociaux tels que la prostitution et de déculturation.
Cette participation « exécutive », on l’observe également dans le cas de la petite côte
sénégalaise dont parle Samba Gaye. Il explique que « l’Etat a décidé du jour au lendemain
de développer des clubs de vacances et des structures semblables, en connivence avec des
tours opérateurs » sans que les populations ne soient consultées à aucun moment (GAYE,
17 mars 2012, entretien exploratoire). L’Etat a présenté cela à la population comme une
opération bénéfique car cela créerait des emplois, ce qui a été effectivement le cas. Samba
Gaye fait le lien entre ce rôle donné à la population et le grand nombre d’altérations
culturelles et sociales qui l’y a observé. Il explique que les populations sur cette côte n’ont
44
plus rien à voir avec les populations de l’intérieur des terres, « il n’y a plus que l’argent qui
compte » et encore une fois on n’évite pas l’apparition de la prostitution. De plus avec les
enlèvements qui ont eu lieu au Mali en 2011, le taux de chômage dans le secteur
touristique a augmenté.
On mettra ces deux exemples en parallèle avec le cas de Keur Samba Yacine. Le
projet de Palabres Sans Frontières était d’aider le développement de ce village en utilisant
partiellement le tourisme. L’implication y a été conçue de façon différente, elle se trouve
non seulement au niveau exécutif mais également au niveau décisionnel. L’objectif est que
la population s’approprie petit à petit le projet, qu’elle en soit l’acteur principal, non pas
comme les Miaos l’étaient, pas comme « acteurs objets » mais comme acteurs
décisionnels. A Keur Samba Yacine ce sont les habitants qui sont venu à Palabres Sans
Frontières pour demander de l’aide pour des projets qui leur sont propres. Ceux qui ont été
à l’origine du projet de construction du poste de santé, ce sont les populations locales.
Samba Gaye résume clairement le principe qui est celui de son association : « les projets
sont à eux » (référence au villageois de Keur Samba Yacine). Pour lui l’appropriation des
projets par la population locale est indispensable si l’on veut ne pas voir le type
d’altérations que l’on a vu sur la côte sénégalaise.
La différence entre le terme de participation et celui d’appropriation se situe de
toute évidence dans le degré d’implication. La question qu’il est maintenant légitime de se
poser est comment passe-t-on de l’une à l’autre ? Quels facteurs entrent en jeu dans ce
passage de l’une à l’autre ?
2. De l’action à la démarche, les facteurs déterminants
Il est certes délicat d’établir les conditions de passage de la participation à
l’appropriation mais nous tenterons d’en cerner les tenants comme nous essayons de cerner
les tenants des altérations culturelles et sociales provoquées par le développement
touristique.
45
2.1 L’implication, une approche par la démarche descendante et ascendante
Nous commencerons par analyser les cond itions de variation de l’implication des
populations locales tant dans la démarche de développement touristique descendante, que
ascendante. Nous avons vu dans la première partie que Paul Houée distingue ces deux
démarches dans les processus de développement local, on constate que suivant la
démarche, différents acteurs sont en présence et qu’ils ne tiennent pas forcément le même
rôle. On rajoutera que les exemples vus au fil des lectures et des entretiens nous
permettrons de faire ressortir les similitudes entre les processus de développement local et
de développement touristique.
Dans le cas d’une démarche descendante c’est l’Etat qui est l’acteur initiate ur du
développement et qui fait descendre l’initiative du global vers le local, c'est-à-dire les
institutions officielles locales.
Dans la démarche ascendante c’est un noyau local qui est le groupe initiateur du
développement, se rajoute ensuite différents acteurs locaux. Le groupe initiateur prend
ensuite une forme instituée pour acquérir une légitimité et une meilleure capacité d’action.
Au final, le mouvement est amené à se rapprocher d’une approche globale, lors de
recherche de financements auprès d’institutions officielles par exemple.
Pour chaque démarche l’auteur explique quelles sont les tenants de l’implication de
la population (à noter que là où il utilise le terme de participation, de par l’analyse que l’on
a développé au dessus, on entend « implication »).
Dans la démarche descendante, la nature de l’implication de la population locale
dépend :
-
Du rapport entre l’Etat, ses relais, la population locale et ses représentants,
-
De l’adaptation des projets aux acteurs locaux,
-
De l’apport d’outils nécessaire à la prise en main du projet par la population.
En ce qui concerne la démarche ascendante, l’implication de la population dans le
développement local est souvent présente à la base puisque par définition l’initiative part
du bas. L’un semble intimement lié à l’autre. En revanche, la question que l’on pourrait se
poser c’est quelle part de la population est impliquée ? Est-ce seulement le noyau
46
d’initiateurs et son cercle d’adhérents ? Ou bien l’initiative regroupe-t-elle une part plus
large de la population ? Y a-t-il des forces d’opposition ?
En ce qui concerne la démarche ascendante, il est nécessaire de repréciser certains
termes que Paul Houée emploie pour expliquer le développement local afin de mieux
l’appliquer au développement touristique. Pour l’apparition de la démarche ascendante, il
met en avant la nécessité de qu’une situation de « dépérissement » soit présente et que la
population locale en prenne conscience. Cependant, appliquée au développement
touristique, il semble que cette condition n’est pas représentative de l’ensemble des
situations d’apparition d’une démarche ascendante. Il semble que le terme de « situation de
besoin » soit plus rassembleur des différentes situations que l’on peut observer.
La démarche ascendante en elle- même et l’implication des populations locales
qu’elle représente semblent donc tenir à l’interaction de quatre éléments essentiels :
-
La prise de conscience de la collectivité locale d’un besoin,
-
La fédération d’une population locale aux racines culturelles communes,
-
Sa capacité à réaliser des actions dans le but de pourvoir à ce besoin.
En conclusion, il semble que les éléments qui déterminent le type d’implication des
populations locales soient différents suivant le point de départ d’un développement
touristique (ascendant ou descendant). Cependant, ils ne doivent pas être considérés
séparément puisque les démarches descendantes et ascendantes sont potentiellement
amenées à se rencontrer. En effet lorsque l’Etat est à la source d’un développement
touristique, s’il veut que la population s’approprie le projet touristique, elle doit de
préférence réunir certaines conditions telles qu’une capacité à prendre conscience de
besoins. Dans le sens inverse, si c’est la population qui est à l’origine d’un projet de
développement touristique, son appropriation totale nécessite parfois que l’Etat intervienne
pour fournir les outils de maîtrise du projet (de la formation par exemple). En revanche il
est possible qu’il y ait absence d’interlocuteur à la base ou au sommet de la démarche. Si le
fait de l’absence de volonté, de structuration, d’entente commune de la part des
populations locales reste un élément difficile à influencer, il n’est pas rare que l’absence
d’action de l’Etat soit contournée par l’intervention d’acteurs exogènes tels des ONG, des
47
associations qui prennent la place de l’Etat et tentent d’assumer son rôle avec leurs propres
moyens.
Cette relation entre démarche ascendante et démarche descendante est donc très
importante pour savoir quel type d’implication de la population locale il peut y avoir.
Remettons donc ensemble tous les facteurs qui déterminent la nature de l’implication
des populations afin d’expliquer comment on passe de la participation à l’appropriation.
2.2 De la participation à l’appropriation, un processus complexe
Aller de la participation à l’appropriation d’un développement touristique implique
que la population devienne propriétaire et maître du projet.
Comme on le disait précédemment, pour qu’il y ait une implication quelconque, il
faut déjà avoir la base d’une démarche descendante ou ascendante.
A la base cela tient donc soit à une prise de conscience de la population locale
qu’elle est dans une situation de besoin, soit à une volonté des institutions officielles (ou
d’acteurs exogène tel Palabres Sans Frontières) d’implication de la population dans le
développement touristique, soit les deux.
La volonté d’impliquer dépend des rapports entretenus, ils peuvent être très faibles,
c’est ce qui est arrivé sur la côte sénégalaise quand l’Etat a mis en place un déve loppement
touristique. Il y avait bien volonté d’impliquer la population mais au sens de la
participation exécutive. A l’inverse, pour la population de Keur Samba Yacine, la volonté
de Palabres Sans Frontières était que la population s’approprie le projet.
De son côté la prise de conscience, suivant son importance dans la population locale,
fait varier le type d’implication. Il est nécessaire que le plus grand nombre possible soit
passé par cette prise de conscience, sans quoi le projet risque de rester dans les mains de
quelques uns, de ne pas être contrôlé par l’ensemble de la population locale.
Si les institutions officielles ou les acteurs exogènes ont la volonté que les
populations locales deviennent maîtresses d’un projet, il faut qu’elles adaptent ces projets
aux besoins locaux. Cela nécessite de consulter la population, pour savoir ce qu’elle veut.
48
De son côté la population locale, une fois que l’ensemble a pris conscience du
besoin, doit se structurer, se fédérer pour que la volonté de l’ensemb le de ses membres soit
prise en compte. Il est préférable que ses membres partagent les mêmes racines culturelles.
Partager un système de valeurs, des systèmes de représentations favorise en effet l’entente
et l’apparition d’une analyse et d’une volonté co mmune. A Keur Samba Yacine, Samba
Gaye explique qu’il a eu la chance que les villageois soient déjà « organisés » à l’arrivée
sur place de l’association. Le village comportait déjà plusieurs associations, celle des
anciens, celle des jeunes et celle des femmes du village. Elles ont désigné deux personnes
par groupement pour représenter la volonté de chacun, au début à un niveau informel, puis
plus tard sous la forme d’un comité de gestion. Cette organisation permet de se concerter,
de prendre les décisions ensemble et d’élire des représentants qui servent d’interlocuteurs
aux acteurs endogènes du niveau global ou des acteurs exogènes. Sans cela, le risque est
que, dans la recherche d’un interlocuteur, l’Etat ou des ONG se trompent dans le choix
d’un représentant ou d’un porteur de projet de niveau local. Samba Gaye explique que des
ONG ont souvent fait une erreur en choisissant une personne de pouvoir d’un village, se
fiant ainsi plus à son statut qu’à sa réelle volonté de développer un projet et sa capacité de
rassembler la population dans un but de concertation.
Tout au long du processus de développement d’un projet touristique, l’appropriation
dépend aussi de la capacité de la population à mettre en œuvre des actions visant à
pourvoir ses besoins. Derrière ce terme de « capacité » se cache en fait la présence de
moyens nécessaires à la maîtrise du projet. Au fur et à mesure de l’avancement du projet,
le maintien sa maîtrise nécessite certains moyens financiers, certaines compétences, sans
quoi le projet risque d’être repris par des acteurs disposant des moyens financiers ou des
compétences nécessaires à sa poursuite (tours opérateurs extérieurs par exemple).
Si une population locale ne possède pas les moyens pour garder la maîtrise d’un
projet de développement touristique, il faut se poser la question de savoir si elle a la
capacité de les obtenir. A-t-elle les capacités de les obtenir elle- même ? L’auto-formation
ou le démarchage d’investisseurs par soi même est parfois envisageable cependant les
populations locales se tourne souvent vers les institutions officielles, les organismes
indépendants ou les acteurs exogènes pour obtenir de l’aide sur ces deux points. La
49
question qui se pose dans ce cas de figure est de savoir si ces acteurs sont présents sur le
territoire ? S’ils sont présents, ont- ils la volonté d’aider ?
Samba Gaye explique qu’au Sénégal, les projets de développement touristique et
développement au sens large sont menés à des fins « clientélistes », c'est-à-dire que lorsque
qu’un projet est mis en place c’est par ce qu’il y a un intérêt politique ou personnel
derrière. Les villageois de Keur Samba Yacine, faisant partie de l’arrière pays, ne constitue
pas d’intérêts. Leur interlocuteur privilégié est donc une associa tion d’aide au
développement opérant en partie dans le cadre de la coopération décentralisée. Palabres
Sans Frontières les aide financièrement par le tourisme et par les financements publics et
privés. Toujours dans le cadre de la coopération décentralisée, elle les aide en partenariat
avec la région Midi-Pyrénées à se former à la gestion du développement local et
touristique.
50
Pour conclure ce chapitre, on fera remarquer que dans la plupart des cas la
participation des populations locales engendrent des altérations culturelles plus prononcées
que l’appropriation. Elles peuvent aller jusqu’à la déculturation alors que l’appropriation
semble se limiter plus à des métissages culturels. Il semble que ce soit la même tendance
au niveau des altérations sociales, alors que l’appropriation engendre la plupart du temps
une restructuration de l’organisation sociale (de nouveaux groupement s se forment,
s’organisent, le lien social se renforce) et des phénomènes sociaux à première vue
bénéfiques (création d’emploi, bénéfices économiques plus importants), la participation
semble provoquer plutôt une déstructuration, une perte de lien social et des phénomènes
néfastes tel le chômage ou le développement de la prostitution. Les différents acteurs du
développement sont en possession de certaines clés permettant de passer d’une
participation à une appropriation, le fait qu’elles soient activées ou non détermine le type
d’implication qui est en présence. Les acteurs et les clés qu’ils détiennent sont également
potentiellement interdépendants. Par exemple, si l’on veut atteindre une appropriation de la
population locale, la nécessité de volonté de la part de l’Etat ne peut fonctionner sans une
prise de conscience de la part des populations. On suppose donc que l’implication des
populations locales dans leur développement touristique est un facteur fort déterminant du
type d’altérations sociales et culturelles qui s’opèrent sur ces mêmes populations.
Cette hypothèse met la notion d’appropriation sur un piédestal sans en proposer une
analyse critique. Il serait pourtant opportun de s’interroger sur les biais de cette notion. Le
fait de s’approprier un projet ne comporte t- il pas un risque de perte de toute analyse
critique ? Il est bien connu qu’il est plus facile de critiquer le travail des autres. Cette idée
couramment usitée dans un sens négatif pourrait peut-être ici avoir un sens positif. Quel
recul peut-on avoir sur son propre projet ? Les forces d’opposition à des projets peuventelle avoir un rôle à jouer dans la bonne poursuite d’un projet ?
51
Chapitre III : Représentations et acteurs du développement
touristique
Dans notre tentative de comprendre comment un type de développement touristique
influence les altérations sociales et culturelles chez une population locale, nous essayons
encore une fois d’identifier ce qui oriente le développement touristique dans une direction
ou dans une autre.
A travers la lecture de différents ouvrages nous avons constaté que les
représentations pouvaient jouer un rôle indirect dans les altérations observées chez
certaines populations locales. Il semble qu’elles jouent un rôle quant au type de
développement touristique mis en place. En effet les représentations déterminent ce que
l’on va mettre en valeur au travers du tourisme. C’est ce que l’on juge digne d’intérêt et
donc ce que l’on montre aux touristes.
Nous nous efforcerons dans cette partie de déterminer quelle est la part d’influence
des représentations sur le développement touristique (voire schéma ci-dessous).
Figure 4 - Schéma partiel des influences des représentations sur le développement
touristique
Etat
Développement
touristique
Tour opérateurs
Population locale
Réalisation : Valérian Gouëset
52
Touristes
L’étude des représentations en tant qu’éléments déterminants du développement
touristique est chose complexe en raison du grand nombre d’acteurs en présence. Afin de
mieux comprendre les processus d’influence des représentations, nous traiterons donc ce
sujet en distinguant les principaux acteurs en charge du développement.
Paul Houée nous parle d’acteurs économiques qui sont impliqués dans le
développement, il en distingue deux types : les acteurs dont le siège se situe hors du
territoire développé et ceux qui se trouvent dans ce territoire et dont la pérennité
économique dépend de la gestion des ressources locales.
Appliquée au développement touristique, cette distinction ne perd pas de sa
pertinence, notamment en ce qui concerne les représentations. Elle nous permet
d’introduire la notion d’acteurs endogènes et exogènes dans ce sujet. On peut aisément
transposer cette analyse à notre situation actuelle : les tours opérateurs, pour leur part,
constituent des acteurs exogènes de développement touristique.
1. Les acteurs exogènes, représentations et développement touristique
Quasi systématiquement dans une logique marchande, les tours opérateurs pensent
avant tout à utiliser l’imaginaire pour « créer du rêve » (FURT & MICHEL, 2007, p104).
La représentation qu’ils ont des territoires et des populations locales est souvent liée à
l’image que s’en fait sa clientèle. Et pour cause, ils basent leur communication sur
l’imaginaire des touristes.
Alain Grenier explique que l’imaginaire est « la représentation de ce qui échappe à
l’expérience physique ». Les tours opérateurs ont donc fait de leur métier l’identification
des images qu’ont les touristes des destinations pour lesquels ils partent. Le développement
touristique se construit en fonction de l’imaginaire des touristes, or il y a très souvent un
écart important entre cet imaginaire et la réalité. C’est cet écart qui, d’après nous engendre,
les altérations sociales et culturelles les moins désirables chez les populations visitées.
Antoine George nous présente l’exemple des habitants des Andes du Pérou qui sont
présentés par les tours opérateurs comme les derniers dépositaires de la culture Incas
(FURT & MICHEL, 2007, p108). Ce qui est mis en avant, ce sont leurs origines incas et
53
notamment leurs rites honorifiques aux montagnes sacrées. Alors, lorsque le touriste arrive
sur place, la mise en scène commence : les péruviens deviennent Incas, et les tours
opérateurs jouent leur rôle d’intermédiaires. Ainsi, l’auteur décrit le marchandage de
rituels d’offrandes entre les tours opérateurs et les officiants. S’agissant d’un élément clé
des représentations des touristes et des tours opérateurs, y assister est indispensable, même
hors des périodes où ils sont normalement officiés, moyennant un certain prix.
C’est ainsi, que sur place, les représentations des tours opérateurs, lorsqu’ils sont libres de
mener le développement touristique comme ils l’entendent, peuvent amener à la
modification de la culture et de l’organisation sociale des populations lo cales.
Selon nous la démarche des tours opérateurs s’explique du fait que ce sont souvent des
acteurs éloignés du territoire mis en tourisme.
D’une part, cet éloignement est culturel. Le fait de ne pas partager l’identité du territoire
que l’on met en tourisme ne favorise pas une compréhension complète de celle-ci. A la
base, les représentations d’un acteur exogène sont donc potentiellement des phénomènes
de simplification de l’identité ou de folklorisation.
D’autre part, les représentations ne peuvent être que plus éloignées de la réalité par le fait
que l’acteur du développement touristique ne dépend pas des ressources sur place. Si elles
viennent à être mises en péril ou altérées, il ne s’agit pas de ses ressources, ni de son
territoire, ni de son identité. Le tour opérateur n’a pas forcément d’attachement à ce
territoire. Il le voit donc plus comme un potentiel de profit pour son activité.
L’environnement concurrentiel le pousse à rendre le territoire le plus attractif possible pour
que la décision d’achat s’oriente vers leur offre.
Cela ne veut pas dire qu’il va forcément altérer l’identité des populations locales
consciemment ; la logique marchande, la pression de la concurrence et du temps ne sont
pas forcément compatibles avec une approche respectueuse de l’identité de l’autre.
L’attention se situe plus sur les profits que sur la précision de la compréhension du
territoire et de sa population. Lorsque plusieurs dizaines de destinations sont proposées par
un tour opérateur, la personne en charge de ces destinations a-t-elle le temps de franchir cet
espace entre imaginaire et réalité pour chacune d’entre elles ? A-t-elle le temps de
comprendre l’identité d’un territoire dans sa totalité afin de construire une offre touristique
ne reposant pas sur un mirage ?
54
Même si ces contraintes de temps, économiques et concurrentielles étaient absentes, y
aurait- il une demande pour un tourisme montrant la réalité des choses sachant qu’elle n’est
pas toujours belle à voir ?
Quand l’imaginaire nourrit les représentatio ns, ce que l’on juge digne d’intérêt peut
être très éloigné de la réalité. Si l’acteur décisionnel du développement touristique est alors
l’objet de ces représentations, il risque de construire le développement touristique sur une
image faussée ou incomplète. Les populations locales mises en tourisme risquent alors de
voir leur culture et leur organisation sociale changer. Il est souvent question de
folklorisation, dans ce cas l’acteur du développement touristique ne distingue ou ne veut
voir qu’un aspect d’une population, il met alors en valeur ce seul aspect, occultant ainsi les
autres.
Par l’analyse que nous venons de faire, nous pouvons faire une première hypothèse : celle
qu’un acteur exogène aura plus tendance à amener un dé veloppement touristique facteur
d’altérations culturelles et sociales « non désirables » du fait de ses représentations
faussées ou emprisonnées par son propre imaginaire et celui des touristes.
2. De l’acteur exogène à l’acteur endogène, représentations et développement
touristique
Après avoir traité des représentations auprès des acteurs exogènes, nous nous
intéressons aux acteurs endogènes. Si l’on envisage le développement touristique dans un
cadre géographique, à un niveau national par exemple, on pourrait considérer que l’Etat est
un acteur endogène. Pourtant, la délimitation géographique n’est pas forcément l’approche
la plus pertinente pour dire si l’Etat est un acteur endogène ou exogène en termes de
représentations.
Suivant les cas de figure, l’Etat agit à la façon d’un acteur exogène. C’est le cas de l’Etat
chinois avec les Miaos. Celui-ci, dans sa politique d’ouverture touristique, a mis en valeur
les minorités ethniques sans pour autant les comprendre. Les médias de « propagande »
chinois, dépendant du gouvernement, cultivent l’image des minorités et notamment celle
des Miaos. C’est par eux que l’on passe de la simple présentation des Miaos à la diffusion
d’une représentation. L’objectif des médias et de l’Etat ici est très semblable à celui des
55
tours opérateurs, il n’est pas d’informer ou de faire comprendre mais de faire la promotion
d’une population par la simplification de son identité (GRILLOT, 2001, p70-71). Les
résultats de cette folklorisation ont amené aux altérations sociales et culturelles néfastes
que nous avons déjà étudiées à travers l’exemple du village de Langde.
L’analyse du cas miao nous amène à penser que l’appartenance identitaire de l’acteur du
développement joue un rôle important dans les représentations mentales produites. En
effet, si l’acteur décisionnaire du développement touristique ne partage pas les mêmes
racines identitaires que la population qu’il met en tourisme, alors les représentations qu’il
produit, tendent à être plus en rupture avec la réalité. Dans les cas des Miaos, le
gouvernement est constitué de Hans, population historique majoritaire en Chine, le
développement touristique s’est donc bâti sur un rapport majorité/minorité. La majorité
détient le pouvoir décisionnel et la minorité un rôle plus exécutif.
Découlant de cette réflexion, il semble que pour certains territoires, la décentralisation des
pouvoirs est déterminante dans le jeu d’influence des représentations sur le développement
touristique. Un découpage du territoire permet la mise en œuvre du développement
touristique par des collectivités locales connaissant bien leur territoire et les populations
locales. L’écart entre représentation et réalité en est réduit, l’attachement au territoire plus
fort.
Par opposition à l’acteur exogène, nous supposerons que l’acteur endogène du
développement touristique,
lorsqu’il tient une place décisionnaire, produit des
représentations potentiellement moins néfastes aux populations locales. En effet, si le
développement touristique est construit sur les représentations d’un acteur qui partage les
mêmes traits culturels que la population mise en tourisme et dont l’attachement pour le
territoire est fort alors les représentations qu’il en aura seront plus proches de la réalité. De
ce fait, le développement touristique qu’il mettra en place autour du territoire, de la
population, sera plus en adéquation avec son identité et plus à même d’instaurer un
équilibre. Il semble donc que l’acteur le mieux placé pour mettre en tourisme une
population locale, c’est la population locale elle- même.
56
Cette hypothèse n’a pas pour but d’apporter une vision non exhaustive du schéma
complexe des représentations au sein des acteurs du développement touristique mais
simplement d’attirer l’attention sur son importance dans certaines situations de
développement.
Dans la situation d’un développement touristique dirigé par un acteur endogène, nous
supposons que les altérations sont moins fortes. En raison de la plus grande proximité avec
le territoire et sa population, ses représentations sont moins sujettes à l’influence de
l’imaginaire.
Du point de vue d’un acteur exogène, ce qui est digne d’intérêt ne correspond pas
forcément à la réalité. Si cet acteur a un pouvoir suffisant sur le territoire, il a la possibilité
d’imposer ses représentations à la population et risque d’entraîner la folklorisation de sa
culture et de son organisation sociale.
Cependant l’hypothèse que nous faisons dans ce chapitre mérite d’être relativisée, les
représentations d’un acteur exogène n’engendrent pas toujours des altérations néfastes et
celles d’un acteur endogène n’évite pas toujours la folklorisation. D’autres facteurs entrent
en jeu.
A ce point, nous pouvons rejoindre les hypothèses formulées précédemment dans cette
partie. C’est l’importance du tourisme dans le tissu économique et le niveau de maîtrise
des populations locales de son développement touristique qui semble déterminer la mesure
dans laquelle une population locale peut se voir imposer les représentations d’un acteur
exogène.
Laurence Tibère explique également que la folklorisation n’est pas négative en soi, c’est le
fait qu’elle soit imposée aux populations locales et que celles-ci ne l’aient pas
conscientisée qui est néfaste (TIBERE, Entretien 26/01/2012). Les populations sont
potentiellement sujettes à des phénomènes acculturatifs forts pouvant aller jusqu’à la
déculturation. En revanche, une population locale peut très bien folkloriser sa propre
culture, sans qu’il y ait déculturation. C’est la maîtrise et la conscientisation de la mise en
tourisme qui prévaut dans cette situation.
57
Conclusion de la deuxième partie
Partout dans le monde, le développement touristique, dans son processus décisionnel,
met des populations en contact. Chacun de ces contacts engendre des changements chez les
populations locales. La façon dont le développement touristique est pensé, établit le rapport
entre les populations.
Il apparaît que la nature de ces altérations dépend d’un certain nombre de facteurs. Sans
avoir la prétention de les avoir tous identifiés, nous en avons exposé trois qui semblent
tenir des rôles importants dans les mécanismes d’influence du développement touristique
sur les populations locales.
Les décisions sur lesquelles repose la mise en tourisme dépendent du contexte économique
du territoire, de la place du tourisme à l’intérieur de celui-ci, du rôle des populations
locales dans son développement touristique ainsi que des représentations des acteurs de ce
même développement.
Pour mieux comprendre l’influence de ces éléments sur le processus décisionnel de la mise
en tourisme, il conviendrait de ne plus les voir comme composantes indépendantes les unes
des autres. Il serait pertinent de les concevoir comme un ensemble de facteurs interagissant
les uns avec les autres et dont le résultat de leurs intera ctions influence le développement
touristique.
58
Partie III - Etude terrain et méthodologie : le
cas du peuple cri de la région d’Eeyou Istchee
59
Introduction de la troisième partie
Dans cette troisième partie, afin de préparer le travail de vérification des hypothèses
que nous avons formulé précédemment, nous choisirons la communauté crie de Eeyou
Istchee au Québec comme terrain d’étude.
Il semble que la communauté crie et le développement de son territoire puisse être un
cas d’étude adapté. En effet la mise en tourisme de ce territoire, isolé du tissu économique
du reste du pays par sa localisation, mobilise de nombreux acteurs, organisés à travers une
structuration complexe. Ces mêmes acteurs sont potentiellement influencés par l’histoire
riche et ancienne de cette communauté et de son environnement.
Chapitre I : P résentation du territoire
1. Population et histoire
La nation crie est une société nomade amérindienne vivant de la chasse, de la pêche et
de la cueillette. Elle est une communauté très étendue, on la retrouve dans les montagnes
rocheuses qui s’étendent des Etats-Unis au Canada et plus loin à l’est, de l’Alberta au
Québec. On distingue trois grands groupes cris suivant leur situation géographique et leurs
dialectes : les Cris des Plaines (Alberta et Saskatchewan), les Cris des Bois (Saskatchewan
et Manitoba) et les Cris des marais (Manitoba, Ontario et Québec). C’est au XVIe siècle
que la nation crie se retrouve confrontée pour la première fois à l’arrivée des Français et au
XVIIe siècle pour la population crie de la baie James (Cris des marais) avec l’arrivée de
l’explorateur Henry Hudson (1610).
En collaboration avec la compagnie de la Baie de Hudson, les Cris participeront à la
traite des fourrures à partir de 1670, durant la période de colonisation. Ils n’échapperont
donc pas à l’évangélisation qu’effectuent les missionnaires, ce qui mènera quelques tribus
à abandonner leur mode de vie nomade pour un mode de vie sédentaire. C’est avec la fin
de la traite des fourrures que le reste des Cris se sédentarise.
60
Au cours des siècles suivant, la population s’est métissée en raison de l’union de
Canadiens et de Cris.
Bien plus tard, durant les années 1970, le territoire sur lequel résident les Cris sera
l’objet de l’intérêt d’Hydro-Québec et des gouvernements du Québec et du Canada qui
désirent y construire des centrales hydroélectriques. En 1975, après de longues
négociations, le Grand Conseil Cris signe la convention de la Baie James et du Nord
Québécois et abandonne les territoires qui font l’objet de la construction des infrastructures
énergétiques. En échange, la population crie obtient des compensations pour les territoires
perdus et le fait que certaines activités traditionnelles ne puissent plus être pratiquées. Ils
obtiennent également des pouvoirs et des droits. C’est à cette occasion que l’association
COTA, l’association crie de pourvoirie et de tourisme, a été créée. La convention de la
Baie James a conduit également à la création de nouvelles institutions politiques
régionales.
2. Situation géographique et démographie locale
La communauté crie est une des plus importantes au Canada, elle compte environ
200000 personnes. Nous ne nous intéresserons ici qu’aux communautés résidant au
Québec dans la région d’Eeyou Istchee qui correspond à la région de la Baie James en
langue crie (Figure 5)
61
Figure 5- Carte du Canada 15
Eeyou Istchee est un territoire qui s’étend sur environ 350000km², là vivent les neuf
communautés cries québécoises soit environ 16500 habitants dont la moitié ont moins de
25ans. C’est un lieu très peu urbanisé. En raison des rudes conditions de vie, les
explorateurs européens ne s’y sont pas établis.
Les communautés cries sont donc toutes relativement éloignées les unes des autres.
Waskaganish, Eastmain, Wemindji, Chisasibi et Whapmagoostui se trouvent sur la côte de
la baie James et celle de la baie Hudson. Les quatre autres, Nemaska, Ouje-Bougoumou,
Waswanipi et Mistissini se trouvent à l’intérieur des terres (Figure 6). Ces différentes
communautés, en plus d’être éloignées les unes des autres, sont également en marge du
tissu économique québécois. La communauté la plus proche de Québec City est à 543km
de là.
15
Disponible sur : <http://www.voyagesetphotos.com/mes -voyages/1-mois-a-montreal-quebec-canada/>
(Consulté le 23/03/2012)
62
Figure 6 - Carte d'Eeyou Istchee 16
16
BLANGY Sylv ie et al. Recherche-action participative et collaborative autochtone : améliorer
l’engagement co mmunautaire dans les projets touristiques. Teoros, 2010, Vo l.29, n°1, p69-80.
63
3. Culture ancestrale et altérations
Le peuple crie est présent sur les terres qu’il occupe actuellement depuis environ
7000ans. C’est un peuple nomade, se déplaçant rapidement en raison de la facilité de
montage et de démontage des tipis. En termes de survie, c’était une culture de trappeurs,
de pêcheurs et de cueilleurs. Les Cris ont également leur propre langue, de souche
algonkienne variant suivant les tribus des différentes régions. Malgré les altérations
culturelles et sociales, 95,4% de la population a encore la langue crie pour langue
maternelle 17 .
Certaines altérations culturelles et sociales apparaissent par le contact des
populations crie avec les européens puis canadiens. Au début de la traite des fourrures,
l’impact est minime car les européens dépendaient des Cris pour l’approvisionnement en
viande. Les Cris passaient le plus clair de leur temps dans la forêt, ne rencontrant les
« Blancs » que quand ils revenaient aux postes de traite. Mais avec le temps, les Cris se
sont installés auprès des postes afin de trouver des petits travaux complémentaires et
s’impliquant toujours plus dans la vie des colons 18 . Par la suite, les missionnaires ont
procédé à l’évangélisation de ces peuples (89% déclarent aujourd’hui être membre d’une
église, contre 11% qui disent ne pas avoir d’appartenance religieuse) (Mémoire Cris, 2009,
p11-12). Le déclin du commerce de la fourrure signe la fin de la culture nomade de ces
peuples crie, ils finissent donc de se sédentariser.
A la fin du XVIIIe siècle et au XIXe siècle, les peuples crie les plus à l’ouest
abandonnent leur culture de trappeurs et de chasseurs pour devenir des pe uples de chevaux
vivant de la chasse du bison. Cependant, dans les années 1880, l’extinction des bisons, la
variole et les traités indiens, qui avaient pour but d’accéder aux ressources ancestrales des
Amérindiens en échange des promesses ou de différents types de paiements de la part de la
Couronne britannique, engendrent la ruine des Cris des régions de l’ouest. Ils seront par la
17
Statistiques
Canada.
Profil
de
la
population
autochtone
2006.
Disponible
sur :
<http://www12.statcan.gc.ca/census-recensement/2006/dp-pd/prof/92594/details/page.cfm?Lang=F&Geo1=HR&Code1=2418&Geo 2=PR&Code2=24&Data=Count&SearchText
=Reg ion%20des%20Terres -Cries-de-la-BaieJames&SearchType=Begins&SearchPR=01&B1=All&GeoLevel=PR&Geo Code=2418>
(Consulté
le
24/ 03/ 2012)
18
PRESTON Richard J. Cris. Disponible sur : <http://www.thecanadianencyclopedia.com/art icles/fr/cris >
(Consulté le 23/03/2012)
64
suite forcés à vivre dans des réserves, subsistant par l’agriculture, l’élevage et de petits
travaux complémentaires.
Aujourd’hui certains Cris sont partis à la ville, même s’ils finissent par revenir.
Cependant ce n’est qu’une minorité, la plupart reste dans les villages.
4. Portrait socio-économique :
L’économie de la région de la Baie-James est basée principalement sur l’exploitation
de ressources naturelles : l’exploitation forestière, minière et hydroélectrique. Cette
économie s’est développée, d’abord pour les mines, dans les années 1950, la décennie
suivante pour l’exploitation forestière. Le secteur de l’énergie hydroélectrique s’est
développé comme on le sait à partir de 1975 19 .
Les métiers liés à l’exploitation des ressources naturelles représentent 13,8% de la
population active tous sexes confondus et 18,5% pour les hommes. Pourtant ce n’est pas le
secteur qui génère le plus d’emploi. Le secteur « autres services » représente 30,4% de la
population active, les services sociaux et de santé 19,5% (dont 4/5 sont des femmes). Les
autres secteurs qui viennent à la suite sont les services d’enseignement et la construction
(Figure 7)
Figure 7 - Secteurs économiques de la région des terres cries de la Baie-James
Source : Statistiques Canada. Profil de la population autochtone de 2006.
19
Centre Régional de Santé et de Services Sociaux de la Baie-James. La région et ses avantages. Disponible
sur : <http://www.crsssbaiejames.gouv.qc.ca/1241/La_ region_et_ses_avantages.crsssbaiejames > (Consulté le
24/ 03/ 2012)
65
Cependant la population souffre d’un taux de chômage important : 16,8% pour
l’ensemble de la population crie en âge de travailler et 22,3% pour les hommes. De plus,
en termes de salaires, selon les statistiques 2005 du Canada, le salaire moyen des Cris
s’élève à 27077$ 20 par an alors que le revenu moyen du Québec est de 60100$ par an21 .
5. Activité touristique :
Le tourisme semble encore avoir une faible importance dans les chiffres si l’on en croit
les statistiques du ministère du tourisme canadien. Seuls 8000 touristes sont venus dans la
région de Eeyou Istchee en 2008. L’activité touristique, basée principalement sur le
tourisme autochtone, est constituée de 3 branches principales : la pourvoirie, les séjours
culturels et le tourisme de pleine nature ou d’aventure.
Le tourisme de pourvoirie est un concept important dans le développement
touristique crie. Selon l’office québécois de la langue française, la pourvoirie est un «
établissement qui offre des installations et des services pour la pratique de la chasse, de la
pêche et du piégeage » (BLANGY, 2010, p69). Ce service est composé souvent de
l’hébergement, du transport, de la location d’équipements et des services de guides.
Le faible développement du tourisme autochtone viendrait du manque d’adaptation
des entrepreneurs locaux aux attentes des professionnels du tourisme des zones émettrices.
Ces derniers souhaiteraient plus de fiabilité et une qualité de l’offre constante (BLANGY,
2010, p70).
20
Conseil du statut de la femme. Portrait statistique Nord-du-Québec 2010. 24/ 02/ 2010, p 99. Disponible sur :
<http://www.csf.gouv.qc.ca/modules/fichierspublications/fichier-37-1118.pdf> (Consulté le 24/03/2012)
21
Institut de la statistique Québec. Revenu moyen, revenu total, ménages, Québec, 1996-2009. Disponible
sur :
<http://www.stat.gouv.qc.ca/donstat/societe/famls_ mengs_niv_vie/revenus_depense/revenus/mod1_hh_1_2_
4_0.ht m> (Consulté le 24/ 03/2012)
66
Ce chapitre nous dépeint un territoire et une population d’une extrême richesse de
par son histoire mais qui a également perdu une partie de sa culture ancestrale et qui
souffre de déséquilibres sociaux. Le tourisme autochtone commence à faire son apparition
mais pour le moment son importance est minime face aux autres secteurs d’activité.
L’économie semble plus reposer aujourd’hui sur l’exploitation des ressources,
l’enseignement, la santé, les services sociaux et les autres services.
Chapitre II : Analyse du territoire : tourisme et population
locale
Nous essaierons dans ce chapitre d’analyser le territoire crie au travers des
différentes hypothèses que nous avons formées dans la deuxième partie. Il faut cependant
adapter les hypothèses au territoire en question, d’où la nécessité de la présentation du
premier chapitre. En effet, il est important de noter q ue l’activité touristique est un
phénomène relativement nouveau chez cette population, et qu’elle a déjà été victime de
nombreuses altérations culturelles et sociales. La culture ancestrale de ce peuple
amérindien est maintenant liée au mode de vie moderne, comme une forme de syncrétisme
prononcée. Du point de vue social, des troubles étaient présent également sans que le
tourisme soit en cause : les difficultés d’adaptation des amérindiens au mode de vie
occidental a apporté des problèmes tel que le chômage, l’alcoolisme, la drogue…
(CHARTIER, 2005, p15).
Le contexte de l’arrivée du tourisme dans la vie de ces populations est donc le
suivant : une population déjà en perte partielle de son héritage culturel et souffrant de
déséquilibres sociaux.
1. Niveau de développement et place du tourisme
Notre première hypothèse consiste à mettre en lien l’effort nécessaire à la subsistance,
l’importance du tourisme dans l’économie et les altérations culturelles et sociales. On
s’interrogera donc à savoir quel est le rapport entre le niveau de vie des touristes et celui de
67
la population crie ainsi qu’à estimer la place que prend le tourisme dans le tissu
économique. Y a-t-il un lien entre ces deux phénomènes ? Et quelles altérations culturelles
et sociales, l’un, l’autre ou les deux engendrent- ils ?
Le salaire moyen des Cris est largement en dessous du salaire moyen du reste du
Québec, il est de plus de la moitié moins important. De plus, le taux de chômage est
particulièrement élevé : 16,8% pour l’ensemble de la population en âge de travailler et
22,3% pour les hommes. On pourrait donc supposer que la vie est plus rude dans les tribus
cries qu’ailleurs et surtout plus rude que celle des touristes qui viennent chez eux. La
supposition suivante serait que les Cris seraient plus enclins à se focaliser sur le tourisme
comme moyen de subsistance principal. Cependant, le salaire moyen n’est pas la seule
donnée qu’il faille prendre en compte. Il convient de nuancer cette analyse quelque soit la
part de vérité qu’elle puisse contenir. Des phénomènes de solidarité sont souvent observés
au sein des communautés amérindiennes, particulièrement lors du développement de
tourisme autochtone (BLANGY, 2007, p40). Les Cris forment en effet de petites
communautés, la solidarité y est forte notamment la solidarité intergénérationnelle. Ces
phénomènes de solidarité ne sont pas estimables par des chiffres, il est donc difficile
d’évaluer leurs influences sur le niveau de vie des Cris. Il serait pourtant intéressant de le
déterminer afin d’avoir une vision plus précise de leur niveau de vie.
Comme on l’a vu dans le chapitre précédent, le tourisme ne tient pas une place
importante dans l’économie des Cris (8000 visiteurs par an). Il semble que le
développement du tissu économique autour de l’exploitation des ressources naturelles, de
l’éducation, de la santé et de l’administration constitue un noyau suffisamment dense pour
que le tourisme reste au niveau d’un simple complément économique.
Malgré un niveau de vie à première vue inférieur à celui des touristes, le tourisme
n’est pas propulsé au centre du tissu économique. On pourrait supposer à la fois que le
tissu économique était déjà relativement solide et que l’écart de niveau de vie n’était pas
suffisant pour que la population crie redirige son économie vers le tourisme.
A partir de cette analyse, nous pouvons faire l’hypothèse qu’en raison de la place
complémentaire que tient le tourisme dans l’économie crie, les altérations culturelles et
68
sociales sont plus de l’ordre positif que négatif. C'est-à-dire que le tourisme (qui est ici un
tourisme autochtone), en tant que complément économique, y a favorisé une reculturation
(BLANGY et al. 2010, p70) et un resserrement des liens sociaux (BLANGY &
LAURENT, 2007, p40).
2. Implication de la population crie au sein du développement touristique
Concernant le développement en général, Françoise Lathoud explique que malgré
l’implication croissante des populations autochtones, celle-ci reste très variable, allant de la
simple participation à la cogestion (CHARTIER, 2005, p15).
Au niveau du développement touristique, depuis la signature de la convention de la
Baie-James, la population crie a pris conscience de la nécessité « de se définir de manière
originale, souvent dans une modernité hybride qui cherche à concevo ir le rapport social et
culturel
en
tenant
compte à la fois du patrimoine (matériel, immatériel) et des
problématiques contemporaines » (CHARTIER, 2005, p12).
La prise de conscience essentielle d’après Paul Houée à la naissance d’une
implication dans le développement touristique est donc bien présente chez les Cris. De plus
cette prise de conscience semble servir une démarche de développement ascendante dans
ce cas ci.
Il va sans dire que les membres de la communauté crie possède nt des racines
culturelles communes qui leur permet potentiellement de partager une analyse et des
décisions. Cette condition est complétée par le fait que la communauté soit en mesure de
s’approprier le fonctionnement politique national, de jouer avec les différents acteurs ainsi
que d’utiliser les différents organismes à ses propres fins.
Cette maîtrise des différents leviers du développement est sûrement en partie dû au
fait que jusque dans les années 1950 le gouvernement fédéral et provincial avait le droit
d’envoyer les enfants cris dans des pensionnats pour se charger de leur éducation. Cette
pratique a coupé ces enfants de leur famille, de leur communauté et donc de leur culture
69
mais dans un autre sens cela leur a permis « d'acquérir des compétences biculturelles qui
leur servent de base d'autonomie gouvernementale politique et administrative »22 .
Elle a donc pu mettre en place une organisation politique développée, permettant de
représenter la population et ses désirs.
Au sommet de cette organisation politique se trouve le Grand Conseil des Cris qui
est l’organe politique représentant des Cris du Nord Québec. Il se compose d’un Grand
Chef et d’un Grand Chef Député élus par tous ainsi q ue d’un chef et d’un second élu pour
chacune des réserves cries 23 . Sur le plan culturel et touristique c’est l’Administration
Régionale Crie (ARC), qui est la partie administrative du Grand Conseil, est reconnue par
le Québec, comme l’autorité à contacter, pour toute concertation ou consultation. 24
Il semble qu’il y ait donc une certaine représentativité de la communauté crie grâce à
ce système politique développé.
Au-delà de la simple vision organisationnelle politique, au travers de cette
structuration, la communauté crie détient une certaine autonomie en ce qui concerne so n
territoire. C'est-à-dire qu’elle en a la maîtrise, elle peut si elle le veut en limiter l’accès ou
l’ouvrir. Comme on l’a dit auparavant, la propriété et la maîtrise du territoire est une
condition essentielle à l’appropriation d’un projet par la population locale.
La consultation des populations locales, ne passe pas forcément que par la
structuration politique ; il existe également un grand nombre d’organismes favorisant non
seulement la consultation, mais également la fédération des acteurs et l’aide à la prise en
main des projets de développement touristiques (formation ou mise à service de
compétences). Nous faisons ici référence à la STAQ ou encore la RAP.
La STAQ est la Société de Tourisme Autochtone du Québec, elle permet le
regroupement des entrepreneurs autochtones pour une meilleure visibilité via un marketing
groupé (BLANGY, 2007, p39).
22
PRESTON Richard J. Cris. Disponible sur : <http://www.thecanadianencyclopedia.com/art icles/fr/cris >
(Consulté le 25/03/2012)
23
Grand Council of Crees. The Grand Council of the Crees (Eeyou Istchee) . Disponible sur :
http://www.gcc.ca/gcc/gccnav.php (Consulté le 25/03/2012)
24
Culture, Co mmunication et condition féminine. Communautés cries Eeyou Istchee. Disponible sur :
<http://www.mcccf.gouv.qc.ca/index.php?id=2075> (Consulté le 25/03/2012)
70
RAP signifie Recherche-Action Participative. C’est un concept mêlant action et
recherche qui fonctionne à partir d’un partenariat entre les populations et des chercheurs
universitaires. Le principe est d’aider à mettre en adéquation l’offre touristique des peuples
autochtones avec la demande à travers leur accompagnement dans la mise en place de
projets touristiques. Cet accompagnement vise à donner le pouvoir aux populations locales
sur les projets par « la mobilisation et l’utilisation de leur propre expertise » (BLANGY &
al. 2010, p72). Un projet de recherche-action participative est mené en collaboration avec
les populations cries. Il a aidé notamment à reconditionner l’offre touristique du projet de
loge à Moose Factory, situé à l’embouchure de la rivière Moose (BLANGY & al. 2010,
p73).
L’appropriation vient aussi du fait que le Québec, malgré son côté parfois
impérialiste envers les minorités de son territoire, encourage les initiatives et le
développement politique des populations autochtones. Selon Louis Jacques Dorais, cette
ouverture serait due au fait que le Québec est une province multilingue et multiculturelle
(CHARTIER, 2005, p13).
Grâce à cette habilité à se servir des institutions officielles ou de différents
organisme, la population crie a pu s’assurer une maîtrise de son développement,
notamment de son développement touristique. Elle n’y participe pas mais plutôt, le dirige.
De plus le contexte, c'est-à-dire la présence d’organismes d’aide (ce n’est pas
toujours le cas partout) et un gouvernement ouvert, est largement favorable à
l’appropriation du développement touristique de la part de la population crie.
Le fait que l’implication aux projets touristiques de la population relève plus de
l’appropriation que de la participation semble favoriser l’apparition d’altérations telles que
la reculturation et le resserrement du lien social. Pour Katia Iankova, le tourisme peut jouer
« un rôle de catalyseur dans la valorisation de la culture et de l'histoire des Autochtones »
(CHARTIER, 2005, p14).
Il est important de préciser que cette hypothèse est potentiellement liée à la première.
C'est-à-dire que la participation n’est pas le seul facteur qui détermine le type d’altération
mais que la place du tourisme et le niveau de développements sont des facteurs
complémentaires.
71
3. Représentations des acteurs du développe ment touristique
En ce qui concerne l’influence des représentations mentales sur le développement
touristique, dans le cas de la population crie, il est intéressant de se pencher sur leurs
propres représentations. Les Cris sont en effet les principaux acteurs de leur
développement touristique, leurs représentations tiennent un rôle important dans le type de
tourisme mis en place et dans les altérations qui en découlent. Il semble que ces
représentations déterminent trois éléments de la façon dont la population crie mène son
développement touristique.
D’abord le choix d’un développement d’un tourisme autochtone n’est pas anodin. La
représentation qu’ils ont d’eux-mêmes vient de ce que leur renvoie le regard de l’autre.
Cela met en relief les différences qui séparent leur communauté du reste de la population
du Canada : leur particularité. Les Cris, fiers de leurs origines et de leur appartenance au
peuple des Premières Nations, ont donc choisi de mettre en valeur leurs traditions
ancestrales (BLANGY & al. 2010, p69). Le regard qu’ils portent sur eux- mêmes est défini
par ce que le regard de l’autre leur renvoie. La représentation de soi et le fait de se mettre
en valeur implique donc de se poser la question de ce que l’on veut montrer de soi et de ce
que l’on ne veut pas montrer. La tradition de chasse, de pêche et l’environnement naturel
sont les aspects qui selon les Cris, les définissent mai ce sont également les aspects qu’ils
choisissent de montrer.
Ce choix est précisément le problème qui se pose actuellement à la population crie. Il y
a divergence de point de vue entre entrepreneurs locaux et professionnels du tourisme :
l’un voudrait mettre en valeur son territoire, l’autre l’immersion au sein de la population.
A Odanak, dans une autre communauté amérindienne, une femme explique qu’elle
commence à voir un côté négatif au tourisme car les gens désirent avoir un contact plus
personnel avec les locaux, plus direct. L’offre touristique actuelle ne suffit plus, « le musée
n’est plus assez ». Elle craint en fait une perte d’intimité par l’intrusion du touriste.
(IANKOVA, 2008, p87)
72
La source de ce clivage ne se trouve t-elle pas dans l’imaginaire des touristes ?
Imaginaire que les professionnels du tourisme savent bien identifier et utiliser. Si les
populations cries essayent de répondre à cette demande, qu’est ce que cela va engendrer
comme altérations culturelles et sociales ? L’intimité de la communauté sera ouverte à
tous, la famille autochtone sera exposée, comme vitrine de la culture à l’image des Miaos
de Langde.
Mais le touriste sera-t-il satisfait de trouver une population dont la culture est
fortement changée par rapport à l’image des amérindiens qu’il se fait ? Ce clivage entre
réalité et imaginaire touristique ne va-t-il pas engendrer une mise en scène, une
folklorisation du cocon familial afin de coller aux attentes et ainsi de rendre l’économie
touristique un peu plus productive ? C’est pourtant ce qui correspond à la demande
actuelle.
Le fait de présenter son territoire à travers l’environnement naturel et des musées
pouvait aussi être une façon de préserver son environnement proche, le cœur de la vie, de
poser des limites aux touristes. En effet, bien qu’il y ait prise de conscience de la nécessité
de se mettre en valeur pour favoriser le tourisme, compte tenu du passé des peuples
amérindiens, du fait qu’ils aient longtemps été dominés par les occidentaux, que la
présence de ces derniers ait été vécue comme une intrusion, peut-on attendre d’eux qu’ils
veuillent ouvrir l’intimité de leur vie en communauté à tous ? 25
Outre le choix de ce que l’on veut montrer aux touristes, de l’accès q u’on lui donne,
c’est ce même passé de peuple soumis qui détermine les représentations à l’autre qui vient
chez soi et la manière dont on envisage donc le développement touristique. On supposera
donc que ces représentations déterminent également le fait que les Cris conçoivent le
tourisme comme une activité qu’ils doivent maîtriser.
Pour conclure, les représentations des Cris semblent déterminer l’orientation de la
mise en valeur de leur culture, l’accès qu’ils accordent aux touristes et la maîtrise du pro jet
qu’ils conservent. On suppose que les choix de mise en œuvre du développement
touristique semble participer à la reculturation de la population crie.
25
PRESTON Richard J. Cris. Disponible sur : <http://www.thecanadianencyclopedia.com/art icles/fr/cris >
(Consulté le 25/03/2012)
73
A travers cette analyse préalable du territoire cri, nous insisterons sur le fait que le
développement touristique local semble apporter un certain changement culturel et social.
L’ensemble de nos hypothèses nous amène à penser que le resserrement du lien
social et la réhabilitation de la culture crie sont les résultats plus ou moins directs des
représentations, de la place complémentaire que le tourisme au sein de la communauté et
de l’appropriation de la population locale
Cependant ces hypothèses s’appuient sur une analyse sommaire du territoire et par
conséquent doivent faire l’objet d’enquêtes poussées.
Chapitre III : Propositions d’outils
Après une approche globale du sujet, nous avons choisi de déterminer le contexte
autour de l’interaction sociale, culturelle, de l’interculturalité, du processus de
développement et des grandes tendances du développement touristiques. Les points
centraux qui sont ressortis de la phase exploratoire et la réalisation d’entretiens nous a
permis de définir la problématique suivante : dans quelle mesure le développement
touristique est- il facteur d’altérations sociales et culturelles pour les populations locales ?
Afin de répondre à cette question nous nous sommes penchés sur le lien entre
développement touristique et altérations sociales et culturelles. Nous avons identifié trois
éléments déterminants qui ont constitué nos trois hypothèses.
Après avoir développé ces hypothèses dans un cadre théoriques nous avons choisit un
terrain d’étude pour les mettre en situation. Il nous faut maintenant tenter de déterminer
une méthodologie d’enquête avec les moyens et connaissances à notre disposition, afin de
tester la validité de ces affirmations et leurs limites.
Il existe deux grands types d’enquêtes « ad hoc », l’enquête qualitative et l’enquête
quantitative.
L’enquête qualitative est utilisée pour cerner les attentes, les images, les motivations et les
valeurs, en soi des informations non quantifiables. Les principaux outils de l’enquête
qualitative sont les entretiens individuels, les réunions de groupe et l’observation.
74
A l’inverse, l’enquête quantitative recueille des informations qui peuvent être quantifiées et
qui ont pour but de déterminer la représentativité d’un élément étudié. Il en existe plusieurs
formes : le recensement, le sondage,
L’orientation très sociologique de notre sujet nécessite absolument l’utilisatio n
d’outils d’enquête qualitative. Cependant nous proposerons également des enquêtes
quantitatives en complément pour réduire les biais de la démarche qualitative, soumise
entre autre à la subjectivité.
1. Niveau de vie et place du tourisme dans la société crie
Pour notre première hypothèse, nous utiliserons principalement des méthodes
d’enquête qualitative car on cherche à comprendre ici certains mécanismes en profondeur.
L’entretien individuel paraît être l’outil le plus adapté, car nous avons besoin de recueillir
les connaissances, les opinions de plusieurs personnes spécialisées dans les domaines que
nous définirons plus tard. Nous ne souhaitons pas les mettre en interaction les uns avec les
autres, ni faire une observation car nous avons besoin d’une information claire et du recueil
d’une réflexion dans son intégralité.
Cependant il serait intéressant d’utiliser une méthode quantitative en complément pour les
raisons que nous avons citées plus haut.
Pour distinguer les thèmes des entretiens, il convient de décomposer le processus
hypothétique (voire schéma ci-dessous).
75
Figure 8 - Schéma de relations entre niveau de développement, place du tourisme,
type de développement touristique et altérations
Différence du
niveau de vie des
populations mise
en contact
Importance du
tourisme au sein
du tissu
économique
Développement
touristique
Altérations
culturelles
et sociales
Réalisation : Valérian Gouëset
1.1 Enquête quantitative
Tout d’abord, avant tout entretien, il semble nécessaire d’infirmer, de confirmer ou
de consolider les données sur le niveau de vie des populations mises en contact et sur la
part du secteur touristique dans le tissu économique des sociétés cries.
Pour cela nous préconisons la collecte de données auprès de l’organisme Statistics Canada
et du ministère du tourisme québécois. Le premier est l’équivalent de l’INSEE en France, il
possède les informations nécessaires en termes de niveau de vie des populations. Le
ministère du tourisme québécois, quant à lui, est indispensable en raison de ses
compétences en termes de diagnostics touristiques.
1.2 Enquête qualitative
Les entretiens individuels suivront la décomposition du processus hypothétique. Nous
devons d’abord tester le lien entre niveau de vie des populations mises en contact et
76
importance du tourisme au sein du tissu économique. On cherche à savoir s’il y a un lien
entre les deux, et s’il y en a un, quels sont ses mécanismes d’influence. Nous chercherons à
savoir si ces deux éléments influencent le développement touristique et dans quelle mesure
si tel est le cas. Enfin, nous tenterons de déterminer s’il y a relation entre altérations
culturelles et sociales et le type de développement touristique chez les Cris, si tel est le cas,
dans quelle mesure ?
Par cette décomposition nous distinguerons plusieurs thèmes :
-
Niveau de vie de la population crie et niveau de vie des touristes ;
-
Importance du tourisme au sein des communautés cries ;
-
Etat et nature du développement touristique des communautés cries ;
-
Relations et influences de ces deux facteurs sur la façon dont le développement
touristique est mené chez les Cris ;
-
Changements culturels sociaux et culturels observés ;
-
Relation entre ces changements et le développement touristique.
Il sera difficile de trouver des acteurs qui aient des connaissances sur l’ensemble des
thèmes que nous venons de citer, il serait donc plus aisé de concevoir deux entretiens
différents. L’un traiterait de la relation différence de niveau de vie/importance du tourisme
et de l’influence de cette relation sur le type de développement touristique en présence.
L’autre traiterait du rapport entre le type de développement touristique et les altérations
sociales et culturelles observées chez les Cris.
2. Implication de la population crie au développement touristique
De même que pour la première hypothèse, nous utiliserons pour ce lle-ci des enquêtes
quantitatives afin de compléter les résultats des enquêtes qualitatives.
2.1 Enquête quantitative
Dans un premier temps, afin d’avoir un rendu objectif sur l’implication des Cris
dans leur propre développement touristique, nous envisageons une enquête quantitative
telle que la collecte de données ou le sondage suivant la représentativité que l’on veut
77
obtenir et les données disponibles. Nous recherchons à déterminer quel est le niveau
d’implication de la population crie, s’il est plus question de participation exécutive ou si
l’on se rapproche de l’appropriation. Par la collecte de données, nous cherchons à croiser
deux types d’informations : le type de postes occupés dans le domaine du tourisme cri
(décisionnel et/ou exécutif) et l’origine des personnes à ces postes. Certaines
administrations du niveau communautaire ou le ministère du tourisme québécois pourraient
posséder ces données et dans ce cas nous opterions pour une collecte de données auprès
d’eux. Si tel n’est pas le cas, il faudrait envisager l’envoi d’un sondage aux professionnels
du tourisme bien que les résultats ne puissent être que non exhaustifs.
Figure 9 - Influence du type d'implication des populations locales sur le type
d'altérations sociales et culturelles
Participation
Implication de la
population au
sein de son
développement
touristique
Appropriation
Altérations
sociales et
culturelles
Réalisation : Valérian Gouëset
2.2 Enquête qualitative
L’enquête qualitative serait constituée de plusieurs entretiens individuels auprès des
membres chercheurs qui prennent part au concept de Recherche-Action Participation chez
les populations cries. La connaissance de ces chercheurs universitaires en termes
78
d’implication des Cris en fait les personnes incontournables à interroger. Les thèmes
abordés durant les entretiens sont les suivants :
-
Types d’implications au développement touristique (en général) ;
-
Etat actuel de l’implication des populations cries dans leur développement
touristique ;
-
Altérations culturelles et sociales observées chez les Cris ;
-
Lien entre l’implication de la population crie et les altérations observées.
3. L’influence des représentations dans la mise en tourisme du peuple cri
Pour cette dernière hypothèse, nous utiliserons uniquement une méthode d’enquête
qualitative car nous essayons donc de cerner uniquement des éléments intangibles. Nous
cherchons en effet à savoir si les représentations dans le processus de développement
touristique influencent les altérations culturelles et sociales chez les populations cries.
Nous souhaitons d’abord savoir qui est acteur du développement touristique cri pour
ensuite déterminer si les représentations de ces acteurs déterminent le développement.
Nous tenterons finalement de tester le lien entre développement touristique et altérations.
Si les relations entre les différents éléments sont confirmé es nous tenterons de comprendre
comment ils s’articulent et dans quelle mesure l’un influe sur l’autre.
A partir d’un découpage par acteurs (voire schéma ci-dessous) nous distinguons différents
thèmes pour les entretiens individuels :
-
Acteurs du développement touristique cri ;
-
Représentations de ces acteurs du territoire et de la culture crie ;
-
Lien entre représentations et développement touristique ;
-
Altérations culturelles et sociales observées chez les Cris ;
-
Lien entre développement touristique et altérations.
79
Figure 10 - Schéma partiel des influences des représentations sur le développement
touristique
Etat
Développement
touristique
Tour opérateurs
Population locale
Réalisation : Valérian Gouëset
80
Touristes
Conclusion de la troisième partie
La construction de cette méthodologie nous permet de franchir une première étape
dans la concrétisation des outils de vérification des hypothèses. On peut d’ores et déjà
établir une méthodologie qui confronte qualitatif et quantitatif. Les enquêtes qualitatives
seront les outils principaux pour vérifier mais les enquêtes quantitatives permettront
d’établir une base objective.
Cette combinaison des deux outils nous permettra de si les représentations, l’implication
des Cris dans leur développement touristique ainsi que la place que le tourisme prend dans
leur économie produisent les altérations que nous avons constatées. Les hypothèses sont
potentiellement biaisées par le fait que les sources d’informations sur le développement
touristique cri sont rares. Les informations récoltées jusqu’à présent nous ont amené à
formuler certaines hypothèses mais les enquêtes quantitatives envisagées pourraient faire
apparaître une situation plus complexe qu’elle n’y paraît au premier abord.
La mise en place de cette méthodologie reste cependant limitée par l’éloignement du
terrain d’étude. Tout d’abord la compréhension du territoire reste incomplète, des
entretiens exploratoires et une observation terrain seraient nécessaires avant d’aller plus
loin. De plus il n’est pas aisé d’identifier précisément les acteurs qu’il faudrait interroger
pour les enquêtes qualitatives. Il est également difficile d’effectuer une collecte de données
complètes en sans se rendre sur le terrain.
81
Conclusion générale
Les altérations de l’organisation sociale ou de la culture d’une population
locale mise en contact avec les touristes sont inévitables mais loin d’être semblables
d’un cas à un autre. Les altérations sont si variables qu’elles peuvent aller de la perte
de l’identité, à la renaissance identitaire en passant par des niveaux intermédiaires. La
mesure du lien d’influence entre développement touristique et altération identitaire des
populations locales est chose complexe. Les éléments d’influence s’inscrivant dans ce
rapport sont multip les et différents pour chaque territoire et chaque population. La
réponse à notre problématique ne peut donc pas être une réponse générale, si réponse
générale il y avait, ce serait que tout dépend du territoire et des acteurs qui y agissent.
Faute de réponse claire, ce mémoire propose cependant des outils d’analyse qu’il est
possible d’utiliser pour étudier l’ influence du développement touristique sur les
populations locales sur un espace déterminé. Ainsi, l’écart de niveau de vie entre
populations locales et touristes, la place du tourisme au sein du tissu économique,
l’implication des populations, les représentions des acteurs du développement
touristique sont autant d’instruments de mesure qu’il convient d’utiliser pour estimer
l’impact du touris me sur l’ identité des populations.
La structuration en trois hypothèses a permit d’analyser de façon plus claire ces
différents facteurs mais par la même occasion, ils ont été éloignés les uns des autres
pour être étudiés dans leur individualité. Ces instruments d’analyse mériteraient
pourtant d’être envisagés comme un ensemble.
Le choix de ce sujet d’étude s’est fait en raison d’une certaine sensibilité pour le
voyage et la rencontre interculturelle. La différence culturelle a souvent fait la richesse
des rencontres et des voyages. C’est pourquoi l’enjeu de la conservation des identités
dans le cadre du développement touristique est un sujet qui nous tient à cœur.
82
Les recherches et les entretiens effectués pour ce mémoire ont permis de prendre
conscience des mécanismes et des enjeux du développement touristique sur les
identités des populations locales. Cela nous a permis également d’envisager le
tourisme d’une façon toute autre, non pas seule ment comme une rencontre
interculturelle mais également comme un instrument du développement local lorsqu’il
est développé avec prudence et qu’il reste un moyen parmi d’autres, non un but en soi.
Notre entretien avec M. Samba Gaye et Mme. Véronique Boizante nous aura donné
l’envie certaine de prolonger notre démarche de recherche vers un axe d’étude mêlant
développement local et tourisme.
83
BIBLIOGRAPHIE
Revues :
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d’expression privilégié pour des formes innovantes de solidarité. Teoros, Automne
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Colloque :
-
PEYVEL Emmanuelle. Touristes, ethnies et territoires : le cas de Sapa (Vietnam).
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84
Mémoires :
-
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Mirail, CETIA, 2008, p132.
-
PEPIN Mélanie. Approche interculturelle du tourisme et du développement : dans
quelles mesures le tourisme peut-il être vecteur de développement dans un contexte
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II Le Mirail, CETIA, 2011, p171.
Ouvrages :
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HOUEE Paul. La décentralisation, territoires ruraux en développement. Paris :
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THESEE Gina et al. Les faces cachées de l’interculturel : de la rencontre des porteurs de
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86
Table des matières
Remerciements ...................................................................................................................... 4
Sommaire ............................................................................................................................... 5
Introduction générale ............................................................................................................. 7
Partie I - Développements touristiques et identités ............................................................... 9
Introduction de la première partie........................................................................................ 10
Chapitre I : Le développement touristique international ................................................ 11
1. Le développement touristique, un pilier de l’économie....................................... 11
1.1 Développement économique ......................................................................... 11
1.2 La face cachée du développement touristique vecteur de développement
économique ......................................................................................................... 13
2. Le tourisme durable ............................................................................................. 15
Chapitre II : Etude du processus de développement : ses dynamiques, ses acteurs et la
structuration des forces. .................................................................................................. 18
1. La démarche ascendante ...................................................................................... 18
1.1 Définition et explication du processus : ........................................................ 18
1.2 La participation dans la démarche descendante ............................................ 20
2. La démarche ascendante : .................................................................................... 20
2.1 Définition :..................................................................................................... 20
2.2 Conditions d’apparition de la démarche ascendante : ................................... 20
2.3 Les différentes phases de la démarche ascendante :...................................... 22
2.4 Population locale, structuration des ses acteurs et participation dans la
démarche ascendante :......................................................................................... 23
3. Les acteurs économiques : ................................................................................... 25
Chapitre III : Identité et interculturalité .......................................................................... 27
1. La notion de culture : ........................................................................................... 27
87
1.1Définition : ..................................................................................................... 27
1.2 L’identité culturelle ....................................................................................... 28
2. La notion d’interaction......................................................................................... 29
2.1 Interaction culturelle et interculturalité ......................................................... 29
2.2 L’interaction sociale ...................................................................................... 29
3. Les conséquences de l’interculturalité ................................................................. 31
3.1 L’acculturation .............................................................................................. 31
3.2 Les processus acculturatifs ............................................................................ 31
Conclusion de la première partie ......................................................................................... 34
Partie II - Développement touristique et altérations identitaires ......................................... 35
Introduction de la deuxième partie ...................................................................................... 36
Chapitre I : Niveau de développement et place du tourisme dans le tissu économique,
facteurs d’altérations des populations locales ................................................................. 36
1. Mise en contact de populations et écarts d’efforts de subsistance ....................... 36
2. Place du tourisme au sein du tissu économique ................................................... 38
3. Importance du développement touristique : les cas de populations locales......... 39
Chapitre II : Niveau d’implication des populations locales dans le développement
touristique, facteur d’altérations culturelles et sociales. ................................................. 43
1. Participation et appropriation............................................................................... 44
2. De l’action à la démarche, les facteurs déterminants........................................... 45
2.1 L’implication, une approche par la démarche descendante et ascendante .... 46
2.2 De la participation à l’appropriation, un processus complexe ...................... 48
Chapitre III : Représentations et acteurs du développement touristique ........................ 52
1. Les acteurs exogènes, représentations et développement touristique .................. 53
2. De l’acteur exogène à l’acteur endogène, représentations et développement
touristique................................................................................................................. 55
Conclusion de la deuxième partie ........................................................................................ 58
88
Partie III - Etude terrain et méthodologie : le cas du peuple cri de la région d’Eeyou Istchee
............................................................................................................................................. 59
Introduction de la troisième partie ....................................................................................... 60
Chapitre I : Présentation du territoire.............................................................................. 60
1. Population et histoire ........................................................................................... 60
2. Situation géographique et démographie locale .................................................... 61
3. Culture ancestrale et altérations ........................................................................... 64
4. Portrait socio-économique : ................................................................................. 65
5. Activité touristique :............................................................................................. 66
Chapitre II : Analyse du territoire : tourisme et population locale ................................. 67
1. Niveau de développement et place du tourisme................................................... 67
2. Implication de la population crie au sein du développement touristique ............. 69
Chapitre III : Propositions d’outils ................................................................................. 74
1. Niveau de vie et place du tourisme dans la société crie....................................... 75
1.1 Enquête quantitative ...................................................................................... 76
1.2 Enquête qualitative ........................................................................................ 76
2. Implication de la population crie au développement touristique ......................... 77
2.1 Enquête quantitative ...................................................................................... 77
2.2 Enquête qualitative ........................................................................................ 78
3. L’influence des représentations dans la mise en tourisme du peuple cri ............. 79
Conclusion de la troisième partie ........................................................................................ 81
Conclusion générale............................................................................................................. 82
BIBLIOGRAPHIE............................................................................................................... 84
Table des matières ............................................................................................................... 87
Table des annexes ................................................................................................................ 91
ANNEXE A - Guide d'entretien Laurence Tibère ............................................................... 92
ANNEXE B - Guide d'entretien Samba Gaye ..................................................................... 94
89
ANNEXE C - Retranscription partielle de l’entretien avec M. Gaye Samba ...................... 96
Table des figures ................................................................................................................ 101
90
Table des annexes
ANNEXE A - Guide d'entretien Laurence Tibère ..................................................... 92
ANNEXE B - Guide d'entretien Samba Gaye............................................................ 94
ANNEXE C - Retranscription partielle de l’entretien avec M. Gaye Samba ............ 96
91
ANNEXE A - Guide d'entretien Laurence
Tibère
Introduction :
-
Présentation personnelle,
Présentation du thème du mémoire : question de départ et problématique,
Question de départ : « Quelles interactions sociales et culturelles entre
développement touristique et populations autochtones »
Problématique : « Dans quelle mesure le développement touristique est- il un facteur
d’altération sociale et culturelle des populations autochtones 26 ? Analyse du processus de
changement et de mise en contact »
1. Présentation :
-
Vos origines ?
Votre parcours ?
Votre domaine de prédilection ?
2. Le développement touristique et ses acteurs :
-
Définition du développement touristique ?
Ses principaux acteurs ?
Définition de population autochtone ?
Y a-t-il des acteurs du développement touristique spécifiques dans la le processus
de mise en tourisme des populations autochtones ?
Les populations autochtones sont-elles actrices ? Dans quelle mesure ?
Qu’est ce qui détermine la (non)prise de participation? (facteurs ?)
Y-a-t-il une différence de prise de participation suivant les lieux géographiques ?
Différence Nord/Sud ?
-
3. Représentations :
-
Dans la situation où la population autochtone ne serait impliquée que faiblement
dans son propre développement touristique : quelles sont les représentations qu’ont
les acteurs du développement des populations autochtones ?
Dans quelles problématiques sont-ils ? (motivations, état d’esprit)
26
La problématique a été amenée à changer depuis la réalisation de ce guide d’entretien. La notion de
« population autochtone » a été remp lacée par « population locale ».
92
-
En quoi cela affecte t- il leur décisions/actions ?
Quel rôle jouent les représentations dans les altérations culturelles et sociales ?
Quelles conséquences ?
-
Quels regards portent les populations autochtones sur le développement to uristique
dont ils sont sujets/acteurs ?
De quelle façon cela se répercute dans leurs actions et interactions ?
-
4. Interactions culturelles et sociales :
-
Quel rôle joue le développement touristique pour les populations autochtones ?
Est-ce que développement touristique engendre le développement des populations
autochtones ?
Différence Nord/Sud ?
-
Quelles altérations d’un point de vue culturel et social ? Positives ou/et négatives ?
-
Détails des phénomènes observés (acculturation, reconstruction culturelle) ?
A quel moment un développement touristique bénéfique devient destructeur ou
inverse ? Quels sont les facteurs clés d’orientation ?
93
ANNEXE B - Guide d'entretien Samba Gaye
Introduction :
-
Présentation personnelle,
Présentation du thème du mémoire : question de départ et problématique,
Question de départ : « Quelles interactions sociales et culturelles entre
développement touristique et populations locales »
Problématique : « Dans quelle mesure le développement touristique est- il un facteur
d’altération sociale et culturelle des populations locales ? Analyse du processus de
changement et de mise en contact »
1. Présentation personnelle et structure
-
Origines ?
Parcours ?
Pouvez-vous me présenter l’association Palabres sans Frontières ? Son principe ?
Pourquoi avoir créé cette association ? (motivations)
Comment la participation de la population à Keur Samba Yacine a-t-elle été
initiée ?
Votre rôle à Palabres sans Frontières?
2. Développement touristique à Keur Samba Yacine
-
Comment le développement touristique s’est- il mis en place ? (démarche
descendante/ascendante, acteurs initiateurs du projet)
Quels sont les acteurs en présence ?
Comment les populations locales sont-elles impliquées ?
Participent-elles au processus de développement touristique ?
Quel rôle joue la population locale ?  Quel type d’implication?
Est-ce que tourisme durable signifie « plus d’impact du tout » sur les populations
locales ?
Y a-t-il encore des altérations culturelles et sociales au sein de développement
touristique incontestablement équitable ?
Changements culturels et sociaux observés depuis l’implantation du tourisme?
94
3. Les mécanismes de la participation de la population locale en
général
La participation
-
Est-ce que la participation des populations est tout le temps synonyme de tourisme
durable, équitable ?
Quelles sont les types d’implications que l’on peut distinguer ?
Quand un développement touristique se met en place quelque part, qu’est ce qui va
faire qu’il intègrera la population ?
Le niveau de développement est il un facteur déterminant de la participation des
populations locales ?
La « bonne » implication
-
Quelles sont les conditions nécessaires à la « bonne » implication des populations
locales ?
Est-ce que plus le niveau de développement est élevé, meilleure est la
participation ?
La dynamique locale (acteurs en présence) est elle un facteur déterminant de la
« bonne » implication des populations locales ?
Altérations
-
-
Il est bien connu aujourd’hui que le développement du tourisme amène à des
altérations culturelles (bénéfiques ou non). Pour vous, l’implication de la
population locale dans le développement touristique de leur territoire a-t-elle une
influence dans l’altération de leur culture ? (négative ou positive)
Quelles altérations pour quelles implications ?
Est-ce qu’une démarche ascendante est préférable à une démarche descendante ?
95
ANNEXE C - Retranscription partielle de
l’entretien avec M. Gaye Samba

Pouvez-vous me présenter l’association Palabres Sans Frontières ?
« A partir de 2000, il y a eu une demande de la part des usagers de découverte du
terroir de l’Afrique et on a donc commencé à organiser des voyages en Afrique de l’Ouest
en partenariat avec des structures associatives locales ou des villages. On organisait des
chantiers de jeunes qui consistaient à construire quelques aménagements, des classes, des
toilettes…des choses comme ça. »
« En 2003 on a eu un village du Sénégal, dans la région de Thiès, qui a pris contact
avec nous pour voir ce que l’on pouvait faire ensemble. Leur première demande a été
d’être dotés d’un poste de santé. »
« Cette même année la région Midi-Pyrénées venait juste de signer un accord de
coopération décentralisée avec la région de Thiès où se trouve ce village. Ce qu’on appelle
la coopération décentralisée, c’est que les pays du Nord qui sont censés être plus
développés doivent apporter assistance en termes d’infrastructure et de moyens dans le
développement des pays du Sud. Ils ont donc décidé de nous financer 60% du projet de
construction sur 3 ans. Nous avons donc envoyé des volontaires pour aider à la
construction sur 3 étés consécutifs pour enfin remettre les clés à la population locale. A la
suite de cela, la population a pensé pouvoir faire fonctionner la structure avec l’argent que
payent les malades. Mais rapidement ils n’ont plus pu payer le salaire de l’infirmier donc
ils nous ont recontacté pour qu’on les aide à trouver une solution. Nous avons donc
réfléchit à un moyen de pérenniser le fonctionnement de cette structure. Finalement il a été
décidé que nous, qui avons une certaine expertise de l’organisation de voyage, nous
mettrions en place un site d’accueil qui appartienne au le village et que nous nous
occuperions de la partie organisation du séjour comme nous faisions d’habitude. Sur les
frais des séjours nous ponctionnons 10% des frais de séjour qui vont aller au
fonctionnement du poste de santé. Ces 10% étaient versés au comité de gestion du village,
qui est une entité que les villageois ont créé composée des délégués de trois associations du
96
village : le groupement des femmes du village, l’association des jeunes du village et
l’association des anciens du village. Chaque association a envoyé deux délégués pour
former ce comité de gestion qui est chargé de gérer les projets communautaires. Ce sont
eux qui gèrent l’argent. Depuis qu’on a mis en place ce fonctionnement, il n’y a plus eu de
problèmes. Mieux même, ils sont devenus de plus en plus autonomes. Même si l’activité
touristique s’arrêtait aujourd’hui, ils gardent un volant de fonctionnement vers
l’autonomie. »
« Depuis la mise en place de ce mode de fonctionnement, d’autres projets ont
émergés. Par exemple, un jardin collectif géré par le groupement des femmes du village a
été réorganisé en coopération avec l’association et une motopompe solaire est en voie
d’être installée. Un atelier de couture a également été mis en place pour compléter le
savoir- faire des femmes du village pour qu’une confection d’objets soit possible. La
construction d’un collège a également été commencé dans le village d’à côté car l’école
dans cette zone rurale s’arrête au CM2. »
« On joue un peu un rôle d’ONG d’aide au développement et le tourisme est un
moyen d’appui financier en plus d’un échange interculturel qui créé des liens très forts »
« Donc le tourisme c’est juste un plus, on ne veut pas qu’il centralise l’activité des
villageois car on a l’expérience d’une autre forme d’intervention touristique qui se passe
sur la petite côte du Sénégal. C’est un endroit où s’est développé le tourisme de masse et
cela créé un lien de dépendance de la part des villageois, ce qui n’est pas une bonne
chose. »

A partir de quel moment le développement touristique devient-il néfaste pour les
populations locales ?
« Ce qui est dangereux c’est quand une population hypothèque les activités qu’elle
avait traditionnellement autour de l’agriculture ou de l’artisanat parce que tout simplement
l’activité touristique leur apporte un revenu et qu’ils comptent uniquement sur ça pour
vivre. C’est un danger que l’on retrouve partout, pas seulement en Afrique »
97
« J’ai été au pays Dogon au Mali, j’ai été choqué des ravages que le tourisme peut
apporter chez une population. »

Qu’avez- vous vu comme ravages ?
« Il faut savoir que dans l’histoire le peuple Dogon était un peuple animiste et qu’il y
a de ça déjà plusieurs siècles, quand il y a eu les invasions coloniales et religieuse s, ils se
sont enfuis dans des endroits très difficilement accessibles pour protéger leurs croyances et
leur mode vie. Ils se sont installés au milieu de falaises où l’on ne peut même pas cultiver,
loin des points d’eau, loin de tout. Ils ont développé une organisation sociale harmonieuse
dans son fonctionnement. D’ailleurs cela a été le grand problème car quand les ethnologues
ont commencé à s’intéresser à eux, leur malheur est venu de là. Les gens ont fait des
missions pour étudier comment ils vivent, comment ils ont fait pour survivre et à la suite
de ça il y a eu la curiosité touristique. Aujourd’hui quand vous allez dans ces villages, les
gens ne veulent plus travailler, ils ne veulent plus rien faire, ils attendent le touriste. Ils ne
se posent même pas de questions. Même les enfants qui devraient aller à l’école se mettent
au coin de la rue, attendent le car de touristes, se mettent à chanter et demandent l’argent
en retour d’une façon très agressive. Le tourisme s’est mis au centre du fonctionnement
économique.»
« Moi mon souci est de pouvoir permettre à la population locale de continuer à
fonctionner sans cet apport de revenus touristiques mais aussi de travailler sur leur
autonomisation pour la gestion touristique. »
« Toute la problématique du développement touristique se situe dans les écarts de
revenus entre la population et les touristes »
« On a fait de la participation, notre principe de départ. En faisant autrement on
faisait prendre beaucoup de risques au projet. »
98

Vous parlez d’effets néfastes sur les populations produits par le développement
touristique de la côte sénégalaise, qu’est c’est ce qui a mal été fait ?
« C’est qu’on ne les a pas consulté du tout. C’est l’Etat qui a décidé du jour au
lendemain de développer en connivence avec des tours opérateurs des clubs de vacances et
autres structures semblables. Les populations n’ont pas eu leur mot à dire là dedans. Ils les
ont rassurés en leur disant qu’ils auraient du travail, mais évidemment, il y a des gardiens,
des cuisiniers, des animateurs. Mais quand on calcule la quote-part de revenus qui reste sur
place par rapport à ce qui est rapatrié en Europe, il n’y a pas de commune mesure. »

Vous pensez qu’ils auraient dû, pour mieux faire, les faire participer à un niveau
décisionnel ?
« Oui je le pense en effet mais il faut avant tout qu’il y ait la volonté politique. Il
aurait fallu commencer par consulter les communautés rurales pour leur proposer le projet
et voir quelle implication ils ont dedans. Ce serait très différent, ce serait plus encadré, il y
aurait moins de dégâts car ils auraient leur mot à dire. »

Quelles conditions pour l’apparition d’une « bonne participation » des populations
locales dans un développement touristique?
« Il faut commencer par une concertation. Avant tout, on a été là bas, on les a
rencontré et on les a écouté, ça a été la première des choses. Certains qui ne font pas cet
effort de concertation et qui mettent en place quelque chose pour aider la population avec
la meilleure volonté du monde, ces personnes peuvent créer des frictions entre les
villageois ou des problèmes de gestion par ce que les gens ne se sont pas organisés à la
base. Je pense qu’il faut poser au départ les conditions de l’exécution et du déroulement du
projet, qu’il y ait un comité de gestion assez représentatif des populations avec une gestion
démocratique, une transparence dans la gestion. La concertation est indispensable à
l’appropriation du projet. Nous ne sommes pas propriétaires du site d’accueil par exemple.
Les projets sont à eux.»
99
« Certaines associations ont tenté d’aider des populations mais de se sont pas
adressées aux bonnes personnes sur place. Ces personnes de pouvoir ne sont pas forcément
de confiance et ce qui s’est produit c’est que l’argent a finit dans leur poche. Ce qui arrive
parfois aussi c’est que les gens voient le toubab, le blanc en fait, comme celui qui a de
l’argent à dépenser et donc ça fausse les rapports. En fait il faut prendre le temps de trouver
les bonnes personnes pour aider au développement. La bonne volonté de suffit pas. Je
pense qu’il faut partir de petits projets et avancer doucement pour ne pas brûler les étapes.»
« En Afrique, les projets lancés par l’Etat sont enrayés par la corruption. Ou parfois
orientés à des fins clientélistes c'est-à-dire que les projets développés le sont pour
influencer l’électorat. Notre chance c’est que le financement nous vient directement de la
région Midi-Pyrénées et est versé à la population, il n’y a pas d’autres intermédiaires. »

A quoi tient la conscientisation du besoin de développement ?
« Disons qu’on a eu de la chance de tomber sur un village qui était déjà organisé, il
leur manquait juste les moyens mais ils avaient cette envie de développer des choses donc
ils s’étaient organisé au sein de leurs associations. Il leur manquait juste un coup de pouce.
Ce n’est pas le cas de tous les villages, vous pouvez arriver dans un village où il n’y a
aucune association de formée, où la vie est menée de façon très individuelle. Il est
important que la population mette en commun leurs désirs et leurs objectifs pour le bien de
tous. »

A quoi tient le fait qu’il n’y ait pas de concertation dans certaines populations
locales ?
« Vous savez, dans certains villages, les gens sont trop différents les uns des
autres, ils n’ont pas d’aspirations communes, il y a parfois des conflits depuis
longtemps qui font que les gens ne peuvent pas se parler. Il y a des villages qui ne sont
pas fédérateurs. »
100
Table des figures
Figure 1 : Décomposition des dépenses d’un touriste international dans un pays récepteur
............................................................................................................................................. 14
Figure 2 - Schéma de relations entre niveau de développement, place du tourisme, type de
développement touristique et altérations ............................................................................. 41
Figure 3 - Influence du type d'implication des populations locales sur les types d'altérations
sociales et culturelles ........................................................................................................... 43
Figure 4 - Schéma partiel des influences des représentations sur le développement
touristique ............................................................................................................................ 52
Figure 5- Carte du Canada ................................................................................................... 62
Figure 6 - Carte d'Eeyou Istchee.......................................................................................... 63
Figure 7 - Secteurs économiques de la région des terres cries de la Baie-James ................ 65
Figure 8 - Schéma de relations entre niveau de développement, place du tourisme, type de
développement touristique et altérations ............................................................................. 76
Figure 9 - Influence du type d'implication des populations locales sur le type d'altérations
sociales et culturelles ........................................................................................................... 78
Figure 10 - Schéma partiel des influences des représentations sur le développement
touristique ............................................................................................................................ 80
101
Résumé
L’augmentation démesurée des flux touristiques ces dernières décennies et
l’accessibilité maintenant totale des espaces à travers le monde exposent inévitablement les
populations des pays récepteurs au tourisme. La question de la conservation de son identité
devient donc centrale. Le tourisme de masse a en effet prouvé que le repos et la détente des
uns se faisait souvent au dépend de l’identité des autres. De plus l’apparition de formes
alternatives de tourisme, et la remise en cause des principes du développement touristique
de masse, est loin de fournir une solution miracle aux problèmes du tourisme de masse.
La conclusion des expériences passées nous font dire que la rencontre d’identités
différentes engendre systématiquement des altérations. La mesure de ces altérations est
pourtant différente : certaines populations voient leur identité disparaître tandis que d’autre
sont dans la reconquête d’une identité perdue. Cependant elles trouvent toutes leur source
dans les décisions à l’origine de la mise en place de l’activité touristique. C’est dans ce
contexte que ce mémoire s’interroge sur le rôle du développement touristique dans sa
dimension décisionnelle sur les altérations sociales et culturelles des populations locales. Il
s’agit d’abord d’une tentative d’identification et de mesure des éléments d’influence du
développement touristique, puis d’une analyse de la relation entre ce dernier et les
altérations identitaires ayant lieu chez les populations locales.
Mots clés : développement touristique, identité, altération sociale et culturelle, population
locale, implication, représentation.
Summary
The excessive rise of the influx of tourism, along with the total freedom and facility
to travel throughout the world, inevitably expose the population of receiving countries to
tourism. The key question is then about conservation of identity. Indeed, mass tourism has
proved that one man’s leisure could cause the identity destruction of another. Moreover,
the appearance of alternative forms of tourism and the reconsideration of the principles of
tourist development are far from providing a miracle solution to the problems of mass
tourism.
Past experiences lead us to believe that the coming together of different identities can
be a consistent cause of social and cultural alterations. Yet, the measurement of these
alterations is different: some populations lose their identity whereas others are in the
process of rediscovering a forgotten identity. Nevertheless, the source of these changes can
be found in the decision process which precedes the setting up of a tourist activity. Based
on this context, this dissertation is a study into the role of tourist development; at how it is
responsible for social and cultural changes within local populations. This work is in a first
time an attempt to identify and measure the factors influencing tourist development and, in
a second time, an analysis of the relationship between this latter and the alterations caused
to the identity of the local populations.
Key words: touristic development, identity, social and cultural alteration, local population,
involvement, representation.
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