Pratiques de véridiction 313
de la connaissance sont autant d’éléments de ces relations unissant pouvoir
et savoir et de leur transformation historique en institutions d’inculcation.
La prison est ainsi, à l’image du Panopticon de Bentham, une institution qui,
par l’observation permanente de ses pensionnaires et l’action régulatrice
constante sur leur vie, fonctionne comme un appareil du savoir orienté vers
la production de corps dociles et utiles. L’armée, quant à elle, est élevée au
rang de paradigme du pouvoir disciplinaire, elle qui construit un corps pro-
ductif par le drill militaire et l’automatisation du mouvement instruit.
Le problème de la disciplinarisation du corps « à la Foucault » vient de
cette tendance au déterminisme du regard qu’il porte rétrospectivement et
diachroniquement sur une époque, sur un contexte et sur un type de pro-
duction envisagés de manière extrêmement large. En gros, il s’agirait de la
transition de l’époque moderne à l’époque contemporaine, en Occident,
par un cheminement imperceptible (parce que « capillaire »), discursif et
non phénoménologique, conduisant à l’émergence et à l’emprise d’un dis-
cours dominant caractéristique d’une épistémè historique. C’est à la respé-
cification de cette question qu’une étude des pratiques de disciplinarisation
entend procéder. La production située, historiquement et contextuelle-
ment, de pratiques orientées vers l’enseignement d’une matière et de sa
discipline constitue le centre même de ce sur quoi l’attention doit porter,
dans une relation éventuelle à la référence textuelle mais non dans la déter-
mination de l’action par celle-ci, non dans l’inscription dans un plan direc-
teur discursif. Les congruences identifiées par Foucault entre différents
régimes et ordres – prison, folie, école, sexualité – ne résistent pas à
l’étude détaillée des pratiques locales, situées, contingentes de jeux de lan-
gage différents (Lynch, 1993).
Cet article s’attache à explorer certaines de ces actions empiriquement
documentées. Là où une approche foucaldienne du kuttâb aurait tendance à
faire l’archéologie diachronique de discours historiques, notre propre
démarche consiste à plutôt rechercher les architectures matérielles, les
machineries, les techniques corporelles et les routines disciplinaires consti-
tutives du champ phénoménologique du kuttâb de Kôm al-Buhayra, dans la
multiplicité des pratiques et jeux de langage qui y prennent place et non
dans la production d’un récit historique rétrospectif (Lynch & Bogen, 1996 :
31). Dans le contexte du kuttâb de Kôm al-Buhayra, ce que l’étude d’un
après-midi d’apprentissage du Coran nous montre, c’est précisément com-
ment, à ce moment et dans ce lieux précis, les membres du groupe des
enfants et adultes engagés dans cette activité se sont pratiquement orientés
vers une finalité pratique, l’apprentissage du Coran, avec tout ce que l’on
peut empiriquement observer en termes de focalisation et de dilution de
l’attention, de déploiement de pratiques disciplinaires et d’émotions (rires,
crainte, pleurs, ennui), d’accomplissement de gestes et de techniques