Les ateliers de philosophie aux cycles II et III

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Concours de recrutement de professeur des écoles
IUFM de Dijon
Les ateliers de philosophie
aux cycles II et III
Sous la direction de monsieur Pierre Durand
Année 2005
Marielle Nuk
Identifiant : 04STA00290
« Au-delà de toute participation d'ordre médiatique à
une nouvelle vogue, l'intérêt de la philosophie pour
enfants rentre dans les préoccupations
fondamentales de l'Unesco. En vue de la promotion
de la culture de la paix, de la lutte contre la violence,
d'une éducation visant l'éradiction de la pauvreté et le
développement durable, le fait que les enfants
acquièrent très jeunes l'esprit critique, l'autonomie, la
réflexion et le jugement par eux-mêmes, les assure
contre la manipulation de tous ordres et les prépare à
prendre en main leur destin »
La philosophie pour enfants, Rapport de l'Unesco :
Division de la philosophie et de l'éthique, Paris, 1999
SOMMAIRE
Introduction _______________________________________________________________ p 1
I - Pourquoi pratiquer la philosophie à l'école primaire ? __________________________ p 3
1) Les précurseurs ____________________________________________________ p 3
2) Les différents courants de pensée _____________________________________ p 4
a)
L'approche citoyenne ______________________________________________ p 4
b)
L'approche psychanalytique__________________________________________ p 5
c)
L'approche langagière______________________________________________ p 6
d)
La pensée réflexive________________________________________________ p 6
e)
L'approche philosophique __________________________________________ p 7
3) Les représentations obstacles _________________________________________ p 7
a)
La question du programme __________________________________________ p 7
b)
L'immaturité psychique et intellectuelle des enfants _______________________ p 8
c)
Les thèmes abordés _______________________________________________ p 9
4) Les apports de la philosophie avec les enfants : quelles références aux
Instructions Officielles ? _____________________________________________ p 9
a)
Le langage au cœur des apprentissages _______________________________ p 9
b) L'éducation à la citoyenneté _________________________________________ p 11
c)
Les habiletés cognitives et intellectuelles _______________________________ p 12
d)
L'enfant au cœur du système éducatif _________________________________ p 13
II- Comment pratiquer la philosophie avec les enfants ? _________________________ p 14
1)
Le support : choix et analyse _________________________________________ p 14
2)
La classe de grande section _________________________________________ p 16
3)
a)
Profil de classe ___________________________________________________ p 16
b)
Organisation matérielle _____________________________________________ p 16
c)
Déroulement ____________________________________________________ p 16
d)
Choix du support _________________________________________________ p 17
La classe de CE2-CM1 ______________________________________________ p 18
a)
Profil de classe __________________________________________________ p 18
b)
Organisation matérielle ___________________________________________ p 18
c)
Déroulement ____________________________________________________ p 19
d)
Choix du support ________________________________________________ p 20
4) Rôle de l'enseignant _______________________________________________ p 21
III- Analyses et questionnement _____________________________________________ p 23
1)
Analyses des séances ______________________________________________ p 23
a)
Qu'est-ce que grandir ? ___________________________________________ p 23
b)
Qu'est-ce que le courage ? _________________________________________ p 27
c) Que veut dire être soi ? Pourquoi a-t-on parfois envie d'être un autre ? ________ p 32
d) Que veut dire vivre ensemble ? _______________________________________ p 36
2)
Questions soulevées par la pratique de ces ateliers ______________________ p 39
a)
Que faire lors de glissements thématiques ? ___________________________ p 39
b)
L'élève a-t-il le droit de tout dire ? ____________________________________ p 40
c)
La position de l'enseignant ? Un rôle éthique ___________________________ p 42
Conclusion _______________________________________________________________ p 45
Bibliographie _____________________________________________________________ p 47
Annexes _________________________________________________________________ p 49
Annexe I : Que veut dire être grand ? _______________________________________ p 50
Annexe II : Qu'est-ce que le courage ? ______________________________________ p 61
Annexe III : Que veut dire être soi ? Pourquoi a-t-on parfois envie d'être un autre ? ___ p 69
Annexe IV : Que veut dire vivre ensemble ? __________________________________ p 73
Annexe V : Fiche « vivre ensemble » _______________________________________ p 78
Introduction
Après avoir étudié durant quatre ans la psychologie à l'université, j'ai été
recrutée en tant que liste complémentaire, dans l'Education Nationale. Cette année
sur le terrain, dans une classe de CE2, a entraîné de nombreuses interrogations. J'ai
constaté le manque de confiance de mes élèves en leurs capacités et leurs peurs
face aux apprentissages. Mes études universitaires m'ont apporté un certain regard
sur l'enfant. Elles m'ont permis d'engager une réflexion sur l'importance de l'étayage
de l'adulte et les troubles de l'estime de soi. J'ai tenté dans ma classe d'instaurer un
climat d'entraide et de restaurer une confiance qui semblait, pour de nombreux
élèves, perdue ou fragile. Rapidement, les enfants ont osé exprimer leurs questions.
J'ai donc mis en place des temps de parole réguliers, durant lesquels les élèves
pouvaient exposer leurs interrogations. Ces questions ne semblaient d'ailleurs pas
trouver d'espace, hors de la classe, pour être exprimées. Ce fut un véritable
soulagement pour tout le groupe classe. Le climat s'est rapidement amélioré, les
enfants étaient davantage capables de se respecter et d'accepter les contraintes que
je leur fixais. L'école a repris sens, car elle s’intéressait aussi à leur vie, et non
seulement aux savoirs. Cependant, ces temps de parole n'étaient pas structurés ni
clairement définis. Il s'agissait davantage de catharsis que de véritable temps
d'élaboration d'une réflexion collective.
Devant ce besoin des élèves de s'interroger, de pouvoir mettre des mots sur
leurs pensées et pouvoir trouver un lieu où exprimer leurs doutes et leurs
interrogations, je me suis documentée sur les pratiques existantes. J'ai pris
connaissance des articles évoquant la philosophie à l'école primaire et j'ai décidé
d'étudier la question pendant mon année de formation.
Le questionnement sous-tendant ma démarche est le suivant : Comment
mettre en place des ateliers de discussions philosophiques en cycle II et III, à partir
d'ouvrages de la littérature jeunesse ?
Je m'interrogerai d'abord autour de la question : Pourquoi pratiquer la
philosophie à l'école ? Dans cette première partie théorique, je ferai l'historique de
1
cette démarche pédagogique, préciserai les différents courants qui s'en sont dégagé
et évoquerai les apports de cette pratique, en faisant référence aux Instructions
Officielles. Dans une seconde partie, j'exposerai la démarche que j'ai mise en place
durant mes stages et justifierai les choix opérés. Enfin, j'analyserai les séances
menées ainsi que les difficultés rencontrées et les interrogations que cette pratique
aura soulevées1.
Précisons qu'il aurait été intéressant de s'interroger sur les apports de la philosophie à l'école
(répercussion sur les apprentissages, sur l'estime de soi, sur le développement du langage etc.) en
travaillant sur des indicateurs précis. Cependant, les stages de trois semaines ne permettent pas la
mise en place de ces recherches.
1
2
I-
Pourquoi pratiquer la philosophie à l'école primaire ?
La philosophie n'est enseignée en France qu'en classe de Terminale. Durant
cette année, il s'agit davantage « d'apprendre la philosophie » que d'apprendre à
philosopher. En 1989, le rapport Derrida-Bouveresse préconisait une initiation à la
philosophie à partir de la classe de première, mais cette proposition fut rejetée.
Pourtant aujourd'hui, certains chercheurs, philosophes et enseignants souhaitent
que la philosophie soit pratiquée dès l'école maternelle. Nous allons tenter de
comprendre d'où provient cette intention et pourquoi ils envisagent si précocement
une pratique philosophique.
1) Les précurseurs
Dans les années 70, un professeur de philosophie d'une université
américaine, Mathhew Lipman, s'interroge sur la démotivation et le manque de
curiosité des enfants. Il constate le peu d'autonomie et d'esprit critique de ses
étudiants.1
Lipman accuse l'école d'être à l'origine de cette incapacité de penser par soimême. Il attribue donc une nouvelle fonction à l'école : celle de former des adultes
responsables et capable d'un "jugement autonome et nuancé".
Pour développer cet esprit critique et cette autonomie nécessaire, selon lui,
au fonctionnement démocratique, il créé un programme de philosophie pour les
enfants. Il publie alors plusieurs romans, destinés aux élèves, de la maternelle
jusqu'à la Terminale. Ces romans mettent en scène des enfants en situation de
recherche. Lipman développe également des guides pour l'exploitation de ces
romans. Il préconise d'instaurer des "communautés de recherche". La discussion
entre pairs permettra, selon lui, l'élaboration de la pensée.
Pour illustrer le peu d'autonomie chez des élèves de CE2 :
1
- au niveau « matériel » :
« maîtresse, qu'est-ce que je fais quand j'ai plus de place sur ma feuille ? »
- au niveau esprit critique :
Après la lecture d'une histoire, je demande aux élèves si celle-ci leur a plu. Un premier élève répond
« oui ». Devant mon silence, il se reprend en disant « euh, non, non, je veux dire non ».
3
Cependant, pour Lipman, la philosophie n'est pas une fin en soi, mais un
moyen de développer des habiletés cognitives et intellectuelles. Il lui a été reproché,
notamment par Michel Tozzi, d'axer sa pratique sur des exercices formels reposant
sur la logique, afin d'exercer ces habiletés de pensées.
On trouve dans la pensée de Lipman des influences de Socrate, Platon,
Aristote, et plus récemment, John Dewey.
Lipman est, en effet, convaincu que l'étonnement et la curiosité sont naturels
chez l'enfant. Cet étonnement doit être à la base du questionnement philosophique.
On retrouve cette idée chez Aristote, pour qui tout questionnement philosophique
trouve son origine dans l'émerveillement.
Lipman ne souhaite pas apprendre la philosophie aux enfants, mais leur
apprendre à philosopher, c'est-à-dire, à s'interroger sur une question (existentielle,
métaphysique ou éthique) et construire une vérité dans l'échange. On trouve ici les
influences de Socrate et Platon, pour qui philosopher consistait en des échanges
verbaux durant lesquels la vérité se construisait progressivement.
On peut également noter l'influence de John Dewey qui considérait l'enfant
comme un chercheur. Pour Dewey permettre aux enfants de chercher des réponses
à travers l'interaction entre pairs vise à les adapter à leur vie d'adulte en société.
2) Les différents courants de pensée
Depuis les travaux de Lipman, la philosophie avec les enfants a connu un
véritable essor. En 1974 fut créé l'IAPC1. En 1982, la pratique de la philosophie entre
dans les programmes officiels de l'école au Québec. Elle apparaît en France, dans
les années 1990, sous l'influence de Michel Tozzi. Aujourd'hui, la philosophie avec
les enfants est pratiquée dans une quarantaine. De cet essor, différentes approches
se sont dégagées.
a) L'approche citoyenne (Alain Delsol)
Le débat
philosophique va, dans cette
approche,
être le vecteur
d'apprentissage relevant du "vivre ensemble" ou de la socialisation. Comme le
pensait Dewey, le débat philosophique va permettre aux enfants d'apprendre à
1
Institut pour l'avancement de la philosophie avec les enfants
4
mieux vivre ensemble, au sein d'une même société, lorsqu'ils seront adultes. Le
débat va alors permettre d'écouter et respecter la parole d'autrui, de se construire et
construire sa pensée à travers l'autre. Les règles du débat sont claires (lever la main
pour demander la parole, parler uniquement lorsqu'on nous en a donné
l'autorisation, ne pas répéter ce qui a déjà été dit). L'enfant fait partie d'une
microsociété, la "communauté de recherche", à travers laquelle il va faire ses
expériences de pensées.
L'objectif relève également de l'édification d'une société démocratique. En
effet, la démocratie, c'est permettre à chacun de penser et se déterminer librement
de façon autonome. Il s'agit donc de développer l'esprit critique et l'autonomie des
élèves.
Dans cette approche, le maître s'efface du dispositif. Ce sont les enfants euxmêmes qui régulent le débat. Des rôles ou "métiers" sont attribués à chaque
séance : on trouve ainsi des observateurs, un président de séance, un reformulateur
et un synthétiseur. Tout ceci doit permettre à l'élève de comprendre le
fonctionnement d'un débat en y prenant différentes places et en analysant chacun
des rôles. Pour Delsol, ce dispositif a « un rôle majeur dans la construction des
structures cognitives permettant l'éveil de la pensée. »1
b) L'approche psychanalytique (Jacques Levine)
Dans cette approche, l'accent est mis sur l'expérience de pensée. En effet,
pour Jacques Lévine, l'enfant doit faire l'expérience du cogito, c'est-à-dire se
percevoir comme un sujet parlant et pensant. Il est nécessaire pour le
développement identitaire de l'enfant, "d'expérimenter une parole qui s'autorise à
penser devant les autres2". Lors de ces débats, l'enfant prend le risque d'exprimer ce
qu'il pense, et par là même son identité, devant ses camarades.
Dans cette approche, le maître reste à l'écart du débat et demeure silencieux.
Ce n'est que dans un deuxième temps, lors de l'analyse de la discussion, qu'il
intervient auprès des enfants.
Delsol, A.. (2004) : Fonctions déléguées et discussions à visée philosophique en maternelle. Cahiers
pédagogiques, 420 : 39-53
2
Lévine, J. (2000) : Je est un autre, ESF
1
5
c) L'approche langagière
A travers le débat, certains privilégient l’approche langagière, indispensable à
la construction identitaire du sujet, à l’apprentissage de la réflexivité et au
positionnement social dans l’interaction. Il s’agit dans ces pratiques de faire travailler
en classe l’interaction sociale verbale entre pairs, en provoquant des conflits sociocognitifs et des pratiques argumentatives.
d) La pensée réflexive (Michel Tozzi)
Michel Tozzi est le principal inspirateur de la philosophie avec les enfants en
France. Tout comme Lipman, Tozzi propose d'instituer des communautés de
"copenseurs". L’enfant doit "apprendre à poser correctement des questions, en
saisir le sens profond, se donner intellectuellement les moyens de cheminer vers
des réponses1". Pour cela, il doit apprendre à conceptualiser, c'est-à-dire définir les
notions, problématiser, c'est-à-dire questionner ces notions et les mettre en relation
et argumenter pour justifier ses choix.
Atelier CE2 / CM1 : qu'est-ce qu'être courageux ?
Conceptualisation : être courageux, c'est prendre des risques
Problématisation : Etre courageux, c'est prendre des risques, mais pas
trop grands. Par exemple, ben, si ma petite sœur tombe par la fenêtre,
j'essaie de l'attraper, mais je vais pas sauter par la fenêtre avec elle,
parce que c'est déjà de la folie.
Argumentation : Pour être courageux, il faut avoir peur. La fourmi n'est
pas assez intelligente pour savoir qu'elle existe, donc elle n'a pas peur.
L'enfant va se construire avec l'autre, à travers les interactions verbales qu'il
aura avec lui, et acquérir l'idée que l'autre est indispensable à son épanouissement.
Cette idée rejoint les thèses de Lev Vygotsky selon lesquelles les connaissances
sont construites par le langage et l'interaction sociale : « C'est dans le cadre de la
1
Tozzi, M. et coll (1996) : Penser par soi-même, Chronique sociale
6
communication avec l'adulte et avec la collaboration de camarades que le jeune
enfant développe ses facultés intellectuelles supérieures ».1
Pour Michel Tozzi, une discussion est philosophique si elle répond à ces trois
critères: problématiser, conceptualiser et argumenter. Ainsi, il ne suffit pas que la
question de départ soit philosophique pour que la discussion qu'elle engendre le soit
également.
e) L'approche philosophique (Anne Lalanne)
Dans cette approche, l'intérêt est tout particulièrement porté sur la
conceptualisation, c'est-à-dire la définition des mots et notions, nécessaire à
l'argumentation.
L'enseignant propose un guidage cognitif important. Il gère la parole,
synthétise et reformule les propos des enfants, relance la discussion et recentre le
débat lorsque les enfants font des digressions.
3) Les représentations obstacles
Malgré cet essor mondial et ces différentes conceptions qui se sont dégagées
de la philosophie avec les enfants, cette pratique, encore marginale, est confrontée
à de nombreuses réticences.
a- La question du programme
La pratique de la philosophie n'est pas inscrite dans les programmes officiels
de l'école primaire. Ainsi, de nombreux enseignants refusent l'idée de la mettre en
place dans leur classe. Or, nous le verrons dans la partie suivante (I.4), elle peut
permettre de développer certaines compétences décrites dans les Instructions
Officielles.
Associée à la question des programmes, la question du temps semble être
également un frein à la mise en place de ces pratiques. De nombreux enseignants
Vygotsky, L.V (1985), Pensée et Langage, Paris, Messidor, p 143-206
1
7
ont déjà l'impression d'être débordés par les domaines à aborder et sont donc
réticents à l'idée d'y ajouter une nouvelle pratique. Là encore, nous pouvons nous
interroger sur les bénéfices d'une pratique philosophique en classe, et ce, dans tous
les domaines scolaires. Nous pouvons nous demander si accepter de "perdre du
temps" en philosophant ne revient pas à "gagner du temps" dans l'acquisition des
compétences décrites dans les Instructions Officielles.
b- L'immaturité psychique et intellectuelle des enfants
Lorsqu'on évoque la pratique de la philosophie avec les enfants, on se trouve
souvent confronté au sourire perplexe de notre interlocuteur. Comment imaginer
qu'un enfant puisse philosopher ? Comment pourrait-il philosopher alors que ce n'est
qu'un enfant ? Les arguments s'appuient généralement sur l'immaturité psychique et
intellectuelle des enfants.
Sous ces interrogations, nous trouvons une certaine vision de l'enfance.
L'enfant est perçu comme un être ignorant, incapable de réfléchir, soit parce qu'il n'a
ni expérience, ni connaissance théorique, soit parce qu'il n'a pas les outils cognitifs
pour le faire. Pourtant, très jeune, l'enfant s'interroge sur lui-même et sur le monde
qui l'entoure. Il s'agit de saisir cette curiosité naturelle de l'enfant et de la favoriser
pour faire émerger des discussions philosophiques. A la question de savoir s'il n'est
pas trop jeune de commencer à pratiquer la philosophie à l'école primaire, Michel
Sasseville rétorque qu'"à cinq ans, on a déjà cinq années d'expérience et une vie qui
est déjà chargée de problèmes et de mystères. Apprendre (…) à questionner cette
vie (…) devrait commencer aussitôt que possible, dès l'instant qu'on a commencé à
parler1". Le langage devient alors outil pour dire la pensée.
L'autre argument est celui de l'immaturité intellectuelle. L'enfant ne serait pas
assez outillé pour pouvoir élaborer sa pensée et la verbaliser. Or, c'est par la
pratique qu'il va apprendre à verbaliser, argumenter, écouter les opinions des autres
pour en tenir compte. Cette pratique va permettre le développement des capacités
cognitives et des habiletés intellectuelles nécessaires pour les autres apprentissages
(voir I.4). "Il faut donner confiance à l'enfant en ses facultés de réflexion, tout en lui
faisant vivre l'expérience que cette pensée se heurte et s'enrichit de la différence"2.
1
2
Sasseville, M., cité par Revaz, N. (2000) : Philosopher en suisse romande, Résonances
Laurendeau, P. (1996) : Des enfants qui philosophent, Editions logiques
8
c- Les thèmes abordés
On reproche également à la philosophie d'aborder des thèmes ayant une
forte résonance affective, mais ces thèmes sont des questions qui préoccupent les
enfants, et qui ne trouvent pas d'espace de parole pour s'exprimer et s'enrichir. Il
faut considérer les questions des enfants et ne pas les occulter, au risque de leur
faire croire que l'école n'a pas à s'occuper de leurs interrogations. Il faut « mettre au
centre ce qui fait question pour l'enfant, son interrogation devant le monde, parce
que c'est ce qui donne sens à son désir d'apprendre, et structure positivement son
rapport au savoir. 1» Il est parfois difficile pour les parents d'accepter que leurs
enfants parlent, par exemple, de la mort à l'école. Cependant, l'école doit dépasser
ces craintes pour permettre à l'enfant d'exposer ses doutes, ses interrogations et
cheminer, avec le concours des autres, dans sa propre réflexion.
4) Les apports de la philosophie avec les enfants : quelles références
aux Instructions Officielles ?
Après avoir évoqué les idées faisant obstacle au développement de la
pratique philosophique avec les enfants, nous allons nous interroger sur les apports
que peuvent amener une telle pratique. Nous verrons que ces apports peuvent
s'inscrire dans les exigences des Instructions Officielles de l'école primaire.
a) Le langage au cœur des apprentissages
"La maîtrise du langage et de la langue française doit être la priorité des
priorités et une préoccupation permanente. Aucun élève ne doit quitter l'école sans
avoir cette assurance minimale dans le maniement du français oral et du français
écrit.2"
Tozzi, M. (2002) Une innovation majeure : la discussion philosophique à l'école primaire,
l'apprentissage du philosopher
2
Ministère de l'Education Nationale (2002) : Qu'apprend-on à l'école élémentaire ?, p 155
1
9
La pratique de la philosophie va permettre l'élaboration de la pensée de
l'enfant. Plus spécifiquement, l'enfant va d'abord apprendre à mettre en mots sa
pensée, puis, développer des compétences langagières. Selon les Instructions
Officielles, "savoir parler pour évoquer des événements, pour communiquer ses
connaissances abstraites, pour s'expliquer et pour argumenter marque un palier
dans l'apprentissage. Il conditionne la réussite des apprentissages ultérieurs1." C'est
bien ce palier que la philosophie tend à faire franchir, dès la maternelle, par la
pratique des discussions philosophiques.
Plus tard dans la scolarité de l'enfant, elle développera le langage oral, sous
la forme de débat, et plus particulièrement le discours argumentatif.
Voici, à ce sujet, les compétences citées dans les programmes officiels,
qui sont travaillées lors des discussions philosophiques :
A l'école maternelle, "il faut permettre à l'enfant de découvrir qu'il peut
comprendre ce que disent les adultes et qu'il peut se faire entendre, y
compris par ses camarades. Au fur et à mesure qu'il grandit, on lui donne
l'occasion de s'insérer dans des dialogues plus longs et plus complexes,
puis dans de véritables discussions".
A la fin du cycle 2, l'élève doit être capable de :
"écouter autrui, demander des explications et accepter les
–
orientations de la discussion induites par l'enseignant
exposer son point de vue et ses réactions en restant dans les
–
propos de l'échange".
A la fin du cycle 3, l'élève doit être capable de
1
–
"saisir l'enjeu de l'échange
–
reformuler l'intervention du maître ou d'un autre élève
–
prendre en compte le point de vue des autres".
Ibid, p 17
10
b) L'éducation à la citoyenneté
"La maîtrise du langage et de la langue française constitue l'objectif majeur
du programme de l'école élémentaire. Elle donne lieu à des contenus spécifiques.
Mais elle se construit aussi dans la transversalité des apprentissages"1.
La pratique des discussions philosophiques va permettre à l'enfant de trouver
sa place dans une société démocratique, en développant sa pensée critique et son
autonomie. Penser par soi même, c'est comprendre que la pensée est produite par
des individus. Si l'enfant est maintenu dans le leurre que la connaissance se résume
à l'apprentissage et la répétition, il n'apprendra pas à penser par lui-même. Or, le
modèle démocratique, c'est permettre à chacun de penser de façon autonome.
Comme le dit Lipman, "il vaudrait mieux développer la pensée critique en donnant
aux élèves l'occasion d'être sceptiques, plutôt que de les gaver de certitudes peu
fiables"2. De plus, penser ensemble permet de mettre l'enfant en rapport avec le
monde qu'il habite et introduit l'idée que l'on ne pense pas contre l'autre mais grâce
à l'autre. Les thèmes abordés peuvent introduire des notions citoyennes : la liberté,
la justice, la différence, le racisme, le sexisme… et permettre ainsi aux enfants
d'élaborer leurs pensées sur des thèmes fondamentaux de respect et de tolérance.
De plus, la discussion philosophique est régulée par des règles, fondements
essentiels de la vie en société. Ainsi, par le biais de cette pratique, l'enfant aura
l'occasion d'apprendre à demander la parole en levant la main, s'exprimer seulement
lorsque la parole lui est donnée, écouter le point de vue des autres, et comprendre
que l'autre permet l'élaboration de sa propre pensée. Autrement dit, l'enfant
apprendra les règles du débat démocratique, et entrera dans un fort processus de
socialisation. Par ce biais, il construira également sa propre identité et trouvera sa
place au sein du groupe social classe.
1
2
Ibid, p 167
Lipman, M. (1995) : A l'école de la pensée, De Boeck, Bruxelles
11
Voici, à ce sujet, les compétences citées dans les programmes
officiels, qui sont travaillées lors des discussions philosophiques :
"A la fin de l'école maternelle, il [l'enfant] doit être prêt à accepter les
règles d'un débat organisé".
A la fin du cycle 2, l'élève doit être capable de :
–
"commencer à se sentir responsable
–
prendre part à un débat [sur la vie de la classe]"
"L'élève doit continuer à construire sa personnalité (…), se construire
comme sujet et comprendre sa place dans le groupe".
A la fin du cycle 3, l'élève doit être capable de :
–
«participer à un débat
–
distribuer la parole et faire respecter l'organisation d'un débat
–
respecter ses camarades et accepter les différences".
c) Les habiletés cognitives et intellectuelles
"L'école maternelle a pour mission d'aider chaque enfant à grandir, à
conquérir son autonomie et à acquérir des attitudes qui lui permettront de construire
les apprentissages fondamentaux"1.
La pratique de la discussion philosophique permet "l'éveil de la pensée
réflexive"2, et permet donc de construire des apprentissages scolaires. Les enfants
vont développer des capacités de formulation et reformulation, des capacités de
synthétisation des propos formulés, des capacités d'abstraction nécessaires à la
définition de notions, ainsi que des capacités d'écoute. Ils seront amenés à
généraliser des propos ou des idées, à argumenter leurs choix. Ils apprendront
également à se questionner, émettre des hypothèses et les confronter aux autres,
articuler les différents propos pour les rendre cohérents entre eux. Ils utiliseront des
concepts et devront faire preuve de logique.
Ibid, p 16
Tozzi, M. et coll (2001) : L'éveil de la pensée réflexive à l'école primaire, Hachette Education
1
2
12
Des expériences, menées en ZEP et en SEGPA semblent montrer des
répercussions dans les activités scolaires. Le climat de la classe se modifie : les
élèves s'écoutent davantage et ont acquis des automatismes de recherche. Les
savoirs scolaires trouvent davantage de signification pour les enfants.
d) L'enfant au centre du système éducatif
D'après les Instructions Officielles, "l'enfant est au cœur du système éducatif".
Les expériences menées en SEGPA montrent des résultats intéressants au niveau
de l'investissement des élèves dans les activités scolaires. Par la discussion
philosophique, les enfants reprennent confiance en eux et en leurs capacités de
réflexion. Ainsi, leurs rapports au savoir scolaire peuvent être amenés à évoluer. La
pratique des discussions philosophiques place l'élève dans un rapport non
dogmatique au savoir. Il n'y a ni bonne, ni mauvaise réponse et chacun est amené à
faire évoluer la pensée des autres.
La pratique de la philosophie avec les enfants a vu le jour il y a une trentaine
d'années. Depuis, elle a connu un grand essor à travers le monde. En France, elle
rencontre de nombreuses réticences de la part des enseignants et de l'institution.
Elle permet pourtant de développer certaines compétences détaillées dans les
programmes officiels. Mais, cette pratique s'appuie sur une certaine vision de
l'enfance. Il faut croire aux capacités de réflexion des enfants, croire en leur
intelligence, en leur curiosité naturelle. Il faut percevoir l'enfant comme un sujet
pensant, capable d'accéder à une autonomie intellectuelle. Il faut également
accepter de considérer les questions des enfants et répondre à leur désir prégnant
d'avancer dans leurs réflexions en se confrontant aux autres.
13
II-
Comment pratiquer la philosophie avec les enfants ?
Comme je l'ai évoqué dans la première partie, différentes orientations sont
possibles pour mettre en place et mener des ateliers de philosophie à l'école
primaire. Dans cette seconde partie, je présenterai mes choix quant à cette mise en
place en évoquant les supports utilisés, le déroulement des séances menées.
J'analyserai également mon rôle durant ces débats.
1- Le support : choix et analyse
Matthew
Lipman
utilisait
les
romans
comme
base
de
discussion
philosophique. J'ai voulu utiliser le support écrit pour mener mes ateliers de
philosophie, mais, contrairement à Lipman, en utilisant des albums de jeunesse non
spécifiquement conçus pour la pratique de la philosophie.
La littérature jeunesse s'est beaucoup développée ces dernières années et
offre un large choix. De nombreux livres permettent d'ouvrir une réflexion sur des
thèmes à portée philosophique1. D'autre part, l'utilisation d'un album me semble être
une amorce à l'atelier philosophique, le livre étant alors un élément embrayeur de
l'échange. Les élèves ne s'interrogent pas sur une question ou un thème qui leur est
étranger. L'histoire lue va permettre de faire émerger des interrogations qui
prendront sens pour l'ensemble du groupe, à travers cette lecture. L'album va
également leur permettre d'avoir un référent commun. Comme le dit Monique
Mahieu, « un support est nécessaire parce que la pensée est contextualisée : ce qui
n'a pas de contexte n'a pas de sens »2. L'entrée dans l'atelier me semble ainsi
favorisée. De plus, à travers la lecture d'une histoire, les élèves entrent dans l'atelier
philosophique à travers un élément qui leur est familier. L'inconnu peut devenir
source d'angoisse pour certains élèves. Rentrer dans l'atelier à partir d'un outil
familier peut aider à réduire ces craintes et permettre un questionnement personnel.
Pour trouver une liste non exhaustive d'ouvrages de littérature de jeunesse utilisables : Tozzi, M. et
al, (2001) : L'éveil de la pensée réflexive à l'école primaire, Hachette Education, p 105 à 114
1
In Leleux, C. et coll (2005) : La philosophie pour enfants, le modèle de Matthew Lipman en
discussion, Bruxelles, Edition De Boeck, p 135
2
14
J'ai mené un atelier en CE2-CM1 sans support initial. La discussion était liée
à un projet d'exposition en partenariat avec la municipalité sur le thème de "vivre
ensemble". Plusieurs albums auraient été exploitables pour amorcer ce débat. J'ai
fait le choix de ne pas les utiliser pour ainsi vérifier les incidences de l'absence de
support écrit sur l'atelier. Cependant, le fait d'inscrire l'atelier dans un projet, permet
de donner un sens à cette discussion, même sans l'utilisation de support initial.
La lecture peut se faire de différentes manières, en fonction de l'album utilisé
et de ce que l'on souhaite voir émerger comme questionnement. Il peut être utile de
ne pas lire l'histoire entière, notamment lorsqu'à la fin de celle-ci se trouve "une"
solution au problème soulevé. Ce fut le cas lors de ma séance en grande section.
L'album utilisé me semblait faire émerger un questionnement uniquement dans sa
première partie. Je n'ai donc pas lu l'histoire entière.
Suite à la lecture, j'ai d'abord laissé mes élèves de grande section s'interroger
sur l'histoire lue, attendant qu'une question émane d'eux. Mais, cet exercice est
difficile pour de si jeunes enfants et aurait nécessité davantage de temps. Dans cette
perspective, il aurait été préférable de consacrer une séance entière à l'émergence
des questions, comme le préconise Jacques Lévine, puis, lors d'une deuxième
séance, discuter, échanger autour de cette question. Cependant, l'organisation
matérielle rendait impossible la tenue de ces deux séances. Ainsi, mon expérience
rejoint les propos de Michel Tozzi, lorsqu'il note que «l'essai de faire poser les
questions aux élèves [de cycle I et II] après chaque chapitre n'a pas été concluant1».
Lors des séances suivantes dans la classe de CE2-CM1, j'ai moi-même amené le
questionnement sous-tendu par les histoires lues.
Enfin, d'autres supports peuvent être exploitables pour amorcer une
discussion à visée philosophique, tels que des cassettes vidéos pour les plus jeunes
ou des situations vécues en classe pouvant servir de point de départ à une
interrogation.
Tozzi, M. et coll (2001) : L'éveil de la pensée réflexive à l'école primaire, Hachette Education, p 37
1
15
2- La classe de grande section
a) Profil de classe
Ma première séance a été menée avec dix élèves de grande section, dans
une école rurale. Cette séance a eu lieu lors d'un décloisonnement exceptionnel.
Ces élèves de cycle 2 n'avaient jamais participé à un débat auparavant et
n'étaient donc pas habitués à ce mode de fonctionnement. De plus, cette séance fut
notre premier contact, puisque je remplaçais l'enseignant de la classe de tout-petits,
petits, moyens. Les élèves de grande section n'étaient donc jamais venus travailler
avec moi auparavant. Or, lors d'une discussion philosophique, le lien entre
l'enseignant et les élèves me semble très important. La discussion est facilitée par le
lien de confiance établi entre le professeur et ses élèves, et ce d'autant plus
lorsqu'ils sont jeunes.
b) Organisation matérielle
La séance a eu lieu dans ma classe, au coin regroupement. Les élèves
étaient assis en U et j'étais placée devant eux. Rester dans la classe ne permet pas
une prise de distance avec les activités scolaires. Les élèves ont, me semble-t-il, eu
l'impression de participer à une activité de langage comme une autre. Ils me
semblaient être à la recherche de "la" bonne réponse. Les réponses "oui" ou "non",
formulées en chœur1, me semblent en être le reflet. La salle de motricité était le seul
espace approprié, mais il était occupé par les petits et les moyens pour la sieste. Il
aurait cependant été possible de modifier la disposition de la salle de classe pour
pouvoir nous installer en cercle, et ne pas rester dans ce coin de langage.
c) Déroulement
Après un moment d'accueil des élèves, je leur ai présenté l'activité. Ce
moment très important permet à l'élève de s'engager dans l'activité et d'en
1
Voir annexe I
16
comprendre le sens. Ainsi, l'activité a été présentée comme un moment de réflexion
collective :
Nous allons réfléchir ensemble sur des questions que les hommes se
posent depuis très longtemps. Il n'y a aucune bonne ou mauvaise réponse.
Chacun est libre de penser ce qu'il veut. Vous avez le droit de ne pas être
d'accord avec les autres mais nous n'avons pas le droit de nous moquer de
ce que l'un de nous peut penser.
Ensuite, je leur ai demandé comment nous allions faire pour pouvoir parler
tous ensemble. Cette étape a permis de construire les règles de fonctionnement du
débat. Ainsi, nous avons établi les règles de prise de parole (lever la main et
attendre mon autorisation pour parler) et l'écoute des autres.
J'ai ensuite présenté l'album Laurent tout seul1, et lu la première partie de
l'histoire.
d) Choix du support
L'album raconte l'histoire d'un petit lapin, Laurent, qui s'ennuie chez lui "avec
ses jeux de bébés". Il décide alors d'aller voir ce qu'il se passe dehors. Sa mère le
met en garde. Laurent découvre le monde, mais lorsque la nuit tombe, sa mère lui
manque terriblement. J'ai arrêté la lecture sur ces mots "peut-être que je ne suis pas
si grand que ça".
Ce livre peut amener une réflexion sur le thème "qu'est-ce que grandir ?" ou
"que veut dire être grand ?". Il me semble intéressant de proposer ce thème à des
enfants de cet âge. En effet, ils sont les plus grands de l'école, on utilise bien
souvent la dénomination "les grands" pour parler des élèves de grande section, et
dans quelques mois ils seront "les petits" de l'école élémentaire.
1
Vaugelade, A., (1998) : Laurent tout seul, Ecole des loisirs, Paris
17
3- La classe de CE2-CM1
a) Profil de la classe
Les séances suivantes ont été menées avec dix élèves de CE2-CM1, dans
une école située en ZEP. Huit des élèves étaient d'origine étrangère, certains étant
intégrés en classe ordinaire depuis le début de l'année seulement, après une
scolarisation d'une ou plusieurs années en CLIN. Cette situation implique des
difficultés au niveau de la langue, tant au niveau de l'expression que de la
compréhension. Parmi les dix élèves présents, l'un d'eux était en intégration scolaire.
Cet élève présentait des troubles du comportement et des difficultés importantes de
socialisation.
Ces élèves avaient l'habitude de pratiquer des discussions à visée
philosophiques. En effet, depuis le début de l'année, trente minutes par semaine
étaient consacrées à ces ateliers, animés par les professeurs du RASED. Ces
ateliers, présentés comme un projet de classe, visaient essentiellement une
éducation à la citoyenneté, mais également le développement des capacités
linguistiques des élèves. Cependant, plusieurs différences sont à noter avec les
ateliers que j'ai menés : les élèves n'utilisaient pas de support comme amorce au
débat et n'avaient pas l'habitude de débattre ensemble, les groupes mis en place
lors des ateliers habituels réunissant les élèves de deux classes.
b) Organisation matérielle
L'organisation lors de la séance en grande section ne m'ayant pas convenu,
j'ai décidé de marquer plus nettement la distinction entre les activités dogmatiques et
cette activité de philosophie. La BCD n'étant pas libre, nous avons été contraints de
rester dans la salle de classe. Cependant, nous nous sommes installés au fond de la
classe, sur des coussins, en formant une ronde. Ainsi, chaque élève pouvait voir
celui qui parlait et l'appartenance à un groupe (de "co-penseurs") était plus évidente.
J'étais moi-même intégrée à ce cercle, et non pas en dehors, comme avec la classe
de grande section. Cette position permet de rompre avec la posture transmissive,
mais également la position de "celui qui sait", que peut prendre l'enseignant lors des
activités scolaires. Cette intégration au groupe peut aider à passer d'un rôle en plein
18
dans lequel le maître est détenteur du savoir, à un rôle en creux, où il n'est pas
détenteur de la bonne réponse.
c) Déroulement
Chaque séance a débuté par un rappel des règles de fonctionnement. Les
élèves, habitués à ces ateliers philosophiques avaient déjà co-élaboré et assimilé
ces règles. Cependant, les rappeler à chaque début de séance permet de faire
entrer les élèves dans l'activité en douceur. Lorsque les élèves souhaitaient
s'exprimer, ils levaient la main et attendaient que je leur tende un bâton. Seul l'élève
possédant le bâton pouvait parler, les autres devaient rester silencieux et écouter, ce
qui a généralement été le cas. Je distribuais la parole dans l'ordre chronologique des
demandes, en donnant cependant la priorité aux élèves s'exprimant très peu (une ou
deux interventions durant le débat). J'ai également respecté la non parole des
élèves, ne forçant aucun d'eux à s'exprimer s'il ne le désirait pas.
Après le rappel des règles de fonctionnement, et pour les deux séances
utilisant un album, je donnais la consigne suivante :
Je vais vous lire cette histoire. Ecoutez bien. Pendant que je lis, vous devez
vous taire.
Puis, suite à la lecture, je formulais une question pour amorcer le débat en
précisant la consigne suivante :
Je vais vous poser une question. Vous y réfléchissez en silence, puis,
lorsque je vous le dirai, nous en discuterons tous ensemble.
Ce temps de réflexion personnel permet à tous les élèves de s'approprier la
question posée et de s'interroger calmement. Grâce à ce temps de réflexion
silencieuse, le débat débute, et se poursuit, dans le calme.
19
d) Supports utilisés
Deux albums ont été utilisés avec cette classe. Pour le premier débat, j'ai
choisi l'album Yacouba1, album très fréquemment utilisé lors de débats. Cet album
raconte le rite d'initiation d'un enfant vivant dans une tribu africaine. Yacouba, pour
prouver qu'il est devenu un homme, doit combattre un lion. Mais, le lion que
rencontre Yacouba est blessé. L'enfant, considérant le combat comme déloyal,
préfère ne pas tuer le lion et rentrer dans sa tribu, où il n'est alors pas considéré
comme un guerrier. Cet album entraîne une réflexion sur la notion de courage. Il m'a
semblé pertinent d'utiliser cet album avec ces élèves, habitués à devoir se prouver
leurs forces et leurs témérités pour se faire accepter dans le groupe social que
représente l'école. Engager une réflexion sur ce thème peut servir à mettre en
lumière leurs agissements quotidiens.
Lors de le seconde séance, j'ai utilisé l'album Un chat est un chat2. Cet album
raconte l'histoire d'un chat qui rêve d'être un autre ("Ah, comme j'aimerais être un
autre !"), pour pouvoir ressembler à ses amis lapins. Il se déguise pour être accepté
de tous, mais n'y parvient pas. Finalement, il accepte son identité "Un chat est un
chat et c'est très bien comme ça". Cet album m'a permis d'aborder le thème de
l'identité : Qu'est-ce qu'être soi et pourquoi a-t-on parfois envie d'être un autre ? Là
encore, la question m'a paru adaptée aux élèves de cette classe et de cet âge. En
effet, des enfants primo arrivants présentent souvent des troubles de l'identité. Les
enfants de 8 ans sont également en recherche d'eux-mêmes. Les ateliers de
philosophie ne visent pas la réparation d'un trouble, mais peuvent amener l'élève à
réfléchir sur son rapport au monde et la construction de son identité.
Enfin, la dernière séance a été faite dans les mêmes conditions mais sans
support initial. Elle a été motivée par un projet d'exposition sur le thème de vivre
ensemble, en partenariat avec la municipalité. Ainsi, j'ai présenté le projet aux
enfants avant de lancer le débat : Qu'est-ce que vivre ensemble ? Suite au débat, ils
ont rempli une fiche3 résumant leurs idées sur ce que veut dire et ce que représente
la notion de "vivre ensemble".
Dedieu, T., (1984) :Yacouba, Seuil Jeunesse, Paris
Solotareff, G., (1997) : Un chat est un chat, Ecole des loisirs, Paris
3
Voir annexe V
1
2
20
4- Rôle de l'enseignant
Comme évoqué dans la première partie, l'enseignant peut adopter différentes
attitudes lors des débats, selon l'orientation qu'il souhaite voir prendre aux ateliers.
Ces catégories, précédemment décrites, ne sont bien évidemment pas cloisonnées
et il convient à chacun de définir clairement sa posture.
Chaque débat a été enregistré pour me permettre d'être à l'écoute des propos
des élèves et disponible pour réagir.
J'ai choisi d'intervenir assez peu sur le fond des discussions lors des débats
afin de favoriser les échanges inter-élèves, permettre une construction collective
entre pairs et permettre à chacun d'élaborer sa pensée. Comme le dit Dolto1,
"l'adulte doit se faire zéro pour permettre à l'enfant de devenir un". Cependant, cette
réserve lors du débat ne signifie pas l'effacement du maître. Son rôle demeure
essentiel, notamment dans la régulation du débat. Ainsi, je suis intervenue assez
fréquemment sur la forme des discussions en reformulant les propos des enfants et
en tentant de mettre en relation les différents énoncés. Pour ce faire, j'ai utilisé
fréquemment les expressions suivantes :
–
Tu es d'accord avec untel ou tu n'es pas d'accord avec untel
–
Tu donnes l'exemple de
–
Tu penses que
–
Que pensez-vous de ce que vient de dire untel
J'ai également proposé des énoncés pour faire émerger une distinction, une
précision ou la mise en évidence d'une contradiction.
Annexe II : Les élèves viennent de dire qu'être courageux, c'était
prendre des risques.
Et si je roule à 250 kilomètres/heure, suis-je courageuse ?
Cette proposition a abouti à la distinction entre folie et courage.
Cité par Schidlowsky, H. (2004) : La philosophie pour enfants : une éducation au bonheur et à la
démocratie, L'agora
1
21
En grande section, lorsque ma proposition n'entraînait pas de réaction des
élèves, j'ai insisté en attente d'une réponse et le débat s'est vite enlisé. En CE2CM1, si les élèves ne réagissaient pas à un énoncé, j'ai laissé le débat suivre son
cours sans insister.
Annexe IV : Les élèves viennent de dire que eux et moi ne vivions pas
ensemble, et que vivre ensemble c'était partager des choses.
Vous m'avez dit que vivre ensemble c'était partager des choses : est-ce que
vous et moi nous partageons des choses ?
Les élèves pensent que oui.
Alors si vivre ensemble c'est partager des choses et que vous et moi nous
partageons des choses, c'est que nous vivons ensemble ?
Cette proposition mettait en évidence la contradiction de deux énoncés.
Les élèves ont continué à penser que nous ne vivions pas ensemble.
Ainsi, il convient de trouver un compromis entre ce que le maître prévoit
lorsqu'il prépare ses séances, et ce qui émerge de la réflexion du groupe, sans
vouloir à tout prix faire exprimer ce que l'on a dans la tête. Comme le dit Catherine
Bordenave1, il faut «essayer de nous effacer pour ne pas trop donner de réponses ».
Le premier débat fut l'occasion aussi pour moi de trouver des repères dans
ces ateliers que je n'avais jamais pratiqués auparavant. Pour préparer cet atelier,
j'avais envisagé une trame réflexive. Or, les élèves ne l'ont pas du tout suivie. Lors
des débats suivants, avec les élèves de cycle III, j'ai opté pour une attitude plus
souple. La préparation de ces ateliers rassemblait la problématique et quelques
questions pouvant relancer le débat ou le faire avancer.
Mener des ateliers de philosophie à l'école suppose donc de faire des choix,
en se référant aux éléments théoriques dont nous disposons. C'est ainsi que j'ai
choisi un certain type d'organisation pour mener ces ateliers et choisi d'utiliser un
support littéraire pour étayer les discussions. Ces choix s'adaptent en fonction de
l'âge des enfants, du profil de la classe, mais évoluent également par la pratique de
l'enseignant. Ainsi, j'ai modifié certains paramètres au fil des séances, pour ajuster le
cadre de l'atelier à mes attentes. Le rôle de l'enseignant est primordial, mais
nécessite lui aussi des adaptations et un certain de temps de recherche pour trouver
Bordenave C. (2002) : Le rôle du maître dans la discussion philosophique, Pratiques philosophiques
1
22
la position adéquate. Comme nous le verrons dans la partie suivante, cette position
doit faire l'objet d'une véritable réfléxion et nécessite de la pratique de la part de
l'enseignant.
III-
Analyses et questionnement
Après avoir présenté les séances menées et analysé mon rôle durant ces
ateliers, je ferai dans cette dernière partie, une analyse de ces séances. A partir de
celle-ci, j'évoquerai les questions soulevées par la pratique de ces ateliers
philosophiques. Ainsi, et en fonction des difficultés que j'ai rencontrées, je
m'interrogerai sur les glissements thématiques pouvant survenir lors des débats. Je
m'interrogerai également pour savoir si l'enfant a le droit de tout dire durant ces
ateliers. Enfin, je me questionnerai sur le rôle et la position de l'enseignant. Partant
de réflexion pratique, je tenterai d'apporter un éclairage théorique pour répondre à
ces difficultés rencontrées.
1- Analyses des séances
a) Qu'est-ce que grandir ?
Le débat est amorcé à l'aide de l'histoire lue. Les premières questions posées
visent à faire émerger de la part des élèves l'interrogation du héros : peut-être que je
ne suis pas si grand que ça. Il s'agit donc de questions relevant de la compréhension
de l'histoire. Mes questions reprennent les termes des enfants et cherchent à définir
et approfondir les réponses proposées. Leurs réponses servent de point d'appui à
un questionnement plus approfondi. Je reste assez rigide durant cette introduction
au débat, attendant de la part des élèves qu'ils reformulent le problème rencontré
par le héros. Les réponses restant assez vagues, je décide de relire la dernière
phrase, afin de souligner le problème posé par le héros et pouvoir ainsi démarrer la
discussion philosophique à partir du thème repéré. Ce ne sont donc pas les enfants
qui problématisent l'histoire en trouvant une question à partir d'elle. Le débat
23
philosophique commence réellement lorsque qu'une élève déclare il peut pas faire
qu'est-ce qu'il veut quand il est petit.
Cette phrase permet une ébauche de définition, par opposition, ce qui conduit
un autre élève à reformuler la proposition quand on est grand on peut faire tout ce
qu'on veut. Je tente ensuite d'amener les élèves à développer cette réflexion, en me
prenant comme exemple : peut-on définir le concept « être grand » par la liberté
absolue qu'il apporte ? Cette proposition entraîne les premières contradictions interélèves (Moi je suis pas sûr). Cependant, ma relance pour faire apparaître cette
opposition se solde par une juxtaposition de réponses, sans lien les unes avec les
autres. Cela vient peut-être du fait d'une incompréhension linguistique : le « je » de
ma question parlant de moi, les élèves l'ont peut-être compris comme un terme
générique, leurs réponses étant égocentrées. Ma relance suivante, sur la question
générale que veut dire être grand ? n'est peut-être pas appropriée. En effet, elle
relève sans doute d'une angoisse de voir le débat m'échapper. Il aurait peut-être
fallu reformuler la question concernant les libertés.
Les élèves continuent à chercher une défintion pour cette notion. On peut
relever les différentes définitions proposées par les élèves :
–
quand on est grand, on peut faire tout ce qu'on veut
–
être grand, ça veut dire être sage
–
être grand, c'est avoir fait pleins d'anniversaires
–
être grand, c'est quand on sait lire
–
pour grandir, il faut manger de la soupe
–
grandir, c'est vieillir
–
grandir, c'est commander
Certaines conceptions sont magiques (pour grandir il faut manger de la
soupe) ou issues du cercle familial (c'est mon papa qui me l'a dit).
24
La problématisation, grandir en âge et grandir en taille, est apparue sans
poser problème aux élèves, ni les mettre en position de réflexion sur ce double
langage. Les conceptualisations, bien que partielles, me semblent pertinentes et
intéressantes. Pour affiner ces définitions, j'ai proposé divers énoncés : aucun d'eux
n'a permis un approfondissement de la définition. Les élèves sont restés insensibles
à cette contradiction et n'ont pas cherché à la dépasser.
Les élèves proposent à plusieurs reprises des énoncés contradictoires sans
les reconnaître comme tels. A la question est-ce que j'ai fini de grandir ? Ils
répondent d'abord « oui », puis, plus loin dans le débat « non », sans justifier ni
reconnaître ce changement d'opinion. Ceci vient peut-être des critères qu'ils
appliquent à la notion de grandir, qu'ils ont eu du mal à définir clairement. A
plusieurs reprises, j'essaie de mettre en relation des énoncés contradictoires
proposés par les enfants, mais les élèves y restent insensibles. Cette observation
rejoint la théorie piagétienne selon laquelle l'enfant est insensible aux contradictions
avant l'âge de 7 ou 8 ans.
être grand c'est commander, vous commandez les petits, donc vous êtes
grand ?
Les élèves répondent « oui » en choeur, alors que quelques minutes avant
ils venaient de dire qu'ils étaient petits.
Les réponses sont bien souvent égocentrées et les enfants ont du mal à
dépasser le cadre de l'exemple. On assiste à des juxtapositions de propositions,
souvent digressives par rapport au thème de départ.
Quand est-ce que je n'ai pas le droit de faire ce que je veux ?
Lucie : Quand on est petit.
Marie : Quand il y a de l'orage.
Marie-Pierre : De la pluie.
Lucie : Quand la maman elle dit non.
Bérénice : Ni de faire du vélo dehors.
25
Marie-Pierre : Ni de marcher dehors.
Bérénice : Sinon il y a une voiture qui passe et qui nous écrase.
Marie : Faut pas faire trop de bruit quand y a une petite sœur.
Comme le signale Todorov1, le jeune enfant cherche avant tout à être reconnu
par les autres. Ses interventions sont une proposition d'existence. Ce n'est qu'après
avoir eu le sentiment d'exister qu'il peut s'engager dans la réflexion et le débat.
Concernant mon rôle durant ce débat, il a été assez directif, peut-être par
crainte des débordements. J'ai beaucoup relancé les enfants, apporté des
contradictions, reformulé et synthétisé ce que les élèves venaient de dire en mettant
en relation les différents énoncés. Pour de jeunes élèves, cette fonction me semble
primordiale, afin de structurer les idées énoncées.
La plupart de mes relances s'appuient sur ce que viennent de dire les enfants.
En reformulant leurs propos, j'essaie d'obtenir une réaction du groupe. Je tente
d'apporter des contradictions lorsque les élèves proposent une idée absurde ou
« magique » :
Bérénice : grandir ça veut dire manger.
Et toi, tu ne manges pas ?
A plusieurs reprises, je fais référence à leur enseignant et à moi-même,
considérant qu'il s'agit de leurs référents et qu'il sera peut-être plus aisé pour eux de
réfléchir à partir d'adultes connus et communs.
Le débat finit par dériver sur le thème : ce qui existe et ce qui n'existe pas.
Etant à la fin du débat, j'ai laissé les élèves évoquer ce thème, sans l'approfondir.
Les élèves ont encore des difficultés à problématiser le concept, mais
parviennent à le définir partiellement. Ils ont encore des difficultés à argumenter
leurs réponses de manière efficace, mais l'argumentation est un processus
Todorov, T. (2002) Devoirs et délices, Paris, Seuil
1
26
complexe, et non maîtrisé par de si jeunes enfants. Je rejoins ainsi les remarques de
Tozzi1 : « chez les petits, il n'y a pas vraiment débat (...). Chacun donne son avis
sans tenir compte de celui des autres (...). Il arrive cependant qu'une amorce de
débat apparaisse entre deux enfants mais c'est rare et difficile à exploiter. »
Bien que les élèves n'aient pas réussi d'argumenter et problématiser, il me
semble que l'atelier s'est inscrit dans un atelier philosophique, de questionnement
autour d'une notion. La difficulté principale vient de l'âge des enfants et de leur noninitiation aux situations de débats philosophiques. En effet, certains chercheurs ont
montré qu'il fallait plusieurs mois que les élèves se situent dans une communauté de
recherche. Or, « c'est lorsque les fondements de la communauté de recherche sont
bien établis que les échanges entre élèves s'ancrent dans l'intersubjectivité ».2
b) Qu'est-ce que le courage ?
Le débat est amorcé par la lecture de l'album Yacouba. Je propose ensuite
aux élèves de réfléchir à ce qu'ils auraient fait s'ils avaient été à la place de
Yacouba. Ce temps de réflexion personnel permet de débuter le débat dans le
calme.
Lors de ce premier temps de réflexion, les élèves justifient leurs positions
avec l'utilisation quasi systématique du terme « parce que ». Ils argumentent donc
leurs idées avec l'emploi de ce terme. Dès cette première question, une élève n'est
pas d'accord avec les autres enfants. Je mets en évidence cette opposition et
demande à l'élève de justifier son point de vue, mais elle n'y parvient pas. Je
n'insiste pas, de crainte de la bloquer dans son raisonnement ou d'induire par des
questions plus précises ses réponses. Tous les élèves sauf une, n'auraient pas tué
le lion s'ils avaient été à la place de Yacouba. Cette prise de position me paraît bien
éloignée de leurs agissements quotidiens. En effet, ces élèves sont assez violents
entre eux et instaurent régulièrement des « rites » pour montrer aux autres qu'ils
sont dignes d'appartenir au groupe. C'est pour cette raison que je décide de
reformuler les implications de ces décisions.
Tozzi, M. et coll (2001) : L'éveil de la pensée réflexive à l'école primaire, Hachette Education, p 37
Daniel, M.F. (2005) : Présupposés philosophiques et pédagogiques de Matthew Lipman et leurs
applications, In La philosophie pour enfants, le modèle de Matthew Lipman en discussion, Bruxelles,
De Boeck, p 40
1
2
27
Vous auriez préféré être mis à l'écart de votre groupe ? Vous seriez
rentrés sans avoir tué de lion. Vous n'auriez pas été des vrais guerriers…?
Cette première partie met en évidence les premières oppositions et les prises
de position des élèves.
J'élargis ensuite le débat en introduisant la notion de courage : Yacouba est-il
courageux ? Sans se détacher de l'histoire amorce, point de référent commun pour
étayer la réflexion, je tente ainsi d'amener les élèves à s'interroger sur ce concept de
courage. Ici encore, des oppositions entre élèves apparaissent. Je tente de les
confronter en utilisant des formules :
Donc tu n'es pas d'accord avec Zina.
Qu'est-ce que tu en penses Zina ?
Donc tu n'es pas d'accord avec Haytam ?
Ah ? Haytam ?
Zina tout à l'heure a dit que si Yacouba ne tue pas le lion, peut-être que le lion va
manger un homme quand il sera guéri.
J'introduis ensuite la troisième partie, en élargissant encore le débat, cette
fois-ci sur le concept de courage, sans me rattacher à l'histoire. Grâce à ce qui a été
dit auparavant, c'est-à-dire grâce à la construction des points de vue autour de
l'histoire les élèves vont pouvoir se détacher du contexte et réfléchir sur le concept
de courage, sans devoir étayer leurs propos sur l'histoire. Les élèves n'y font
d'ailleurs plus référence à partir de cet instant, bien que le terme de lion et le champ
lexical des animaux soient encore présents dans quelques réponses.
Les élèves proposent différents énoncés relevant de la conceptualisation du
courage et tentent de fournir une défintion de ce concept :
28
Méliss : c'est quelque chose qu'on peut faire que les autres peuvent pas
faire.
Zina : moi être courageux c'est quand on dit quelque chose, on doit le faire.
Kevin : parce que c'est courageux, parce que ça pique les abeilles ! elle a
pris un risque, quoi !
Zina : le courage, c'est affronter des animaux, des personnes, mais pas de
sauter par la fenêtre.
Iliès : non. Le courage, c'est par exemple affronter sa peur.
Attila : à mon avis, le courage, c'est de pas tuer qui est blessé, c'est affronter
quelqu'un, mais sans se battre. Et il faut avoir peur pour avoir du courage, sinon,
c'est pas possible.
Une des conceptualisations est soumise à la critique d'un élève, permettant
ainsi à l'enfant qui l'a énoncée de revenir sur sa position.
Zina : moi être courageux c'est quand on dit quelque chose, on doit le faire.
Iliès : ben non, si quelqu'un dit "va te faire manger par un lion", tu vas le
faire ?
Zina : non.
Lorsque les élèves définissent le courage comme étant prendre un risque, je
leur propose alors un énoncé visant à les faire avancer dans cette réflexion et à
problématiser le concept :
Est-ce que si je roule à 250 kilomètres / heure avec ma voiture, je suis
courageuse ?
Kevin : non !
Lisa : ben tu peux faire un accident.
29
Non ? Pourtant si je roule à 250 kilomètres / heure, je prends des risques,
non ?
Attila : on peut être courageux mais on peut pas être fou.
Un élève parvient à problématiser le concept et distinguer la notion de
courage et celle de la folie, permettant ainsi d'obtenir une définition plus précise de
ce qu'est le courage pour eux.
Je propose ensuite de nous interroger sur les pré-requis au courage. En
utilisant un exemple donné par les enfants, je leur demande si la fourmi peut être
courageuse. Là encore, un élève parvient à un présupposé selon lequel il est
nécessaire d'être intelligent pour avoir peur, et nécessaire d'avoir peur pour
connaître son courage.
Est-ce que la fourmi peut être courageuse ?
Attila : non elle a pas assez de tête.
Qu'est-ce que tu veux dire par là Attila ?
Attila : ben elle a pas assez de cerveau pour savoir qu'elle existe. Il faut être
intelligent pour savoir qu'on existe et avoir peur.
A plusieurs reprises, des propositions intéressantes ont été proposées, sans
que les élèves puissent donner des exemples, argumenter. Il aurait été peut-être
souhaitable, plutôt que de donner la parole à un autre enfant, de prendre le temps
de chercher autour de cette proposition, plutôt que de passer à autre chose. Dans
l'exemple suivant, Haytam effectue un retour en arrière dans la discussion. Il aurait
sans doute été pertinent de poursuivre cette discussion sur l'opposition : être
courageux, c'est affronter quelqu'un ; être courageux, c'est affronter sa peur.
30
Alors pour toi le courage, c'est quand on est face à quelqu'un ? On est
courageux par rapport à quelqu'un d'autre ? J'ai bien compris ?
Zina : oui, c'est ça.
Iliès : non. Le courage, c'est par exemple affronter sa peur.
Par exemple ?
Iliès : euh…
Haytam : moi je réponds à la question de Kevin et je dis : non. Si le frein se casse
et marche plus, il a pas le choix de rester dans sa voiture, même s'il sait qu'il va
mourir.
Les élèves se répondent les uns les autres, ce qui donne une cohérence à
l'ensemble des propos tenus. La communauté de recherche fonctionne de manière
efficace. Les élèves proposent des critiques et des contre-arguments sans que
ceux-ci soient un moyen rhétorique de parvenir à une victoire personnelle. Même si
les enfants ne se mettent pas d'accord autour de l'histoire, ils parviennent à définir le
concept en s'apportant mutuellement des éléments de réponse. Ceci vient sans
doute du fait que ces élèves pratiquent les ateliers philosophiques depuis déjà
plusieurs mois. Les exigences du débat sont acquises. De même, ils parviennent à
conceptualiser, problématiser et argumenter de manière efficace leurs points de
vue.
Un grand nombre de mes questions restent des questions fermées.
Cependant, mon rôle a été moins directif que lors du premier débat. Je suis
beaucoup intervenue pour reformuler les propos des enfants et les mettre en
relation, pour proposer des énoncés visant à approfondir les idées des élèves.
Cependant, je n'ai pas orienté le débat en fonction de « ce que j'avais dans la tête »,
mais ai laissé les élèves construirent leur cheminement de pensées sans intervenir
sur celui-ci.
On peut noter des difficultés d'expression et de compréhension dans certains
énoncés proposés.
31
Mais qu'est-ce que c'est le courage finalement ?
Méliss : c'est quelque chose qu'on peut faire que les autres peuvent pas faire. Par
exemple, on peut écraser une fourmi et c'est pas très gentil. Si j'étais à la place
d'une fourmi eh ben, et puis c'était quelqu'un d'autre qui avait écrasé la fourmi,
c'est pas bien.
Ceci est dû sans doute à l'origine des enfants dont le français n’est pas la
langue maternelle. Je rappelle en effet que la majorité d'entre eux sont d'origine
étrangère, arrivés en France depuis quelques années seulement. Si pour certains,
ces difficultés semblent être un frein, elles n'ont pas l'air de freiner la discussion chez
les autres enfants. Des élèves, très inhibés dans les activités scolaires, proposent
des énoncés pertinents lorsqu'il s'agit de travailler dans ces ateliers.
On peut également noter la présence d'un élève ayant des troubles du
comportement, intégré deux jours par semaine dans cette classe. Sans participer au
débat, il s'est assis parmi nous, écoutant les discussions des autres enfants. On peut
légitimement penser qu'il s'agit d'un véritable acte d'engagement, pour cet élève
refusant toute activité scolaire et toute marque de socialisation en dehors de ces
ateliers.
c) Que veut dire 'être soi ? Pourquoi a-t-on parfois envie d'être un autre ?
Le débat est amorcé par la lecture de l'album un chat est un chat. Je propose
ensuite aux élèves de réfléchir autour d'une question : as-tu déjà eu envie d'être un
autre ? Contrairement au débat précédent, cette question ne fait pas directement
référence à l'histoire lue, même si toute l'histoire de l'album se déroule autour de ce
thème.
Les élèves proposent des réponses et les justifient en utilisant la formule
« parce que ». Deux élèves mettent en évidence le « manque » lié à l'envie d'être un
autre : manque de force pour l'un, manque de liberté pour l'autre.
32
Ivane : moi j'aimerai bien être un dinosaure. Un dino. Je pourrais me transformer
en dino. Il est fort lui au moins
Zina : j'ai voulu être quelqu'un d'autre. Pour être en liberté. Comme un dauphin.
Je leur demande alors pourquoi a-t-on parfois envie d'être un autre. Cette
question vise à les faire réfléchir sur les causes de ces envies, afin de mettre en
lumière ce qui nous pousserait à ne pas être satisfait de notre identité. Là encore,
les élèves proposent diverses raisons et font apparaître cette idée de manque.
Ivane : parce qu'il est plus fort que nous. Il fait des trucs plus que nous.
Lisa : parce qu'ils sont beaux. Ils ont des forces.
Une élève met en évidence le caractère relatif de cette idée, illustrant son
propos par un exemple. L'idée selon laquelle nous aspirons à quelque chose qui
nous manque, mais que nous ne pourrons jamais être « complet » émerge.
Sylvie : si j'ai envie d'être grande, quand je serai grande j'aurai envie d'être petite.
Zina : je suis d'accord avec Sylvie et Kevin. Quand on sera grands on voudra être
petits.
Je reformule leurs propos afin de m'assurer que tous ont compris ce qui vient
d'être dit et engager les élèves à poursuivre leurs réflexions dans cette voie. Les
élèves décalent le débat en s'interrogeant sur les contraintes liées au fait d'être
enfant. Des oppositions apparaissent. Je décide donc de creuser cette voie en
demandant aux enfants quand peut-on considérer que nous sommes libres. Cette
interrogation ne vise pas à approfondir la notion de liberté, mais celle-ci paraît
problématique pour définir l'identité. On a envie d'être quelqu'un d'autre parce qu'on
33
ne se sent pas libre. Il s'agit donc de s'interroger dessus pour pouvoir revenir à notre
thème initial par la suite. A la relecture du script, je pense qu'il aurait été souhaitable
de recentrer le débat, les enfants éprouvant des difficultés à problématiser la notion
d'identité. De plus, et bien que les élèves se répondent et proposent des contrearguments, le débat ne semble pas avancé. Je recentre donc l'atelier sur le thème
initial. Cette fois, et pour mieux recentrer le débat, je fais directement référence à
l'histoire, en citant une phrase du héros. Cette proposition vise à servir d'étayage
aux réfléxions et propositions des élèves, afin d'ancrer davantage le débat autour du
thème de l'identité. Un élève explique la phrase, plutôt que de dire ce qu'il en pense,
mais cette analyse permet à un second élève de réagir et problématiser la notion
d'identité.
Attila : ça veut dire que c'est bien d'être comme on est… Faut pas toujours vouloir
être autrement. De toute façon, si on est autrement, on sera encore pas contents.
Iliès : Ben oui, il a raison, Attila. On sera jamais content. Alors faut juste être content et
puis c'est tout.
Deux élèves se prennent ensuite mutuellement pour exemple afin d'expliquer
pourquoi elles aimeraient être l'autre. Cet échange leur permet de comprendre la
relativité liée à l'envie d'être un autre. Chacun désire être l'autre.
Zina : par exemple, Sylvie, elle a de la chance. Elle peut partir en Afrique, enfin au
Congo. Alors que moi je peux pas. Alors j'aimerais bien être Sylvie pour aller en
Afrique; par exemple voir comment il rapporte de l'eau, tu sais, elle m'a raconté sur la
tête, comme ça.
Sylvie : oui, mais moi aussi j'aimerais bien aller au Maroc, j'y suis jamais allée, moi.
Toi, oui, alors tu vois, des fois tu aimerais être moi, et moi j'aimerais être toi.
Un autre élève reformule ce qu'il avait énoncé précédemment, trouvant que
les exemples utilisés venaient étayer ses propos.
34
Iliès : ben c'est ce que je disais, elles ont rien écouté ou quoi !
Explique-nous.
Iliès : ben tout à l'heure, c'est ce que j'ai dit ! On veut toujours ce qu'on a pas, c'est
pour ça qu'on voudrait être un autre.
Ce débat est moins riche que le débat précédent. Les élèves ont eu plus de
difficultés à rentrer dans le thème proposé. On peut penser que la question initiale,
sans référence explicite à l'histoire, les a empêchés de rentrer progressivement
dans la réflexion. Il aurait peut-être été préférable de formuler la première question
de la manière suivante : Pourquoi Narcisse a-t-il envie d'être un autre ? avant de les
faire réfléchir sur leurs propres envies d'être ou non un autre ainsi que sur les
raisons qui nous poussent parfois à ne pas être satisfaits de notre identité. Le thème
était peut-être également plus complexe que le précédent, car moins « concret »,
moins porteur de sens pour les élèves. A la vue de ces deux premiers débats, il me
semble donc préférable de commencer par des questions concrètes, les réponses à
ces questions servant d'étayage à la conceptualisation. Le simple fait d'avoir écouté
une histoire ne suffit pas à faire émerger des réflexions conceptualisantes.
D'ailleurs, aucun élève ne fait explicitement référence à l'histoire.
Durant ce débat, les élèves étaient beaucoup plus agités que lors de la
séance précédente, la séance fut d'ailleurs écourtée pour cette raison. Ils ont tout de
même réussi à conceptualiser la notion d'identité et à la mettre en relation avec la
notion de liberté.
Zina : c'est être qu'est-ce qu'on est. Accepter qu'est-ce qu'on est.
Sylvie : être ce qu'on est. Faut pas changer.
Illiès : On veut toujours ce qu'on a pas, c'est pour ça qu'on voudrait être un autre.
35
Les arguments proposés sont assez pauvres, et ne font pas directement
référence au concept. De plus, le débat a été difficile car émaillé de propositions
absurdes ou incongrues, rendant la gestion des prises de parole parfois complexe.
- moi c'est oui et non. Oui parce que… euh… comment dire ? Parce que je pense
à des choses qui me traversent l'esprit et puis moi je fais sortir tout ça de ma tête.
- quand on voudrait être quelqu'un d'autre. Par exemple, quelqu'un qui imagine
des choses et l'autre qui imagine d'autres choses. C'est pas pareil son imagination.
- par exemple, quand tu seras à la fac, enfin après quoi, tes parents ils seront
toujours là à te dire "gna-gna-gna". Ils te feront chier… euh, je veux dire ils
t'embêteront toujours. Tant qu'ils seront pas morts.
- si un chat est un chat, c'est que ça peut pas être autre chose. Si mon chat
accouche et qu'elle sort un oiseau, ça se peut pas.
d) Que veut dire vivre ensemble ?
Avant cette séance, j'ai présenté le projet aux élèves de la manière suivante :
la mairie va faire une exposition sur le thème « vivre ensemble ». Vous aurez des
feuilles à remplir dans lesquelles vous écrirez ce que veut dire pour vous vivre
ensemble. Mais avant de remplir la feuille, nous allons réfléchir ensemble.
Bien que l'atelier ne s'amorce pas à l'aide d'une histoire, il est motivé par un
projet porteur de sens pour les élèves.
Des premières définitions sont proposées par les élèves :
Haytam : c'est vivre avec des autres gens, des oiseaux, des autres personnes,
c'est vivre en communauté.
Sylvie: ben… vivre ensemble, c'est, ben… vivre avec nos parents
36
Puis, Attila déplace le débat en incluant les contraintes liées à la vie collective
et les règles qu'il faut respecter. Afin d'amener le groupe à réfléchir sur cette idée, je
lui demande de développer sa position. Mais, les élèves repartent sur la première
question. Ils semblent encore avoir des difficultés à suivre le fil du débat et à
accepter de ne pas pouvoir exprimer toutes les idées qu'ils ont. Ainsi, tous les élèves
n'ayant pas répondu à la première question, et bien que la deuxième ait été posée,
ils ont eu envie d'y répondre et d'exposer leurs points de vue quand même. L'élève
m'inclut dans sa définition. Je leur demande alors s'ils pensent que je vis avec eux.
Des oppositions apparaissent mais je ne les exploite pas assez. J'aurais dû
clairement afficher l'opposition de point de vue afin d'amener les élèves à les justifier
de manière plus précise.
Les élèves semblent avoir des difficultés à concilier les points de vue et à
accepter la problématisation du concept.
Sylvie : vivre ensemble c'est pas seulement avoir une maison ensemble, parce
que les cousins… ça se peut aussi qu'il y a des cousins, mais qui sont dans des autres
maisons.
Et vous vivez ensemble ?
Sylvie : ben non, parce qu'on a chacun une maison.
De même lorsque Lisa propose qu'un ami vive avec nous : je n'oppose pas
assez les points de vue et repars dans une autre direction. Je reprends les termes
d'un élève qui ne me semble pas assez développés et cherche à obtenir une
définition de cette notion.
Ah, pour toi, vivre ensemble, c'est partager des choses. Haytam tout à
l'heure a dit que vivre ensemble, c'est vivre en communauté. Est-ce que dans la
classe on vit en communauté ?
Tous : non.
Qu'est-ce que ça veut dire vivre en communauté ?
37
J'apporte également des énoncés contradictoires aux élèves afin de définir le
concept. Cependant, ils semblent gênés par ces énoncés et reviennent toujours à
leur définition initiale.
Vous m'avez dit que vivre ensemble, c'était partager des choses. Est-ce que
vous et moi on partage des choses ?
Alors si vivre ensemble, c'est partager des choses et que vous et moi on
partage des choses, c'est que l'on vit ensemble ?
Kévin : ben ouais, mais t'es pas dans la même famille… que nous. Et tu vis pas dans la
même maison que nous.
Tu viens de me dire que l'on partageait des choses ensemble pourtant ?
Kévin : ben ouais, mais… je sais pas moi.
Finalement, j'axe le débat sur les contraintes liées à la vie collective afin de
faire émerger l'idée que vivre avec les autres impliquaient certaines règles et par
conséquent que nous vivions différemment que l'on soit seul ou plusieurs.
Ce débat s'est plus axé, par son thème et son déroulement, selon une
orientation d'éducation à la citoyenneté. Il en ressort davantage une réflexion sur les
règles et contraintes liées à la vie collective qu'un véritable problématisation de la
notion. Les élèves ont eu des difficultés à problématiser leurs conceptions. Ceci
vient peut-être du fait qu'ils n'aient pas eu de support concret sur lequel s'appuyer.
Comme pour le débat précédent, le débat n'a pas été amorcé par une question
pouvant être étayée par un support. Ainsi, il semble plus difficile pour les élèves de
se détacher du lieu commun et parvenir à mettre en problème le concept utilisé. On
peut aussi penser que je n'ai pas réussi à correctement opposer les énoncés, ni les
mettre en relation, ce qui n'a pas permis aux élèves de problématiser ce concept.
Les arguments sont ici aussi assez pauvres, mais existants.
Le débat s'est axé sur les contraintes liées à la vie collective et aux libertés
individuelles. Cet axe a été déterminé par les questions que j'ai posées. Il aurait été
intéressant de relever les contradictions d'une élève, concernant la définition de
38
vivre ensemble. En effet, nous sommes peut-être passés un peu vite sur la définition
des termes, pour nous interroger sur ce qu'impliquait le fait de vivre ensemble.
2- Questions soulevées par la pratique des ateliers
a) Que faire lors de glissements thématiques ?
Il arrive assez fréquemment que les élèves dérivent du thème proposé
initialement. Ce fut le cas très nettement lors de la séance en maternelle. J'avais
prévu un débat autour du concept grandir, et les élèves ont fini par s'interroger sur
ce qui existe et ce qui n'existe pas. En cycle III, lors du débat sur l'identité, les élèves
ont fini par s'interroger sur les notions de liberté.
Concernant le cycle III, j'ai laissé les glissements s'effectuer sans recadrer le
débat. J'ai pris cette décision essentiellement car les thématiques n'avaient pas été
élaborées en commun. Les élèves étaient donc tributaires d'un choix que je leur
imposais. Ainsi, ces glissements thématiques m'ont paru être le révélateur de
questions plus pressantes. Peut-être ceux-ci répondaient-ils plus à leurs attentes et
résonnaient davantage dans leurs préoccupations ? Il aurait pu être recommandé
alors de préciser aux enfants que nous nous éloignions de notre question de départ
et que nous parlerions de ces thèmes dans un moment futur. Cependant, les
glissements me sont apparus comme étant reliés au thème de départ. Ainsi, les
questionnements émergeant des enfants me semblaient très intéressants à creuser,
en périphérie du thème annoncé. Lorsqu'en cycle III, alors que nous évoquons la
notion d'identité, un élève précise que on a envie d'être un autre parce que l'on n'est
pas libre, il me semble impératif de ne pas passer à côté de ce raisonnement, même
si le thème de liberté s'écarte du thème de départ.
En cycle II, j'ai davantage essayé de recadrer le débat en relançant le
questionnement autour du thème annoncé. Cependant, les élèves ne semblaient
pas préoccupés par ces relances et leurs réponses restaient de type anecdotique ou
monologique, souvent hors thème, révélant une conception magico-réaliste des
événements.
Il existe le risque de se faire déborder par les thématiques proposées, que le
débat ne devienne qu'une juxtaposition de thèmes sans véritable réflexion collective
39
autour d'un questionnement. Il convient, de la part de l'enseignant, de doser avec
justesse la souplesse des débats qu'il propose.
Cette difficulté est plus fréquente en maternelle. Les élèves ont du mal à
rester centrer sur une thématique et on assiste rapidement à « la dispersion des
idées dont le risque est de perdre le fil du débat en glissant vers l'expression libre
d'un vécu immédiat »1
Cependant, ce rôle essentiel du maître dans la gestion des débats, nécessite
un apprentissage. Tozzi2 précise que « ce guidage est un acte subjectif qui n'est pas
à l'abri de l'imprécision, de l'erreur d'appréciation ». En proposant les discussions
philosophiques,
le
maître
s'engage
dans
l'inconnu
et
doit
accepter
son
« ignorance », tant au niveau philosophique qu'au niveau de la mise en place
formelle des ateliers. Ainsi, il me semble que la gestion des glissements thématiques
et autre digressions doit faire l'objet d'un apprentissage par le maître, en utilisant
l'analyse systématique des séances, afin de mettre en lumière ce qui paraît encore
dysfonctionner. Pour reprendre les termes de Lipman3, le programme de philosophie
« doit être enseigné de façon non dogmatique, ce qui exige de la part des
enseignants un solide bagage pédagogique ». « A chacun, au fur et à mesure de
son avancée dans la pratique, d'affiner son mode d'animation », conclut Geneviève4.
b) L'élève a-t-il le droit de tout dire ?
Nous avons précisé que les ateliers philosophiques étaient un espace de
parole, où les élèves construisaient un questionnement autour d'un thème, d'un
concept ou d'une question. Nous avons également dit que chacun était libre de dire
ce qu'il pensait, sans être d'accord avec les autres et sans risquer d'être jugé par les
autres membres du groupe.
Nous pouvons nous demander si toute proposition de la part de l'élève serait
acceptable pour l'enseignant. Sous couvert de ne pas intervenir dans l'élaboration de
la pensée des enfants, le maître peut-il tolérer toute forme de parole ? Certains
jugements, certaines idées ne sont-elles pas inadmissibles ? Que faire lorsqu'une
opinion est contraire aux principes inculqués par l'enseignant ? Que se passe-t-il si
Tozzi, M., cité par Geneviève, G, In : La philosophie pour enfants en ZEP
Ibid
3
Lipman, M. (1989) : Apprendre à penser et à comprendre, Document OCDE, p141-154
4
Geneviève, G. : La philosophie pour enfants en ZEP
1
2
40
un enfant tient des propos intolérants, allant à l'encontre des valeurs transmises par
l'école ?
Le problème me semble délicat. Il s'agit de bien distinguer ce qui relève des
opinions personnelles de l'enseignant et ce qui relève des principes inculqués par
l'Education Nationale. Nous pouvons nous reporter aux Instructions Officielles :
En cycle III, l'élève doit avoir compris et retenu « quelles sont les
valeurs universelles sur lesquelles on ne peut pas transiger, en
s'appuyant sur la déclaration des droits de l'homme et du citoyen ».
Cette première précision peut nous servir à distinguer ce qui peut être dit et
les propos sur lesquels nous ne pouvons transiger.
De même, les propos racistes et homophobes sont punis par la loi, et peutêtre que la frontière entre l'acceptable et l'inacceptable peut également être définie à
partir des lois existantes. Certains principes ne sont ni négociables, ni acceptables. Il
convient d'en parler avec les enfants en dehors des ateliers de philosophie pour
définir ce qui peut être dit et ce qui ne peut pas l'être. On peut alors accuser les
ateliers philosophiques de ne pas permettre l'expression de toute parole et de ne
pas respecter la liberté de chacun de penser ce qu'il souhaite. Il me semble que la
liberté d'expression ne peut nier les valeurs transmises par l'école, l'enseignant
ayant pour mission de les transmettre à ses élèves. N'oublions pas également que
nous avons de jeunes enfants en face de nous, en pleine construction identitaire, et
que la plupart des propos qu'ils rapportent viennent de leur milieu familial. Il est alors
bon d'interroger l'élève pour voir d'où vient sa croyance et la mettre en relation avec
d'autres paroles du groupe pour qu'elles entrent en contradiction.
Certains auteurs proposent également d'intervenir sur les propos qui relèvent
de la morale. Ainsi, Geneviève1 propose d'intervenir lorsqu'un élève ne juge pas bon
de laisser sa place aux personnes âgées ou aux femmes enceintes, sous prétexte
d'inculquer des valeurs morales relevant du vivre ensemble. Il me semble, pour ma
part, que ces interventions de l'enseignant dépassent le cadre des valeurs
inculquées par l'Education Nationale. Nous tombons dans des considérations
morales, interrogeant sur ce qui est bien et ce qui ne l'est pas, dans le domaine de la
Ibid
1
41
vie collective. Si cette intervention de l'élève peut être discutée et débattue à
l'intérieur du groupe, il me semble que ce n'est pas à l'enseignant d'intervenir pour
préciser ce qu'il pense des propos de l'élève.
L'élève peut également proposer des réponses fausses (exemple : Les
dinosaures, ça existe, j'en ai vu à la télé). Il convient de ne pas laisser passer ce
genre d'erreurs, auquel cas le débat risque de tomber dans une dérive relativiste
(chacun a sa vérité) où la recherche de la vérité n'est plus l'objectif essentiel.
Cependant, nous ne pouvons et ne devons pas dire à l'élève tu te trompes, sans
plus de précision. Il me semble intéressant de proposer une absurdité en réponse
(certains auteurs appellent carabistouille une réponse dépourvue de sens ou
incohérente), avec pour objectif de faire réagir l'élève afin qu'il prenne conscience de
l'erreur formulée. Mais, nous sommes également en droit d'attendre des autres
membres du groupe, de proposer des énoncés contradictoires.
c) La position de l'enseignant ? Un rôle éthique
Il est important d'envisager la place de l'enseignant dans un contexte plus
large. Comment, en effet, concevoir un espace de liberté d'expression, si le climat de
la classe est rigide ?
La pratique des discussions philosophiques est révélatrice des choix
pédagogiques de l'enseignant : construction identitaire, respect, solidarité,
autonomie, prise en compte des différences individuelles. Ces choix impliquent
l'adoption d'une posture cohérente de la part du maître.
42
Il me semble impératif que, d’une manière générale, l’enseignant ne soit pas
dans une posture uniquement transmissive, mais permette aux élèves de rechercher
le savoir. Selon Auguet1, « la discussion à visée philosophique manifeste
l'émergence d'un nouveau genre scolaire caractérisé par un déplacement du rôle du
maître. Le rôle du maître sachant douter se substitue au rôle du maître supposé
savoir ». Au quotidien, le maître doit éveiller la curiosité de ses élèves, favoriser les
démarches de questionnement afin de mettre en place des procédures
d’apprentissage motivées et sensées. Il se doit d’être l’accompagnateur, le guide de
l’élève dans sa recherche. Comment, en effet, penser pouvoir tenir ce rôle de guide
lors des ateliers de philosophie, si ce rôle n’est pas assuré dans la plupart des
apprentissages quotidiens ?
Il en va de même pour la bienveillance de l’enseignant et les règles instaurées
dans la classe. Lors des ateliers de philosophie, l'enseignant se doit d'être
bienveillant et d'accueillir la parole de l'enfant dans sa singularité. Comment
envisager que cette posture n'existe que lors de ces moments philosophiques ? Des
études ont montré que l'attitude du maître vis-à-vis des élèves joue un rôle
fondamental dans la réussite scolaire2. L'enseignant se doit là encore d'adopter une
attitude cohérente, visant la réussite de tous.
Lors des ateliers de philosophie, l’élève a le droit de dire ce qu’il pense sans
risquer d’être jugé. Il me semble là encore impératif d’assurer ce climat au quotidien
dans la classe. Ainsi, une des règles instaurées lors de mes stages a été
l’interdiction de se moquer des autres, parce qu’ils se trompaient ou parce qu’ils ne
savaient pas. J'expliquais ainsi aux élèves que chacun avait le droit de se tromper ou
de ne pas savoir, mais que l'important était de chercher à acquérir ce savoir. Ce qui
rejoint les attentes lors des discussions philosophiques : l'élève n'a pas le savoir,
mais tente de le construire avec l'aide du groupe.
Il convient également de s'interroger sur les choix éthiques fait par
l'enseignant, comme évoqué dans la partie précédente (III-2). L'enseignant peut
facilement, il me semble, dériver en orientant le débat en fonction de ses propres
valeurs et de ses propres références, afin d'amener l'élève à les partager. Or, si il
convient de faire partager à l'élève les valeurs qui fondent la république3, il faut rester
vigilant à ne pas insérer l'élève dans notre système de pensée et de valeurs
Auguet, G. : La discussion à visée philosophique aux cycles 2 et 3 : un genre nouveau en voie
d'institution ?, Decembre 2003, Montpellier 3
2
Voir par exemple les études de Jacquot Barivelo et Vladimir Daupiard
3
Ministère de l'Education Nationale (2002) : Qu'apprend-on à l'école élémentaire ?, p 181
1
43
personnelles. Ainsi, une réflexion est nécessaire sur les valeurs que nous souhaitons
transmettre en mettant en place ces ateliers de discussion philosophique, afin
d'éviter toute dérive. Comme le précise Guillaume4 « le plus cocasse (...) serait
d'opiner plus à partir de soi qu'à partir d'un savoir communément partagé ».
Mettre en place des ateliers philosophiques soulève de nombreuses
interrogations et nécessite une réflexion de l'enseignant. Cette réflexion doit
s'appuyer sur l'analyse des séances menées ainsi que sur les valeurs et les attentes
qui sont en jeu dans cette pratique. Ainsi, l'enseignant doit s'interroger sur sa
position afin de la définir clairement et mettre en lumière ce qu'elle suppose dans les
apprentissages quotidiens. C'est grâce à ces interrogations et ces analyses que
l'enseignant pourra progresser dans sa pratique, car tous s'accordent à penser que
la gestion des ateliers philosophiques avec les enfants nécessitent une formation,
une réflexion et un solide bagage de la part de l'enseignant. Lors des ateliers, l'élève
n'a pas le droit de tout dire, l'enseignant ayant pour mission d'inculquer des valeurs
républicaines aux élèves. Ainsi, il convient de s'interroger sur ce qui est acceptable
et ce qui ne l'est pas, en se référant aux Instructions Officielles et aux textes de loi.
Guillaume, F : Des débats à l'école, enfin du nouveau, Cahiers pédagogiques, 386, sept 2002
4
44
Conclusion
Introduite par Matthew Lipman, la philosophie pour enfants se développe dans
le monde depuis une trentaine d'années. Différents courants de pensée se sont
dégagé de cette pratique : la mise en place des ateliers, les attentes les concernant
dépendent de l'orientation choisie. Ces discussions philosophiques visent à faire
acquérir des compétences réflexives aux élèves, mais également des compétences
langagières et civiques, inscrites dans les Instructions Officielles. Il ne s'agit pas
d'apprendre la philosophie mais d'apprendre à philosopher, c'est-à-dire à développer
un esprit critique et un jugement autonome chez les élèves. Décider d'organiser des
ateliers dans sa classe présuppose une certaine vision de l'enfance et de la
pédagogie. Il est nécessaire de considérer l'enfant comme un être pensant,
nécessaire de croire en ses capacités. On peut considérer qu'il s'agit d'une pratique
proche de la pédagogie de la réussite. En effet, le maître place sur l'élève des
attentes positives et croit en ses capacités. Le maître doit adopter une certaine
posture, en adéquation avec la pratique de ces ateliers : des apprentissages motivés
et sensés pour les élèves, une posture non-transmissive lorsqu'elle est possible, une
bienveillance et l'instauration d'un climat de classe favorable. Cette volonté de mettre
en place des ateliers philosophiques nécessite des temps d'analyse, permettant à
l'enseignant d'affiner sa pratique, de bien définir son rôle et d'engager une réflexion
éthique. Il ne s'agit pas d'amener les élèves dans un système de pensées qui nous
est propre, mais de leur donner la possibilité de se situer, en tant qu'individus. Un
regard critique sur sa pratique est par conséquent nécessaire.
45
L'objectif de ce mémoire était d'étudier la mise en place pratique des ateliers
philosophiques à l'école. Cet objectif me semble atteint. En effet, ce mémoire m'a
permis d'engager une réflexion sur l'organisation de ces ateliers ainsi que d'analyser
la portée des choix opérés. Au-delà de l'aspect philosophique, ce mémoire a donné
lieu à une interrogation plus globale sur ma pratique et ma posture au sein de la
classe. Ainsi, j'ai également travaillé mon rapport aux élèves, ma place face au
savoir et ceci a contribué à développer mon identité professionnelle. Evidemment,
l'approche de cette pratique ne s'arrête pas là. Après quatre séances menées avec
les élèves, la mise en place des discussions philosophiques n'est pas aboutie. Il me
reste encore à améliorer ma pratique et chercher les orientations qui me conviennent
le mieux.
J'ai pris plaisir à mettre en place ces ateliers et à m'interroger sur les pratiques
qu'ils sous-tendent. Ainsi, je souhaite dès l'an prochain continuer à pratiquer ces
ateliers car ils m'ont convaincue de leur légitimité. Cette pratique nécessitant du
temps avant de faire émerger une pensée réflexive, j'envisage une pratique régulière
tout au long de l'année. Les expériences menées cette année me conduisent à
préférer une organisation de ces ateliers en rupture avec les activités dites scolaires.
Ainsi, je les pratiquerai de préférence dans un endroit autre que la salle de classe, et
aménagerai l'espace de manière à ce que les élèves et moi-même soyons assis en
cercle. J'utiliserai de préférence un support, faisant fonction d'étayage et proposerai
en guise de première question une interrogation faisant explicitement référence à ce
support. Cette mise en place est vouée à évoluer au fil du temps et fonction de
l'analyse qui s'en dégage. Cependant, c'est de cette manière que j'envisage le
démarrage de cette nouvelle activité. Je souhaite donc continuer à m'informer et me
former sur ces pratiques.
46
47
Bibliographie
Ouvrages :
Laurendeau, P. (1996) : Des enfants qui philosophent, Editions logiques
Leleux, C. et coll (2005) : La philosophie pour enfants, le modèle de Matthew Lipman en
discussion, Bruxelles, Edition De Boeck
Lévine, J. (2000) : Je est un autre, ESF
Lipman, M. (1995) : A l'école de la pensée, De Boeck, Bruxelles
Ministère de l'Education Nationale (2002) : Qu'apprend-on à l'école élémentaire ?
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Vygotsky, L.V. (1985), Pensée et Langage, Paris, Messidor
Articles :
Auguet, G. : La discussion à visée philosophique aux cycles 2 et 3 : un genre nouveau en voie
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Sitographie :
Articles et recherches : http://pratiquesphilo.free.fr
L'apprentissage du philosopher, les travaux de Michel Tozzi : http://www.philotozzi.com
Le site de Gilles Geneviève : http://www.chez.com/gillg14
Le site de la revue Agora : http://www.crdp-montpellier.fr/ressources/agora/
Albums jeunesse utilisés :
Dedieu, T. (1984) : Yacouba, Seuil Jeunesse, Paris
Solotareff, G. (1997) : Un chat est un chat, Ecole des loisirs, Paris
Vaugelade, A. (1998) : Laurent tout seul, Ecole des loisirs, Paris
49
Annexes
Annexe I : Que veut dire être grand ?__________________________________________ p 50
Annexe II : Qu'est-ce que le courage ? _________________________________________ p 61
Annexe III : Que veut dire être soi ? Pourquoi a-t-on parfois envie d'être un autre ? _______p 69
Annexe IV : Que veut dire vivre ensemble ? ____________________________________ p 73
Annexe V : Fiche « vivre ensemble » ___________________________________________ p 78
50
Annexe 1 : Classe de grande section
A partir de l'album Laurent tout seul,
Qu'est-ce qui arrive à Laurent à la fin de l'histoire ?
Pierre : Il avait froid.
Bérénice : Il était triste.
Marie-pierre : Il était malheureux.
Pourquoi est-ce qu'il était malheureux ?
Marie-Pierre : Parce qu'il n'avait plus sa maman.
Bérénice : Parce qu'il avait des jeux de bébés.
Ah ? Qu'est-ce que c'est "des jeux de bébés"?
Bérénice : Parce que… des jouets de bébés, c'est des jouets des petits.
Qu'est-ce qu'il se pose comme question Laurent ?
Marie : Ben, que maman elle était triste.
Thomas : Et qu'il voulait aller dehors.
Pourquoi est-ce qu'il voulait aller dehors ?
Marie : Parce qu'il y avait que des jeux de bébés.
Thomas : Et parce qu'il voulait aller à la rivière.
Marie-Pierre : Parce qu'il s'ennuyait avec les jouets de bébés.
Lucie : Il voulait voir la rivière.
Marie-Pierre : Et sauter par-dessus la rivière.
Pierre : Il voulait passer par-dessus la barrière.
Ah oui ! Et qu'est-ce qu'il se pose comme question à la fin de l'histoire ?
Nathan : Il était perdu
51
Ah bon ?
Pierrick : Non, il avait froid
Il en a marre des "jouets de bébés", alors il décide d'aller dehors. Et là, vous ne vous souvenez
plus de ce qu'il se demande ?
…
Je vais vous relire la dernière phrase : "je ne suis peut-être pas si grand que cela".
Marie-Pierre : Il s'ennuie.
Bérénice : Il s'ennuie quand il est petit.
Lucie : Il est moyen.
Marie-Pierre : Il peut pas faire qu'est-ce qu'il veut quand il est petit.
Ah ! Marie-Pierre pense que quand on est petit, on ne peut pas faire ce que l'on veut.
…
Vous êtes d'accord avec ce qu'elle vient de dire ?
Tous : Oui.
Marie : Quand on est grand on peut faire tout ce qu'on veut.
Est-ce que quand on est grand on peut faire ce que l'on veut ?
Tous : Oui… non.
Marie : Quand on est très, très grand.
Est-ce que moi je suis très grande ?
Tous : Oui.
Alors je peux faire tout ce que je veux ?
Tous : Oui.
…
Thomas : Moi je suis pas sûr.
52
Thomas n'est pas sûr…
Abel : Moi non plus.
Ah… Alors qu'est-ce que vous pensez ?
Abel : Ben il est triste et il est malheureux.
Oui, mais on est en train de se demander si quand on est grand, on peut faire tout ce que l'on
veut.
Tous : Oui… non.
Alors…
Julien : Des fois non.
Quand est-ce que je n'ai pas le droit de faire ce que je veux ?
Lucie : Quand on est petit.
Marie : Quand il y a de l'orage.
Marie-Pierre : De la pluie.
Lucie : Quand la maman elle dit non.
Bérénice : Ni de faire du vélo dehors.
Marie-Pierre : Ni de marcher dehors.
Bérénice : Sinon il y a une voiture qui passe et qui nous écrase.
Marie : Faut pas faire trop de bruit quand y a une petite sœur.
Qu'est-ce que ça veut dire être grand ?
Marie : être sage.
Marie pense qu'être grand ça veut dire être sage. Alors quand on est petit on n'est pas sage ?
…
53
Bérénice, tu es d'accord ? Quand on est petit on n'est pas sage ?
Bérénice : Oui.
Quand on est grand on montre l'exemple pour sa petite sœur.
Etre grand c'est montrer l'exemple ?
Marie : Oui.
Bérénice : Et de pas appuyer très, très, très, très fort.
Quand est-ce que je deviens grand ?
Lucie : Quand c'est mon anniversaire
Nathan : Quand t'as fait pleins d'anniversaires
Thomas : Quand on est au collège.
Ah, Thomas pense que c'est quand on est au collège, vous êtes d'accord ?
Nathan : Oui… parce qu'on sait lire là-bas.
Alors on devient grand quand on sait lire ?
Tous : Oui.
Vous allez bientôt être grands alors !
Pierrick : L'année prochaine j'irai au CP.
Vous serez grands au CP ?
Tous : Oui.
Nathan : Non.
Nathan ? Pourquoi tu penses que non Nathan ?
Nathan : Parce qu'on sait lire, mais qu'aussi on peut pas être grand comme au collège.
54
Nathan pense qu'il faut attendre le collège pour être grand.
Tous : Oui … non.
Abel : C'est quand on a 7 ans.
Bérénice : Quand on a 11 ans.
Julien : 14 ans.
Comment est-ce qu'on va se mettre d'accord ?
Nathan : 16 ans.
Marie-Pierre : 8 ans.
Pierrick : 81 ans.
Ah ! Pierrick pense qu'on est grand quand on a 81 ans. Qu'est-ce que vous en pensez ?
Tous : Oui.
Alors il n'y a que les vieux papys de 81 ans qui sont grands ?
Tous : Oui.
Tous les autres sont petits ?
Tous : Oui.
Le maître d'en haut [le maître de cette classe de grande section], c'est encore un petit ?
Tous : Non.
Alors pourquoi c'est un grand ?
Lucie : Parce qu'il a fait pleins d'anniversaires.
…
Pierrick : Grandir ça veut dire pas faire de bêtises
Julien : Pas faire ce qu'il faut pas faire.
Lucie : Qu'on a des anniversaires.
55
Bérénice, qu'est-ce que tu en penses ?
Bérénice : Ça veut dire manger.
Manger ? Tu ne manges pas, toi ?
Bérénice : Manger des céréales mais il aime pas les céréales.
Abel : Il mange rien.
Thomas : Non, il mange de la soupe.
Marie-Pierre : Quand on mange de la soupe on devient grand.
Quand on mange de la soupe on devient grand ?
Tous : Oui.
Et moi si je mange de la soupe, je vais grandir ?
Tous : Oui.
Et le maître en haut, s'il mange de la soupe, il va grandir ?
Tous : Oui.
Alors grandir…
Thomas : La soupe.
Lucie : Grandir ça veut dire qu'on boit plus de soupe.
Nathan : De commander.
Ah, quand on est grand on commande ? On commande qui ?
Marie : Les petits.
Pierre : Les enfants.
Julien : Et les maîtres.
Abel : Les adultes.
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Quand on est grand on commande les adultes ?
Abel : Non. Les enfants.
On commande les enfants. Qu'est-ce que tu en penses Thomas ?
Thomas : Oui.
Marie : On commande les adultes.
Abel : Non, on commande les enfants.
Mais vous ne commandez pas vos petits frères et vos petites sœurs ?
Tous : Si.
Ça veut dire que vous êtes grands si vous commandez les autres alors ?
Tous : Non… Oui.
Vous venez de me dire que quand on est grand, on commande les petits, que vous, vous
commandez vos petits frères et vos petites sœurs, mais vous n'êtes pas grands ?
Tous : Non.
Ah bon ?
Marie : Il faut dire aux petites sœurs qu'elles cassent pas nos jouets. On le dit à maman si elle le fait.
Bérénice : Et on dit au bébé qu'il casse pas nos jouets parce que ça coûte très cher.
Alors quand est-ce que vous serez grands ?
Thomas : Quand on saura lire.
Abel : Moi je suis déjà grand.
Tu es déjà grand, Abel ?
Lucie : Moi aussi je sais lire les livres de poupées.
Marie : Moi aussi.
57
Et alors, vous êtes grands ?
Marie et Lucie : Oui.
Vous êtes grands comme moi ?
Tous : Non.
Pierrick : Moi je sais pas lire parce que je travaille bien.
Nathan : Moi je travaille très bien.
Bérénice : Moi je commence à lire, moi.
Est-ce que moi j'ai fini de grandir ?
Tous : Oui… non.
Vous êtes sûrs ?
Tous : Oui.
Lucie : Si on mange de la soupe, on grandit un petit peu.
Julien : Non, hier c'était l'anniversaire de mon papa, alors il a grandi.
Abel : Moi je sais pas.
Alors si je résume ce que vous m'avez dit : quand on est petit, on fait des bêtises…
Pierrick : Et on apprend des grands.
On apprend des grands. Et quand on est grand, on ne fait plus de bêtises, et on peut
commander les petits.
Pierrick : Etre grand c'est quand on est vieux.
Ah ? Et alors, est-ce que je suis vieille ?
Tous : Non.
58
Ah bon ? Pourtant vous m'avez dit tout à l'heure que j'avais fini de grandir.
Tous : Non.
Je n'ai pas fini de grandir ?
Lucie : Tu vas avoir des autres anniversaires.
Marie-Pierre : Et tu vas grandir encore plus.
Pierrick : Puis tu vas toucher le plafond.
Thomas : Moi, ma maman et mon papa ils ont fini de grandir.
Ah bon ? Comment tu le sais ?
Thomas : C'est ma maman qui me l'a dit.
Bérénice : C'est les papas et les mamans qui commandent.
Pourquoi ?
Bérénice : Parce qu'ils sont grands.
Mais vous commandez vos petits frères et petites sœurs ?
Marie : Parce qu'ils sont plus petits.
Ah ! Vous êtes grands par rapport à vos petits frères et petites sœurs, mais vous êtes encore
petits par rapport à vos parents, c'est ça ?
Tous : Oui.
Julien : Les papas et les mamans ils sont adultes.
Qu'est-ce que ça veut dire être adulte ?
Julien : C'est quand on travaille.
Quand vous êtes arrivés tout à l'heure, vous m'avez parlé de votre travail de mathématiques…
Julien : Oui, mais les papas et les mamans ils travaillent pour avoir des sous.
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Nathan : Moi, y a un géant il est venu chez moi…
Abel : Ça existe pas les géants.
Marie : Ni les loups.
Lucie : Ni les animaux, ça existe pas.
Nathan : Comme les ours.
Ça n'existe pas les ours ?
Tous : Si.
Pierrick : Les dragons.
Est-ce que ça existe les dragons ?
Tous : Non.
Comment vous savez que ça n'existe pas ?
Abel : Parce qu'on en a jamais vu.
Tu as déjà vu un ours ?
Marie-Pierre : Oui. A la ferme.
Un ours à la ferme ?
Marie : Non, à la télé.
Julien : Alors ça existe.
Et les dragons ?
Pierrick : Ça existe pas. J'en ai jamais vu.
Julien : Si, à la télé, des fois y a des dragons.
Vous m'avez dit que les ours existaient parce qu'on les voyait à la télé. Mais si vous voyez des
dragons à la télé, c'est qu'ils existent aussi ?
60
Thomas : Non, ils sont partis sur une île très, très loin.
Ah bon ?
Pierre : Ça existait jamais.
Ah, ça n'a jamais existé ?
Tous : Non.
Julien il pense que, comme il en a vu à la télé, ça existe.
Tous : Non.
Julien : Ça existe à la télé.
Et seulement à la télé ?
Nathan : Oui, pas en vrai.
Bien, on va s'arrêter là. On a réfléchi à beaucoup de choses ensemble. Vous n'êtes pas tous
d'accord sur ce que veut dire "être grand". Pour certains d'entre vous, être grand, c'est être
âgé, quand on a fait plein d'anniversaires, comme dit Lucie. Pour d'autres, on est grand quand
on commande. Il y en a aussi qui pensent qu'être grand, c'est être haut (geste). Peut-être
finalement qu'être grand, c'est tout ça à la fois ? Et puis, pour savoir ce qui existe ou pas, il y
en a, comme Julien, qui pensent que si on voit des choses à la télé, c'est qu'elles existent
vraiment, et d'autres, comme Nathan, qui pensent que ce n'est pas parce qu'on voit des choses
à la télé qu'elles existent vraiment.
61
Annexe 2 : Classe de CE2 / CM1
A partir de la lecture de Yacouba
Je vais vous poser une question. Vous allez y réfléchir tout seul et ensuite on y répondra
ensemble.
A la place de Yacouba, aurais-tu tué le lion ?
Zina : Oui je l'aurais tué parce que s'il guérit il pourrait tuer encore.
Attila : Moi je ne l'aurais pas tué parce que c'est injuste d'attaquer quelqu'un qui est déjà blessé. Parce
qu'il n'est pas assez fort pour se battre.
Donc tu n'es pas d'accord avec Zina.
Haytam : Moi je suis d'accord avec Attila. Je l'aurais pas tué parce qu'il est déjà épuisé et il est déjà
blessé. Je peux pas continuer parce que ce serait pas facile pour lui.
Méliss : Je suis d'accord avec Haytam parce que si on va le tuer et puis il s'est battu toute la nuit avec
un… un autre… et puis il est déjà blessé, faut pas qu'il soit encore plus blessé parce que…
Lisa : Je suis d'accord aussi avec Méliss. Je l'aurais pas tué parce que… euh… il serait épuisé, puis il
serait blessé encore plus.
D'accord. Qu'est-ce que tu en penses Zina ?
Ben… je sais pas.
Est-ce que tu es d'accord avec ce que les autres viennent de dire ?
Non.
Est-ce que tu peux nous expliquer pourquoi ?
J'arrive pas à dire.
Ce n'est pas grave, tu nous diras après. Iliès…?
Iliès : Je l'aurais pas tué parce qu'il est blessé. Là il vit encore et si je l'avais tué, ben il serait mort.
62
Kevin : Moi non plus je ne l'aurais pas tué parce qu'il a déjà mal. Si je le tue, ben… ben… ce serait pas
juste.
Ivane ?
Ivane : Ce serait pas juste si je le tuais, il est déjà pauvre. Il est déjà blessé, alors c'est pas la peine de
le tuer.
Vous auriez préféré être mis à l'écart de votre groupe ? Vous seriez rentrés sans avoir tué de
lion. Vous n'auriez pas été des guerriers…?
Haytam : Parce que c'était juste pour un pari déjà. C'était du chantage, hein, de tuer un lion pour être
un guerrier.
Pourquoi tu penses que c'était du chantage ?
Haytam : Déjà parce que les lions c'est dur à trouver. Et ils pourraient faire quelque chose d'autre.
Viser un arbre de loin ou…
Toi tu penses qu'au lieu de tuer, on pourrait faire autre chose pour prouver notre force. Sylvie,
tu voulais parler ?
Sylvie : Je suis d'accord avec Yacouba parce qu'il n'a pas tué lé lion.
D'accord, tu ne l'aurais pas tué non plus, toi ?
Sylvie : Non.
Lisa : Maîtresse, au lieu de tuer le lion je préfère… je préfère prendre le troupeau de chèvres.
Méliss : C'est plus mieux que de tuer un lion qui est blessé.
Est-ce que vous pensez que Yacouba est courageux ?
Tous : Oui
Haytam : Oui.
Pourquoi ?
Haytam : Ben parce qu'il a fait preuve de courage. Il voulait pas tuer un lion, ça c'est déjà bien.
63
Tu penses que c'était courageux de ne pas tuer le lion ?
Lisa : Il était pas courageux parce que pour revenir, il revenait pas… il revenait pas avec le lion, et
puis… son père lui aurait dit "tu as ramené le lion ?" et Yacouba il va dire "non" et son père va dire "tu
seras pas un homme".
Donc tu n'es pas d'accord avec Haytam ? Tu penses qu'il n'est pas courageux ?
Attila : Moi je dis qu'il est courageux, parce qu'il a pas tué le lion et à la place de tuer le lion, il a gardé
le troupeau.
Kevin : Déjà il est courageux parce qu'il est venu vers le lion, j'avoue… et euh…
Est-ce que c'est courageux de ne pas tuer le lion ?
Kevin : Oui, euh… pour sauver une espèce.
Iliès : Il était courageux de pas tuer le lion.
Méliss : J'aurais dit ben non il est pas courageux. S'il voulait tuer le lion, il sera courageux s'il voulait
tuer le lion. S'il a pas tué le lion, il sera pas courageux !!
Ah ? Haytam ?
Haytam : … Ben si c'est déjà courageux d'aller voir un lion. C'est vrai, hein ? C'est déjà courageux !
Après le tuer ce sera pas bien.
Iliès : C'est pas bien de tuer un animal… en plus s'il nous a rien fait.
Mais le lion il aurait pu tuer Yacouba ?
Iliès : Ben
Zina tout à l'heure a dit que si Yacouba ne tue pas le lion, peut-être que le lion va manger un
homme quand il sera guéri.
Haytam : Ben il est trop blessé !
Attila : Faut déjà pas le tuer parce qu'il peut pas marcher. Il peut pas trop marcher, il peut pas courir, il
est blessé. Et en plus, même si il attraperait Yacouba, Yacouba il serait déjà plus fort. Avec les
armes… Alors bon. Il pouvait pas le manger.
64
Méliss : Le lion il peut pas manger Yacouba parce qu'il est blessé. Un animal quand il est blessé, il
peut rien faire. Il peut rester que debout. Quand Yacouba essaie de le tuer, il a changé d'avis parce
qu'il est blessé.
Sylvie : Je me rappelle plus ce que je voulais dire.
Zina : Je suis d'accord avec personne, parce que le lion il peut guérir d'un moment à l'autre.
Oui ?
Zina : Et il peut s'attaquer aux autres personnes. Pas obligé que ce soit à Yacouba.
Alors est-ce que tu penses qu'il a été courageux Yacouba ?
Zina : Hum-hum
Non ?
Zina : Non. Parce que il a pas tué déjà le lion même s'il s'est approché.
Et ça ce n'était pas courageux ?
Zina : Non.
Haytam : Ce serait injuste de tuer un lion. Ça détruit la nature aussi ! ben voilà. Ce sera pas du jeu
parce qu'il est déjà blessé.
Mais qu'est-ce que c'est le courage finalement ?
Méliss : C'est quelque chose qu'on peut faire que les autres peuvent pas faire. Par exemple, on peut
écraser une fourmi et c'est pas très gentil. Si j'étais à la place d'une fourmi et ben, et puis c'était
quelqu'un d'autre qui avait écrasé la fourmi, c'est pas bien.
Tu trouves que c'est courageux d'écraser des fourmis ?
Méliss : Non !
Alors je n'ai pas compris ce que tu as voulu dire.
Les autres : Moi non plus.
65
Essaie de nous expliquer.
Méliss : Par exemple, quelqu'un qui voulait pas écraser une fourmi et qu'un autre voulait écraser, ben
c'est courageux.
Zina : Moi être courageux c'est quand on dit quelque chose, on doit le faire.
Le courage, c'est quand on dit quelque chose, on le fait ?
Iliès : Ben non, si quelqu'un dit "va te faire manger par un lion", tu vas le faire ?
Zina : Non.
Kevin : Je suis d'accord avec lui (Iliès). Le courage c'est si par exemple, euh, c'est une femme, elle
arrive vers une ruche d'abeilles, elle en prend une dans sa main, elle se fait piquer, ben voilà !
C'était courageux ?
Kevin : Oui !
Pourquoi c'était courageux de prendre une abeille ?
Kevin : Parce que c'est courageux, parce que ça pique les abeilles ! Elle a pris un risque, quoi !
Le courage, c'est prendre un risque ?
Kevin : Oui
Iliès : Une abeille, ça peut pas tuer quelqu'un !
Haytam : Celui qui prend du miel, lui il a du courage. Il doit voler du miel, que la femme elle doit juste
prendre une abeille.
Qu'est-ce que c'est la différence ?
Haytam : Celui qui prend le miel, il prend plus de risques.
Plus de risques ? Alors le courage, c'est quand même prendre un risque pour toi ?
Haytam : Ben oui.
Ivane : Je suis d'accord avec lui.
Kevin : Moi aussi.
66
Attila : Je suis d'accord, sauf avec Zina.
Tu n'es pas d'accord avec Zina.
Sylvie : Ben moi je suis d'accord avec Zina.
Ah ! Explique-nous pourquoi.
Sylvie : … Je sais pas.
Est-ce que tu es d'accord avec Haytam, Kevin et Attila : être courageux c'est prendre des
risques ?
Sylvie : Oui, je suis d'accord.
Est-ce que si je roule à 250 kilomètres / heure avec ma voiture, je suis courageuse ?
Kevin : Non !
Lisa : Ben tu peux faire un accident.
Non ? Pourtant si je roule à 250 kilomètres / heure, je prends des risques, non ?
Attila : On peut être courageux mais on peut pas être fou.
Il y a une différence entre être courageux et être fou, c'est ça ?
Attila : Etre courageux, c'est prendre des risques, mais pas trop grands. Par exemple, ben, si ma petite
sœur tombe par la fenêtre, j'essaie de l'attraper, mais je vais pas sauter par la fenêtre avec elle, parce
que c'est déjà de la folie.
Haytam : C'est prendre un risque, c'est pas de la folie !
De quoi tu parles ?
Haytam : De rouler à 250 kilomètres / heure. T'es courageuse. Affronter la police sur la route, c'est
courageux quand même.
67
Même si c'est interdit ?
Haytam : Ben oui.
Kevin : Je suis un peu d'accord avec Attila. Si je roule à 200 à l'heure sur une route, c'est un peu
courageux et c'est un peu de la folie. Déjà, 200 à l'heure, c'est déjà assez fort, assez puissant. Et puis,
prendre des risques… si par exemple, il y a un lion qui traverse la route et que toi tu roules à 200 à
l'heure, et que y a plus de freins, tu roules dessus.
Méliss : Je voulais répondre à la question d'Attila : si sa petite sœur tombe par la fenêtre et… si Attila
veut tomber avec elle, c'est pas parce que sa petite sœur tombe qu'il faut tomber avec !
C'est ce que dit Attila : il pense que c'est de la folie.
Zina : Moi je pense que si quelqu'un me disait de faire quelque chose, ben je ferais pas, parce que je
peux me tuer.
Qu'est-ce que c'est le courage pour toi Zina ?
Zina : Le courage, c'est affronter des animaux, des personnes, mais pas de sauter par la fenêtre.
Alors pour toi le courage, c'est quand on est face à quelqu'un ? On est courageux par rapport à
quelqu'un d'autre ? J'ai bien compris ?
Zina : Oui, c'est ça.
Iliès : Non. Le courage, c'est par exemple affronter sa peur.
Par exemple ?
Iliès : Euh…
Haytam : Moi je réponds à la question de Kevin et je dis : non. Si le frein se casse et marche plus, il a
pas le choix de rester dans sa voiture, même s'il sait qu'il va mourir.
Et qu'est-ce que tu penses de ce qu'a dit Zina : être courageux, c'est quand on affronte
quelqu'un ?
Haytam : C'est courageux de tomber par la fenêtre, parce qu'on peut tomber sur un pare-brise de
voiture.
Kevin : Je réponds à Haytam : si une fourmi a peur de sauter d'un immeuble de dix étages. Elle saute,
elle a pris un risque ? Si elle tombe par terre, elle meurt.
68
Est-ce que la fourmi peut être courageuse ?
Attila : Non elle a pas assez de tête.
(rires)
Qu'est-ce que tu veux dire par là Attila ?
Attila : Ben elle a pas assez de cerveau pour savoir qu'elle existe. Il faut être intelligent pour savoir
qu'on existe et avoir peur.
La fourmi ne peut pas avoir peur parce qu'elle n'est pas assez intelligente, c'est ça ?
Zina : Oui, la fourmi elle peut avoir un peu de courage. Parce que… quand il va sauter, il va pas se
faire mal déjà. Parce que…
Sylvie : Moi je suis d'accord avec Zina parce que la mouche… la fourmi… si elle tombe du dixième
étage elle mourra pas parce qu'elle a des ailes pour voler.
(rires)
Sylvie : Ah non ! la fourmi…
Attila pense que la fourmi n'est pas assez intelligente pour avoir peur et que donc elle ne
pouvait pas avoir de courage…
Kevin : Elle peut être idiote… ou intelligente. Ça dépend.
Méliss : Elle peut pas tomber la fourmi, elle a des pattes, elle peut marcher.
Haytam : Pour répondre à Attila, il a raison. La fourmi, elle a pas de cerveau, c'est un insecte, enfin un
invertébré et il a pas de cerveau. Du dixième étage, il sera déjà mort en l'air, hein ! c'est haut pour une
fourmi.
Zina : Peut-être que la fourmi avait pris une feuille pour pas tomber.
(sonnerie)
Mézut : Au revoir, au revoir, au revoir…
Attila : A mon avis, le courage, c'est de pas tuer quelqu'un qui est blessé, c'est affronter quelqu'un,
mais sans se battre. Et il faut avoir peur pour avoir du courage, sinon, c'est pas possible.
Bon, on arrête là. Si je résume ce que vous avez dit le courage, c'est affronter quelqu'un ou
quelque chose, c'est dépasser ses limites. Mais il y a une différence entre folie et courage. Pour
être courageux, il faut connaître la peur.
69
Annexe 3 : Classe de CE2 / CM1
A partir de la lecture de Un chat est un chat
Je vais vous poser une question. Vous allez y réfléchir tout seul et ensuite on y répondra
ensemble.
As-tu déjà eu envie d'être un autre ?
Lisa : Non, ça ne m'est jamais arrivé d'avoir envie d'être quelqu'un d'autre, parce que je suis bien
comme je suis.
Attila : Ça m'est déjà arrivé moi. D'avoir envie d'être un aigle.
Pourquoi as-tu déjà eu envie d'être un aigle ?
Attila : Parce qu'il sait voler. Et parfois j'ai envie de m'envoler.
Méliss : Souvent ça m'arrive. Je préfère quelque chose qui vole comme… je sais pas moi… comme un
papillon. Comme ça je verrai la terre d'en haut, ça doit être beau, un papillon.
Ivane : Moi j'aimerais bien être un dinosaure. Un dino. Je pourrais me transformer en dino. Il est fort lui
au moins, c'est pas comme un papillon.
Kevin : Moi c'est oui et non. Oui parce que… euh… comment dire ? Parce que je pense à des choses
qui me traversent l'esprit et puis moi je fais sortir tout ça de ma tête.
Certains autres : J'ai pas compris
Tu peux nous ré-expliquer Kevin ?
Kevin : Euh… non, attends je réfléchis, je te dirai quand je pourrai parler.
Iliès : Je veux être un homme. Je préfère rester comme je suis, je sais pas comment expliquer.
Zina : J’ai voulu être quelqu'un d'autre. Pour être en liberté. Comme un dauphin.
Pour être en liberté ? Mais tu n'es pas libre ?
Zina : Ben non. On reste tout le temps à la même place, on se fait taper, on peut pas faire qu'est-ce
qu'on veut. On est pas libres, ça c'est sûr.
70
Pourquoi veut-on parfois être un autre?
Ivane : Parce qu'il est plus fort que nous. Il fait des trucs plus que nous.
Iliès : Y a pas que la force qui compte.
Lisa : C'était quoi la question ?
Ivane : Pourquoi on veut être un autre.
Lisa : Parce qu'ils sont beaux. Ils ont des forces.
Meliss : Quand on voudrait être quelqu'un d'autre. Par exemple, quelqu'un qui imagine des choses et
l'autre qui imagine d'autre chose. C'est pas pareil son imagination.
Sylvie : J'ai pas compris.
Méliss : Je sais pas dire.
Sylvie : Si j'ai envie d'être grande, quand je serai grande j'aurai envie d'être petite.
Kevin : C'est pareil, je suis d'accord.
Lisa : Je suis d'accord avec Sylvie.
Meliss : Moi je voudrais bien être grande parce qu'on serait en liberté, on pourrait faire tout ce qu'on
veut. Là y a nos parents qui disent "fais pas ci", je sais pas quoi.
Zina : Je suis d'accord avec Sylvie et Kevin. Quand on sera grands on voudra être petits.
Si je comprends bien, vous pensez qu'on a envie d'être quelqu'un d'autre parce qu'il a des
choses que l'on n'a pas, des forces, de la beauté. Mais vous pensez aussi que l'on trouvera
toujours quelque chose que l'on n'a pas et qu'on aura envie d'avoir...? C'est cela ?
Kevin : C'est vrai ce que tu dis maîtresse… euh… Je me rappelle plus.
Sylvie : Je suis d'accord avec Méliss. Des fois quand on est petits, on nous dit "fais ça, fais attention",
ça nous énerve et on se jette par terre.
Kevin : Ah, non ! Je suis pas d'accord. Il y a des limites dans la vie !
Tu peux nous expliquer cela, Kevin ?
Kevin : Par exemple, quand tu seras à la fac, enfin après quoi, tes parents ils seront toujours là à te
dire "gna-gna-gna". Ils te feront chier… euh, je veux dire ils t'embêteront toujours. Tant qu'ils seront
pas morts.
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Alors quand est-on libre ?
Iliès : Quand on a 18 ans. On est majeurs alors on est libres, on peut faire ce qu'on veut. Et puis, je
suis pas d'accord avec Zina, les parents, ils font ça pour notre bien. Quand ils disent ceci ou cela, en
fait, même si ça nous embête, c'est pour notre bien.
Lisa : Je réponds à Kévin. Ah, oui ! quand on est grands, nos parents sont toujours avec nous. On est
toujours tout seuls. On n'habite pas avec eux. Quand on veut aller dans un magasin, et que par
exemple, on veut quelque chose, ben on fait ce qu'on veut. Ils peuvent pas nous dire non. C'est pas
notre maman qui décide quand on est grands.
Zina : Je suis pas d'accord avec Kevin. Quand on est grands, on peut bien se marrer… marier. On
n'est pas obligés d'écouter ses parents. Même si eux ils veulent pas, on peut se marier.
Attila : On doit écouter nos parents. Si on est grands et qu'on veut des chaussures. Ils nous disent
"c'est pas beau" mais on fait ce qu'on veut.
Dans le livre, Narcisse dit "un chat est un chat et c'est très bien comme ça". Qu'est-ce que vous
pensez de cette phrase ?
Kévin : Si un chat est un chat, c'est que ça peut pas être autre chose. Si mon chat accouche et qu'elle
sort un oiseau, ça se peut pas.
Méliss: Narcisse, il préfère être comme il est. Il a vu un lapin, François, qui veut être un lapin et que
après il change d'avis parce qu'un lapin ça sautille. Un chat, ça sautille pas, ça griffe.
Attila : Ça veut dire que c'est bien d'être comme on est… Faut pas toujours vouloir être autrement. De
toute façon, si on est autrement, on sera encore pas contents.
Iliès : Ben oui, il a raison, Attila. On sera jamais contents. Alors faut juste être content et puis c'est tout.
Alors, ce que vous dîtes, c'est qu'on veut toujours être quelqu'un d'autre…?
Iliès: Ben oui, alors qu'en fait ça sert à rien, vaut mieux rester comme on est, c'est plus simple.
Qu'est-ce que ça veut dire rester comme on est ?
Qu'est-ce que veut dire "être soi-même" ?
Zina : C'est être qu'est-ce qu'on est. Accepter qu'est-ce qu'on est. Accepter d'être une petite fille ou
une grande, ça dépend.
Kévin : Quand tu seras grand, tu seras un homme.
Sylvie : Etre ce qu'on est. Faut pas changer.
Attila : Je suis d'accord avec Sylvie.
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Pourquoi est-ce parfois difficile d'accepter d'être soi-même ?
Kévin : C'est pareil qu'un contrôle. Si c'est un contrôle difficile et que nous on dit "c'est un contrôle
difficile", c'est difficile.
Je ne comprends pas ce que tu veux nous dire.
Kévin : Ben si c'est un contrôle difficile, c'est que c'est difficile, quoi !
Zina : Parce qu'on peut pas faire les mêmes choses que les autres. On peut pas faire des voyages
comme les autres.
Lisa : Si, si on a des sous, on peut faire des voyages.
Zina : Par exemple, Sylvie, elle a de la chance. Elle peut partir en Afrique, enfin au Congo. Alors que
moi je peux pas. Alors j'aimerais bien être Sylvie pour aller en Afrique; par exemple voir comment il
rapporte de l'eau, tu sais, elle m'a raconté sur la tête, comme ça.
Sylvie : Oui, mais moi aussi j'aimerais bien aller au Maroc, j'y suis jamais allée, moi. Toi, oui, alors tu
vois, des fois tu aimerais être moi, et moi j'aimerais être toi.
Iliès : Ben c'est ce que je disais, elles ont rien écouté ou quoi !
Explique-nous.
Iliès : Ben tout à l'heure, c'est ce que j'ai dit ! On veut toujours ce qu'on n'a pas, c'est pour ça qu'on
voudrait être un autre.
Attila : Ben, oui, alors que je suis sûre que Sylvie elle dirait à Zina que c'est pas bien d'être elle.
Sylvie : Ça c'est sûr.
On arrête là. Si je résume ce que vous avez dit, on a parfois envie d'être un autre, parce qu'on a
envie de ce que l'on n'a pas.
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Annexe 4 : Classe de CE2 / CM1
Vivre ensemble
Qu'est-ce que veut dire vivre ensemble ?
Haytam : C'est vivre avec des autres gens, des oiseaux, des autres personnes, c'est vivre en
communauté.
Sylvie: Ben… vivre ensemble, c'est, ben… vivre avec nos parents
C'est vivre avec ses parents…?
Attila : Vivre ensemble, ben… vivre ensemble, c'est il faut pas tuer l'autre.
Oui, qu'est-ce que tu veux dire par là ?
Attila : Ben par exemple il ne faut pas faire mal à l'autre, quand on vit ensemble.
Ivane : Vivre ensemble ça veut dire de vivre avec des copains, avec la maîtresse aussi.
Est-ce que moi je vis avec vous ?
Tous : Non
Méliss : Non par exemple, ça se peut une maîtresse qui a un enfant, puis un enfant qui est dans cette
école, puis par exemple la maman elle travaille ici. Ben elle vit avec lui !
D'accord. Mais pour toi Méliss, vivre ensemble ça vaut dire habiter dans la même maison ?
Méliss : Oui.
Iliès : Vivre ensemble, ça veut dire s'aimer.
Sylvie : Vivre ensemble c'est pas seulement avoir une maison ensemble, parce que les cousins… ça
se peut aussi qu'il y a des cousins, mais qui sont dans des autres maisons.
Et vous vivez ensemble ?
Sylvie : Ben non, parce qu'on a chacun une maison.
Lisa : Vivre ensemble, c'est avoir un ami.
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Même si tu ne vis pas dans la même maison que lui, toi, tu penses que tu vis avec lui ?
Lisa : Oui, parce qu'on peut aller se voir, on partage des choses ensemble, c'est un peu comme si on
vivait ensemble.
Ah, pour toi, vivre ensemble, c'est partager des choses. Haytam tout à l'heure a dit que vivre
ensemble, c'est vivre en communauté. Est-ce que dans la classe on vit en communauté ?
Tous : Non.
Qu'est-ce que ça veut dire vivre en communauté ?
Haytam : C'est vivre avec tous les gens de dehors ? Par exemple, dès qu'on voit une personne, on va
pas lui dire "au revoir" dès que c'est le jour. On va lui dire "bonjour".
Vous m'avez dit que vivre ensemble, c'était partager des choses. Est-ce que vous et moi on
partage des choses ?
Kévin : Ben oui, des fois tu nous punis, et puis tu nous parles, et aussi parfois on peut s'amuser
ensemble, par exemple quand on fait du dessin ou de l'électricité… les maths c'est pas pareil, moi je
m'amuse pas… (rires)
Iliès : Moi je suis d'accord avec Kévin.
Alors si vivre ensemble, c'est partager des choses et que vous et moi on partage des choses,
c'est que l'on vit ensemble ?
Kévin : Ben ouais, mais t'es pas dans la même famille… que nous. Et tu vis pas dans la même maison
que nous.
Tu viens de me dire que l'on partageait des choses ensemble pourtant ?
Kévin : Ben ouais, mais… je sais pas moi.
Alors tu n'es pas d'accord avec Haytam lorsqu'il dit que vivre ensemble, c'est vivre avec les
gens de dehors, ceux qui ne sont pas dans sa maison ?
Kévin : Ben, les gens de dehors, ouais, ceux qu'on croise et qu'on connaît.
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Mais moi tu me connais, je suis ta maîtresse.
Kévin, Oui, oui, je te connais. T'es une maîtresse.
Lisa : Parce qu'on n'est pas tes enfants. On vit pas dans la même famille.
Alors tu n'es pas d'accord avec ce que viennent de dire Haytam et Kévin : pour toi vivre
ensemble, c'est obligatoirement habiter ensemble ?
Lisa : Ben oui.
Alors on vit avec nos parents, on vit avec nos frères et sœurs, on vit avec nos cousins,
d'accord.
Et quand je suis tout seul, est-ce que je vis encore avec les autres ?
Ivane : Ça se peut pas que tu sois tout seul, t'as au moins tes parents.
Mais par exemple, si je suis toute seule dans ma chambre.
Ivane : Ben là, tu vis avec les autres.
Pourquoi tu penses ça ?
Ivane : Ben, c'est pas parce que je ne les vois plus qu'ils n'existent plus.
Méliss, qu'est-ce que tu en penses ?
Méliss : Ben même si par exemple on a fermé la porte, on est encore dans la même maison, on n'a
pas changé de maison. On n'est pas tout seuls.
Sylvie : Je suis d'accord avec ce que Méliss elle a dit.
Haytam : Je suis d'accord avec ce qu'Ivane a dit parce que c'est pas le fait qu'on soit enfermés dans
notre chambre qu'on vit plus avec quelqu'un d'autre.
Kévin : Je suis d'accord avec Méliss. Même si on vit pas dans la même pièce, on fait quand même
partie d'un famille.
Même si on est seul, on fait quand même partie d'un groupe ?
Lisa : Je suis d'accord avec Méliss.
Attila : Je suis d'accord avec tout le monde.
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Est-ce que quand je vis avec les autres, je peux vivre comme je veux ? Est-ce que je peux vivre
comme je vivrais si j'étais tout seul ?
Iliès : Non. Par exemple quand tu manges, si t'es tout seul, tu mets qu'une assiette. Alors que si t'es
plusieurs, t'en mets pas qu'une, sauf si t'es fâché.
Attila : Ben, je suis d'accord avec Iliès. Par exemple si on vit ensemble, on peut pas toujours faire ce
qu'on veut. Par exemple, on peut pas aller toute la journée dans la salle de bain. Les autres aussi ils
ont besoin de la salle de bain.
Tu veux dire qu'il faut respecter certaines règles quand on vit avec les autres ?
Attila : Oui, c'est ça, on peut pas faire tout ce qu'on veut, alors que si on est tout seul, on dérange
personne.
Qu'est-ce que vous pensez de ce que vient de dire Attila ?
Sylvie : Euh… je me souviens plus ce que je voulais dire.
Haytam : Je suis pas d'accord avec Iliès. On peut pas être tout seul dans une maison, parce que si on
est orphelin, il y a des moniteurs, y a des autres enfants qui sont là.
Oui, mais ce n'est pas la question que l'on se pose. On est en train de réfléchir pour savoir si
on vivrait de la même façon qu'on soit tout seul ou avec les autres.
…
Attila a dit non, parce qu'il y a des choses qu'on ne peut pas faire, par exemple rester dans la
salle de bain toute la journée, parce que les autres en auront besoin aussi.
Haytam : D'accord, j'avais pas bien compris.
Kévin : Moi je suis pas d'accord avec Attila… Si ! Si ! Je suis d'accord avec Attila. Oui, parce qu'il y a
des limites. Des limites. Quand on est seul, on peut faire ce qu'on veut. Mais quand on est avec des
autres, on peut pas faire ce qu'on veut.
Essaie de nous donner un exemple pour qu'on comprenne bien ce que tu veux dire.
Kévin : Par exemple (rires)… par exemple se jeter dans une baignoire tout seul, tu vois. Dans une
piscine par exemple.
Ivane : Euh… attends.
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Attila et Kévin ont dit qu'on ne vivait pas de la même façon lorsqu'on vit avec d'autres
personnes, parce qu'il y a des règles à respecter.
Lisa : Ben oui, si on vit avec nos parents ou nos frères et sœurs, il faut partager.
Ivane : Je suis d'accord avec Kévin, on n'est pas tout seul, on peut pas faire qu'est-ce qu'on veut. On
n'a pas le droit de tuer les gens, on n'a pas le droit de faire ça.
Sylvie : Ce serait de la méchanceté.
Bien, vous avez donc dit que vivre ensemble c'était partager des choses ensemble et qu'on ne
pouvait pas agir de la même manière que lorsqu'on vivait seul, car vivre ensemble nécessite
des règles, des contraintes…
Méliss : C'est quoi des con… contraintres ?
Des contraintes, c'est des limites. Vous avez dit lorsqu'on vit avec d'autres personnes, on est
obligé d'avoir des limites que l'on n'a pas forcément lorsqu'on vit seul. Par contre, vous n'êtes
pas tous d'accord sur le terme "vivre ensemble". Lisa, Sylvie et Méliss, pour vous, c'est plutôt
vivre dans la même maison, avec sa famille. Pour Kévin, Iliès, Ivane, Attila et Haytam, vivre
ensemble, c'est plutôt vivre avec tous les gens que je croise dans la rue, dans la vie.
Maintenant que l'on a réfléchi ensemble à ce que voulait dire vivre ensemble, on va aller
remplir nos fiches pour l'exposition.
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LES ATELIERS DE PHILOSOPHIE AUX CYCLES 2 ET 3
RESUME : En partant de questions philosophiques soulevées par les albums de
littérature de jeunesse, les ateliers de discussion philosophique permettent la construction
d'une pensée réflexive, le développement d'un jugement autonome et critique. Ils
apportent également une réflexion plus globale à l'enseignant, sur son rôle et son rapport
aux savoirs dans les activités quotidiennes.
MOTS CLES : philosophie ; autonomie ; albums ; littérature ; ethique
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