Séance commune
Académie des sciences
Académie nationale de médecine
Mardi 13 avril 2010 à 14h00
Grande salle des séances - Académie des sciences – Institut de France
23, quai de Conti 75006 Paris
Actualités sur les virus
Modérateurs : Marc Girard et Gérard Orth
14h00 - 14h10 Introduction
Gérard Orth, de l’Académie des sciences
14h10 - 14h30 Qu’est-ce qu’un virus ?
Didier Raoult, Unité de recherche sur les maladies infectieuses et
tropicales émergentes, CNRS-IRD UMR 6236, Faculté de Médecine,
Université de la Méditerranée, Marseille
14h30 – 14h40 Discussion
14h40 – 15h00 Virus émergents et médicaments : le rôle clé de la virologie
structurale
Bruno Canard, Architecture et fonction des macromolécules
biologiques, CNRS UMR 6098 et Universités d’Aix-Marseille I et II,
Marseille
15h00 – 15h10 Discussion
15h10 – 15h30 Prédisposition génétique aux infections virales : l'exemple de
l'encéphalite herpétique
Laurent Abel, Génétique humaine des maladies infectieuses, Inserm
U550, Faculté de Médecine Necker, Paris
15h30 – 15h40 Discussion
Table ronde
15h40 – 17h10 Vaccins antiviraux et vaccination : l'exemple du virus A (H1N1)
et des HPV
Modérateur : Pierre Bégué, de l’Académie nationale de médecine
15h45 - Surveillance épidémiologique et vaccinovigilance
Daniel Lévy-Bruhl, Institut de veille sanitaire, Saint Maurice
16h00 - Les adjuvants : nécessité et effets secondaires. Idées
préconçues et faits scientifiques
Jean-François Bach, de l’Académie des sciences
16h15 - Vaccination A (H1N1) : comprendre le rôle de l’industrie
Luc Hessel, Sanofi Pasteur, MSD, Lyon
16h30 - Politique vaccinale et pays en voie de développement
Sylvie Briand, Organisation mondiale de la santé, Genève
16h45 - Discussion et conclusion
17h10 – 17h15 Conclusions générales
Marc Girard, de l’Académie nationale de médecine
Contact : Service des Colloques, Académie des sciences - colloq[email protected]
Virus émergents et médicaments : le rôle clé de la virologie
structurale
Virus émergents et médicaments : le rôle clé de la virologie structurale
Bruno Canard
Architecture et fonction des macromolécules biologiques
Département de virologie structurale
UMR CNRS 6098 et Universités d’Aix-Marseille I et II, Marseille
Depuis une dizaine d’années, la cadence d’apparition et d’identification de virus émergents s’accélère
sensiblement pour de multiples raisons. Elle est supérieure à un nouvel agent pathogène humain par an.
Ces nouveaux virus sont en très large majorité des virus à ARN, responsables de zoonoses.
Parallèlement, il n’y a qu’un seul virus émergent récent, le rétrovirus VIH, pour lequel une grande
mobilisation scientifique et sociétale a produit des résultats significatifs : prophylaxie, thérapies,
connaissances, progrès récents dans l’approche vaccinale. Le VIH a été riche d’enseignements,
actuellement parfaitement admis : il n’y a plus d’autorisation possible de médicaments sans un mécanisme
d’action parfaitement décrit, et la biologie structurale occupe maintenant une place incontournable dans le
processus.
Le contrôle des virus à ARN se heurte à d’importantes difficultés meta scientifiques ; en particulier, nous
ne pouvons pas savoir quel virus va émerger, et n’avons a priori aucune indication sur le nombre de
patients et leur disponibilité pour des essais cliniques. Dans ces conditions, il n’est pas surprenant que la
recherche de médicaments n’ait pas été stimulée, et avec elle, la recherche en virologie tout court. Il
n’existe même pas une poignée de médicaments autorisés pour les virus à ARN : quelques anti-grippaux,
et un anti-hépatite C (virus chronique) en combinaison avec l’interféron.
Lorsqu’un nouveau virus émerge, la seule action possible est son identification, et la transposition rapide
des connaissances acquises sur le virus le plus proche. Il est donc évident que la masse de données
générales acquises sur les virus est cruciale. Si la biologie structurale est maintenant incontournable, il
faut que ces données transposables existent déjà, car leur acquisition prend souvent des années alors qu’un
virus pandémique fait le tour de la terre en quelques jours.
Le projet VIZIER (2004-2009) est un Projet Intégré de recherche financé par la Commission Européenne,
qui a eu pour but cette anticipation scientifique : établir préalablement aux émergences, les données
scientifiques nécessaires à la découverte et l’élaboration de molécules antivirales.
VIZIER a pour thème les virus à ARN et pour but de caractériser ces virus d’un point de vue génomique
et structural en se concentrant sur les enzymes les mieux conservées, celles impliquées dans la réplication.
Ces données sont utilisées dans le projet pour définir des cibles virales (polymérases, hélicases, enzymes
de coiffe, et protéases, principalement) utiles pour la découverte et la conception de molécules candidates
comme antiviraux.
Le projet a été organisé en 5 sections scientifiques : la bio-informatique pour la définition de cibles, la
génomique pour séquencer et analyser les familles virales, la génération de cDNAs codant pour ces
enzymes ou sous-domaines et la purification puis cristallisation des cibles, la résolution des structures
cristallines, et l’utilisation des données structurales et enzymatiques pour sélectionner ou découvrir des
molécules antivirales qui aient une activité inhibitrice sur l’enzyme et le virus correspondant.
Plus de 200 virus ont été étudiés, plus de 2300 cDNAs générés, plus de 300 protéines purifiées et validées
fonctionnellement, et plus de 80 structures tri-dimentionnelles réalisées, largement réparties dans des
familles virales négligées, et de nombreuses molécules inhibitrices ont été découvertes et caractérisées. En
outre, des outils spécifiques ont été créés dans le projet pour faciliter le travail collaboratif des sections et
pour reconsidérer la politique usuelle du « low hanging fruit ».
Je procèderai à l’examen des objectifs de VIZIER et de ses résultats, en analysant les exemples les plus
parlants de la transposition de connaissances inter familles virales. Je tirerai les principales leçons
(faiblesses, forces, particularités) de ce projet de génomique structurale et fonctionnelle comparative, qui a
été considéré comme une « succes story » par la Commission Européenne. Le projet SILVER, considéré
comme la suite logique de VIZIER, vient d’être lancé et devrait démarrer en 2010.
Prédisposition génétique aux infections virales : l’exemple de l’encéphalite herpétique
Laurent Abel
Laboratoire de Génétique humaine des maladies infectieuses,
Université Paris Descartes/Inserm U550, Faculté de Médecine Necker, Paris
Il est maintenant clairement établi que la réponse à un agent infectieux chez l'homme dépend en grande
partie du patrimoine génétique de l’individu infecté. Le mode d’action de ces facteurs génétiques peut
relever d’un déterminisme allant d’une prédisposition monogénique (mendélienne), mettant en cause un
seul variant génétique avec un effet individuel très fort, à une prédisposition plus complexe pouvant
impliquer plusieurs variants ayant chacun des effets individuels assez modestes. Dans cette présentation
nous nous focaliserons sur les prédispositions aux infections virales de type mendélien. Il existe ainsi
plusieurs exemples de variants génétiques impliqués dans une susceptibilité/résistance mendélienne soit à
l’infection par certains virus, comme le virus de l’immunodéficience humaine (délétion dans le gène
CCR5) ou les norovirus (mutation dans le gène FUT2), soit au développement d’une maladie clinique
après infection, comme l’épidermodysplasie verruciforme due au papillomavirus ou le syndrome XLP (X-
linked lymphoproliferative) du au virus Epstein-Barr [1]. Ces exemples ainsi que nos résultats obtenus sur
d’autres infections bactériennes et mycobactériennes nous ont conduits à formuler l’hypothèse que des
infections virales particulièrement graves survenant chez des enfants par ailleurs bien portants pourraient
relever d’une prédisposition mendélienne responsable d’un déficit immunitaire spécifique d’un certain
virus [2]. Nous explorons ainsi depuis plusieurs années des enfants ayant présenté une encéphalite
herpétique (EH). L’EH est une complication extrêmement rare mais particulièrement sévère d’une
infection très commune par le virus herpès simplex, et de pathogénie totalement mystérieuse. Notre
enquête familiale a permis de montrer un fort taux de consanguinité dans ces familles (14%) ainsi qu’une
fréquence élevée d’infections herpétiques graves, en particulier oculaires (3%), chez les apparentés des
patients. En parallèle, nous avons développé une stratégie gènes candidats, centrée sur l’immunité médiée
par les interférons de type I (IFN-α/β) que nous explorons par une série de tests fonctionnels sur les
cellules des patients. Nous avons ainsi observé chez 2 enfants issus de familles consanguines, un défaut de
production des IFN de type I après infections virales ou activations des Toll-like récepteurs (TLR) 3, 7, 8
et 9. Nous avons identifié la mutation dans le gène codant pour UNC93B, de fonction inconnue chez les
mammifères mais situé dans la voie de signalisation de ces TLRs [3]. Chez deux autres patients, nous
avons identifié le second gène responsable d’EH qui est le gène TLR3 lui-même et dont l’allèle délétère
est dominant négatif [4]. Nous avons également des mutations dans d’autres gènes candidats qui sont en
cours d’exploration. Au plan immunologique, ces travaux valident notre hypothèse de base et révèlent que
certaines voies de signalisation sont nécessaires à la défense de l’hôte vis-à-vis d’un petit nombre de
pathogènes, voire même parfois d’un seul virus. Au plan clinique, ces travaux offrent à ces familles un
diagnostic moléculaire et un conseil génétique, et ouvrent de nouvelles voies thérapeutiques fondées sur la
restauration d’une réponse immunitaire défaillante.
Références
1. Picard C, Casanova JL and Abel L. Mendelian traits that confer predisposition or resistance to specific
infections in humans. Curr Opin Immunol 2006:383-90
2. Casanova JL, Abel L. Primary immunodeficiencies: a field in its infancy. Science 2007; 317:617-9
3. Casrouge A, Zhang SY, Eidenschenk C, et al. Herpes simplex virus encephalitis in human UNC-93B
deficiency. Science 2006; 314:308-12
4. Zhang SY, Jouanguy E, Ugolini S, et al. TLR3 deficiency in patients with herpes simplex encephalitis.
Science 2007; 317:1522-7
Vaccins antiviraux et vaccination : l’exemple du virus A(H1N1) et des HPV
Surveillance épidémiologique et vaccinovigilance
Daniel Lévy-Bruhl
Institut de Veille Sanitaire (InVS), Saint-Maurice
La surveillance épidémiologique et la surveillance des effets secondaires sont deux piliers essentiels de
l’évaluation des conséquences de la mise en œuvre d’une nouvelle vaccination. Elles constituent en effet
les deux principales composantes de la balance bénéfice/risque de toute vaccination. La surveillance
épidémiologique permet d’estimer l’impact de la vaccination en termes de morbidité, de séquelles ou de
mortalité évitées et la vaccino-vigilance permet de s’assurer, à grande échelle et dans les conditions réelles
d’utilisation, du profil satisfaisant de tolérance du vaccin.
Longtemps assimilée à la notification systématique voire, en France, obligatoire, la surveillance des
maladies infectieuses a vu au fil du temps ses modalités se diversifier, pour mieux prendre en compte les
caractéristiques spécifiques de chaque pathologie à surveiller (essentiellement sa fréquence et sa gravité)
ainsi que les modalités de son diagnostic et de sa prise en charge (essentiellement diagnostic clinique ou
biologique, maladie vue en ville ou à l’hôpital). Dans le domaine des maladies à prévention vaccinale, les
modalités de la surveillance épidémiologique d’une maladie sont souvent évolutives pour s’adapter aux
modifications de l’épidémiologie de la maladie induite par la vaccination elle-même. La surveillance
épidémiologique permet également d’identifier les éventuels effets indirects de la vaccination. En effet, la
mise en œuvre d’une vaccination modifie l’épidémiologie de la maladie cible, au-delà de la simple
protection des sujets vaccinés, essentiellement par la diminution de la circulation de l’agent pathogène
induite par une couverture vaccinale élevée. Ces effets indirects sont le plus souvent bénéfiques mais
peuvent être défavorables et doivent donc être identifiés précocement.
L’épidémiologie est aussi un atout précieux pour la surveillance des effets secondaires. Lorsque un signal
émerge de l’analyse des données de pharmacovigilance, les outils de l’épidémiologie, à travers par
exemple les analyses « observés/attendus », les enquêtes cas-témoins en population générale ou à partir
des bases de données médico-administratives, permettent d’explorer plus avant l’hypothèse d’une
association entre un vaccin et un effet indésirable.
Ces différentes notions seront discutées, en particulier dans le contexte des vaccinations contre les HPV et
le virus A(H1N1). Ces exemples montrent à quel point les modalités de la surveillance épidémiologique
des maladies à prévention vaccinale et, dans une moindre mesure, de la surveillance des effets
secondaires, varient en fonction des caractéristiques des différentes maladies cibles et des différents
vaccins.
Vaccins antiviraux et vaccination : l'exemple du virus A(H1N1) et des HPV
Vaccination A (H1N1) : comprendre le rôle de l'industrie
Luc Hessel
Sanofi Pasteur, MSD, Lyon
Le développement de vaccins grippaux adaptés à un virus pandémique représente une série de défis pour
l'industrie tant dans les domaines de recherche & développement, que dans les aspects réglementaires et
les opérations industrielles. L'enjeu est effectivement de disposer d'un vaccin spécifique aussi rapidement
que possible après l'identification du virus et en quantité suffisante dès la mise en place des campagnes de
vaccination. Avec la pandémie A(H1N1) 2009 est venu s’ajouter la complexité logistique et technique
d’enchaîner les campagnes de productions de différents vaccins. En effet, la demande de production des
vaccins saisonniers ayant été maintenue par l’OMS, celle du vaccin pandémique est venue s'ajouter au
cycle de production de ces vaccins et non pas s'y substituer. D'où un planning complexe, impactant à
terme le nombre de doses produites et leur délai de mise à disposition.
Cependant, l'expérience acquise par les travaux engagés depuis bientôt 10 ans par les producteurs de
vaccins pour se préparer à une pandémie grippale a été couronnée de succès avec la mise au point,
l'enregistrement et la production des premiers vaccins A(H1N1)v moins de 4 mois après la déclaration de
la pandémie. Dans un contexte de forte demande mondiale, différentes approches ont permis aux
industriels de maximiser la quantité de vaccins, d'une part en investissant dans l'augmentation des
capacités de production et d'autre part en s'appuyant sur de nouveaux procédés de production et/ou de
formulation, dont l'utilisation d'adjuvants, permettant de réduire la quantité d'antigène par dose de vaccin.
Pour la première fois dans l'histoire, on a pu se préparer à une pandémie grippale grâce aux moyens de
surveillance et d'intervention, dont la vaccination. Mais la gestion de cette crise n'a pu se faire que par une
mobilisation de l’ensemble des acteurs, scientifiques, pouvoirs publics et industriels dans le cadre d'un
partenariat étroit et transparent.
Néanmoins, conçues pour faire face à une pandémie de grande sévérité liée à un virus aviaire A(H5N1),
les stratégies d'intervention, dont les campagnes de vaccination, ont pu paraître disproportionnées par
rapport à la moindre intensité de la pandémie A(H1N1) 2009. De plus, leur mise en place a été dans de
nombreux pays source de difficultés à la fois opérationnelles et d'acceptation par la population. Enfin, le
rôle des différents partenaires a pu être mal compris, dont celui de l'industrie. Il est fondamental de fournir
des vaccins sûrs et efficaces en un temps minimum pour répondre aux demandes des autorités nationales
et internationales. Cela a été le cas dans le contexte de la pandémie A(H1N1) 2009, mais n'a pas toujours
été bien perçu.
Faire face aux risques sanitaires reste un défi constant pour les gouvernements et les acteurs de santé.
C'est pourquoi il est fondamental d'analyser en détail la façon dont le monde a géré cette première
pandémie grippale du 21e siècle afin d'en tirer les leçons qui permettront d'aborder de façon efficace et
sereine une prochaine crise sanitaire, mais aussi de restaurer la confiance de la population dans la
prévention vaccinale ainsi que dans ceux qui sont en charge de la définir et de la conduire.
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