Virus émergents et médicaments : le rôle clé de la virologie
structurale
Virus émergents et médicaments : le rôle clé de la virologie structurale
Bruno Canard
Architecture et fonction des macromolécules biologiques
Département de virologie structurale
UMR CNRS 6098 et Universités d’Aix-Marseille I et II, Marseille
Depuis une dizaine d’années, la cadence d’apparition et d’identification de virus émergents s’accélère
sensiblement pour de multiples raisons. Elle est supérieure à un nouvel agent pathogène humain par an.
Ces nouveaux virus sont en très large majorité des virus à ARN, responsables de zoonoses.
Parallèlement, il n’y a qu’un seul virus émergent récent, le rétrovirus VIH, pour lequel une grande
mobilisation scientifique et sociétale a produit des résultats significatifs : prophylaxie, thérapies,
connaissances, progrès récents dans l’approche vaccinale. Le VIH a été riche d’enseignements,
actuellement parfaitement admis : il n’y a plus d’autorisation possible de médicaments sans un mécanisme
d’action parfaitement décrit, et la biologie structurale occupe maintenant une place incontournable dans le
processus.
Le contrôle des virus à ARN se heurte à d’importantes difficultés meta scientifiques ; en particulier, nous
ne pouvons pas savoir quel virus va émerger, et n’avons a priori aucune indication sur le nombre de
patients et leur disponibilité pour des essais cliniques. Dans ces conditions, il n’est pas surprenant que la
recherche de médicaments n’ait pas été stimulée, et avec elle, la recherche en virologie tout court. Il
n’existe même pas une poignée de médicaments autorisés pour les virus à ARN : quelques anti-grippaux,
et un anti-hépatite C (virus chronique) en combinaison avec l’interféron.
Lorsqu’un nouveau virus émerge, la seule action possible est son identification, et la transposition rapide
des connaissances acquises sur le virus le plus proche. Il est donc évident que la masse de données
générales acquises sur les virus est cruciale. Si la biologie structurale est maintenant incontournable, il
faut que ces données transposables existent déjà, car leur acquisition prend souvent des années alors qu’un
virus pandémique fait le tour de la terre en quelques jours.
Le projet VIZIER (2004-2009) est un Projet Intégré de recherche financé par la Commission Européenne,
qui a eu pour but cette anticipation scientifique : établir préalablement aux émergences, les données
scientifiques nécessaires à la découverte et l’élaboration de molécules antivirales.
VIZIER a pour thème les virus à ARN et pour but de caractériser ces virus d’un point de vue génomique
et structural en se concentrant sur les enzymes les mieux conservées, celles impliquées dans la réplication.
Ces données sont utilisées dans le projet pour définir des cibles virales (polymérases, hélicases, enzymes
de coiffe, et protéases, principalement) utiles pour la découverte et la conception de molécules candidates
comme antiviraux.
Le projet a été organisé en 5 sections scientifiques : la bio-informatique pour la définition de cibles, la
génomique pour séquencer et analyser les familles virales, la génération de cDNAs codant pour ces
enzymes ou sous-domaines et la purification puis cristallisation des cibles, la résolution des structures
cristallines, et l’utilisation des données structurales et enzymatiques pour sélectionner ou découvrir des
molécules antivirales qui aient une activité inhibitrice sur l’enzyme et le virus correspondant.
Plus de 200 virus ont été étudiés, plus de 2300 cDNAs générés, plus de 300 protéines purifiées et validées
fonctionnellement, et plus de 80 structures tri-dimentionnelles réalisées, largement réparties dans des
familles virales négligées, et de nombreuses molécules inhibitrices ont été découvertes et caractérisées. En
outre, des outils spécifiques ont été créés dans le projet pour faciliter le travail collaboratif des sections et
pour reconsidérer la politique usuelle du « low hanging fruit ».
Je procèderai à l’examen des objectifs de VIZIER et de ses résultats, en analysant les exemples les plus
parlants de la transposition de connaissances inter familles virales. Je tirerai les principales leçons
(faiblesses, forces, particularités) de ce projet de génomique structurale et fonctionnelle comparative, qui a
été considéré comme une « succes story » par la Commission Européenne. Le projet SILVER, considéré
comme la suite logique de VIZIER, vient d’être lancé et devrait démarrer en 2010.