Premier plan n° 33 octobre-décembre 2015 Répondre à l’urgence climatique Par Virginie Bathellier, chargée de mission au puca, directrice de la plate-forme popsu et Jean-Baptiste Marie, architecte et urbaniste, secrétaire scientifique du programme popsu En dépit de constats de plus en plus alarmants, de nombreuses interrogations demeurent quant aux réponses à apporter pour « faire face ». Cependant, si les incertitudes liées aux changements climatiques sont nouvelles, celles liées aux catastrophes naturelles, ne le sont pas et prennent racine dans les représentations collectives, comme en témoigne le tableau de Léon-François Comerre (page de droite). Or, les sociétés humaines ont toujours cherché à s’adapter, se reconstruire. De tout temps, les « lignes » ont bougé, les villes se sont réinventées, transformées. Reste que la vulnérabilité, dans notre monde contemporain complexe et techniciste, subsiste et semble même se renforcer sous certains aspects. Des questionnements traversent, à des degrés divers, toutes les sphères de la société, de l’élu local au technicien, de l’habitant au représentant de l’Etat. Ces tendances de fond se traduisent par une multiplication des initiatives dont témoignent les travaux du programme européen de la plate-forme popsu. Elles contribuent au renouvellement de la fabrique d’une ville dite plus « sobre », cherchant à apporter des réponses aux impacts négatifs de nos modes de développement sur l’environnement, mais aussi aux vulnérabilités sociales. Toutefois, si l’engagement des collectivités va croissant, il ne se fait pas sans difficultés. Les regards croisés sur ce qui se pense et se met en place dans des métropoles ou agglo- 1 2 mérations plus petites, en France et en Europe notamment, permettent de voir les points de convergence, mais aussi les écarts, en particulier dans les modalités d’action. À titre d’exemple, partout la place du jardin en ville se développe, sous des formes très variées, et constitue une des premières réponses aux changements en cours et à venir. Mais les travaux des chercheurs montrent que la part de pleine terre reste insuffisante dans les villes denses et que certains espaces ont un statut précaire. Au-delà des expériences portant sur les toitures ou façades végétalisées, plus médiatiques, il reste indispensable de réserver de larges espaces de « respiration » dans les agglomérations à travers les outils de planification et des politiques foncières et contractuelles adaptées.2 Les stratégies, quant à elles, ne s’accordent pas toujours. Le rôle réservé au réglementaire est sans doute plus important en France. L’implication de l’ensemble des acteurs de la ville, dont celle des habitants, est mieux prise en compte dès l’amont des projets dans les pays situés plus au nord. Ces modalités d’action se traduisent par des systèmes de décision et de gouvernance qui influent sur les résultats. En témoigne en France, le Plan de prévention des risques inondations (ppri), dont l’élaboration est de la compétence de l’Etat – en concertation avec les collectivités territoriales – en échange d’un principe de solidarité nationale. © Jean-Baptiste Marie Désormais, les rapports du GIEC font largement consensus. Trois évolutions majeures sont enregistrées. Elles concernent la température moyenne en surface, les précipitations moyennes et le PH de la surface des océans. De plus, l’impact des activités humaines est globalement reconnu tant sur le changement climatique que sur la perturbation des écosystèmes. « La concentration du dioxyde de carbone a augmenté de 40 % depuis l’époque préindustrielle. Cette augmentation s’explique en premier lieu par l’utilisation de combustibles fossiles et en second lieu par le bilan des émissions dues aux changements d’utilisation des sols. L’océan a absorbé environ 30 % des émissions anthropiques de dioxyde de carbone, ce qui a entraîné une acidification de ses eaux »1. Faisons pousser un autre monde, jardin Ton, Steine, Gärten, Berlin. Voir à ce sujet : F. STOCKER Thomas, QIN Dahe (dir.), Contribution du Groupe de travail I au cinquième rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, 2013 2 TERRIN (Jean-Jacques) (dir.), Jardins en ville, ville en jardins, coll. La ville en train de se faire, Éditions Parenthèses, Marseille, 2013 © RMN-Grand Palais / Gérard Blot DOSSIER Changements climatiques, comment les villes s’adaptent ? Le Déluge, 1er quart du 20e siècle, INV2287, Comerre Léon-François (1850-1916), Nantes, musée des Beaux-Arts. En revanche, au Royaume-Uni, le système de décision sur la gestion du risque inondation s’appuie sur un principe incitatif qui engage davantage les autorités locales. Quant à la stratégie allemande, elle met en œuvre des directives nationales en développant dans le même temps un cadre de négociation entre public et privé au plan régional et une implication de nombreux acteurs, dont le monde de l’éducation dans la sensibilisation aux risques. Par ailleurs, les questions économiques et sociales demeurent essentielles dans les choix visant à réduire les vulnérabilités des espaces urbains face aux effets des changements climatiques. L’adaptation a en effet un coût économique qui implique des choix parfois difficiles. Les débats autour des systèmes d’indemnisation des dommages dus aux inondations en attestent. Ces systèmes diffèrent fortement d’un pays à l’autre, avec des formes plus ou moins importantes de solidarité financière. Solidarité qui fait également débat autour des compensations pour service rendu aux propriétaires dont les terrains sont utilisés comme champs d’expansion des crues. Magali Reghezza, maître de conférences à l’Ecole normale supérieure, le souligne : « Il n’y a pas une seule forme d’adaptation mais des solutions qui ont chacune des coûts et des bénéfices qui ne pèsent pas sur les mêmes personnes ». Dans ce cadre, la réduction des vulnérabilités sociales constitue un des fils directeurs des solutions à inventer : « Les inégalités sont un frein à la résilience car tous les individus n’ont pas les mêmes capacités d’adaptation qui dépendent de facteurs sociaux et économiques ». L’enjeu porte donc aussi sur la définition des priorités. Le traitement de certains facteurs de fragilisation ne doit pas aggraver d’autres situations de vulnérabilité. Les cycles de séminaires organisés par le programme européen de la plate-forme montrent comment les grandes décisions se déclinent localement dans quelques villes européennes, avec des stratégies et des projets qui sont le plus souvent adaptés à chaque territoire. Mais plus largement, l’approche transversale des trois sujets met également en lumière des axes thématiques qui interrogent à des titres différents le concept – dont on ne sait s’il est amené à se pérenniser – de ville « résiliente ». Ce dossier en présente les principaux enjeux. 3