Premier plan n° 33 octobre-décembre 2015
Désormais, les rapports du GIEC font largement consen-
sus. Trois évolutions majeures sont enregistrées. Elles
concernent la température moyenne en surface, les pré-
cipitations moyennes et le PH de la surface des océans.
De plus, l’impact des activités humaines est globalement
reconnu tant sur le changement climatique que sur la
perturbation des écosystèmes. « La concentration du
dioxyde de carbone a augmenté de 40 % depuis l’époque
préindustrielle. Cette augmentation s’explique en pre-
mier lieu par l’utilisation de combustibles fossiles et en
second lieu par le bilan des émissions dues aux change-
ments d’utilisation des sols. L’océan a absorbé environ
30 % des émissions anthropiques de dioxyde de carbone,
ce qui a entraîné une acidification de ses eaux »1.
En dépit de constats de plus en plus alarmants, de nom-
breuses interrogations demeurent quant aux réponses à
apporter pour « faire face ». Cependant, si les incertitudes
liées aux changements climatiques sont nouvelles, celles liées
aux catastrophes naturelles, ne le sont pas et prennent racine
dans les représentations collectives, comme en témoigne
le tableau de Léon-François Comerre (page de droite).
Or, les sociétés humaines ont toujours cherché à s’adapter,
se reconstruire. De tout temps, les « lignes » ont bougé,
les villes se sont réinventées, transformées.
Reste que la vulnérabilité, dans notre monde contemporain
complexe et techniciste, subsiste et semble même se renfor-
cer sous certains aspects. Des questionnements traversent,
à des degrés divers, toutes les sphères de la société, de l’élu
local au technicien, de l’habitant au représentant de l’Etat.
Ces tendances de fond se traduisent par une multiplication
des initiatives dont témoignent les travaux du programme
européen de la plate-forme popsu. Elles contribuent au
renouvellement de la fabrique d’une ville dite plus « sobre »,
cherchant à apporter des réponses aux impacts négatifs de
nos modes de développement sur l’environnement, mais
aussi aux vulnérabilités sociales.
Toutefois, si l’engagement des collectivités va croissant, il
ne se fait pas sans difficultés. Les regards croisés sur ce qui
se pense et se met en place dans des métropoles ou agglo-
mérations plus petites, en France et en Europe notam-
ment, permettent de voir les points de convergence, mais
aussi les écarts, en particulier dans les modalités d’action.
À titre d’exemple, partout la place du jardin en ville se
développe, sous des formes très variées, et constitue
une des premières réponses aux changements en cours
et à venir. Mais les travaux des chercheurs montrent que
la part de pleine terre reste insuffisante dans les villes
denses et que certains espaces ont un statut précaire.
Au-delà des expériences portant sur les toitures ou
façades végétalisées, plus médiatiques, il reste indispen-
sable de réserver de larges espaces de « respiration » dans
les agglomérations à travers les outils de planification et
des politiques foncières et contractuelles adaptées.2
Les stratégies, quant à elles, ne s’accordent pas toujours.
Le rôle réservé au réglementaire est sans doute plus impor-
tant en France. L’implication de l’ensemble des acteurs de
la ville, dont celle des habitants, est mieux prise en compte
dès l’amont des projets dans les pays situés plus au nord.
Ces modalités d’action se traduisent par des systèmes de
décision et de gouvernance qui influent sur les résultats.
En témoigne en France, le Plan de prévention des risques
inondations (ppri), dont l’élaboration est de la compétence de
l’Etat – en concertation avec les collectivités territoriales –
en échange d’un principe de solidarité nationale.
2
Répondre à l’urgence climatique
Par Virginie Bathellier, chargée de mission au puca, directrice de la plate-forme popsu
et Jean-Baptiste Marie, architecte et urbaniste, secrétaire scientifique du programme popsu
1 Voir à ce sujet : F. STOCKER Thomas, QIN Dahe (dir.), Contribution du Groupe de travail I au cinquième rapport d’évaluation du Groupe d’experts
intergouvernemental sur l’évolution du climat, Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, 2013
2 TERRIN (Jean-Jacques) (dir.), Jardins en ville, ville en jardins, coll. La ville en train de se faire, Éditions Parenthèses, Marseille, 2013
© Jean-Baptiste Marie
Faisons pousser un autre monde, jardin Ton, Steine, Gärten, Berlin.
Premier plan n° 33 octobre-décembre 2015 DOSSIER Changements climatiques, comment les villes s’adaptent ?
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© RMN-Grand Palais / Gérard Blot
En revanche, au Royaume-Uni, le système de décision sur la
gestion du risque inondation s’appuie sur un principe incitatif
qui engage davantage les autorités locales. Quant à la stra-
tégie allemande, elle met en œuvre des directives nationales
en développant dans le même temps un cadre de négociation
entre public et privé au plan régional et une implication de
nombreux acteurs, dont le monde de l’éducation dans la sen-
sibilisation aux risques.
Par ailleurs, les questions économiques et sociales
demeurent essentielles dans les choix visant à réduire
les vulnérabilités des espaces urbains face aux effets
des changements climatiques. L’adaptation a en effet
un coût économique qui implique des choix parfois dif-
ficiles. Les débats autour des systèmes d’indemnisation
des dommages dus aux inondations en attestent. Ces
systèmes diffèrent fortement d’un pays à l’autre, avec
des formes plus ou moins importantes de solidarité finan-
cière. Solidarité qui fait également débat autour des
compensations pour service rendu aux propriétaires dont
les terrains sont utilisés comme champs d’expansion des
crues. Magali Reghezza, maître de conférences à l’Ecole
normale supérieure, le souligne : « Il n’y a pas une seule
forme d’adaptation mais des solutions qui ont chacune
des coûts et des bénéfices qui ne pèsent pas sur les mêmes
personnes ». Dans ce cadre, la réduction des vulnérabilités
sociales constitue un des fils directeurs des solutions à
inventer : « Les inégalités sont un frein à la résilience car
tous les individus n’ont pas les mêmes capacités d’adapta-
tion qui dépendent de facteurs sociaux et économiques ».
L’enjeu porte donc aussi sur la définition des priorités. Le
traitement de certains facteurs de fragilisation ne doit pas
aggraver d’autres situations de vulnérabilité.
Les cycles de séminaires organisés par le programme
européen de la plate-forme montrent comment les
grandes décisions se déclinent localement dans quelques
villes européennes, avec des stratégies et des projets qui
sont le plus souvent adaptés à chaque territoire. Mais
plus largement, l’approche transversale des trois sujets
met également en lumière des axes thématiques qui
interrogent à des titres différents le concept – dont on ne
sait s’il est amené à se pérenniser – de ville « résiliente ».
Ce dossier en présente les principaux enjeux.
Le Déluge, 1er quart du 20e siècle, INV2287, Comerre Léon-François (1850-1916), Nantes, musée des Beaux-Arts.
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