Fiches réalisées par Arnaud LEONARD

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Fiches réalisées par Arnaud LEONARD
(Lycée français de Varsovie, Pologne)
à partir de sources diverses, notamment des excellents « livres du professeur »
des éditions Nathan (dir. Guillaume LE QUINTREC)
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HA – L’Egypte
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Deux cents ans après l'Expédition d'Égypte menée par Bonaparte, comment
arriver à rendre compte d'une histoire moderne de l'Égypte ancienne, de ses
empires, de ses trente dynasties, de ses règnes innombrables ?
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant, après) :
Le chapitre consacré à l'Egypte antique est
fondamental car c'est la première fois, pour les
élèves de Sixième, que l'on aborde l'élude
d'une civilisation.
C'est aussi l'occasion de mettre en place
quelques notions fondamentales (monarchie
absolue, polythéisme, salut et jugement,
notions d’architecture sacrée) très utiles pour
la suite du programme.
Par ailleurs, cette partie, selon les textes, ne
peut dépasser cinq heures. Nous sommes
obliges de faire des choix drastiques et
d'insister sur certains aspects ou savoir-faire.
Ce chapitre s'appuie donc sur un nombre
important de documents iconographiques que
les élèves peuvent confronter à quelques textes
emblématiques.
Sources et muséographie : Les recherches actuelles largement basées sur les analyses des fouilles archéologiques s'intéressent de
plus en plus à la vie quotidienne. Cet aspect relativement nouveau doit donc s'intégrer dans un ensemble déjà vaste.
Exposition "Pharaons", 2004-2005 (IMA) / Bonaparte et l’Egypte, 2008-2009 (IMA)
Ouvrages généraux :
Voir les ouvrages des professeurs au Collège de France dans la chaire d'égyptologie : Georges Posener (1906-1988) de 1961 à
1978, Jean Yoyotte de 1991 a 1997 et Nicolas Grimal depuis 1997.
Posener G., Dictionnaire de la civilisation égyptienne, Hazan, 1998. Fondamental, d'une richesse exceptionnelle.
Dictionnaire des pharaons / Pascal Vernus et Jean Yoyotte, Éd. Agnès Viénot, Paris, 1996. Ce guide de référence permet de
découvrir de façon concrète et précise la vie et la personnalité des reines et des rois d'Egypte.
Histoire de l'Egypte ancienne / Nicolas Grimal, Fayard, Paris, 1988
Voir les ouvrages des égyptologues de l'Institut Français d'Archéologie Orientale (ou IFAO) : Claire Lalouette, Guillemette
Andreu-Lanoë (chef du département des antiquités égyptiennes du musée du Louvre depuis mai 2007), Jean Vercoutter, Jean-Pierre
Corteggiani
Les Grandes Pyramides, Chronique d'un mythe / Jean-Pierre Corteggiani, Découvertes Gallimard, Paris, 2006
Dictionnaire de la religion égyptienne / Jean-Pierre Corteggiani, Fayard, Paris, 2007
Histoire de la civilisation pharaonique / Claire Lalouette, Fayard, Paris, 1985-1991, Réédition Flammarion 1995
L'Égypte et la vallée du Nil, Tome 1 : Des origines à la fin de l'Ancien Empire (12000-2000 avant J.C.) / Jean Vercoutter, Nouvelle
Clio, PUF, Paris, 1992
L'Egypte et la vallée du Nil, tome 2 : De la fin de l'Ancien Empire à la fin du Nouvel Empire / Claude Vandersleyen, Nouvelle
Clio, PUF, Paris, 1995
Andreu G., Les Égyptiens au temps des pharaons, Hachette Pluriel, 1997. Une bonne mise au point (vie quotidienne).
L'Egypte ancienne / Desplancques Sophie, Que sais-je ?, PUF, Paris, 2005
Atlas historique de l'Egypte ancienne / Bill Manley, 1998, Autrement
La Civilisation de l'Egypte pharaonique / François Daumas, Les grandes civilisations, Arthaud, Paris, 1993 (1967)
Dieux et hommes en Égypte - 3000 av. J.-C.-395 apr. J.-C. / Françoise Dunand et Christiane Zivie-Coche, U, Armand Colin, Paris,
2001 (1991)
Documentation Photographique et diapos :
Villes et campagnes de l'Égypte ancienne - n°6080 (1985) / Danièle Valbelle
L’Egypte antique : le pays, les dieux et les hommes. Diapofilm, 1974. 12 diapo. + 1 livret
L’Egypte antique : le temple et la liturgie. Diapofilm, 1977. 12 diapo. + 1 livret
Revues :
Les dieux de l’Égypte, TDC N° 950, du 15 au 29 février 2008
La campagne d'Égypte, TDC N° 865 du 1er au 15 décembre 2003
L'Histoire, numéro spécial n° 190, « Les mystères de l'Egypte », juillet/août 1995.
Des Hiéroglyphes au numérique : L'écriture depuis 5000 ans / Collectif, in LES COLLECTIONS DE L'HISTOIRE, Supplément
trimestriel de "L'Histoire", N° 29, Octobre 2005
Carte murale : La vallée du Nil
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
Enjeux didactiques (repères, notions et
savoirs, concepts, problématique) :
méthodes) :
BO actuel : « L’essentiel (« le pharaon, les
L’égyptologie : "Don du Nil" et mère de toutes les sagesses, l'Égypte est dans
l'imaginaire hébreu le creuset où prit forme le peuple élu. Isis fascina les Romains dieux et les hommes ») est de faire découvrir,
et son culte dépassa largement les frontières de l’Égypte. La chrétienté aussi y
sans s’attarder sur une approche
cherchera ses racines les plus profondes. Mais, pendant des siècles, l'Europe n'a
chronologique, les permanences d’une
perçu cette mère nourricière qu'à travers le miroir déformant des anciens auteurs
civilisation (un territoire, une société agraire,
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grecs. L’égyptologie est une science récente, née en 1822 avec le déchiffrement
de l’écriture hiéroglyphique par Champollion. Même dans des endroits très
peuplés, très connus, dans le Delta, en Moyenne-Egypte, on sait que des sites
existent mais qu’on n’a jamais fouillés (fouiller trois millénaires de civilisation
pour une science qui n’a même pas deux siècles...).
Exemple : on a fini de réunir la documentation complète sur Ramsès II dans le
milieu des années 80. C’est relativement récent. Et les synthèses historiques que
l’on peut faire maintenant sont, pour la préhistoire, totalement différentes de ce
qu’elles étaient il y a 10 / 15 ans, tant nos connaissances ont changé. Il y a 30 ans,
on avait une description de la préhistoire égyptienne qui était dans un modèle très
conforme à une origine sémitique, mésopotamienne, etc. On a totalement revu les
relations avec l’Afrique en particulier. On a également totalement revu la durée :
c’est-à-dire qu’aujourd’hui on est capable, non pas de dire que l’histoire
commence vers 3 200 avant notre ère, on la fait commencer presque un millénaire
plus tôt. On peut la décrire, on connaît mieux les acteurs, on connaît mieux les
intervenants. Tout ça parce que, grâce à la climatologie, grâce à beaucoup de
données nouvelles, on peut mieux rendre compte du devenir de l’environnement,
et donc aussi par les fouilles – des fouilles ont apporté des choses nouvelles –
donc, on décrit beaucoup mieux et ça a beaucoup changé (cf. Aux origines de
l'Egypte. Du Néolithique à l'émergence de l'Etat, Béatrix Midant-Reynes, Fayard,
2003). Les trous à combler concernent paradoxalement, les époques les mieux
connues. Le premier millénaire, par exemple, est une époque pour laquelle on a
une documentation tellement foisonnante que la description qu’on en fait est
difficile à faire parce qu’il faut débroussailler toute cette documentation. De
même, on connaît bien la religion, mais, par exemple, on ne connaît pas très bien
la liturgie d’un grand temple comme celui de Karnak.
Exemple : polémique autour de la « chambre de Kheops » fin 2004 entre ceux qui
soutiennent la thèse architecturale de Gilles Dormion (dont Nicolas Grimal,
chaire d’égyptologie du Collège de France depuis 1997) et ceux qui prennent
leurs distances avec l'affaire (comme Jean Yoyotte, son prédécesseur) ; cf
L'Histoire, 05/2005, n°298, Entretien.
Les écritures : elles avaient pour première fonction de garder traces des échanges
et du commerce : comptabiliser les biens, ou encore conserver des informations,
et constituer les premières « archives » de l’Humanité. On ne peut parler
véritablement d'écriture que lorsque celle-ci est organisée en un système cohérent
de signes qui permettent aux hommes d'exprimer leurs pensées. Les premières
tablettes découvertes dans le pays de Sumer, dites « tablettes d'Uruk » se
présentent comme une sorte de liste comptable de sacs de grains et de têtes de
bétail. L'écriture ne constituait donc au départ qu'une sorte d'aide-mémoire utile à
l'homme. Un pictogramme différent représentait chaque objet, chaque personne,
chaque animal. Puis sont apparus les signes cunéiformes et les hiéroglyphes en
Egypte. Les signes commencent à former des sons et à tirer leur sens du contexte.
L'écriture, par sa complexité, reste le privilège d'une élite. Mais c'est l'invention
de l'alphabet par les Phéniciens vers 1 200 av. J.-C. qui révolutionne l'écriture :
une trentaine de signes suffisent pour tout écrire. L'écriture peut se démocratiser.
Les scribes conservent les premières connaissances administratives, mais aussi
les récits de faits guerriers, de victoires, d’annales royales ou encore des poèmes,
des textes religieux ou des rituels. L’invention de l’écriture permet de mieux
comprendre une civilisation à la fois dans son organisation économique
(documents de comptabilité), dans son organisation politique (décret, loi…) et
dans son organisation culturelle (littérature profane et sacrée). Elle vient donc
compléter et éclairer les découvertes archéologiques. L’égyptien hiéroglyphique
est apparu vers 3100 av. JC. Les égyptologues distinguent traditionnellement
dans l’écriture hiéroglyphique trois catégories de signes : les logogrammes, qui
représentent un objet (pictogramme) ou un concept (idéogramme) ; les
phonogrammes, qui correspondent à une consonne isolée ou à une série de
consonnes ; les déterminatifs, signes « muets » qui indiquent le champ lexical
auquel appartient le mot. Un hiéroglyphe peut exprimer un son, un mot, une
action, une idée. Par exemple, le dessin d'une bouche peut aussi signifier le son r
ou l'action de parler. Parmi les phonogrammes, 24 signes consonnes auraient pu
constituer un alphabet mais les Égyptiens se souciaient peu de réduire le nombre
de signes. Ils voulaient au contraire garder les signes représentant des êtres
animés car ils croyaient à leur efficacité magique. Évoquer une personne
permettait de la conduire à l'immortalité. Cependant ce système complexe était
réservé à une élite restreinte. On estime que moins de 1 % de la population
un pouvoir, des croyances) et de faire
apprendre les mots qui disent la vie des
hommes, leurs croyances, leur organisation
politique et sociale. » L'étude de l'Egypte
antique est aussi un prétexte à l'étude d'un État,
puissant, organisé. Comment concilier
l'apprentissage de l'analyse d'une civilisation
aussi complexe en si peu de temps avec des
élèves de 11 à 12 ans ? La compréhension
qu'une civilisation s'appuie sur un espace et
s'inscrit dans le temps est fondamentale.
Certains éléments des croyances des Égyptiens
sont, eux aussi, majeurs dans le cadre de
l'étude de l'évolution spirituelle des sociétés de
l'Antiquité : l'idée de jugement dernier, de vie
après la mort par exemple. Enfin les
monuments encore présents aujourd'hui
attestent de l'extraordinaire vitalité de cette
civilisation, leur étude pose les bases de
l'analyse historique de l'architecture et amène
les élèves à décrypter les symboles afin de
donner du sens à leurs observations. Le fil
conducteur suggéré par les documents
patrimoniaux est le fait religieux qui fait
l’unité de cette civilisation millénaire : le
mythe d’Osiris, le temple, la pyramide. Il ne
s’agit pas d’évacuer la dimension politique et
sociale, mais, dans l’esprit du programme, de
partir de ces documents pour découvrir la forte
trame religieuse qui structure tous les aspects
de cette civilisation de l’Égypte antique.
Au contraire, le futur programme se centre sur
les hiéroglyphes ; l’Egypte est vue comme une
des « premières civilisations » et le programme
lie premières écritures et premiers Etats pour
faire saisir aux élèves comment l’humanité est
entrée dans l’histoire en élaborant des
organisations sociales différenciées et une
meilleure communication. Le rôle du pharaon
et celui de son administration peuvent y être
présentés dans le cadre de la gestion de
l’économie et de la société, selon des
structures étatisées et centralisatrices. Toutes
les productions, mêmes celles liées à
l’architecture et à l’art, sont étroitement liées à
des fonctions indispensables à l’État. Les
aspects de la religion quotidienne et funéraire
peuvent être abordés à travers un petit nombre
de documents significatifs.
Dans les nouveaux programmes (« premier
contact avec une civilisation de l’Orient »), on
n’étudie plus les 2e et 1er millénaires (d’où pb
car parmi les sites et monuments, les temples
de l’ancienne Thèbes datent du Moyen Empire
pour Karnak et au Nouvel Empire au XVXIIIe s on trouve les temple de Louxor et
d'Abou Simbel,le tribunal d’Osiris dans le
Livre des Morts, Toutânkhamon et Ramsès II ;
sans parler du temple d’Edfou du IIIe siècle av
JC) : volonté d’en « finir avec l’Egypte » pour
se recentrer sur les fondements anciens de la
culture européenne ?
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égyptienne était « alphabétisée ». Au départ, les hiéroglyphes (« gravures
sacrées ») étalent inscrits sur la pierre. L'écriture évolua ensuite vers des formes
plus cursives. Les signes, simplifiés et non figuratifs, permettent une copie à la
fols plus rapide et mieux adaptée aux matières plus fragiles comme le papyrus. Ils
sont inscrits à l'encre noire ou rouge. Cette forme d'écriture devient celle des
textes administratifs, des transactions commerciales, des textes scientifiques et
littéraires. Ce sont les signes représentant humains et animaux qui indiquent le
sens de la lecture. Le mot papyrus est polysémique. C'est une plante (cypéracée),
c'est un papier (papyros en grec) et c'est un manuscrit. L'invention du papier,
support de l'écriture, est un moyen de transmission des traditions ou des décisions
de l'État particulièrement efficace (mais cher).
Archéologues et historiens fournissent aujourd'hui une vision rénovée des
rapports entre la société de l'Egypte ancienne et le Nil. L'Egypte ancienne n'était
pas une civilisation hydraulique. La crue annuelle qui recouvrait la plaine et
surtout le delta du Nil n'eut pas l'importance qu'on lui a prêté naguère. La
monarchie n'avait d'ailleurs pas un rôle très important dans le contrôle ou
l'organisation de l'irrigation. La vallée du Nil est le lieu d'émergence de cette
civilisation. On peut évidemment citer Hérodote présentant l'Egypte comme « un
don du Nil ». Mais aujourd'hui on sait que sans le travail des hommes dans le
cadre d'une société organisée, l'Egypte serait restée un marécage perdu dans le
désert et la crue - cet aléa naturel - serait restée une catastrophe. Le rôle de l'État
et de son représentant, le pharaon, assure la permanence d'une civilisation
trimillénaire.
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
I. L'Egypte émerge de deux civilisations préhistoriques de la vallée du Nil : la
Haute et la Basse-Egypte. Le roi Narmer unifie ces deux territoires vers 3100
avant J.-C. Memphis devient la première capitale en même temps se met en place
une solide administration. Une période de grande richesse s’ensuit. L'Ancien
Empire couvre une période de cinq siècles (d'environ -2700 à -2200) et se
compose de quatre dynasties (IIIe- VIe dynastie). Le pays enfin unifié, cohérent,
sous l'emprise d'une administration forte réalise d'immenses ouvrages, que ce soit
dans l'architecture ou la sculpture. Saqqarah et Gizeh abritent les cimetières de
Memphis, la capitale (avant Thèbes). À cette époque de grande stabilité politique,
sont construites les premières pyramides et tout d'abord la pyramide à degrés de
Saqqarah, par Imhotep sous le règne du roi Djéser. Auguste Mariette avait
toujours pensé que, à l'instar des pyramides de Gizeh, les pyramides étaient
vierges de toute inscription. À l'inverse Gaston Maspero était convaincu de leur
présence et, en 1881, il découvrit des textes dans la pyramide du roi Ounas (vers 2350) à Saqqarah qui lui donnèrent raison. Les Textes des pyramides sont les
écrits religieux les plus anciens au monde. Ces textes sont gravés en colonnes sur
les murs du corridor, de l'antichambre, du passage allant de cette dernière à la
chambre funéraire de la pyramide. Les trois pyramides monumentales du plateau
de Gizeh (celles de Khéops, Khéphren et Mykérinos). La construction de la
grande pyramide de Gizeh prit vingt années, nécessitant 20 000 ouvriers. De
récentes découvertes y ont révélé une ville des artisans et ouvriers. Il apparaît que
ceux-ci étaient bien nourris, soignés. À ces artisans et ouvriers spécialisés
venaient se joindre une main-d'œuvre venue des villages de toute l'Égypte, sans
doute de façon non permanente (paysans durant les crues du Nil), et les villages
contribuaient également à ce grand projet religieux en envoyant des vivres. C'est
sous le règne fastueux de Khéops (ou Khoufou) vers 2500 que les mastabas se
développent de manière significative autour du complexe funéraire royal, ce qui
montrerait que la constitution de l'Etat est achevée et touche presque déjà à son
apogée. Le privilège de pouvoir se faire inhumer aux côtés de son maître
représenta alors la meilleure manière d'afficher sa réussite. L'origine du tombeau
pyramidal remonte au tertre de sable qui recouvrait la sépulture. Ce tertre est
sûrement une évocation de la colline primordiale qui émergea lors de la naissance
de la terre. Le mastaba qui entoure le tertre est la maison du mort. Pour les rois, la
symbolique de la pyramide émane aussi d'une conception nouvelle liée au culte
solaire dont le centre est à Héliopolis. Le roi est aussi un dieu et donc une fois
mort, il vit avec les dieux, il se confond même avec le dieu-soleil. Il fallait donc
évoquer cette ascension. On peut penser que la pyramide de Djeser représente des
escaliers vers le ciel. Imhotep, l'architecte de cette pyramide, est un prêtre
d'Héliopolis. La pyramide à degrés marque une évolution majeure : elle permet
aussi une distinction nouvelle entre les tombes des rois et celles des autres
Activités, consignes et productions des élèves :
Raconter le mythe d’Osiris est plus important
qu’énumérer les dieux de l’Egypte.
Le scribe accroupi (IVe ou Ve dynastie, 26002350 avant JC, musée du Louvre) : cf Analyse
multimedia sur le site du Louvre. Il fut
découvert à Saqqarah en 1850 par Auguste
Mariette alors engagé par le musée du Louvre.
Il représente probablement un très haut
dignitaire sans doute de l’époque des grandes
pyramides. La statue était placée dans la
chapelle funéraire d’une tombe et recevait les
offrandes pour le défunt, en particulier les
aliments dont se nourrissait le mort. Sa posture
est un peu hiératique, son attitude est raide.
Les détails sont très développés au niveau du
visage ; mais il n’est pas idéalisé, vu son
surpoids ce qui est assez rare à cette époque. Il
s'agit d'un véritable portrait, plein de finesse.
Son seul vêtement, le pagne, sert de support au
rouleau de papyrus, en partie déroulé, qu’il
tient de la main gauche. De la main droite, il
serrait un instrument d’écriture, sans doute un
roseau. Sur un papyrus, les hiéroglyphes sont
écrits de droite à gauche. Les signes sont en
lignes ou en colonnes. Au fur et à mesure que
l’on écrit, on déroule une zone vierge à
gauche. Les yeux rendent les caractéristiques
anatomiques réelles de l’œil humain, grâce à
un procédé technique d’une ingéniosité
exceptionnelle découvert par l’accélérateur de
particules AGLAE en 1996 : yeux composés
d’un bloc de magnésite blanche veinée de
rouge, dans lequel est enchâssé un disque de
cristal de roche dont la partie avant est
soigneusement polie et la face postérieure est
dépolie et couverte d’une couche de matière
organique, donnant à l’iris sa couleur et
servant probablement d’adhésif. Une
perforation de quelques millimètres de
profondeur et légèrement décentrée est
pratiquée dans la face postérieure du disque :
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dignitaires de l'État qui, eux, conservent le mastaba. On pense que la pyramide
pure, aux faces lisses, représente des rayons du soleil descendant vers la terre. Le
roi mort pouvait ainsi monter et descendre entre ciel et terre. L'étude des
pyramides permet une étude à la fois architecturale et « idéologique ».
L'administration est omniprésente dans l'Egypte pharaonique. Elle contrôle les
activités des sujets, règle la vie du palais, organise l'économie. Elle est au service
exclusif du pharaon. Cette administration est divisée en services très hiérarchisés
qui quadrillent tout le pays : de l'attribution des champs à la construction des
monuments, de la guerre à la justice. Au sommet se trouve la Résidence royale
qui est représentée dans chaque région administrative (nomes). C'est une véritable
bureaucratie, lourde et complexe, qui régit le pays et ses habitants. A sa tête se
trouve un tjaty (appelé aussi vizir) auquel le pharaon délègue le pouvoir
d'administrer le pays. L'invention de cette administration fut un facteur essentiel
qui explique que l'Egypte a connu une civilisation évoluée et prospère.
Une période de troubles met fin à l'Ancien Empire, le pouvoir central disparaît.
Vers 2000 avant J.-C, les princes de Thèbes réunifient le pays, cette ville ainsi
que son dieu Amon sont au centre de cette reconstruction étatique (Moyen
Empire).
Les croyances des Égyptiens sont le résultat de plusieurs couches de croyances
qui, à l'origine, n'avaient pas de lien commun. On assiste donc à une
superposition de mythes régionaux qui vont constituer une doctrine hybride. Les
historiens sont, en fait, obligés de décrypter leur progressive complexification. La
religion égyptienne est polythéiste et s'appuie sur le culte des dieux. Les dieux
sont désignés par un nom, ils ont des apparences humaines et animales et
disposent d'un domaine d'action propre. Ce qui explique pourquoi la religion
pénètre chacune des activités humaines. Hérodote n'affirme-t-il pas que les
Égyptiens sont les plus religieux des hommes. Le culte des morts est
fondamental. Les pyramides en sont un exemple exceptionnel. Les pratiques de
l'embaumement, les funérailles spectaculaires, les « pique-niques » que les
vivants vont faire chez les morts sont des aspects majeurs de cette religion.
Beaucoup d'aspects de la vie spirituelle de la masse égyptienne (religion intime)
ne sont encore que très imparfaitement connus. Les prêtres de l'Egypte
pharaonique sont des serviteurs du dieu et non des guides spirituels. Ils ne
prêchent pas, ne cherchent pas à endoctriner. Il s'agit d'un personnel en fonction
dans un sanctuaire. Le dieu est représenté par sa statue et les prêtres doivent
entretenir cette statue, la protéger de toute atteinte extérieure. Le mythe d'Osiris
est très célèbre car il est emblématique des croyances des Égyptiens. Ce mythe
est sans doute l'une des bases de la notion de résurrection qui influencera de
nombreuses religions plus tard. Il met en place l'idée de jugement après la mort,
son râle social en devient évident car les hommes doivent, de leur vivant,
rechercher leur salut. Par ailleurs, ce mythe justifie l'existence et le caractère
divin du pharaon. Ainsi Osiris, d'abord pharaon aimé de son peuple, a une double
image : l'une, très humaine, montrant un être bienfaisant qui triomphe de
l'épreuve de la mort, l'autre qui remonte beaucoup plus loin et qui incarne le
renouvellement annuel de la nature. Aucun récit égyptien ne nous raconte le
mythe en entier. Maïs il existe suffisamment d'éléments épars qui permettent de
valider les textes grecs qui seuls sont complets, comme celui de Plutarque. La
prière négative (ne pas tuer, ne pas voler, ne pas gaspiller l'eau…) est
particulièrement intéressante car elle indique bien le minimum de règles sociales
que doit suivre un Égyptien et permet de faire le lien avec les dix
commandements des Hébreux. L'Egypte antique est la seule civilisation à avoir
pratiqué la momification à grande échelle. La momification est un acte religieux,
première étape vers l'éternité. Pour les Égyptiens, la mort sépare le « ba » (l'âme)
du « ka » (l'énergie vitale). Pour permettre au mort d'avoir une nouvelle vie, le
corps doit les rassembler, d'où la nécessité de la momification.
II. Le mythe et l’égyptologie :
Avant l'expédition napoléonienne, personne n’avait encore entrepris des
recherches. On savait que la civilisation pharaonique existait : on la voyait et on
ne la comprenait pas parce qu’on ne savait pas lire les textes. Ça a amené une
vision totalement différente, c’est-à-dire : à partir de l’Edit de Théodose, donc au
moment où le christianisme devient la religion d’Etat à Rome, Rome – qui
domine l’Egypte, qui en est le maître – décide de fermer les temples païens : il
n’y a plus que la chrétienté. Cela se passe dans un bain de sang épouvantable. Or,
les temples étaient en même temps les universités, c’étaient les conservatoires du
elle note la pupille ; c’est ce décentrement qui
confère au regard une apparente mobilité.
Chaque œil est maintenu entre deux larges
griffes de cuivre ; leur rebord aplati cerne le
contour de l’œil (voir video D'Art D'Art !).
La satire des métiers est un texte qui date
vraisemblablement du début du Moyen Empire
(vers 2000 av. JC) et qui est connu, surtout,
par de multiples copies datant de la XIXe
dynastie (vers 1300-1200). Sous la forme
classique de l'enseignement d'un père à son fils
ce texte est, en réalité, une satire des métiers
autres que celui scribe, et une apologie de cette
profession. Il présente une véritable caricature
des difficultés que rencontraient les
travailleurs manuels de l' Egypte ancienne,
difficultés présentées avec humour et
sensibilité ; en opposition, l'importance et la
richesse du scribe son magnifiées. On y
apprend que le fellah travaille une terre qui ne
lui appartient pas le plus souvent et fait vivre
une société qui, en retour, lui permet tout juste
de subsister. Le scribe, représentant de l'État,
vient collecter la taxe sur la moisson avec des
gardes armés de gourdins. On aborde par
ailleurs les calamités naturelles (vers,
hippopotames, souris, sauterelles, moineaux)
ou sociales (voleurs) dont peut être victime le
paysan. Ce tableau pessimiste doit être nuancé
car les scribes méprisent les paysans et veulent
que leurs élèves n'abandonnent pas leurs
études pour la vie rurale.
Un temple égyptien ne peut être comparé à une
église ou à une mosquée. Les fidèles ne
peuvent y pénétrer. C'est un espace sacré et
secret qui abrite les relations entre le roi et les
dieux. C'est dans le temple que réside le dieu,
tous les rituels (en particulier celui de
l'ouverture de la bouche) doivent être protégés
de présences impures. C'est pourquoi le temple
ressemble à une forteresse. Les murs épais, en
pierre, les successions de pièces de plus en
plus petites et sombres sont les conditions
requises pour la manipulation du divin. Les
temples sont de véritables exploitations
agricoles employant du personnel. Ils
produisent tout ce qui est nécessaire au culte
du dieu. Des artisans sont directement
rattachés aux temples. Tout ceci est régi par
une administration hiérarchisée. En fonction
de l'importance du temple il y a entre quarante
et plusieurs centaines de prêtres. Au sommet
de ce clergé se trouve « les serviteurs du dieu »
ou « prophètes », les seuls à pouvoir, comme
le pharaon, rendre le culte au dieu.
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savoir. Du jour où on a fermé les temples, on n’a plus su lire les hiéroglyphes, on
n’a plus connu la langue et l’écriture. Donc, un grand voile de silence s’est
abattu. En plus, la chrétienté n’a pas été très tolérante, elle a détruit les images,
etc., et un grand voile de sable a tout recouvert. Mais le souvenir est resté de cette
civilisation millénaire, magique, merveilleuse qu’on ne comprenait plus ; et toute
une interprétation s’est faite, en Europe en particulier. Rome a commencé à
déménager les grands monuments, les obélisques : l’obélisque de Saint-Jean-deLatran, par exemple, il y a le grand obélisque unique de Karnak. Donc, les
empereurs, puis les grands rois jusqu’à la Renaissance, ont déplacé les
monuments, ont construit à l’égyptienne : les jardins de la Renaissance sont
peuplés de sphinx, de faux obélisques… toute cette tradition qui a débouché sur
l’ésotérisme (et les rituels maçonniques) – qui culmine avec Mozart, « La flûte
enchantée » – avec toute cette tradition de la sagesse immémoriale de l’Egypte
magique, etc. qu’on ne comprend pas très bien, sa symbolique.
C’est sur ce terreau-là, sur cette égyptomanie-là que tout d’un coup Champollion
lève le voile et comprend les textes. Champollion (1790-1832), né à Figeac dans
le Lot. A son entrée au lycée de Grenoble, en 1804, il s'intéresse déjà aux
hiéroglyphes. Son frère, qui a participé à l'expédition d'Egypte, lui met entre les
mains une copie du texte de la pierre de Rosette (pierre de Rachid, prise par les
Anglais). Il se lance dans l'étude des langues orientales à Paris. Grâce à
l'obélisque découvert à Philae en 1821, il découvre que cette écriture est à la fois
phonétique et idéographique. Il déchiffre la pierre de Rosette (découverte en 1799
par un officier de l'armée d'Egypte près d'Alexandrie, décret du roi Ptolémée V
du IIe siècle av. J.-C. écrit en hiéroglyphes, démotique et grec) et annonce sa
découverte. En lisant le grec, Champollion s’est aperçu que les noms des rois,
Ptolémée, étaient faciles à distinguer dans l’inscription hiéroglyphique parce
qu’ils étaient dans des grands cartouches, c’est-à-dire dans des grands cercles. Il
s’est dit que comme c’étaient des étrangers, on devait noter en hiéroglyphe leurs
noms avec des signes qui représentaient les lettres. Alors il s’est dit : « Ptolémée
? Ptolémée, je sais le lire en grec, comment est-ce que je vais le lire ? » et il s’est
aperçu que face au Pi grec, il y avait un signe qui était effectivement un P, qui se
lisait un P, un T, un L, etc. Ayant découvert ça, il a commencé à jouer avec les
inscriptions et il a trouvé la clef, criant, dit la légende, « Ça y est, je tiens l’affaire
! ». De 1828 à 1830, il part enfin pour l'Egypte. Il publie à son retour les quatre
volumes des Monuments de l'Egypte et de la Nubie. Il meurt en 1832, laissant
inachevés une grammaire et un dictionnaire. La description de l’Egypte est parue
plus de 20 ans après l'expédition napoléonienne: 20 volumes de textes, de très
nombreux volumes de planches. L’Etat français du 19e siècle décide d’investir.
Au 19e siècle, Champollion se voit attribuer une reconnaissance extraordinaire
puisque l’on créé pour lui au futur Collège de France (Collège royal) une chaire
pour cette science nouvelle. Cette reconnaissance très officielle, très
institutionnelle est suivie par les pouvoirs publics, et surtout par le Second
Empire, pour des raisons aussi politiques – la mémoire du grand précurseur, la
mémoire napoléonienne – donc on poursuit les oeuvres napoléoniennes, aussi
parce que la France et l’Egypte sont très proches à cette époque-là. C’est l’époque
de Mehemet Ali, c’est l’époque de l’industrialisation, de l’européanisation, le
Canal de Suez, etc.
A la mort de Champollion, il va falloir une petite vingtaine d’années pour que
l’égyptologie s’installe avec un autre personnage extraordinaire qui est Auguste
Mariette, qui est un peu le contraire de Champollion. C’est un homme d’action,
de terrain. Il est envoyé par le Cabinet royal pour acheter des manuscrits coptes
en Egypte et il découvre l’archéologie, il découvre Saqqarah, il commence des
fouilles, il découvre le Sérapeum. Il va fonder, avec l’aide du Khédive, le Service
d’Antiquités de l’Egypte.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Evaluation cohérente en fonction des objectifs
:
6
HA – Les Hébreux
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long,
amplitude spatiale) :
Une histoire qui se construit. On identifiera des débats historiographiques sur
l’histoire biblique et on fera enfin comprendre que les spécialistes (religieux,
historiens, archéologues, exégètes...) ne sont pas d’accord sur tout, que
l’archéologie ne peut pas tout expliquer.
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant, après) :
Sources et muséographie :
Dans le BO : « L’étude des Hébreux est abordée à partir de la Bible, document historique majeur et livre fondateur de la première
religion monothéiste de l’Antiquité, et des sources archéologiques ». La Bible est un recueil de traditions orales mises par écrit, de
textes et de livres de nature fort diverse, rédigés et rassemblés au long d’une histoire millénaire.
Ouvrages généraux :
Israël Finkelstein est un archéologue israëlien, directeur de l'Institut d'Archéologie de l'Université de Tel-Aviv et co-responsable
des fouilles de Megiddo (25 strates archéologiques, 7000 ans d'histoire).
Finkelstein Israël et Silberman Neil Asher, La Bible dévoilée, Les révélations de l’archéologie, 2001 pour l'ed. originale, éditions
Bayard (2002), Gallimard, coll. « Folio », 2004. Décapant et passionnant. Cf documentaire, « La Bible dévoilée », adapté du livre,
en 2005 en 4 parties : Les Patriarches, L’Exode, Les Rois et Le Livre. Voir aussi Les rois sacrés de la Bible. À la recherche de
David et Salomon, Bayard, 2006 (original 2001).
Les autres auteurs sont soit des théologiens et biblistes (Pierre Gibert, André Paul, Pierre Bordreuil de l'Institut d'études sémitiques
du Collège de France, Alberto Soggin), soit des professeurs d'histoire grecque (Marie-Françoise Baslez) soit des égyptologues
(Richard Lebeau), soit des épigraphistes (André Lemaire).
Bordreuil Pierre et Briquel-Chatonnet Françoise, le Temps de la Bible, Fayard, 2000 (Folio Histoire 2003). Se lit comme une
enquête policière.
Lebeau R., Atlas des Hébreux, Autrement, 2003. Indispensable pour mieux comprendre la « géographie de la Bible »
Baslez Marie-Françoise, Bible et Histoire, Folio Histoire, 1998 (2003). Un classique incontournable.
GIBERT Pierre, La Bible. Le Livre, les livres, Paris, Découvertes Gallimard, 2000.
PAUL André, La Bible, histoire, textes et interprétations, Paris, Nathan, 1995.
SOGGIN A., Histoire d'Israël et de Juda, Bruxelles, Editions Lessius, 2004.
Documentation Photographique et diapos :
« Histoire du judaïsme », Sonia Fellous, n°8065 sept-oct 2008 ; une analyse les évolutions du judaïsme dans le temps et l’espace
« Les Hébreux », André Lemaire, n° 7033, février 1996.
Revues :
Vérité et légendes : La Bible / Collectif, in LES COLLECTIONS DE L'HISTOIRE, Hors-Série N° 13, Octobre 2001
BOULADE Gabriel, KOHLER Jeanine, MONSARRAT Violaine, Pour lire les textes bibliques, CRDP de Créteil, coll. «Argos
Démarches », 2002.
Carte murale : le Croissant fertile
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) :
savoirs, concepts, problématique) :
Il s’agit de présenter la première religion
L'histoire des Hébreux est essentiellement connue par la Bible. Ce livre
monothéiste de l’Antiquité. Comme le soulignent
exceptionnel est le résultat d'une tradition littéraire couvrant plus d'un
les documents d’accompagnement des
millénaire sur un espace allant de la Mésopotamie à l'Egypte. La Bible est
programmes, c’est le fait religieux qui est ici
une compilation d'oraux, mis par écrits, d'écrits (dès le début) transformés
central, étudié à travers une démarche d’historien,
une multitude de fois et dont la dernière mouture est considérée comme
respectueuse de la laïcité et des convictions
définitive. Au lieu de « Bible », préférer le terme « corpus biblique ». Il est
diverses des élèves. Les Hébreux inventent le
nécessaire de confronter ce texte avec les données de la recherche historique. monothéisme et un rapport nouveau avec le divin.
C'est à la lumière des connaissances apportées par l'étude faite sur le terrain
Le contrat ancien que les peuples polythéistes
par les archéologues et les historiens que la lecture de la Bible peut être
passaient avec leurs dieux, chacun ayant un rôle
renouvelée. Ainsi on peut mieux comprendre la vie matérielle et spirituelle
déterminé, s'efface. Le divin devient encore plus
des peuples de cette région dans leur contexte historique et géographique. Les abstrait et en même temps universel. Les hommes
Hébreux étalent des nomades parmi d'autres nomades ou semi-nomades.
doivent une soumission totale à un Dieu unique qui
Pourtant ce petit peuple va changer la face du monde en adoptant le
devient l'essence de toute chose. On voit donc que
monothéisme. La Bible raconte ce cheminement et cette exigence nouvelle
la Bible est aussi une rupture culturelle dans
qu'est la soumission à un seul Dieu. Les recherches récentes montrent aussi
l'histoire des hommes.
que la Bible est un ensemble de textes compilés dans un but politique et
Les élèves doivent comprendre que l'histoire ne
culturel : affirmer l'existence d'un « peuple élu » et l'existence d'une nation.
peut se contenter de récits légendaires mais qu'auLes caractères essentiels de la religion des Hébreux sont à souligner : le lien
delà du scepticisme scientifique, il faut prendre en
entre l’histoire concrète d’un peuple et la transcendance se manifeste dans
compte l'apport culturel majeur de la Bible. Cela
l’épisode de la sortie d’Égypte ; le Décalogue, en relation avec le
permet de montrer aux élèves les interrogations des
monothéisme, place au centre de la loi l’appel à la conscience morale,
historiens, qu'il faut bien différencier des
constitutif de la religion ; plus tard le prophétisme, dans un autre style, fait
certitudes, très respectables, des croyants. À l'issue
écho à cet appel.
de l’étude de la religion juive, les élèves, quelle
7
On a longtemps considéré le Proche-Orient ancien comme le "monde de la
Bible". Aujourd'hui, on adopte plutôt la démarche inverse, celle de relire le
texte sacré à la lumière des connaissances apportées par l'étude de l'ensemble
de la région, une région alors dominée par deux grandes puissances, l'Égypte
et la Mésopotamie, et au sein de laquelle Canaan n'est qu'une terre parmi
d'autres.
C’est ainsi que les interprétations sur l’histoire des Hébreux mettent en avant
les enjeux de la question de l’histoire biblique ; les écoles archéologiques et
historiques ont des supposés idéologiques et méthodologiques dont il faut
tenir compte avant de les prendre au pied de la lettre. Ainsi, aux 19ème et
20ème siècles, l’école archéologique allemande prit le parti de suivre le texte
biblique à la lettre et tente de découvrir le véritable itinéraire de Moïse,
explique la traversée de la mer Rouge par des phénomènes naturels, etc. De
nos jours, des chercheurs de l’Institut archéologique de l’université de Tel
Aviv dont le représentant le plus illustre est le professeur Israel Finkelstein
qui associé au journaliste Neil Asher Silberman, a écrit «La Bible dévoilée,
les nouvelles révélations de l’archéologie», publié en 2001 se basent sur les
découvertes archéologiques pour réfuter l’historicité des récits relatés dans la
Bible qu’ils datent alors de la constitution de l’état de Juda au 7ème siècle
avant notre ère : ainsi, les récits bibliques auraient-ils pour fonction de créer
un sentiment national dans le cadre d’un mouvement religieux centré sur le
culte de Yahvé à Jérusalem.
Dans les deux cas, il y a une volonté que l’on peut qualifier d’idéologique :
pour la première école, c’est affirmer que la Bible dit vrai alors que pour la
deuxième c’est dire que la Bible dit faux. Si dans un premier cas, la lecture
naïve des textes bibliques aboutit à une distorsion évidente entre textes
bibliques et archéologie, dans le deuxième cas, il en est de même. Les
preuves archéologiques avancées par les auteurs de «la Bible dévoilée»
comme irréfutables sont ainsi contestées par d’autres spécialistes : il ne s’agit
pas ici de les référencer dans le détail mais on pourra se reporter aux travaux
de Vincent Michel, Darrell Lance, Thomas Lévy ou Mohammad Najjar
(pour ces deux derniers, la datation du royaume d’Edom serait antérieure au
11ème siècle ce que réfute Finkelstein, chacun avançant des preuves
archéologiques en soutien de leur thèse). Ecoles archéologiques et historiques
peuvent être contextualisées pour en décrypter un tant soit peu le sens de leur
recherche.
Plusieurs écoles s'affrontent :
- Les fondamentalistes : tout ce qui est narré dans la Bible est exact.
- Les conservateurs : un peu plus critiques, tout en reconnaissant un grand
fond de vérité dans l'histoire biblique. Attention au fait politique : le sionisme
cherche une légitimité historique (ex. : pour la possession de Jérusalem) dans
l'histoire biblique.
- Les minimalistes (depuis 20 ans) : pour eux, la Bible raconte une histoire
fictive. Il n'y a pas d'identité ethnique ancienne (les Hébreux n'existent pas en
tant que tels). Ce serait un mythe national créé au Vème siècle av. J.-C. par
les élites revenant d'exil et par un ou des auteurs inconnus. Nouvelle méthode
qui privilégie les découvertes archéologiques et les sources primaires
(Babylone, Egypte...) aux textes bibliques.
La majorité des chercheurs sont aujourd’hui sur une position médiane, celle
d’un dialogue entre la Bible, l’archéologie et les autres sciences de l’histoire
pour restituer ce que fut l’antique Israël : l’étude philologique et textuelle de
la Bible, l’archéologie, l’épigraphie, l’ethnographie, la linguistique… Une
partie des conclusions fait à l’heure actuelle l’unanimité dans le monde
scientifique. D’autres points font débat, de manière plus ou moins acharnée
dans le contexte géopolitique tendu où se trouve la région.
Concernant le rapport entre la Bible et l'histoire, on distingue trois âges de la
recherche. Le premier se fonde sur l’approche archéologique : vérifier la
Bible. À partir XIXème siècle, c’est le développement de l’archéologie
biblique et des études sémitiques. Vers 1850, on assiste à la première remise
en cause de l'idée du Déluge par Boucher de Perthes, ce qui fonde la
préhistoire. La Bible n'est plus regardée comme une source primaire et cela
marque le début de l'archéologie biblique. Mais les recherches
archéologiques n’ont pas donné grand-chose. Sur Abraham : rien (Finkelstein
rejette le personnage historique, cf l'exemple des chameaux). Sur l’exode de
Moïse : pas de textes, ni de mosaïques. En réalité, les preuves archéologiques
que soit leur croyance propre, doivent percevoir
que le judaïsme est fondateur du monothéisme et
de certaines pratiques communes à d'autres
monothéismes. Cette religion puise elle-même sa
dimension spirituelle dans les croyances ou
légendes des peuples du Croissant fertile. Ceci
montre l'impact culturel de la Bible sur l’histoire
des hommes.
Insister sur la dimension historique de la religion
juive ; glissement dans les futurs programmes qui
ne parlent plus du « peuple de la Bible » mais des
débuts du judaïsme, à traiter avec les débuts du
christianisme et après Rome. Glissement aussi
dans les repères : on passe du « temps de la Bible
(2e – 1er millénaire av. J.-C.) » au « VIIIe siècle
av. J.-C. début de l'écriture de la Bible » puis à
« 70 Destruction du second Temple ».
L’émergence du judaïsme est à situer dans son
contexte historique : les principaux éléments de
croyance et les textes fondateurs sont mis en
perspective avec le cadre politique et culturel qui
fut celui de leur élaboration. Cette leçon est
relativement difficile car elle s'appuie sur
beaucoup de documents et d'événements. Elle peut
être considérée comme réussie si l'on a pu montrer
l'évolution spirituelle d'un peuple. Évolution
singulière mais aussi largement influencée par les
conditions politiques et religieuses de cette région.
Les élèves doivent faire la part entre légende et
histoire. Les documents d’accompagnement
précisent : « il est indispensable de présenter un
certain nombre d’épisodes et de personnages
(Abraham, Moïse et David par exemple) dont la
valeur patrimoniale dans la culture occidentale est
évidente ».
BO futur programme : « Menacés dans leur
existence par de puissants empires aux VIIIe et
VIe siècles av. J.-C., les Hébreux du royaume de
Juda mettent par écrit leurs traditions (premiers
livres de la Bible). L’étude commence par la
contextualisation de l’écriture de la Bible,
(l’impérialisme des empires mésopotamiens, le roi
Josias, l’exil à Babylone).
Quelques uns des grands récits de la Bible sont
étudiés comme fondements du judaïsme (extraits
de la Bible au choix : le récit de la création,
Abraham et sa descendance, Moïse, le royaume
unifié de David et Salomon…
La destruction du second Temple par les Romains
(70) précipite la diaspora et entraîne l’organisation
du judaïsme rabbinique. L’étude débouche sur une
carte de la diaspora. »
Quelques problématiques pour la leçon sur les
Hébreux ?
Les leçons précédentes ont porté sur la justification
idéologique d’une organisation sociale et
économique. Il s’agit avec la leçon sur les Hébreux
de voir comment une société crée un outil culturel,
la Bible, et un dogme, l’hénothéisme puis le
monothéisme, qui sont utiles pour cette société à ce
moment-là. Ceci passe forcément par un tableau de
cette société au moment où est rédigé (ou compilé)
ce livre, et à partir de quels matériaux ce livre est
créé.
8
sont contraires au récit de l’exode car la Bible raconte que cet exode permet
au peuple de Moïse de fuir la soumission à l’Egypte pour la Palestine mais,
historiquement, à l’époque présupposée de l’exode, la Palestine était sous
contrôle égyptien donc l’exode n’a plus aucun sens (donc, il y a eu un
détournement des documents). La stèle du pharaon Merneptah en Egypte
(1233) présente Israël comme un peuple localisé en Palestine, soumis et
occupé par les Egyptiens. Finkelstein et Silberman présupposent que l’Exode
fait référence à un réel déplacement et exode des Hébreux, mais pas
forcément d’Égypte. Ils abordent alors l’histoire des royaumes d’Israël au
nord (10 tribus) et de Juda au sud (tenu par les davidiens avec juste deux
tribus) confrontés à deux puissances locales, l’Égypte et l’Assyrie, et
évoquent ensuite la notion d’État, et la volonté d’un roi, Josias, d’utiliser
l’épisode de l’exode comme message d’espoir politique, et l’alliance entre
Yahvé et Moïse comme élément d’unification des Hébreux. A l’époque où la
Bible est écrite, profitant de l’affaiblissement des Assyriens, l’Égypte reprend
une politique impérialiste. Le roi Josias, sera d’ailleurs tué par les Égyptiens.
Il était idéologiquement utile de descendre de gens qui avaient été des héros
face aux pharaons. Puis lors du retour de l’exil, ces histoires et la promesse
divine qui les accompagnent trouvent un écho très fort pour ceux qui
revenaient de Mésopotamie. Dans la Bible, les épisodes du passé mythique
répondent aux épisodes contemporains. L’Exode nous raconte aussi le retour
de Babylone après quarante-neuf ans d’exil. La figure de Joseph, patriarche
en exil et serviteur de Pharaon, est en revanche le prototype du juif de
diaspora. Sur les conquêtes à Canaan : rien (pas de traces d’incendies...). Sur
la Jérusalem de David : rien mais les archéologues ont trouvé le temple
d’Hérode et des traces de la Jérusalem romaine. Réalité supposée : il y a eu
sûrement un peuple hébreu mais pas suffisamment nombreux pour laisser une
trace historique (pas d’origine « spectaculaire »). Les années 1970 ont vu un
tournant dans l’archéologie « biblique » . Tout d’abord après 1967, les
archéologues israéliens ont eu accès à la Cisjordanie, c’est-à-dire les hautes
terres, celles des premiers Israélites où, de manière systématique, ont été
menées des prospections de surface ou des fouilles. L’occupation du Sinaï a
aussi permis de nombreuses fouilles. D’autre part, on y a désormais appliqué
les méthodes de l’anthropologie pour chercher la réalité humaine et non
illustrer la Bible. Celle-ci a été analysée comme un artefact au même titre que
tous les objets sortis des fouilles. Notons que l’archéologie peut encore
changer notre vision des choses car au départ, on recherchait les vestiges
archéologiques de ce que racontait la Bible, maintenant, on est dans une autre
optique.
Le second moment concerne l’entrée d’Israël dans l’histoire : l’historicité des
livres bibliques. Il y a un débat actuel sur la datation des livres fondateurs
(Pentateuque). Il faut partir des textes pour les rétablir dans un contexte
historique mais là aussi une certaine déception… Le Pentateuque montre une
unité littéraire ce qui suppose un travail d’unification, de lissage, soit un
travail de réécriture ou un travail d’écriture à partir de bribes de la Bible. Estce que les Hébreux du XIIIème siècle ont produit des sources historiques ?
Par contre, on peut dire que les Hébreux rentrent dans l’histoire au IX-VIIIè
siècle avant JC avec des preuves historiques (sans oublier qu’en histoire les
choses peuvent changer) : au IXe s, la stèle de Tel Dan du roi araméen
Hazaël, mise à jour en 1993, parle de la dynastie davidique (maison de
David) donc David est pour la première fois considéré comme le roi
fondateur d’Israël. Aux IX et VIIIe s les ostraca montrent que l’écriture est
répandue à cette époque mais pas avant donc il existe un décalage
chronologique important entre les faits évoqués et le texte. Cela tendrait à
confirmer que les livres prophétiques seraient anciens. C’est à partir du VIe s
(période perse, hellénistique et romaine) que l’on peut parler de la Bible en
tant que source historique. Donc, il n’existe pas de chronologie à faire sur
l’histoire des Hébreux car on ne sait pas.
La troisième approche est historiographique : la construction de l’identité
d’un peuple et d’une tradition religieuse. La Bible est la construction de
l’identité d’un peuple et de sa religion. A travers cela, il faut en faire une
lecture symbolique. Exemple : représenter le temple de Salomon alors qu’on
ne connaît rien dessus pose problème. Il n’existe qu’un récit et aucun vestige
archéologique. Ce récit représente une recherche identitaire symbolique dans
le sens : que doit être le temple de Salomon pour Israël ? La Bible est une
La Bible a été rédigée et compilée d’abord à la fin
du VIIe siècle pour servir les desseins politiques et
religieux de la monarchie puis pour souder une
communauté qui avait perdu son indépendance
politique. Les textes qu’on y trouve sont une
justification a posteriori avec des résonances fortes
pour ceux qui les rédigent.
Il est intéressant aussi de voir comment ce peuple
se construit une identité face aux autres en
affirmant qu’il n’y a qu’un seul Dieu : cela se
passe après l’exil, lorsqu’il rencontre une
civilisation qui se veut intégratrice, l’hellénisme. Il
y a alors à la fois rejet nationaliste et intégration
malgré tout des valeurs de l’hellénisme. C’est
pourquoi j’étudie avec les élèves un extrait du
texte des Maccabées, avec pour but de leur faire
sentir les subtilités d’un discours contradictoire, et
que j’évoque ensuite la création du judaïsme
rabbinique après 70.
Dans cette perspective, les périodes étudiées ne
sont plus du tout les mêmes que dans l’approche
classique – mais fausse historiquement — de
l’histoire de ce peuple : les manuels s’attardent sur
les périodes entre les patriarches et la fin de la
monarchie unifiée, il s’agit pour nous d’étudier le
royaume de Juda, sa chute, l’exil, le second
Temple et la Diaspora. Dans les manuels, la Bible
est la source d’un récit mythique lu comme un récit
historique ; dans cette nouvelle approche, la Bible
devient le centre de l’étude, y compris les
conditions historiques de sa rédaction. Cette
approche permet de pleinement respecter la lettre
et l’esprit du programme de 6e, l’approche «
patrimoniale », ici la Bible.
Le temple de Salomon pose un problème
historique car seule la Bible en parle et aucune
pierre n'a été dégagée prouvant son existence. Le
Livre des Rois donne une description détaillée. Le
nom de Jérusalem vient de « fondation du dieu
Shalim ». C'est sans doute sous le règne de David
que le culte de Yahvé fut introduit et finit par s'y
substituer. Ce temple est symboliquement très
important car il participe de la construction du
monothéisme des Hébreux. En effet pour eux, leur
religion passe par l'adoration d'un Dieu unique en
un lieu unique. Le temple était donc un centre
cultuel dans la ville de Jérusalem mais aussi le
centre national hébreu. C'est dans le temple que se
trouvait l'Arche d'Alliance contenant le Décalogue.
Ce temple aurait été complètement détruit par
Nabuchodonosor en 587 avant JC. La
reconstruction du temple a lieu sous Hérode vers
20 avant J.-C., mais il est détruit par les Romains
en 70 par les légionnaires de Titus. Le Mur des
Lamentations (le plus important des lieux saints
juifs) est en fait un soubassement d'un mur du
temple d'Hérode.
La fresque du tombeau égyptien de Béni Hassan
(vers 1800 av JC) est mise en avant par plusieurs
manuels, avec un commentaire qui commence par
affirmer qu’il s’agit d’un peuple sémite qui arrive
en Égypte, puis qu’il s’agit sans doute des
Hébreux, avant de conclure malgré tout « qui sont
9
construction théologique et symbolique. Pour cela, la Bible doit être
travaillée comme la mémoire d’un peuple. La Bible construit une identité
collective mais avec une mémoire fragmentaire car ce n’est pas une histoire
unie au niveau géographique et chronologique. Elle est construite sur
l’intertextualité (car elle fait référence à des textes plus anciens) d’où la
sélection des textes afin de construire une tradition. L’identité collective se
bâtit sur des signes identitaires qui s’élaborent progressivement (comme le
sabbat, la circoncision ou les interdits alimentaires).
Au final, i1 y a beaucoup d'incertitudes concernant Abraham. Les historiens
ne sont pas d'accord : certains le font vivre vers 2200 ou vers 1850 avant JC.,
d'autres au VIe siècle avant JC. Abraham serait soit d'origine amorrite, tribu
nomade pauvre cherchant des oasis dans le Croissant fertile, soit d'origine
(h)abirou (hebreu ?), autre peuple migrant (le premier document historique
mentionnant les Hébreux date du XIVe s ; ce sont des lettres des rois des
cités cananéenne). Le nom Abraham signifierait « ceux qui traversent et
parcourent ». Au départ, Abraham et le clan dont il est le patriarche, seraient
monolâtres ; ils admettent donc l'existence d'autres dieux, même s'ils n'en
vénèrent qu'un seul. L'origine de Moïse pose, elle aussi, un problème. On sait
que des tribus sémites se sont installées en Egypte, souvent dans le delta du
Nil. Les Hébreux faisaient sans doute partie des ouvriers de différents
chantiers pharaoniques (comme la construction de Pi-Ramsès). Les textes qui
évoquent Moïse sont tardifs. La légende de l'enfant sauvé des eaux, les récits
des miracles, la compétition avec les magiciens de la cour du pharaon font
partie de récits légendaires d'origine mésopotamienne. Le nom même de
Moïse serait égyptien. Il est possible qu'un groupe se soit sauvé d'Egypte à la
suite de rixes courantes à cette époque. L'exode fuite correspond au trajet de
Moïse selon la Bible, ce trajet passe d'ailleurs par des sites de mines
exploitées par les Égyptiens. L'exode expulsion correspond au refoulement
des Hyksos vers 1580 avant J.-C.
Sédentarisés, les Hébreux forment une confédération qui doit affronter les
peuples indo-européens venus d'Asie Mineure ou de la mer. Les sources
égyptiennes ne font pas mention de cet exode et le nom du pharaon englouti
par les eaux au cours de la poursuite des Hébreux reste inconnu y compris
dans les textes bibliques. Les Philistins s'opposent aux Hébreux pour le
contrôle de la région. Ceci entraîne la fusion des tribus qui se donnent un seul
chef : Saül. La monarchie s'impose avec deux grands rois : David puis
Salomon. Le règne de Salomon correspond classiquement à l'apogée du
royaume, période où aurait été construit le temple. Mais cette grandeur n'est
pas confirmée par les traces archéologiques. Au temps des ces grands rois,
Jérusalem n'était sans doute qu'un village banal. Toujours est-il que la
division des Hébreux après la mort de Salomon aboutit à la création de deux
royaumes : le royaume d'Israël au Nord et de Juda au Sud. Israël tombe en
722 avant J.-C. sous les coups des Assyriens, Juda disparaît avec l'invasion
des Babyloniens conduits par Nabuchodonosor II qui détruit le temple en 587
avant J.-C. et provoque le premier exil. C'est durant l'exil que les Hébreux
vont réfléchir aux causes du désastre politique et vont s'organiser pour
maintenir leurs traditions culturelles. La crise politique, l'exil, la
confrontation avec les autres dieux des vainqueurs conduisent à l'affirmation
définitive d'un monothéisme universel. C'est en Babylonie que sont mis par
écrit les croyances et les rites, la tradition sacerdotale. En 538 avant J.-C. les
populations déportées peuvent revenir à Jérusalem, elles reconstruisent le
temple en même temps que sont posées définitivement les bases du judaïsme
par la rédaction du Pentateuque. Des oppositions naissent entre les Hébreux
pour des raisons politiques, sociales et religieuses. Rome intervient en 66
avant J.-C. sous le prétexte de mettre fin à des conflits internes entre les
tribus hébreux. Ils en profitent pour asseoir leur domination sur cette région.
L'hostilité entre certaines sectes issues du judaïsme et Rome aboutit à la
destruction du second temple et à la dispersion des Hébreux.
Parmi les approches de l’histoire des Hébreux par la Bible, certains insistent
sur le sens symbolique et non géographique ou historique. L’exode (le
franchissement de la mer et le franchissement du désert c'est-à-dire un double
franchissement) peut se lire ainsi. Dans les peuples sémitiques, la mer
représente l’élément hostile donc un passage libératoire et le désert le lieu de
l’épreuve et le lieu où se trouve dieu. Ce petit peuple ne s’impose pas par le
côté militaire mais par le côté religieux et identitaire, par un territoire, par un
donc bien allés en Égypte comme l’indique la
Bible ». La lecture bibliocentrée de cette fresque
est depuis largement remise en question. Il
s’agirait plutôt de bédouins venant livrer leurs
récoltes de galène.
Le programme privilégiant l’étude des Hébreux
conduisait inévitablement à négliger le judaïsme en
tant que tel ; et de fait, les élèves n’étudient pas ce
qu’est le judaïsme rabbinique puisque rien n’est
rappelé de cette évolution au-delà de la destruction
du Temple. Ils ne voient pas davantage comment le
monothéisme se construit peu à peu chez les
Hébreux en sortant d’une sorte de monolâtrie
nationale au moment de l’exil à Babylone.
Un même livre peut intégrer des traditions
d'origines diverses. L’exemple du mythe de la
création de l’homme en est une illustration parmi
d’autres. Ce mythe apparaît à deux reprises à
quelques versets d’intervalle et avec quelques
variantes dans le livre de la Genèse : en Gn 1, 2631, l’homme et la femme sont créés en même
temps après la création des animaux et Gn 2, 4-25,
l’homme est créé, puis les animaux et enfin la
femme. L’analyse philologique permet de dater Gn
2 (création en 2 temps) sans doute du IXème s av.
J. C. et Gn 1 (création de l’homme et de la femme
simultanément) du retour de l’exil à Babylone
c’est-à-dire à partir du VIème siècle av.J.C.
L’ordre de présentation de la Genèse est donc
chronologiquement inverse de celui de la
rédaction. Ce mythe reprend une tradition plus
ancienne. Des récits de création de l’homme
existent dès l’époque sumérienne au ProcheOrient. Leurs versions babyloniennes sont
cependant les plus connues. L’Inuma ilû awîlum
appelé également Poème d’Atra-Hasîs, a été mis
par écrit au XVIIème siècle av.J.C. L’homme y est
créé par le dieu de la sagesse pour éviter aux dieux
de travailler. Ce thème est repris dans L’Enuma
elish mis par écrit à la fin du XIIème siècle av.J.C.
où le rôle tenu précédemment par le dieu de la
sagesse est remplacé par Marduk, dieu tutélaire de
la ville de Babylone alors prépondérante. Dans
tous les cas, poèmes mésopotamiens ou Bible,
l’homme est formé d’argile ; la parole recèle en
elle un pouvoir fondateur. C’est pourquoi dans ces
civilisations, le nom de la divinité est rarement
prononcé. Celle-ci est désignée par des épithètes
comme « Bêl » chez les Babyloniens ou « Adonaï
» dans la Bible qui signifient « Seigneur » ; ce que
l’on retrouve plus tard chez les chrétiens. La Bible
est donc une composition dont la structure a été
pensée et mise en forme a posteriori. Les faits ne
sont pas présentés tels qu'ils se sont déroulés mais
plutôt en ce qu'ils signifient pour l'histoire du
peuple d'Israël.
Avant le Ier millénaire av.J.C., l’histoire des Juifs
est très difficile à replacer dans l’histoire générale
du Proche-Orient. Il s’agit de migrations, or les
nomades laissent peu de traces. Les personnages,
Abraham, Moïse, etc. ne sont mentionnés que dans
10
centre « Jérusalem ». Le monothéisme biblique serait une appropriation et
une réponse aux bouleversements égyptiens avec l’émergence du
monothéisme d’Akhenaton et Moïse serait l’expression d’une élite hébreu qui
développerait son propre monothéisme.
D'autres se penchent sur l’individualisation de la religion d’Israël : les
apports du comparatisme. Des éléments en commun entre la Bible et la
mythologie babylonienne (mythes du déluge, de Gilgamesh) puis avec les
tablettes d’Ugarit datant du XIII-XIIe S avant JC. Le monothéisme biblique
est une « construction » : l'orientation du temple de Jérusalem (Est/ouest)
correspond à l’orientation d’un temple d’un peuple solaire ; le trône vide de
ce temple correspond à la tradition syrienne ou phénicienne du culte solaire.
Ce serait un culte solaire qui aurait évolué vers Yahvé. La notion de temple
unique à Jérusalem est une imposition car il y a eu plusieurs temples. Dans le
désert du Néguev, 2 autels ont été trouvés avec Yahvé mais aussi une divinité
proche-orientale. La différence entre le polythéisme préexistant et le
monothéisme biblique est la suivante : le polythéisme prend en compte les
dieux des autres peuples mais le monothéisme lui, déclare que le dieu unique
est le vrai dieu. C’est l’émergence d’un peuple et d’une religion dans sa
différence.
La Bible est le résultat de la fusion de traditions orales et écrites. C'est un
ensemble de textes dont la rédaction s'étale sur plusieurs siècles, entre VIIIe
et IIIe siècles av. J.-C. Écrite en hébreu et en araméen, traduite en grec à
Alexandrie, elle va conquérir le monde, portée par l'essor du christianisme.
Une extraordinaire diffusion que n'ont pas interrompue les questions posées,
à partir du XVIIe siècle, sur la réalité historique et scientifique des faits
rapportés dans la Bible. Les spécialistes ont coutume de dégager 5 sources
différentes dans la rédaction de la Bible. La source « J » dite yahviste
(Jahviste en allemand) correspond à la série de récits employant le
tétragramme (YHWH) et semblant concerner davantage le sort de la tribu et
du pays de Juda (on la datait auparavant du Xè s. mais on pense aujourd’hui
qu’elle est contemporaine de l’Exil entre 587 et 538 mais en incorporant des
matériaux plus anciens). La source « E » dite « elohiste » : série où dieu est
dénommé Elohime ou El et qui se consacre à l’histoire des territoires et tribus
nordistes (Ephraïm, Manassé, Benjamin). La source « D » pour deutéronome
au style et au message très particuliers et apparaissant donc comme un
document indépendant. La source « P » pour « prêtre » ou source sacerdotale
correspondant à certaines sections du Pentateuque ne pouvant être attribuées
à aucune des précédentes sources et concernant des passages traitant surtout
du rituel, du culte et des lois du sacrifice (datée de l’Exil). Enfin la source « R
» pour « rédacteurs » correspondant aux passages ou phrases rajoutés pour
relier et compiler, faire les transitions entre les quatre sources principales. On
sait ainsi que les légendes patriarcales, les récits sur la sortie d’Egypte,
l’installation en Canaan sont des ensembles de traditions primitivement
indépendants les uns des autres. Leur fusion en une seule séquence narrative
est le fait d’une construction élaborée aux alentours de l’exil. L’état actuel de
la recherche tend donc à abaisser les dates de composition dans une
fourchette allant du VIIIème au IVème avec une période d’intense activité
rédactionnelle et éditoriale à la fin de la monarchie judéenne et pendant l’exil
babylonien. Au total, 24 livres forment la TaNaK : mot construit à partir de
Torah (cinq livres), Nebiim (les Prophètes) et Ketûbim (les Écrits). On y
trouve presque toutes les formes littéraires de l'époque (mythes, épopées,
code de lois, hymnes, oracles, etc.). Chronologie de la fermeture des
principaux Livres de la Bible : la Torah (ou Pentateuque) : élément le plus
ancien, vers – 500 ; Livre des Prophètes : la fermeture semble se produire
vers – 400 ; les Ecrits : eux ne se ferment que vers le Ier siècle ap. J.-C. ; la
Bible grecque (Septante) vers + 100... En fait, la Bible est un projet, ses
rédacteurs tenaient à témoigner de leur foi en un dieu unique. Les manuscrits
de la mer Morte (Ier siècle avant J-C) furent découverts dans des grottes près
des ruines de Khirbet Qûmran en 1947. Ils émanent d'une communauté
essénienne. Ces manuscrits sont des textes bibliques et des commentaires de
la Bible. Leur comparaison avec des copies plus récentes de livres bibliques
ne montre pas de différence fondamentale, ce qui prouve la transcription
scrupuleuse de l'Écriture à travers les âges. On trouve aussi dans les célèbres
manuscrits de Qûmran, deux versions différentes de l'Exode, ce qui laisse
penser que l'homme de l'Antiquité n'est pas choqué d'avoir plusieurs versions
la Bible. La recherche actuelle doute même de leur
existence. Au contraire, au Ier millénaire av.J.C.,
les sources se diversifient et se multiplient. Les
tablettes assyriennes et babyloniennes font
référence aux royaumes d'Israël et de Juda avec
parfois le nom de leurs rois. De même, des rois
néo-assyriens (Sennacherib, Assarhadon) et néobabyloniens (Nabuchodonosor) sont mentionnés
dans la Bible. En revanche, une chose est
étonnante le nom des pharaons n’y apparaît que
rarement.
Aux VII-VIèmes siècles av.J.C. apparaît dans ce
que les historiens n’appellent plus le Croissant
fertile une critique des panthéons, à Babylone, par
le roi Nabonide qui affirme la supériorité du dieu
Sîn sur tous les autres y compris Marduk, le dieu
de la ville. En Perse se développe le mazdéisme,
religion dualiste dans laquelle Ahura Mazda,
détenteur des forces du bien, triomphe du mal. A
l’origine de cette religion, pratiquée aujourd'hui
encore en Iran et en Inde, se trouve un homme,
Zoroastre, qui aurait vécu vers 1000 av. J.C. Elle
repose sur un texte sacré, l'Avesta, le « Fondement
». Le monde des morts n'y est plus la contrée
désolée, souterraine et obscure que l’on trouve
dans les textes babyloniens ou dans l’Odyssée; au
contraire, l'âme des hommes pieux, immortelle,
monte au ciel et trouve le repos auprès de la
divinité. En Grèce même, la critique vient des
philosophes présocratiques.
Or, à la suite de l’édit de Cyrus, en 538 av. J.C.,
puis des conquêtes d’Alexandre le Grand, la
diaspora s'accentue. Les anciens déportés du
royaume de Juda ne rentrent pas tous ; certains
restent en Babylonie. Par ailleurs, sous les rois
hellénistiques, des habitants de Judée migrent vers
l'Égypte, l’Asie mineure et le monde grec. La
deuxième grande communauté juive après celle de
Judée est celle d’Alexandrie. C’est là qu’au IIIème
siècle av.J.C., la langue hébraïque étant de moins
en moins utilisée au sein même de la communauté,
la Bible est traduite pour la première fois en langue
étrangère, en grec, par des savants juifs : c’est la «
Septante ».
A l'intérieur même du judaïsme, de nombreux
courants apparaissent. Au IIème siècle av.J.C, une
révolte dirigée par Juda Macchabée éclate en
Judée. Celle-ci a longtemps été présentée comme
une réponse à l’hellénisation forcée menée par le
roi séleucide Antiochos IV. En fait il semblerait
que l'origine de ces troubles se trouve dans une
lutte interne à la communauté juive, entre
traditionalistes et partisans d'un judaïsme hellénisé.
Antiochos IV décide de stopper le conflit en
supprimant son objet : il interdit alors toutes les
pratiques religieuses juives ; mais loin de calmer
l'agitation, cette mesure renforce la vigueur du
judaïsme traditionnel.
Les juifs d’aujourd’hui ne sont pas les Hébreux et
les Juifs de l’Antiquité. Le judaïsme est une
religion et une culture qui se sont construites dans
la Diaspora après la destruction du second Temple.
11
d'un événement. A Qûmram, les manuscrits proposaient trois versions de la
Bible : celle qui deviendra au VIe siècle la Bible massorétique, la version
hébraïque, celle qui a inspiré la traduction grecque de la Septante à
Alexandrie, et une version du Pentateuque samaritain pour les fidèles du
temple du mont Gazirim. Le canon le plus étroit est celui de la Bible
hébraïque, le plus large celui de la Septante. Les plus anciens manuscrits
connus jusque-là dataient du Moyen Âge. On a retrouvé la bibliothèque des
Esséniens dans onze grottes qui contenaient un millier de rouleaux. Ils
contiennent des fragments de tous les livres de la Bible juive à l’exception du
livre d’Esther. Ces textes ont été copiés du milieu du IIIe siècle av. J.-C. à
l’an 68 ap. J.-C.
Finkelstein et Silberman soutiennent avec des preuves ou des arguments
plutôt convaincants que pour l’essentiel, le Pentateuque fut une création de la
monarchie tardive, destinée à propager l’idéologie et les besoins du royaume
de Juda, et qu’il est, de ce fait, étroitement lié à l’histoire deutéronomiste (de
Canaan à l’exil). La Bible serait de la main d’Hébreux du royaume de Juda,
plus fragile que le royaume d’Israël, quand celui-ci a été conquis par les
Assyriens. Le roi Ezéchias (-727 à -698) contribue à l'essor de Juda, après la
chute du royaume d'Israël : volonté de construire un « Grand Juda », lance le
ferment d'une réforme religieuse tendant vers un « monothéisme ». Son
arrière petit-fils Josias (-639 à -609) rompt avec les pratiques passées :
intolérance avec rejet des dieux phéniciens, mésopotamiens... présents
dans le Temple de Jérusalem, centralisation du culte au Temple de Jérusalem
: les prêtres exerçant ailleurs sont rappelés et ramenés à un rang inférieur de
ceux de Jérusalem. Le clergé juif du Nord (ex-Israël) est considéré comme
ennemi (les Samaritains, considérés comme des moins que rien, toujours au
temps de Jésus). Juda s’est ainsi attribué symboliquement la puissance
d’Israël afin de faire de Jérusalem une grande capitale qu’elle ne fut jamais
ailleurs que dans le récit du règne de Salomon. Cette histoire a sans aucun
doute été compilée sous le règne de Josias (soit entre 639 et 609) afin de
servir de fondement idéologique à des ambitions politiques et à des réformes
religieuses particulières. Après Josias, c'est l'Exil pour les élites (façon pour
les vainqueurs de gérer les populations vaincues). Les Juifs se demandent
pourquoi Yahvé les a abandonné et si les dieux babyloniens ne sont pas plus
forts. D'où une réécriture de l'histoire dans un sens religieux : c'est la faute au
fils d'Ezéchias qui a commis toutes les horreurs possibles selon le corpus
biblique. Le groupe des exilés ne va pas se noyer dans la religion
babylonienne : il transforme sa vision pour résister à l'adversité et conserver
son unité autour de l'idée que Yahvé est le plus puissant des dieux. C'est le
début du monothéisme.
Puis a lieu la réforme religieuse en Judée avec le retour de ces élites grâce
aux Perses. Les exilés s'installent au pouvoir avec Esdras comme prêtre et
Néhémie comme gouverneur de -450 à – 400. Le prêtre Esdras est envoyé
pour désigner les magistrats destinés à faire respecter la loi de Yahwé et la loi
du Roi, notamment l’interdiction du mariage mixte. Actuellement c’est en lui
que la recherche historique reconnaît le personnage de Moïse. Ils fondent un
monothéisme absolu. Le seul Temple est à Jérusalem (il y avait avant d'autres
sanctuaires : ex : celui de l'île Eléphantine en Egypte). Mais toujours une
concurrence avec l'ex-Israël (ou Samarie). Attention, à cette période, volonté
d'un monothéisme absolu mais dans les faits, hénotéisme (étape entre
polythéisme et monothéisme : un dieu principal, et des dieux secondaires).
Politiquement il y a la fois autonomie interne et sujétion au pouvoir royal
perse avec paiement de tribut; réciproquement le roi Perse est à la fois le
protecteur et le garant de la loi locale avec une reconnaissance officielle de
cette religion.
Ainsi, le plus gros de ce que l’on tient généralement pour authentique – les
histoires des patriarches, l’Exode, la conquête de Canaan, la saga de la
glorieuse monarchie unifiée de David et Salomon – sont, en réalité,
l’expression de l’élan créatif d’un puissant mouvement de réformes
religieuses durant l’âge du Fer récent (900-586) s’appuyant sur des éléments
de mémoire collective plus ou moins avérés. Les auteurs appuient cette thèse
sur la fait que la rédaction sophistiquée du récit biblique nécessitait une
conscience nationale collective, un stade avancé de l’Etat (conservation
d’archives, correspondance administrative, composition de chroniques
royales…), une certaine alphabétisation. Tout cela ne semble vraiment acquis
Au point de vue religieux, la fin du culte sacrificiel
a radicalement changé la manière de rendre
hommage à la divinité. Or les manuels scolaires
mélangent tout, premier, second Temple et
judaïsme moderne. De plus la culture juive est très
diverse : cultures ashkénaze, séfarade, judéo-arabe
pour les principales… falacha pour les plus
exotiques, les langues, yiddish, ladino, arabe,
l’hébreu n’étant qu’une langue liturgique avant sa
renaissance moderne en Israël. Il est hors de
question de faire des juifs les descendants des
Hébreux, tout au plus en sont-ils des héritiers qui
plus que d’autres brouillent le message.
Ce pays, quel est son nom et sous quel nom le
désigner ? Canaan, c’est le nom de la Genèse et de
la conquête dans le livre de Josué, Israël, c’est le
nom du peuple mené par Moïse, celui d’un des
royaumes des Hébreux et le nom moderne d’un
pays. Royaume d’Israël ? Royaume de Juda ? La
Judée ? La Palestine est le nom grec et romain
mais Palestinien désigne aujourd’hui un peuple.
C’est étymologiquement la terre des Philistins, ce
qui donne de drôles de résonances aux conflits
contemporains. La Terre Promise ? La Terre Sainte
? Ce sont des points de vue religieux qu’on ne peut
utiliser à l’école laïque. J’utilise plutôt en classe le
mot Canaan car il n’a aucune résonance dans le
présent, ou le nom des deux royaumes, royaume
d’Israël et royaume de Juda. Mais il n’est pas
valable sur la période du second Temple où
j’utilise le mot Judée.
Ce peuple, quel est son nom, comment le désigner
? Dans la Torah, il s’appelle Israël, les descendants
de Jacob-Israël et de ses douze fils, les douze
tribus d’Israël, mais ce nom sème la confusion
avec les autres sens du mot Israël. Ce peuple est
aussi appelé les Hébreux et plus tard les Israélites.
Les archéologues appellent Israélites les habitants
des hautes terres de Canaan. J’utilise les mots
habitants du royaume de Juda, ou Judéens et
habitants du royaume d’Israël ou Israélites lorsque
cela est nécessaire. J’utilise aussi le mot Hébreux
avant l’exil, car il a le mérite de la simplicité et
qu’il renvoie à la lettre des programmes (donc des
titres des leçons du livre !), le mot Juifs après l’exil
et le mot juifs après la destruction du second
Temple dans le cadre de la Diaspora .
12
qu’au VIIème et non à l’époque de David et Salomon (comme la recherche
traditionnelle l’affirme). L’exclusivisme yahviste doit donc apparaître comme
la nécessité de maintenir une identité nationale face aux risques de
dissolution et de dilution face à la superpuissance assyrienne qui imposait ses
dieux en même temps que sont tribut. En outre, on constate à cette époque
une évolution vers un aniconisme radical (stèles bannies des sanctuaires
israélites à cette époque).
L’archéologie donne deux origines aux Israélites. Deux grandes modèles
s’opposent : celui de l’infiltration pacifique et celui de la révolte paysanne.
Tous deux donnent aux Israélites une origine autochtone due aux
bouleversements des XIIIe et XIIe siècles av. J.-C.
Le premier modèle est celui de l’infiltration pacifique des nomades : il a été
développé dans les années 1920-30 par Albrecht Alt et Martin Noth. Ce
modèle, basé sur l’archéologie et des études ethnographiques modernes, est
celui que défend Israël Finkelstein (archéologue, directeur de l’institut
d’archéologie de Tel-Aviv). Des peuples autochtones semi-nomades vivaient
depuis longtemps en bordure du désert. Ils avaient des troupeaux. Vers le
XIIIe siècle, ils migrent massivement vers les hautes terres de Judée et de
Samarie. Sans doute à cause de la destruction des cités de Canaan par les
Peuples de la Mer. Le système d’échange entre éleveurs et cultivateurs
n’existe plus et oblige les anciens nomades à occuper de nouvelles terres et à
devenir cultivateurs. Ces villages de montagne (on en a retrouvé beaucoup)
sont peu peuplés et la population des collines est évaluée à quarante-cinq
mille habitants vers le Xe siècle.
L’autre modèle est celui de la révolte paysanne ou du retrait : il a été
développé dans les années 1960 par George Mendenhall de l’université du
Michigan et les années 1980 par Norman Gottwald de l’université de
Berkeley. Il est aujourd’hui défendu par William G. Denver de l’université
d’Arizona. Ce modèle s’appuie sur l’archéologie en Israël et en Égypte, entre
autres les tablettes et Tell Armana et la stèle de Méneptah. Des populations
rurales se seraient retirées sur les hautes terres au XIIIe siècle pour échapper
au contrôle des cités-états de la côte. Elle auraient organisé un mode de vie
relativement communautaire avant de s’organiser en états plus structurés et
moins égalitaires.
Quoi qu’il en soit, ces deux thèses montrent que les premiers Israélites
n’étaient pas différents des Cananéens qu’il sont pourtant, selon la Bible,
censés avoir âprement combattus. Les Israélites ont un Dieu (Yahvé) qui
cohabite avec toutes les divinités de la région (ce que la bible reconnaît). Les
fouilles des ossements de ces premiers villages Israélites ont révélé une
particularité qui les distingue des peuples voisins : ils ne mangent pas de
porc.
D’après la Bible, l’empire de Salomon éclate à sa mort en deux royaumes :
Israël au nord (capitale Samarie) et Juda au sud (capitale Jérusalem). En fait,
il semble bien que les deux royaumes n’ont jamais été unis mais tous les
deux avaient beaucoup de points communs : ils vénéraient Yahvé — entre
autres divinités — avaient un fond commun de contes et des héros, des
langues proches, un même alphabet. Leurs réalités géographiques sont très
différentes. Israël a de nombreuses terres fertiles et se spécialise dans l’olivier
et la vigne. Le pays est traversé par la grande route commerciale qui relie
l’Égypte à la Mésopotamie. Il compte trente-cinq mille habitants avant sa
défaite face aux Assyriens. Juda est un territoire inhospitalier entre
Jérusalem, Hébron et Beersheba, un pays rocailleux, escarpé et isolé.
Dans le royaume d’Israël, les Israélites se sont mélangés à d’autres
populations autochtones. On y célébrait tous les dieux. Ce royaume est au
IXe siècle une puissance régionale d’importance. Les fouilles des années
1980-90 ont définitivement attribué à la dynastie omride les constructions
autrefois attribuées à Salomon comme les écuries de Meggido construites
pendant l’époque royale (fouillées en 1998-2000). Alors que ce pays a connu
une authentique prospérité, en particulier au VIIIe siècle mais aussi de graves
inégalités sociales dénoncées par les premiers prophètes, il est décrit dans la
Bible comme corrompu et impie ; ses rois vénèrent d’autres dieux, se marient
à des princesses étrangères (le modèle est Jézabel la fille du roi des
Sidoniens, la femme d’Achab, fils d’Omri dans le premier Livre des Rois), et
donc rompent l’Alliance avec Yahvé. Les rédacteurs de la Bible rejettent le
modèle de ce pays cosmopolite ouvert à toutes les influences étrangères, aux
13
cultes polythéistes mais aussi aux élites arrogantes stigmatisées par les
prophètes. Le royaume d’Israël fait au VIIIe siècle des conquêtes au-delà du
Jourdain avant de se heurter à la puissance de l’Assyrie ; cet empire ne se
contente plus d’avoir des vassaux qui peuvent se révolter. En dix ans, entre
730 et 720 av. J.-C., le royaume d’Israël est détruit, sa capitale Samarie est
brûlée et les élites du pays sont déportées en Assyrie. Une partie de la
population reste dans le pays et certains se réfugient dans le royaume frère
voisin, le royaume de Juda qui a conservé son indépendance , tandis que des
Assyriens sont installés en Samarie.
Après la disparition du royaume du nord, le royaume du sud connaît une
évolution accélérée. Pendant deux siècles, ce royaume marginal avec une
population dispersée (pas plus de quarante mille habitants au milieu du VIIIe
siècle av. J.-C.) double le nombre de ses habitants. Jérusalem devient une
véritable ville de quinze mille habitants environ avec un grand temple.
L’écriture et l’alphabétisation se développent. Comme son voisin du nord, il
compte de nombreux cultes, à Jérusalem et dans les campagnes, à Yahvé, à
Ashérah sa déesse associée et d’autres divinités. La chute du royaume
d’Israël, l’arrivée massive de réfugiés parmi lesquels des élites intellectuelles,
change les structures démographiques et économiques du pays. Le royaume
de Juda connaît une forte croissance économique (production d’huile) avec
un renforcement des inégalités sociales. Ces transformations permettent de
soutenir le développement d’un état de sa bureaucratie.
Deux attitudes s’offrent à ce royaume : la soumission aux puissants voisins
(Assyrie puis Égypte) ou l’affirmation d’une identité nationale et d’une
indépendance sourcilleuse. Dans la première attitude, tous les dieux seraient
célébrés : Yahvé mais aussi Baal et bien d’autres. Dans la seconde, Yahvé
devient l’unique Dieu et le peuple qui le vénère le peuple élu. C’est cette
tendance qui triomphe définitivement avec le roi Josias (639-609 av. J.-C.)
dans une perspective hénothéiste. Les autres cultes doivent être éradiquées.
Josias fait rénover le Temple de Jérusalem et y “découvre” le livre de la loi
censé être le code légal que Dieu avait remis à Moïse. Durant cette fin de
VIIe siècle, la loi et l’écriture de la Bible, ou plutôt sa première compilation
sont l’œuvre des scribes et des prêtres du Temple de Jérusalem. Leur but est
de légitimer le royaume de Juda, de lui donner des origines nobles, une
histoire édifiante, de disqualifier tous les ennemis, d’identifier la survie du
royaume à l’affirmation d’une religion unique et particulière et d’expliquer
que tous ceux qui se sont écartés de cette voie ont été punis par Dieu.
L’archéologie cependant ne valide pas la destruction par Josias des autres
cultes, temples et autels que celui de Yahvé à Jérusalem, mais le
Deutéronome et toute la littérature deutéronomiste portent traces des
réformes engagées sous le règne de ce nouveau David, renouvelant l’Alliance
avec le Dieu unique.
Profitant de la chute de l’Assyrie, le royaume de Juda tente de s’étendre et
d’essayer de reconquérir une partie de l’ancien royaume d’Israël. Il est défait
par les Égyptiens, puissance montante de cette fin de VIIe siècle. Les
Babyloniens qui ont détruit l’empire assyrien donnent le coup final au
royaume de Juda, en 586 av. J.-C., le Temple est détruit.
L’exil à Babylone concerne une partie de la population seulement : la famille
royale, les élites et les artisans spécialisés sont déportés. À partir de 539 av.
J.-C (Édit de Cyrus) et tout au long du Ve et du IVe siècles av. J.-C., les Juifs
(on appelle dès lors ce peuple descendant du royaume de Juda, Yehouda, les
Yehoudim, leur terre est Yehoud, la Judée, les noms viennent de l’araméen)
rentrent d’exil et refondent le Temple (livres d’Esdras et de Néhémie). Ce
retour ne se fait pas sans conflits avec les voisins. La reconstitution de la
communauté se fait autour du Temple restauré et du Grand Prêtre. Pourtant
une grande partie des Juifs ne rentre pas et reste en Diaspora. Ce poids de ces
groupes d’expatriés restés dans les capitales est essentiel dans la rédaction
des livres bibliques et cette dimension de la Diaspora est à prendre pour tout
le reste de l’Histoire juive.
Si une partie du texte biblique a été écrit sous Josias, beaucoup de passages
ont été écrits ou réécrits à Babylone pendant l’exil, puis en Judée au retour
d’exil. La rédaction finale et la mise en forme de la Bible hébraïque date des
deux siècles de la domination achéménide, et l’idéologie qu’elle véhicule
reflète cette époque ; la réflexion se porte sur la punition divine qui a entraîné
la destruction du Temple et la fin de la monarchie. Yahvé remplace les rois
14
déficients comme souverain de son peuple, et l’existence du peuple juif
s’affirme avec un Dieu unique et un Temple central à Jérusalem. La fixation
des grandes fêtes juives et du sabbat date de cette époque et a pour but de
souder la communauté. Dans l’exil, la religion s’est transformée car elle
n’avait plus d’Etat : multiplication des aspects rituels et des signes distinctifs
pour ne pas se fondre dans la société des non-Juifs, respect rigoureux de la
Torah. De peuple polythéiste avant Josias, les Hébreux sont devenus
hénothéistes, puis monothéistes lors du second Temple. Leur Dieu n’est plus
seulement Dieu unique d’un peuple, mais Dieu universel, seul vrai Dieu
devant lequel toutes les nations doivent s’incliner.
Durant l’exil puis le second Temple, la Bible écrite sous le roi Josias est alors
retravaillée, pour donner définitivement à ce peuple désormais sans roi une
identité par sa religion, un peuple à présent dirigé par son clergé. Les causes
de l’exil sont mises en évidence. Ce sont les infidélités récurrentes du peuple
et de ses rois qui ont entraîné la sanction divine, la servitude et l’exil :
alliance divine, infidélité et châtiment, puis miséricorde et salut, tel est le
schéma qui traverse toute la Bible. La refondation du Temple par Esdras doit
mettre fin à cet enchaînement. L’image du prophète telle qu’elle se dégage de
la Bible actuelle se fixe aussi à cette époque avec cette relecture
providentielle de l’histoire du peuple élu. La prophétie disparaît avec la fin de
l’espoir de la restauration de la monarchie davidique mais l’image du
prophète joue désormais un rôle dans la formation de la conscience nationale
et l’espérance du salut : successeurs des patriarches et des juges— le premier
d’entre eux est le prêtre Samuel — porteurs de la parole de Dieu à son
peuple, les prophètes se sont plus les messagers envoyés vers le roi mais les
hérauts de la royauté de Yahvé. Plus que les rois qui ont failli, les prophètes
deviennent centraux dans l’économie du salut d’Israël. La perspective de
restauration monarchique enterrée est relayée par l’espérance messianique :
messie signifie en hébreu l'oint, l’onction divine passe des rois à une
espérance de salut.
Les Juifs et l’hellénisme : les dominations grecques et romaines
Cette période nous est beaucoup mieux connue grâce à la multiplicité des
sources écrites, en particulier grecques ou latines, et juives hors de la Bible
(Philon d’Alexandrie, Flavius Josèphe…) et les sources archéologiques. Les
récits de la Bible concernant cette période ne sont pas reçus comme
canoniques dans toutes les traditions : il faut dire que les livres de Judith ou
des Maccabées, tout nationalistes qu’ils soient, ont été rédigés en grec et donc
rejetés ultérieurement dans la tradition juive. Il est vrai que cette période se
caractérise par l’ouverture de la tradition biblique et par sa traduction, à
commencer par la Bible d’Alexandrie (les Septante) et le rajout d’une
cinquantaine d’autres écrits, dont certains sont reçus comme canoniques par
les traditions chrétiennes et d’autres non ; ce sont les livres
deutérocanoniques ou apocryphes. Par exemple, les Maccabées n’existent pas
dans la Bible juive, il y a deux livres dans la Bible catholique et dans la Bible
protestante (mais rangés au nombre des livres apocryphes), et quatre livres
dans la Bible orthodoxe. C’est que la Bible, ta bibla en grec, n’est pas un
livre, c’est une bibliothèque dont la pluralité est inscrite jusque dans le pluriel
de son signifiant.
Comme toutes les civilisations à la période hellénistique, le judaïsme
rencontre les autres civilisations, à commencer par l’hellénisme après la
conquête d’Alexandre (333 av. J.-C.), puis la domination romaine (63 av. J.C. prise du Temple par Pompée). Si cette rencontre ne se fait pas sans heurts,
elle est également une période de rencontres, de mélanges à commencer par
la traduction dans le cadre de la Diaspora à Alexandrie. C’est aussi la
naissance d’une littérature de combat, les apocalypses, depuis le livre de
Daniel jusqu’aux apocalypses rédigées au Ie siècle, qui marquent une
ambiance de crise morale et religieuse et au point de vue du dogme
l’invention de la notion du Salut.
Sans entrer dans les détails, on constate à la fois une lutte contre l’hellénisme
(par exemple contre les réformes du grand prêtre Jason sous la domination
Séleucide) et une forte influence de celui-ci. Les dynasties hasmonéennes et
iduméennes, autonomes mais dépendantes des rois hellénistiques puis de
Rome, ont joué plusieurs cartes dont celles-là, sans compter celle du
nationalisme. Il faudrait aussi revenir sur les tensions sociales fortes qui
expliquent également la révolte de 70, et sur le rôle des sectes juives durant
15
ce premier siècle qui est aussi celui de Jésus-Christ. C’est au cours de cette
période qu’est embelli le Temple par Hérode, un roi, juif de fraîche date et
fortement hellénisé, temple dont le Mur des Lamentations est le mur
occidental.
La révolte juive de 70 (La Guerre des Juifs selon Flavius Josèphe) conclut
cette période. Cette révolte à la fois sociale et nationale commence en 66 et
se termine par le siège de Jérusalem et la destruction du Temple, la fin du
culte sacrificiel. La Judée perd son indépendance et le vainqueur soumet les
Juifs à des mesures vexatoires. En 132-135, la révolte de Bar Kokhba échoue,
dorénavant Jérusalem, devenue Aelia Capitolina, est interdite aux Juifs, et
l’emplacement du Temple accueille des sanctuaires païens ; de nombreux
villages de Judée et Samarie sont alors abandonnés, la province s’appelant
dorénavant Syrie-Palestine.
Après 70 : la naissance du judaïsme rabbinique.
Après 70 et surtout après 135, les Juifs sont devenus minoritaires en
Palestine, et même si la Terre promise reste un idéal, elle est peuplée de
goyim et les frontières de cet Eretz Israel sont de plus en plus floues. Aux
nombre des juifs « de souche » peuplant le monde on ajoutera les prosélytes ,
nombreux durant cette période autour du bassin méditerranéen et jusqu’en
Mésopotamie . L’avenir des juifs se joue en Palestine paganisée et dans la
Diaspora.
La question du culte sans le Temple s’était déjà posée lors de la période
exilique (après 586 av. J.-C.) et dans la Diaspora. La chute du Temple est une
rupture, mais avant cette chute des solutions de continuité du culte avaient
déjà été élaborées autour de la Torah, des synagogues et des rabbis. Le
sacrifice sanglant et l’institution du Temple avaient déjà été remis en cause
avant 70, par exemple par une secte comme les Esséniens. Les solutions se
sont élaborées sur une interprétation plus spirituelle du texte et de ses
obligations. Commence alors un travail de transmission, de commentaires et
d’exégèses qui engage le judaïsme dans une voie nouvelle. Ce travail est
compilé dans la Mishna, et les Talmud (Jérusalem et Babylone), il est
composé de commentaires de nature juridique, la Halakha, et d’autres de
nature historico-doctrinale, la Haggada.
L’importance de cette œuvre peut faire apparaître le judaïsme comme
ritualiste et juridique, commentant la Loi à l’infini. Mais de nombreuses
sentences de rabbis rappellent que la morale et la spiritualité sont supérieures.
Et les juifs vivent désormais au milieu des païens et doivent s’adapter au
monde, vivre pieusement sans se couper du reste de la société ; c’est à ces
très nombreuses questions que doivent répondre les rabbis de manière
pragmatique. Cette adaptation conduit parfois jusqu’à un certain syncrétisme,
comme on peut le voir sur le programme pictural de la synagogue de DouraEuropos en Mésopotamie. Le judaïsme doit dorénavant s’adapter sans se
renier. Les juifs doivent s’adapter au monde tout en gardant leur spécificité.
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
La Bible serait donc une œuvre nationaliste et panisraëlite : le récit patriarcal
permet de donner une ascendance commune à des tribus et traditions éparses.
C’est une préhistoire pieuse d’Israël qui décrit les prémisses de la nation,
définit ses frontières, embrasse les traditions du Nord-Israël- (/ Jacob) et du
Sud-Juda- (/Abraham) tout en voulant signifier que ce peuple vient d’ailleurs.
Il s’agit en outre, et malgré tout, d’insister sur la supériorité de Juda. D’où
l’ancrage géographique donné à Abraham, la place donnée aux cités
d’Hébron, Shalem et surtout Jérusalem. La peinture des patriarches sous les
traits de pâtres nomades était sans doute destinée à conférer une atmosphère
de très haute antiquité à la description de ce stade de formation d’une société
qui n’avait que récemment développé une conscience nationale clairement
définie. Pour résumer : la source J, décrit la protohistoire d’une nation, tandis
que l’histoire deutéronomiste se penche, elle, sur des événements plus récents
et insiste surtout sur l’idée panisraélite, sur la protection divine dont bénéficie
la lignée de David et sur la centralisation du culte au Temple de Jérusalem.
Tout l’art du récit biblique est de nous présenter les fils d’Abraham, d’Isaac
et Jacob, comme les membres d’une seule et même famille. Le pouvoir
d’évocation de la légende les a donc réunis pour l’éternité de façon plus
profonde et efficace que le récit d’aventures éphémères de quelques individus
historiques, simples nomades des hautes terres de Canaan.
Activités, consignes et productions des élèves :
. extraits de la Bible.
. Temple de Jérusalem
Il s'agit de montrer aux élèves l'existence de
légendes mésopotamiennes qui ont influencé les
rédacteurs de la Bible (par exemple L'Épopée de
Gilgamesh ou le Poème du Supersage où le déluge
dure sept jours, est représenté par un orage qui
devient un ouragan et perçu comme une punition
divine. La purification par l'eau est fortement
symbolique dans de nombreuses religions). Selon
une hypothèse récente, le Déluge biblique
correspondrait à la création soudaine de la mer
Noire, suite à l'ouverture du détroit du Bosphore,
survenue il y a 8 000 ans environ. La montée du
niveau de la Méditerranée, suite à la fonte des
glaciers, a provoqué la rupture de la chaîne
montagneuse et le déversement de millions de km3
d'eau, qui a inondé toute une région, noyant des
milliers de personnes. Comme pour la "création du
monde" et le problème du "mal", les Hébreux ont
recueilli l'extraordinaire héritage culturel de Sumer
16
Cette religion se caractérise dès Moïse par la reconnaissance d'une seule
divinité : le tétragramme « YHWH » prononcé Yahvé (« celui dont le nom
est celui qui n’a pas de nom »). Cette religion s'appuie sur une loi
fondamentale symbolisée par le Décalogue (VIe ou Ve siècle avant J.-C.
mais qui a subi des modifications dans le temps) qui régit les relations entre
les hommes et Dieu, et entre les hommes eux-mêmes. Le yahvisme impose
un engagement de choisir Yahvé comme seul Dieu et donc de rejeter les
autres divinités. Dieu lui-même protégeant le peuple qu'il a élu : c'est la
condition de l'Alliance. Durant l'exil, cette religion devient un monothéisme
total niant le caractère divin des autres dieux qui ne sont plus que des idoles,
interdisant toute représentation de Dieu. C'est la traduction, à Alexandrie, de
la Bible en grec entre le IIIe et le Ier siècle avant notre ère qui permit
l'extraordinaire essor du livre le plus traduit au monde.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
L’idée que les Juifs modernes forment un peuple descendant des anciens
Hébreux est remise en cause par des historiens comme Shlomo Sand. Selon
lui, la diaspora juive ne naquit pas de l’expulsion des Hébreux de Palestine,
mais serait issue de conversions successives en Afrique du Nord, en Europe
du Sud et dans le Caucase. Et, comble de l’ironie, les descendants les plus
directs des anciens Juifs seraient les actuels Palestiniens. D’autres historiens
ont déjà conclu à des conversions massives au judaïsme pour expliquer
l’importance de certaines communautés juives. Depuis deux ou trois
décennies, nombre de travaux ont déconstruit l’histoire traditionnelle des
nations, dont celle d’Israël. S’appuyant sur toutes ces recherches, S. Sand
peut montrer comment le « roman national » juif s’est mis en place et
continue à se perpétuer : de même que chaque nation européenne a, au XIXe
siècle, identifié son histoire à celle d’un peuple ayant des origines lointaines,
les Juifs se seraient inventé une histoire qui les rattache à des « grands
ancêtres » avec lesquels ils n’avaient en commun que la religion.
et de Babylone.
L'étude du temple permet de faire des
rapprochements avec les temples égyptiens. Elle
permet aussi de montrer les rituels religieux des
Hébreux. Par ailleurs, les élèves peuvent
s'interroger sur la différence entre croyance et
scepticisme historique.
Evaluation cohérente en fonction des objectifs :
17
HA – Les cités grecques et la colonisation
Approche scientifique
Approche didactique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
Insertion dans les programmes (avant,
spatiale) :
après) :
L'histoire grecque donne une impression un peu décousue, voire parfois confuse,
c'est pourquoi plutôt que de tracer un déroulement chronologique, les historiens
préfèrent diviser le temps selon des périodes qui correspondent aux grandes
tendances politiques et artistiques (époque mycénienne, époque homérique, époque
archaïque et époque classique). Il est important d'insister sur le fait que, dans
l'Antiquité, la Grèce, au sens strict n'existe pas, et que ce terme se révèle inadéquat
pour évoquer le pays des Hellènes.
La Grèce a connu trois phases principales d'expansion : la première durant les âges
obscurs (XIe-IXe siècles), qui a vu des Grecs s'établir sur les côtes de l'Asie
Mineure, la deuxième du VIIIe au VIe siècle, et la troisième qui correspond à la
période des conquêtes d'Alexandre le Grand (336-323), lequel porte l'hellénisme
jusqu'aux rives de l'Indus. Seule la deuxième phase est ici présentée, dans la mesure
où c'est la seule période durant laquelle des Grecs s'établissent sur toutes les rives
de la Méditerranée, de Marseille au Caucase, de Thasos à Cyrène.
La colonisation met en scène une ville-mère (métropole) qui envoie des colons
fonder une nouvelle cité (la colonie), pour des raisons commerciales (faire du
commerce), agraires (trouver de nouvelles terres pour accueillir un excédent de
population) ou politiques. Les deux cités restent liées par des liens surtout
religieux. On distingue deux grandes périodes de colonisation : lors de la première
(775-680av. J.-C.), la colonisation touche le sud de la péninsule italienne et la
Sicile ; elle est effectuée surtout par des Eubéens. Lors de la seconde vague (VIIe et
VIe s. av J.-C.), les colons sont aussi des Grecs des îles et d'Asie Mineure, ainsi que
des Grecs des colonies fondées lors de la période précédente. C’est alors que les
colonies sont fondées beaucoup plus loin (Méditerranée occidentale, Cyrénaïque,
Pont-Euxin et mer d'Azov). Les Grecs se retrouvent ainsi autour de la
Méditerranée, comme « des grenouilles autour d’une mare ».
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
MOSSE (Cl.), La colonisation dans l’Antiquité, Paris, Nathan, 1970.
G. VALLET, Le monde grec colonial d‘Italie du Sud et de Sicile, Rome, coll. Ecole Fr. de Rome, n° 218, 1996.
CASEVITZ (M.), Le vocabulaire de la colonisation en grec ancien, Paris, 1985.
RIDGWAY, Les premiers Grecs d’Occident. L’aube de la Grande Grèce, 1992.
Boardman J., Les Grecs d’Outremer. Colonisation et commerce archaïques, Naples 1995
Gras M., La Méditerranée archaïque, Paris 1995
Guzzo Pier Giovanni, Magna Grecia. Les colonies grecques dans l’Italie antique, Paris 1996
Lamboley J.-L., Les Grecs d’Occident. La période archaïque, Paris 1996
Lepore E., La Grande Grèce. Aspects et problèmes d’une colonisation ancienne, Naples 2000
Le Pont Euxin vu par les Grecs. Sources écrites et archéologie, Paris 1990
Documentation Photographique et diapos :
La colonisation grecque en Occident, La Documentation Photographique, n° 5300, 1969
Revues :
« Comment les grecs ont colonisé La Méditerranée » - Hervé Duchêne, L'Histoire, 07/2004 | n°24 | Le monde d'Ulysse
Carte murale : Le monde grec sur une carte du bassin méditerranéen aux VIIIe - VIIe siècle av. J.-C.
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, Enjeux didactiques (repères, notions et
concepts, problématique) :
méthodes) :
La Grèce n'a jamais été unifiée politiquement dans l'Antiquité, mais les
L’étude porte sur l’organisation politique et
établissements hellènes qui jalonnaient la Méditerranée se sentaient liés par une
sociale. Volonté dans le socle commun
communauté de civilisation foncièrement originale. Le coeur du monde grec est
d’insister sur les événements majeurs et les
baigné par la mer Égée, de la péninsule balkanique à la côte d'Asie Mineure en
grandes figures de l’histoire de la Gaule
passant par les îles. Au VIIIe siècle avant J.-C, la vague de colonisation y ajoute
(d’où rajout de la fondation de Marseille par
des établissements autour de la mer Noire et sur le pourtour de l'Italie du Sud et de
les Phocéens).
la Sicile, puis les cités essaiment à l'ouest du bassin méditerranéen et sur la côte
nord de l'Afrique.
Ce phénomène a produit plusieurs conséquences majeures sur le plan politique et
social : la mise en place des procédures qui règlent les expéditions coloniales,
l’élaboration de nouveaux projets urbains, la création d’un système de relations,
violentes ou pacifiques, avec les populations indigènes, l’interaction avec les citésmères. Les conséquences culturelles ont été également très importantes : les
milieux coloniaux ont été les foyers importants d’élaboration de la culture
figurative et architecturale, de circulation de l’écriture à usage public et privé, de
18
construction des normes juridiques. Ils ont favorisé la diffusion de courants
philosophiques et de savoirs spécialisés, telles la médecine et le savoir faire
artisanal.
Hormis la Grèce propre et le monde insulaire égéen, toutes les « Grèce » sont le
résultat d'une colonisation qui date de l'époque archaïque. Au-delà de l'extrême
diversité de leur situation et de leur histoire, ceux qui les peuplent ou, au moins,
ceux qui les dirigent parlent le grec. S'il n'y a pas de rite de fondation proprement
dit, avant le départ, il faut consulter un oracle. Le schéma simplifié de la
colonisation est le suivant. Un groupe d'hommes s'embarque sous la houlette d'un
chef de l'expédition. Le point d'arrivée détermine l'installation. Les habitants
devront de gré ou de force céder la place. Après un certain temps de
développement, naît une nouvelle cité ; elle a transplanté la flamme du foyer de sa
cité mère, elle en adopte le plus souvent les dieux et les institutions politiques,
tandis que sa structure sociale doit s'adapter aux conditions de ce déracinement
collectif qui a rejeté l'héritage complexe de traditions ancestrales. Il n'y a de la part
de la cité mère aucun contrôle, mais un libre jeu d'influences réciproques,
exceptionnellement des tentatives pour utiliser les colonies à des fins impérialistes.
Les causes du départ sont variées. Les colonies sont fondées par des cités trop
peuplées qui possèdent une organisation politique et économique et qui ont une
connaissance de la mer. Les colons vont chercher de bonnes terres cultivables. Ce
mouvement créa un sentiment de solidarité panhellénique. Dans ces colonies, la
civilisation grecque brille vivement, surtout en Grande Grèce et en Sicile.
Chalcis, Mégare et Corinthe en Grèce d'Europe, Phocée, Milet et Rhodes en Grèce
d'Asie sont les principales cités à l'origine de la colonisation.
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
I. De multiples causes de départ
La première question qui se pose, face à ce mouvement de colonisation qui débute
dans le courant du VIIIe siècle, c'est naturellement de chercher à comprendre
pourquoi des habitants de la Grèce continentale ou insulaire décident de s'expatrier.
Les réponses sont multiples mais la cause essentielle tient certainement à un
surpeuplement relatif : dans une Grèce au sol ingrat, une augmentation même
légère de la population entraîne l'impossibilité de nourrir tous les habitants ; s'y
ajoute une répartition inégale de la propriété foncière. C'est donc la soif de terre qui
provoque le départ de nombreux Grecs vers des horizons nouveaux. S'y ajoutent les
conséquences de luttes politiques dans certaines communautés grecques : le clan, le
parti qui a le dessous choisit l'exil pour échapper à un sort peu enviable. Selon
Strabon VI, I, 6, des Messéniens participent avec des Chalcidiens à la fondation de
Rhégion, après avoir été chassés par leurs compatriotes ; les Chalcidiens, eux, ont
fui la disette en Eubée, qui était telle que la cité avait décidé de chasser un dixième
des habitants. Tarente est fondée par les Parthéniens qui seraient des enfants nés
d'unions illégitimes de femmes spartiates, qui auraient été expatriés par Sparte.
Corcyre et Syracuse sont fondées par Archias, un Bacchiade de Corinthe condamné
pour meurtre. La conquête de Cyrus a amené les Phocéens en 545 à décider le
transfert de leur cité sur la côte orientale de la Corse, à Alalia (Hérodote I, 164).
L'esprit d'aventure a pu aussi jouer un rôle, même si l'aventure est plus souvent
subie que voulue. Ainsi le Samien Kôlaios, embarqué pour l'Égypte, est, selon
Hérodote (IV, 152), entraîné par le vent d'est jusqu'à Tartessos, au-delà du détroit
de Gibraltar – les colonnes d'Héraklès –, d'où il revient avec la plus belle cargaison
qu'on puisse imaginer. Enfin le désir de faire du commerce animait certains Grecs,
désireux de vendre des productions grecques et de rechercher des matières
premières rares en Grèce. Cette dernière cause de départ n'est pas, comme on l'a cru
longtemps, intervenue seulement dans un deuxième temps, comme s'il y avait eu
d'abord une colonisation provoquée uniquement par la quête de terre : le premier
établissement grec en Occident fondé dès 770 à Pithécusses, dans l'île d'Ischia, n'est
pas une colonie agricole mais un lieu d'échanges entre Orient et Occident, avec la
présence de marchands phéniciens au côté des Erétriens venus d'Eubée, comme à
Al-Mina, sur la côte syrienne.
Les zones de départ sont les régions grecques au sol le plus pauvre, comme
l'Achaïe, la Locride, mais aussi les régions d'échanges comme l'isthme de Corinthe,
les îles ou les villes d'Asie Mineure, et parfois les villes les plus troublées par des
guerres intestines. On aurait tort de se représenter ces mouvements comme des
départs massifs. Ce sont, tout au plus, quelques centaines d'hommes jeunes qui se
mettent en route pour s'établir sur une terre nouvelle : Étienne de Byzance indique
que la colonie d'Apollonia d'Illyrie a été fondée par Gylax accompagné de deux
Activités, consignes et productions des
élèves :
BO futur programme : « Les foyers de la
civilisation grecque aux VIIIe - VIIe siècle
sont identifiés (cités, colonisation). La carte
de la Méditerranée grecque est mise en
relation avec des images et monuments
significatifs (trières, temples de Sicile…). On
présente la cité-État et la colonisation à partir
d’un exemple librement choisi. Raconter la
fondation d’une cité ».
19
cents Corinthiens, qui se sont ajoutés à d'autres colons, en nombre inconnu, venus
de Corcyre voisine. Hérodote (IV, 153) indique que Battos part de Théra avec une
expédition de deux pentécontores, soit environ une centaine d'hommes. La colonie
ne peut survivre que par les unions matrimoniales avec des femmes indigènes qui
assurent le renouvellement des générations et la pérennité de la nouvelle cité.
II. Les conditions de la colonisation
La fondation d'une colonie est toujours précédée d'une progressive découverte de la
région par des marins qui repèrent les sites favorables à l'établissement de colons,
susceptibles à la fois de leur fournir la terre dont ils ont besoin, éventuellement un
port bien abrité, et de toute façon la sécurité indispensable d'un site facile à
défendre ; le milieu indigène n'est, en effet, pas toujours prêt à accueillir avec
bienveillance de nouveaux occupants ; dans bien des cas, la rencontre des deux
mondes ne se conclut pas comme à Marseille, où Gyptis, la fille du roi des
Ségobriges, a choisi comme époux le chef de l'expédition phocéenne, Prôtis. La
situation n'est pas la même selon que la fondation se situe dans un pays de vieille
civilisation ou dans un pays moins évolué : dans l'Égypte pharaonique, les Grecs
sont cantonnés dans le comptoir de Naucratis, sans liberté de circulation à
l'intérieur du pays.
L'oracle de Delphes a été crédité d'un rôle important dans le choix des
implantations grecques autour de la Méditerranée ; Hérodote (IV, 157-158) le
montre bien pour l'expédition des gens de Théra vers Cyrène. Dans une société où
le sacré est omniprésent, il est normal que les hommes cherchent à mettre leurs
décisions en harmonie avec la volonté des dieux, et la Pythie peut les encourager
ou les dissuader dans leurs entreprises. De plus, beaucoup d'informations
rapportées par les marins, commerçants et soldats grecs circulent à Delphes, mais
on aurait tort de se représenter le sanctuaire d'Apollon comme une plaque
tournante, un centre d'orientation de tous les futurs colons grecs, selon un
programme préétabli.
Une fois le site d'implantation choisi, l'expédition s'embarque sous la direction de
l'œciste qui a la responsabilité du groupe. De plus, à l'arrivée, c'est lui qui procède
au lotissement de la terre attribuée à chacun et qui dirige l'organisation, souvent
précaire, de ce nouvel établissement. En quittant la cité-mère, les colons emportent
avec eux le feu et les cultes de la mère patrie, ce qui maintient une solidarité, une
parenté souvent affirmée plus tard dans des décrets votés dans l'une ou l'autre cité.
Souvent les institutions de la colonie reproduisent celles de la métropole ; il faut
pourtant observer que le monde colonial est un monde neuf, sans aristocratie
ancienne, une société plus égalitaire, au moins au départ. La nouvelle fondation est
totalement indépendante de la métropole ; elle constitue une nouvelle cité, et les
colons échangent leur citoyenneté d'origine contre celle de la colonie : les
Corinthiens partis fonder Syracuse deviennent des citoyens syracusains et cessent
d'appartenir au coprs civique de Corinthe. Pourtant Corinthe a l'originalité
d'entretenir souvent des liens étroits avec ses fondations, comme on le voit à
Potidée, fondée en 600 et qui reçoit toujours un magistrat annuel, l'épidémiourgos,
envoyé par la métropole avant 431. C'est aussi Corinthe qui se heurte violemment
avec sa colonie de Corcyre dans le premier combat naval connu dans le monde
grec, dès 664, ce qui est objet de scandale pour les Grecs.
III. Les zones de colonisation
Les implantations de colonies se réalisent au cours des trois siècles de l'archaïsme
grec (VIIIe-VIe siècles) : dans un premier temps, au VIIIe siècle, elles touchent à la
fois l'Orient et l'Occident ; au VIIe siècle, les mouvements s'orientent vers le nord
et vers le sud ; le VIe siècle est une période de consolidation, notamment dans le
Pont-Euxin.
La présentation est plus claire suivant un ordre géographique plutôt que
chronologique, en précisant que certaines côtes sont fermées à la colonisation
grecque, comme celles d'Afrique du Nord et de la péninsule Ibérique, du fait de la
présence phénicienne ou carthaginoise.
– La Syrie du Nord, la Phénicie, Chypre : Al-Mina, à l'embouchure de l'Oronte, est
le premier emporion fréquenté par les Eubéens, comme par les Chypriotes qui les
ont précédés. Ils sont par là en relation avec l'Assyrie et les autres royaumes
mésopotamiens. Par la suite, Samiens et Milésiens y prennent leur place et la
culture orientale marque les productions grecques.
– L'Égypte et la Cyrénaïque : Psammétique Ier (664-610) recrute des mercenaires
ioniens et cariens qu'il installe dans le delta. En 591, d'autres mercenaires gravent
20
des inscriptions en grec sur les statues géantes d'Abou-Simbel. Amasis (570-526)
concède aux Grecs le comptoir de Naucratis, selon Hérodote (II, 178-179), mais les
témoignages archéologiques font penser que la présence grecque à Naucratis est
plus ancienne. Ce sont les cités grecques d'Asie Mineure qui sont les plus présentes
à Naucratis : Samos, Milet, Chios, Téos, Phocée et Clazomènes pour l'Ionie,
Rhodes, Cnide, Halicarnasse et Phasélis pour la Doride, Mytilène de Lesbos pour
l'Éolide ; seuls les Éginètes représentent la Grèce d'Europe. Le commerce porte sur
le blé d'Égypte en échange d'huile d'olive, de vin et d'argent monnayé. Les Grecs
établis à Cyrène sont des agriculteurs venus de Théra dans la seconde moitié du
VIIe siècle.
– L'Italie, la Sicile et l'Occident : les Eubéens (Erétriens et Chalcidiens) s'installent
d'abord à Pithécusses (Ischia) dans la première moitié du VIIIe siècle et à Cumes en
Italie centrale, puis à Naxos (en 734), Léontinoi (en 728) et Catane en Sicile, à
Zancle, la future Messine, et à Rhégion sur le détroit. Les cités de l'isthme fondent
Syracuse (en 734) et Mégara Hyblæa six ans plus tard, les Syracusains essaimant
ensuite vers Akrai en 663 et Camarina. Rhodiens et Crétois fondent ensemble Géla.
Les Achéens s'établissent à Sybaris vers 720, à Crotone vers 710, Kaulonia,
Métaponte à la fin du VIIIe siècle, Poseidonia, la future Pæstum. Sparte crée
Tarente dans la dernière décennie du VIIIe siècle ; Colophon, Siris juste avant 650 ;
les Locriens, Locres épizéphyrienne en 673 selon Eusèbe. Au VIIe siècle, Mégara
Hyblæa fonde Sélinonte en Sicile occidentale, et Zancle Himère dès 549 ; Géla crée
Akragas (Agrigente) vers 580 ; enfin, les Phocéens, chassés d'Alalia en Corse
orientale par la coalition des Étrusques et des Carthaginois, s'établissent à Élée
(Vélia) vers 535. Au-delà, dès 600, d'autres Phocéens avaient fondé Marseille ;
Emporion (Ampurias) est de peu postérieure.
– Le Nord : si la mer Noire peut être l'objet d'un article plus développé, il reste à
relever l'établissement de colonies grecques sur les rives septentrionales de la
Méditerranée, d'une part dans l'Adriatique et d'autre part sur la côte septentrionale
de la mer Égée. Dans l'Adriatique, les Eubéens ont précédé les Corinthiens à
Corcyre et à Orikos. Ces derniers chassent les Érétriens et fondent leur importante
colonie de Corcyre dès 733. Après leur conflit illustré par la bataille navale de 664,
les deux cités unissent leurs efforts pour la fondation d'Épidamne-Dyrrhachion en
627 et, avant la fin du VIIe siècle, celle d'Apollonia d'Illyrie, tandis que des
Cnidiens vont à Korcula (Corcyra Melaina) près de la côte dalmate. À la fin du VIe
siècle, Adria et Spina sont des emporia visités par des Grecs, notamment des
Athéniens, au contact de l'Étrurie padane. Au nord de la mer Égée, les Eubéens
colonisent les péninsules de Chalcidique, et Corinthe fonde en 600 Potidée à la
racine de la Pallène. Paros établit une colonie à Thasos vers 680, les gens de Chios
s'installent à Maronée, les Éoliens à Ainos et les Clazoméniens à Abdère.
Marseille, cité grecque
Phocée se trouve en Grèce d'Asie. C'est une cité dont le site se trouve sur la côte
d'Asie Mineure. Un groupe de Phocéens ont fondé la colonie de Marseille, près de
l'embouchure du Rhône.
On peut sans hésitation dire aujourd’hui que Marseille n’est pas cette ville "antique
sans antiquités" qu’on décrivait au XIXe. La cité phocéenne a raté de nombreux
rendez-vous avec son passé grec. Ne serait-ce que lors de la reconstruction à la
Libération d’une zone de 14 hectares du quartier du Panier, détruite par les nazis au
début de 1943, qui était cœur de la ville antique. Vers 1860, tout un quartier a été
rasé pour relier le Vieux-Port aux nouveaux bassins portuaires de la Joliette.
Depuis 1967 et la découverte d’un bout de muraille du IIe av. J.-C., la connaissance
de la colonie grecque a beaucoup progressé. En 1992-1993, on a découvert pêlemêle, place Jules-Verne, un quai et des chantiers navals, puis deux embarcations
dans un état de conservation exceptionnel. En 1997, les archéologues ont mis à jour
un élément de construction du début du VIe avant notre ère, interprété tantôt
comme un quai du premier port, tantôt comme l'extrémité maritime de la
fortification de l'époque. Et tout récemment, en 2005, une équipe de l’Institut
national de recherches archéologiques préventives (INRAP) a commencé à dégager
les vestiges de ce qui était apparemment un important complexe civil ou religieux,
richement décoré, daté de 550 avant J.-C., donc du premier siècle de l'établissement
phocéen
Aux dires des spécialistes, elle fut la plus importante cité grecque de l’extrême
Occident, où au Ier siècle avant J.C.vivaient entre 10.000 et 20.000 habitants sur
une cinquantaine d’hectares. A un moment où Rome, la nouvelle grande puissance
méditerranéenne du temps, en comptait 100.000. Massalia était une métropole
21
couverte de grands monuments dont, étonnamment, aucun n’a traversé les siècles.
Avant l’arrivée des Grecs, le site de la future Massalia a vraisemblablement été
fréquenté par des populations néolithiques puis celto-ligures. Certains spécialistes
ont sur la dénomination des populations autochtones qui vivaient sur place avant
l'arrivée des Grecs des débats passionnés (Celto-Ligures, Gaulois, Celtes). Mais le
site n’a jamais été occupé de manière durable. La ville s’est constituée sur un site
vierge, dont seuls les rivages avaient été fréquentés. Les Grecs débarquent vers
600. Les textes antiques attestent très tôt cette présence : le célèbre historien
Hérodote la cite dès le Ve. On connaît en tout 25 passages de textes étalés sur 800
ans, "preuve" de la constante considération pour Marseille chez les fondateurs de la
civilisation gréco-romaine.
Le mythe de la fondation a toujours fait rêver. Que dit exactement la légende
rapportée par plusieurs auteurs anciens, à commencer par le philosophe Aristote au
IVe siècle, dont le texte initial a cependant été perdu ? L'écrit le plus précis est
celui de l’historien latin Justin qui écrit vraisemblablement au IIe après J.-C. mais
reprend l’ouvrage d'un autre auteur latin (d'origine gauloise), Trogue Pompée,
rédigé un siècle plus tôt.
Sous le règne du roi Tarquin, des jeunes gens venus de Phocée en Asie abordèrent à
l’embouchure du Tibre et firent alliance avec les Romains. De là, continuant leur
navigation, ils allèrent jusqu’aux golfes les plus éloignés de la Gaule. La flotte
grecque, conduite par deux chefs, Simos et Protis, arrive dans un golfe à
l’embouchure du Rhône. Séduits par l’agrément du lieu, ils retournèrent chez eux,
rapportèrent ce qu’ils avaient vu et sollicitèrent des renforts. Simos et Protis
rencontrent Nann (ou Nannus), le roi des Ségobriges, peuple celto-ligure qui
occupe les lieux. Ils lui demandent son aide pour fonder une ville sur son territoire.
Ce jour-là, le roi était occupé à préparer les noces de Gyptis, sa fille, que selon la
coutume de son peuple, il se préparait à marier par le choix d’un gendre au cours
du festin. Les navigateurs phocéens sont invités au banquet des noces. La jeune
fille fut introduite et, comme son père lui avait ordonné de proposer l’eau à celui
qu’elle choisirait comme mari, elle délaissa alors tous les autres, se tourna vers les
Grecs et proposa l’eau à Protis, qui d’hôte devint gendre et reçut de son beau-père
un lieu pour fonder une ville.
Le fait qu’une princesse choisisse son époux parmi des prétendants assemblés est
un rituel connu qui se retrouve dans quatre des épopées les plus célèbres de la
tradition indo-européenne, notamment chez Homère et chez Euripide. De plus, le
mythe de la fondation n'est pas propre à Massalia. On le trouve bien sûr, exemple
célèbre entre tous, pour Rome (l'histoire de la louve). Mais aussi pour la plupart des
colonies grecques d'Occident. Les noms peuvent varier d'un auteur antique à l'autre.
La plupart parlent de Protis et Gyptis tandis que plus tôt au IVe siècle, Aristote
évoque, dans un texte rapporté par un autre, Euxénos et Petta. Euxénos prit Petta
pour femme "après avoir changé son nom en Aristoxéné", nous dit le célèbre
philosophe (la malheureuse n'était apparemment déjà plus maîtresse de son destin
puisque même son patronyme fut hellénisé dès avant la noce...). Ces patronymes ne
doivent rien au hasard: Euxénos signifie "le bon hôte", Aristoxéné "l'excellente
hôtesse". Tandis que Protis signifie "le premier", le premier dans la cité, donc le
fondateur.
Bien plus tard, à partir de 1825-1820, la légende de Gyptis et Protis ne peut
qu’interpeller la société romantique du temps. Une société à la fois cultivée et
bourgeoise, qui connaissait l’art grec, qui faisait le voyage à Athènes, qui souhaitait
également – avec Michelet – se débarrasser de l’histoire dynastique commençant
avec Clovis. Tout au long du XIXe, l’on voit fleurir des récits et d es gravures (ciel
bleu, mer azur, vaillants guerriers et jolies femmes…) magnifiant cette rencontre
entre la Gaule et la Grèce. Une rencontre censée rehausser le prestige de la
civilisation française. En octobre 1899, c’est en quelque sorte l’apothéose de cette
"Massaliamania" et de sa vision très idéalisée de la réalité, avec la célébration du
2500e anniversaire de la fondation de la cité phocéenne.
Bien évidemment, les protagonistes de la légende, quels que soient leurs noms,
n'ont très probablement pas existé sous la forme décrite par les auteurs antiques. De
plus, la légende a peut-être été réécrite au cours de la longue histoire de la cité
phocéenne. Par exemple pour vanter certaines grandes familles. "Il subsiste encore
maintenant à Marseille une famille qu'on appelle les Protiades", nous raconte
Aristote. La patronyme de Protiades vient bien évidemment de Protis : ladite
famille avait sans doute trouvé là ce moyen pour se donner une origine on ne peut
plus distinguée...
D'une manière générale, le procédé du mythe permet aux Massaliotes de se forger
22
une noble et très ancienne ascendance. Pour autant, ces histoires mythiques ne
peuvent durer que si elles ont un fondement solide.
En l'occurrence, ce mythe symbolise très certainement une réalité : la rencontre
entre des colons grecs et des femmes celto-ligures. Ces colons, que leur cité natale
envoyait fonder une autre ville, étaient souvent des jeunes gens en surnombre qui
venaient sans femme. De son côté, la légende rapporte que l'équipage phocéen ne
comprenait qu'une dame, une prêtresse. Pour se développer, la nouvelle
implantation avait donc forcément besoin d'un apport féminin que les Phocéens
trouvèrent très probablement parmi la population locale. Les unions mixtes sont
donc très certainement à la base du peuplement massaliote. Ces allusions
mythiques à ces unions mixtes n’en sont pas moins étonnantes. Car les auteurs
gréco-romains qualifiaient sans ambages de "barbares" les populations locales. De
plus, l’empreinte des Phocéens sur l’arrière-pays marseillais a été en fin de compte
relativement modeste et limitée.
La fondation de Massalia se situe dans la période la plus récente du mouvement
d’expansion territoriale grecque à travers toute la Méditerranée, auquel les
Phocéens s’intègrent assez tard. Un siècle et demi avant eux, d’autres colons grecs
avaient pris la mer pour aller s’établir un peu partout en Méditerranée. Les
navigateurs-commerçants de Phocée referment ce mouvement de colonisation et
doivent se contenter des territoires encore vierges de l’Extrême-Occident d’alors :
les côtes de la Gaule et du nord de l’Hispania. Après Massalia, ils iront fonder
Emporion (mot grec signifiant comptoir, lieu d’échanges), aujourd’hui Ampurias
(Catalogne), Alalia, la future Aléria corse, et Elée (aujourd'hui Vélia en Italie du
sud). Ils s'établissent ainsi dans des zones où leurs concurrents carthaginois et
étrusques ne sont pas encore trop implantés... Sur la côte méditerranéenne de la
Gaule, ils avaient également fondé toute une série de comptoirs, tant à l’ouest qu’à
l’est de Marseille : Olbia (Hyères), Tauroeis (Le Brusc), Nikaia (Nice), Monoikos
(Monaco), Agathé (Agde)… Autant de relais pour la navigation et le cabotage,
relais sur lesquels, à l’exception d’Olbia, on dispose d'assez peu d'informations. Le
cas de Théliné (Arles), sur le Rhône, dans l’arrière-pays (à quelque 90 km de
Marseille), est plus discuté : la localité, qui avait au Ve avant J.-C. un urbanisme
rappelant une ville grecque, était-elle intégrée dans le territoire massaliote ou étaitelle juste "un emporion fluvatile", ne possédant peut-être qu’un quartier de
commerçants phocéens qui utilisaient le port. D’une manière plus générale, les
Phocéens ont marqué la vallée rhodanienne de leur empreinte. Le fleuve était alors
une véritable autoroute commerciale, très probablement vitale pour l'économie
massaliote.
Pourquoi cette colonisation et pourquoi Marseille ? L’historien romain Justin
explique que les Phocéens étaient "contraints par l’exiguïté et l’aridité" du sol de
leur mère patrie. Autrement dit, l’installation d’un établissement en Gaule, sur un
sol vierge, pouvait être un moyen de survie pour ces Grecs. Lesquels "pratiquaient
plus assidûment la mer que les terres, subsistaient de pêche, de commerce et même,
le plus souvent, de piraterie, laquelle était en ce temps-là tenue en honneur",
poursuit Justin. Le même explique que les marins phocéens "osèrent s’avancer
jusqu’au rivage ultime de l’Océan". Autrement dit, au moins jusqu’au détroit de
Gibraltar, et peut-être même au-delà. La précision est intéressante. Les navigateurs
visaient peut-être ainsi les précieux métaux de l’Extrême Occident, l’argent de
Tartessos (l’Andalousie atlantique, autour de Huelva), voire l’étain des bouches de
la Loire et de la Grande-Bretagne, ce ‘matériau stratégique’ sans lequel ne pouvait
se forger le bronze des armures. Ils visaient sans doute aussi d'autres métaux
comme le cuivre et le fer, mais aussi des minéraux comme l'ambre de la Baltique.
L’établissement d’un comptoir sur les côtes méridionales de la Gaule constituait
ainsi un débouché pour tous ces produits qui voyageaient par voie terrestre (en
transitant par la Bourgogne et la vallée du Rhône). Mais aussi un moyen pour
pénétrer le marché celte. Massalia est ainsi probablement devenu un jalon dans le
réseau commercial phocéen.
On ne connaît pas avec exactitude aujourd'hui l'étendue du territoire massaliote
Dans le quartier de Saint-Jean du Désert (Marseille XIe), sur le chantier du
tramway, des archéologues de l’INRAP ont découvert des traces de vignoble
phocéen remontant à l’époque hellénistique (IIe siècle avant J.-C.) ; on peut ainsi
déterminer que le vignoble s’étendait à au moins cinq kilomètres de l’est du VieuxPort, la distance du lieu de la fouille au centre de Marseille. Mais les morceaux de
céramique retrouvés dans la région laissent penser que les Phocéens, peuple de
commerçants et de marins, étaient beaucoup plus implantés sur le littoral que dans
l’arrière-pays. La chora de Marseille semble effectivement avoir été relativement
23
limitée. La plupart des oppidums fortifiés mentionnés pour le VIe siècle dans la
zone de Massalia semblent disparaître au Ve, signe probable d’une prise de
contrôle politique et militaire. Les Gaulois avaient peut-être bâti ces forteresses sur
les hauteurs pour se protéger de l’expansionnisme massaliote. Voilà qui tendrait à
prouver que la cité s’était constitué un espace par des moyens autres que
pacifiques. L’hellénisation des peuples voisins de Marseille apparaît limitée,
tardive et ambiguë.
Les Marseillais s’assurent ensuite la maîtrise de la mer face à leurs rivaux. Dès le
VIe siècle avant J.-C., ils "défirent les Carthaginois dans un combat naval", affirme
l’historien grec Thucydide (au IVe). Lequel correspond peut-être à la bataille
navale d’Alalalia (Aléria en Corse) qui opposa vers 540 avant J.-C. les Grecs
marseillais à une coalition de Carthaginois et d’Etrusques. Dans un premier temps,
Massalia semble s’insérer dans un important courant d’échanges avec l’Etrurie,
tout en commerçant avec le monde grec (elle importe notamment de luxueux
vases). Les archéologues ont ainsi mis à jour nombre d’amphores et de céramiques
étrusques. Vers la même époque, les Marseillais entretiennent d’intenses relations
commerciales avec la Gaule. Le contrôle de ce que certains historiens appellent la
"route de l’étain" (qui va des îles britanniques à la Méditerranée par la Seine ou le
Rhin en passant par la Saône et la vallée du Rhône) lui fournit alors une part
notable de sa richesse.
En fait, si l'étain est un métal stratégique (pour la fabrication des armes et armures),
d'autres produits ont certainement transité par cet axe: fer, cuivre, ambre (de la
Baltique)... Tout au long dudit axe, on retrouve aujourd’hui des monnaies de
bronze massaliotes qui inspirèrent les graveurs de pièces gauloises. Mais la "route
de l'étain" était sans doute empruntéee en sens inverse par les produits grecs (mais
aussi étrusques), notamment les amphores. On en a découvert de telles amphores
jusqu’en Suisse et dans les régions nordiques. Le fameux et immense cratère (vase)
de Vix, reconnu comme grec et découvert dans une tombe princière en Côte-d’Or,
sur le trajet du précieux minerai, a peut-être un lien avec le commerce marseillais.
Les années 530-540 semblent marquer un tournant fondamental pour la jeune cité
grecque. La recherche archéologique a montré que les objets de production locale
deviennent plus nombreux, tandis qu’un nouveau type d’amphores signale
l’émergence d’une production de vin proprement massaliote. La ville frappe ses
premières monnaies d’argent. Autant d’éléments qui semblent traduire sa montée
en puissance. Dans le même temps, l’économie de Marseille doit s’adapter à de
profondes mutations. Les relations avec la Gaule sont interrompues par une période
d’instabilité, sans doute due à des migrations. Pour compenser ces pertes de
marché, le commerce massaliote se tourne alors vers la Méditerranée pour en
conquérir de nouveaux.
Autre bouleversement en 545: la conquête de Phocée, la mère patrie, par les Perses.
Les historiens hésitent sur les conséquences de l’évènement. Une chose semble
assurée : il n’entrave pas le développement de Marseille dont on peut se dire
qu’elle dispose désormais d’une autonomie, notamment économique, plus large.
Une partie de la population de Phocée se serait réfugiée sur les rivages de la Gaule,
avant d’être rejointe par des habitants d’Alalia, menacée par Etrusques et
Carthaginois. Autant d’apports de nouveaux citoyens qui ont peut-être renforcé la
puissance de Massalia. Dès 540 avant notre ère, la ville bâtit sur le site du temple
d’Apollon à Delphes, grand centre religieux de Grèce continentale, un petit temple
appelé le "trésor des Marseillais". Les Romains, qui n’en avaient pas, devaient
utiliser celui de leur allié massaliote. Ce bâtiment, dont une partie subsiste
aujourd’hui, est l’un des plus anciens de Delphes et témoigne de la richesse de la
ville d’Extrême Occident. Le port de Marseille, ses monuments sont ceux d’une
grande cité qui devient un sujet d’admiration et de réflexion. A tel point que le
philosophe grec Aristote (384-322 av. J.-C.) a rédigé une "République des
Marseillais". L’ouvrage a disparu. Mais dans La Politique, celui qui fut précepteur
d’Alexandre le Grand cite la ville comme exemple de la bonne et mauvaise marche
des régimes oligarchiques. "L’oligarchie fera bien d’accorder aux masses la
participation au gouvernement (…) comme à Marseille, en opérant une sélection
des gens de mérite", écrit Aristote. Deux siècles plus tard, Strabon expliquera que
"le gouvernement aristocratique de Marseille est le meilleur du genre : ils ont établi
une assemblée de 600 citoyens, appelés ‘timouques’ qui conservent leurs charges
leur vie durant". Massalia est prestigieuse aussi grâce à ses navigateurs. Les noms
de deux d’entre eux ont traversé les siècles : Euthymène, qui aurait au IVe siècle
longé les côtes de l’Afrique, et Pythéas, qui aurait visité des pays nordiques vers la
fin du IVe. Ce dernier est mieux connu grâce à des auteurs anciens, notamment
24
Strabon et Pline. Ses voyages l’auraient emmené jusque dans les parages de
l’Islande (où il aurait vu la banquise en formation), ainsi qu’en Scandinavie et sur
les bords de la Vistule. Des voyages sur l’authenticité desquels la recherche
moderne a parfois émis quelques doutes. Quoi qu’il soit, si ces expéditions ont bien
eu lieu, elles furent sans doute financées par la ville. But : trouver de nouvelles
voies pour l’étain et l’ambre, et ainsi ne plus dépendre de Gaulois jugés peu sûrs…
Ces expéditions semblent être restées sans suite : la route maritime de l’étain n’était
pas plus sure que la voie terrestre et les terres inconnues explorées n’offraient pas
de richesses exploitables.
Peu à peu, la cité phocéenne va tomber sous la coupe de Rome, la superpuissance
méditerranéenne de l'époque. Au premier siècle avant notre ère, le célèbre orateur
romain Cicéron évoque dans l’un de ses discours Massalia, peuplée "d’alliés très
braves et très fidèles qui ont compensé pour le peuple romain le péril des guerres
gauloises en lui fournissant des troupes et des navires". L’alliance est ancienne.
Elle remonte au IIIe siècle, alors que s’affrontent Rome et Carthage, les deux
grands de la Méditerranée occidentale. Marseille, qui craint la concurrence punique
pour son commerce, choisit le camp italien. Le premier apporte au second, peu à
l’aise sur mer, son savoir-faire en matière de navigation. Pour autant, la
participation massaliote au conflit a été modeste. Ils ont prêté quelques bateaux. Et
quand Hannibal a passé le Rhône, ils ont fourni quelques éclaireurs pour aider leurs
alliés. L'archéologie a constaté qu'au tournant du IIIe et du IIe siècle avant notre
ère, les amphores marseillaises cèdent le pas aux amphores en provenance d'Italie.
Le vin italique s'exporte de plus en plus vers la vallée du Rhône. Dans le même
temps, les Massaliotes importent de plus en plus de céramiques campaniennes
(venues de la région de Naples). Par la suite, à partir du IIe siècle, Rome aide
Massalia qui lutte contre ses voisins celto-ligures. En 125, la cité de la louve
intervient contre la confédération sallyenne qui réunit plusieurs communautés
gauloises. De 124 à 122, les légions doivent mener de sanglantes campagnes contre
les Ligures, Voconces, Salluviens et à nouveau Sallyens. Les Romains vont même
fonder une cité, Aquae Sextiae, la future Aix-en-Provence, pour mieux contrôler la
région, prétendument dans l’intérêt de leur allié phocéen. Dans le même temps,
Massalia reçoit en cadeau des territoires, notamment la basse vallée du Rhône. La
cité phocéenne connaît ainsi une expansion tardive.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
En trois siècles, le monde grec s'est considérablement étendu, mais sans jamais
chercher à s'assurer un contrôle continu de vastes territoires sur les côtes ou dans
l'intérieur. Il s'agit toujours d'une série de comptoirs de superficie très limitée,
séparés les uns des autres par de vastes territoires aux mains des populations
indigènes. C'est par ces colonies que l'hellénisme pénètre progressivement l'arrièrepays.
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
25
HA – Homère
Approche scientifique
Approche didactique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
Insertion dans les programmes (avant,
spatiale) :
après) :
Vers 1200 avant J.-C, avec la venue des Doriens, toute l'organisation des Achéens
Aborder les caractéristiques du monde
est anéantie. Alors débute et se poursuit jusqu'en 750 avant J.-C, une période
homérique, acteurs et croyances. Le travail
obscure, celle présumée d'Homère, dite époque géométrique.
sur ces textes patrimoniaux peut, avec
Une « biographie » d’Homère : une vraie gageure puisqu’il s’agit d’un auteur dont
profit, être mené conjointement avec
on ne sait rien, on ignore même si ce nom ne recouvre pas deux auteurs. Nous ne
l'enseignant de lettres.
savons rien de celui que les Anciens appelaient "le Poète" : Homère n'a rien laissé
sur lui, rien dit de lui-même contrairement à Hésiode. A-t-il seulement existé s'eston demandé au XVIIIe siècle ? N'est-ce pas un ensemble de poètes qui, de
génération en génération, composèrent les épopées homériques ? Ou bien deux
auteurs, celui de l'Iliade et celui de l'Odyssée, tant les poèmes sont différents ? A
moins qu'il n'y ait une œuvre de jeunesse et une autre de maturité ? Une thèse
récente, formulée par des auteurs anglo-saxons, postule que l'Odyssée aurait été
écrite par une femme sicilienne du VIIe siècle (et dont le personnage de Nausicaa
serait une sorte d'autoportrait). Ces questions, encore débattues aujourd'hui, ne
trouveront jamais de réponse. Reste que les Anciens ne doutaient ni d'Homère ni de
la guerre de Troie.
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
Ils sont issus soit de grands hellénistes (Pierre Vidal-Naquet 1930-2006, Claude Mossé, Moses I. Finley 1912–1986) ou
philologues (Jacqueline de Romilly 1913, Monique Trédé-Boulmer), soit de professeurs d'histoire grecque (Pierre Carlier)
CARLIER Pierre, Homère, Paris, Fayard, 1999
FINLEY M. I, Le monde d’Ulysse, Paris, Maspéro, (original 1954), 1969, réed « Points-Histoire », 2002
VIDAL-NAQUET P., le monde d’Homère, Perrin, 2000.
Jacqueline de Romilly, Homère, PUF (QSJ), 1999 (1985)
Cl. Mossé, La Grèce archaïque d’Homère à Eschyle, Le Seuil, Paris, 1984.
O. Murray, La Grèce à l’époque archaïque, Presses universitaires du Mirail, Toulouse, 1995.
Monique Trédé-Boulmer, La Littérature grecque d'Homère à Aristote, PUF, coll. « Que sais-je ? » n° 227, 1992 (2e éd.).
Philippe Brunet, La Naissance de la littérature dans la Grèce ancienne, Le Livre de Poche, coll. « Références », Paris, 1997
Documentation Photographique et diapos :
TOUCHEFEU-MEYNIER Odette, Homère : un héritage, Documentation photographique n°8013, février 2000
Revues :
La Méditerranée d'Homère : de la guerre de Troie au retour d'Ulysse / Collectif in, LES COLLECTIONS DE L'HISTOIRE, HorsSérie, N° 24, Juillet-Septembre 2004 dont l'article de : FARNOUX Alexandre, « Que sait-on vraiment d’Homère ? »
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, Enjeux didactiques (repères, notions et
concepts, problématique) :
méthodes) :
Selon la tradition antique, Homère était un aède aveugle qui composa ses poèmes
BO : « C’est en lisant Homère que les
en Ionie. Les historiens semblent s'accorder pour placer cette composition vers la
élèves comprendront les croyances des
fin du VIIIe siècle avant J.-C., lors d'une période de transition, au moment du
Grecs ». Il est le seul repère de l’histoire
passage d'une culture de composition et de transmission orale à une culture de
grecque (avec Périclès) à rester dans les
l'écrit. Il s'agit de longs chants qui retracent chacun une action simple, mais le
futurs programmes : on recentre même sur
rythme de l'action n'est pas linéaire. Les poèmes se déroulent comme une suite de
le personnage en remplaçant « VIIIe siècle
tableaux dont l'agencement subtil établit des correspondances entre les différentes
av. J.-C. (poèmes homériques) » par
phases de l'action. Cet assemblage est conforme aux études menées sur la poésie
« VIIIe siècle av. J.-C. Homère ».
orale. Ces poèmes nous font pénétrer dans le monde mythique des Grecs du VIIIe
Mais les démarches s’appuient surtout sur
siècle, lorsque le long processus de gestation et de composition de l'œuvre arrivait à les deux épopées : dans les futurs
son terme. Dés l'Antiquité, ces poèmes connaissent un immense succès, ils servent
programmes, « L’Iliade et l’Odyssée
de base à l'apprentissage de la lecture pour les enfants et recèlent les modèles
témoignent de l’univers mental des Grecs
culturels auxquels ils devront se conformer à l'âge adulte. Le tyran Pisistrate, croit- (mythes, héros et dieux). »
on, fait rédiger une transcription officielle des poèmes homériques en 550 avant J.C. L'Iliade et l’Odyssée sont longtemps apparus comme support à la recherche
archéologique en Grèce, il fallait découvrir la civilisation homérique. Aujourd'hui,
de nombreuses interprétations douteuses ont été abandonnées.
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
Activités, consignes et productions des
documentaires et productions graphiques :
élèves :
I. La question homérique
BO futur programme : « L’étude est
II. Homère, historien ?
conduite à partir d’extraits de l’Iliade et de
III. Homère, éducateur
l’Odyssée et de représentations grecques :
Les Anciens n’ont jamais remis en question l’existence d’Homère, même si très tôt, céramiques, sculptures... »
et aussi loin que nous puissions remonter dans l’histoire littéraire de la Grèce, son
26
œuvre fut violemment contestée. Il est ainsi remarquable que l’une des premières
attestations du nom d’Homère se trouve chez Héraclite, au VIe siècle avant J.-C.,
dans un passage très critique à l’égard des poètes. On désigne sous le titre « Vies
d'Homère » un ensemble d’une douzaine de textes grecs, les plus anciens remontant
aux environs du IIe siècle après J.-C. et les plus récents au début de l’époque
byzantine. Les Vies les plus connues sont la Vie d’Homère du Pseudo-Plutarque, la
Vie d’Homère du Pseudo-Hérodote et l’anonyme Dispute d’Homère et d’Hésiode.
Ces Vies d’Homère, du fait des éléments extraordinaires qu’elles contiennent, ont
de quoi surprendre le lecteur moderne. Le goût antique cependant s’accommodait
fort bien de notations étranges voire surnaturelles qui ne conduisaient nullement
lecteurs ou auditeurs à mettre en question la véracité d’un récit. Les Vies du Poète
ressemblent beaucoup à des Vies de héros et de personnages semi-légendaires
comme Thésée : on retrouve les mêmes éléments fixes que sont la naissance, les
épreuves, la mort, les infirmités, l’intervention des oracles et parfois la présence
d’une énigme associée à la mort. Les biographies antiques d'Homère ne s'accordent
ni sur la date, ni sur le lieu de naissance du poète, ni sur ses parents ; en revanche,
elles racontent la même anecdote sur sa mort. Sur une plage de l'île d'Ios, un groupe
de jeunes pêcheurs posa au poète une énigme : « Ceux que nous avons pris, nous
les avons jetés ; ceux que nous n'avons pas pris, nous les emportons ». Homère
chercha en vain de quelle pêche il pouvait s'agir. En fait, à cause du mauvais temps,
les pêcheurs n'avaient pas pris la mer, et avaient passé la journée à s'épouiller sur le
rivage. Les poux qu'ils avaient attrapés, ils les avaient tués et jetés ; les autres, ils
les gardaient sur eux. L'aède, n'ayant pas trouvé la réponse, serait mort de
désespoir, ou aurait fait une chute mortelle. Le plus grand des poètes, source de
toute science, aurait été mis en échec par des enfants…
Plus fondamentale peut-être est l’héroïsation d’Homère, avec l’institution
progressive de fondations religieuses en son honneur en divers endroits du monde
grec. Homère, un poète pourtant et non pas un guerrier, devint progressivement une
figure importante de la religion grecque, comme Thésée à Athènes ou d’autres
héros dans le reste de l’Hellade. Avec l'institution progressive de temples en son
honneur, Homère devient une figure religieuse. Argos lui élève une statue de
bronze et lui sacrifie chaque jour. Strabon rapporte qu'à Smyrne "il y a une
bibliothèque et l'Homereion, un portique à quatre côtés contenant un sanctuaire
d'Homère et sa statue en bois." Le plus célèbre reste celui d'Alexandrie : le
sanctuaire d'Homère était placé à l'intérieur du Musée qui abritait la fameuse
Bibliothèque. S'y dressait une statue majestueuse, sans doute à l'origine des
portraits aux traits communs du Poète. Face au silence d’Homère sur lui-même, on
trouve les multiples et sempiternelles revendications des cités qui prétendaient être
sa patrie mais il a souvent été remarqué que l’aire géographique définie par les
premières cités qui revendiquent Homère, Chios, Smyrne, Colophon et Cumes,
correspond aux particularités de la langue homérique, empruntant surtout à deux
dialectes parlés principalement en Asie Mineure, l’ionien et l’éolien.
La cécité du Poète est le trait caractéristique de sa figure légendaire. On a suggéré
que le nom même d'Homère pouvait y faire référence en proposant l'étymologie hó
mé hóron, "qui ne voit pas". Dans un très ancien Hymne à Apollon autrefois
attribué à Homère, l'auteur dit de lui-même : c'est un aède aveugle venu de Chios.
Et dans l'Odyssée, le Poète dit de son double, l'aède Démodocos, que la Muse
l'aime et "lui a pris ses yeux mais donné la douceur du chant." Contrepartie du don
de poésie, la cécité rend le Poète proche des dieux en lui permettant de voir au-delà
des apparences.
Ces courts récits biographiques ont fini par susciter la méfiance puis par tomber
dans un oubli relatif à partir de la fin du XVIIIe siècle, à mesure que progressait la
critique philologique. C’est aux Modernes qu’il revint de nier l’existence
d’Homère, lançant ainsi la célèbre "question homérique", qui passionne encore les
érudits et les chercheurs.
Au XIXe siècle, c'est pour retrouver les sites décrits par l'épopée qu'Heinrich
Schliemann lance ses fouilles en Asie Mineure. Quand il met au jour les ruines
d'une ville appelée Troie, puis celles de Mycènes, on pense avoir prouvé la véracité
des récits homériques. On reconnaît l'existence d'Agamemnon, pensant avoir trouvé
un masque à son effigie, le grand bouclier d'Ajax, la coupe de Nestor, etc. On
identifie la société décrite par l'aède à la civilisation mycénienne. Rapidement, les
découvertes sur cette civilisation (au premier chef, le déchiffrement du linéaire B)
remettent en cause cette thèse. Moses Finley, dans Le monde d'Ulysse (1969),
affirme que la société décrite, hors quelques anachronismes, a vraiment existé : ce
sont les « siècles obscurs », ceux du Xe et IXe siècles av. J.-C., situés entre la
27
civilisation de Mycènes et le début de l'âge des cités (VIIIe siècle av. J.-C.). La
position de Finley est aujourd'hui également remise en question, en grande partie à
cause d'anachronismes, montrant des traits datant du VIIIe ou du VIIe siècle av. J.C. D'abord, l'Iliade comprend trois descriptions de ce qui ressemble à la phalange.
Les chars sont utilisés de manière incohérente : les héros partent sur leur char, en
sautent et se battent à pied. Le poète sait que les Mycéniens utilisaient des chars,
mais ne connaît pas leur utilisation à l'époque (combat char contre char, utilisation
des javelots), et calque l'utilisation des chars sur celle des chevaux à son époque
(transport à cheval jusqu'au lieu de la bataille, combat à pied). Le récit se passe en
plein âge du bronze et les armes des héros sont effectivement faites de ce métal.
Mais Homère donne à ses héros un « cœur de fer », et parle dans l'Odyssée du bruit
fait, dans la forge, par une hache de fer que l'on trempe. Ces usages issus d'époques
différentes montrent qu'à l'instar de la langue d'Homère, le monde homérique n'a
jamais existé en tant que tel. C'est un monde composite et poétique, tout comme la
géographie du périple d'Ulysse.
En réunissant des chants épiques en un seul et même poème, Homère invente
l'épopée, forme la plus aboutie d'une tradition orale déjà vieille de plusieurs siècles.
En même temps, le Poète crée une langue unique mêlant divers dialectes, au
moment même où apparaît l'alphabet et que s'ébauche une technique littéraire usant
de l'écriture. Bien que la fixation du texte n'intervienne que deux siècles après lui,
Homère adopte un point de vue déjà littéraire en concentrant son récit autour d'une
action dramatique : la colère d'Achille et ses conséquences funestes.
Dans Le Banquet de Xénophon, un personnage évoque l'éducation qu'il a reçue :
"Mon père, désirant que je devienne un homme accompli, me força à apprendre
tout Homère ; aussi, même aujourd'hui, suis-je capable de réciter par cœur l'Iliade
et l'Odyssée." (III, 5) Homère reste durant toute l'Antiquité l'"éducateur de la
Grèce" selon le mot de Platon. Ses vers, inspirés par la Muse, concentrent toute la
connaissance humaine. On apprenait dans l'Iliade l'éthique du modèle héroïque :
être le meilleur et voir sa valeur reconnue par tous.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
28
HA – Un sanctuaire panhellénique : Delphes (ou Olympie) au Ve s. av JC
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
F. Lefèvre, L'amphictionie pyléodelphique : histoire et institutions, Paris, 1998.
G. Roux, Delphes, son oracle et ses dieux, Belles Lettres, Paris, 1976.
J.-Fr. Bommelaer, D. Laroche, Guide de Delphes, École Française d'Athènes, De Boccard, 1991, I. « Le Site », II. « Le Musée ».
Bruit Zaidman L. et Schmitt Pantel P., La Religion grecque dans les cités à l'époque classique, Coll. Cursus, Armand Colin, 1991
(2003). Un manuel d'une très grande clarté sur la religion en Grèce ancienne complété par un glossaire et un lexique très pratique.
VERNANT J.-P., l’Univers, les dieux, les hommes, Le Seuil, 1999.
Documentation Photographique et diapos :
Revues :
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
concepts, problématique) :
BO futur programme : « Les sanctuaires
Si les sanctuaires panhelléniques (Epidaure, Delphes, Délos, Dodone, Olympie)
panhelléniques montrent l’unité culturelle
sont devenus accessibles à tous les Grecs et se sont vu dotés d'un passé vénérable,
du monde grec au Ve s. Décrire le
c'est qu'ils furent d'abord longtemps l'objet, de la part de leurs voisins immédiats,
sanctuaire de Delphes en expliquant sa
d'âpres luttes visant à se les approprier, telles des forteresses stratégiques. À défaut
fonction religieuse. »
de vainqueurs, ces points de fixation de querelles régionales se sont mués, comme
Les documents permettent de visualiser le
par médiation, en des sortes de domaines communs où les Grecs, de plus en plus
site grandiose de Delphes et d'aborder avec
nombreux, ont fini par venir de partout conforter leur conscience identitaire,
les élèves le rôle central des Jeux pythiques
fondant l'usage d'y honorer des dieux qu'ils partageaient – voire, le cas échéant,
et de donner de la chair aux maximes de la
consulter l'oracle – mais aussi celui de s'y mesurer les uns aux autres dans des
Pythie afin que les élèves perçoivent les
compétitions rituelles, encore proches souvent des conditions du combat réel, très
préoccupations des consultants.
variées, mettant en exergue tant les qualités du corps que celles de l'esprit. Espaces
Ex de Phalanthos de Sparte et de Crésus de
agonistiques par excellence, ces grands sanctuaires, par les foules qu'ils drainèrent
Lydie : « quand il sentirait la pluie sous un
bientôt, devinrent aussi, naturellement, des lieux de publicité, de concertation, de
ciel clair, alors il prendrait possession d’un
négociation où se scellèrent parfois des décisions lourdes de conséquences pour
tous les Grecs. Mais, en pratique, on constate que chacun d'eux présentait une forte territoire et d’une ville », « Si tu fais la
guerre aux Perses, tu détruiras un grand
personnalité et remplissait un rôle propre dans la vie commune des Grecs.
Delphes, très tôt honoré, tomba entre les mains d'une ligue amphictyonique, « ceux empire ».
L’unité du monde grec se traduit par
qui résident autour », groupant douze communautés – pas toujours toutes les
l’existence de lieux sacrés où tous les Grecs
mêmes – en charge aussi du temple de Déméter à Anthéla près des Thermopyles.
se retrouvent lors de grandes fêtes
Le processus reste obscur, mais Delphes joua un rôle majeur dans l'expansion
religieuses. Il sera bon de raconter la
coloniale grecque de l'époque archaïque comme centre d'information, voire
légende d’Apollon tuant le serpent Python
davantage quand il devint, tous les quatre ans, le cadre de divers concours bien
pour bien comprendre les rites s’y
fréquentés, les Pythia, et se couvrit d'édifices somptueux qui débordèrent
déroulant. Les activités ont pour objectif de
d'offrandes dont le musée témoigne de la richesse passée. Sur le terrain, les
faire découvrir des pratiques religieuses,
premiers temps du sanctuaire sont insaisissables et les récits qui évoquent la «
des croyances communes à tous les Grecs ;
première guerre sacrée » font l'objet de lectures diverses. La fontaine aux eaux
le site est mis en relation avec des
purifiantes de Castalie, juste à l'est du sanctuaire, fut peut-être le premier centre du
documents annexes qui permettent de relier
culte. Une chose est sûre : le site était déjà occupé à l'ère mycénienne (environ
un ensemble monumental à ses fonctions,
1600-1200 avant J.-C.) par un établissement de nature controversée mais assez
aux rites qu’il reflète.
singulier si l'on en juge par certains objets retrouvés. Malheureusement, les
Le sanctuaire d’Apollon à Delphes
constructions ultérieures, qui ont consacré la gloire du site, ont gommé cette «
témoigne à la fois de l’unité culturelle du
Delphes mycénienne ».
monde grec (qui se réunit aux jeux
Delphes est le centre des Jeux pythiques, qui avaient pour originalité par rapport à
pythiques, qui consulte l’oracle) et la
Olympie, d'organiser à côté des Jeux athlétiques des concours musicaux d'une
division politique des cités dont les
tradition très ancienne et d'une grande réputation. Apollon est d'ailleurs le dieu de
relations se résument souvent à la guerre.
la musique et des arts. Le sanctuaire d'Apollon devait à la présence de son oracle
Même les jeux pythiques donnent lieu à des
une fréquentation permanente. Le recours à la divination orale (la mantique)
rivalités entre elles, puisque les acteurs et
consiste à recueillir et transmettre la parole du dieu. Il existe des recueils d'oracles
sportifs remportent des prix pour leur cité,
et des chresmologues, qui interprètent les oracles ; ils ont pu jouer un rôle dans la
et que certains vainqueurs de concours se
cité. Il existe d'autres sanctuaires où la parole du dieu est transmise par un
vantent par leurs offrandes de leur victoire
intermédiaire (Dodone, Didymeion), mais Delphes est le plus prestigieux.
personnelle (aurige).
Théodose mit fin aux Jeux et au culte en 394. L'ultime prophétie de la dernière
Pythie est : « Allez dire au roi que le bel édifice gît par terre. Apollon n'a plus de
29
cabane ni de laurier prophétique. La source est tarie et l'eau qui babillait s'est tue. »
Les maximes delphiques sont une originalité du sanctuaire. Apollon se fait le
propagandiste d'aphorismes moraux concernant tous les hommes connus dans tout
le monde méditerranéen et dont l'influence sera perçue jusqu'aux confins de l'Inde.
Différents modes de consultation ont sans doute coexisté dans le sanctuaire de
Delphes, mais le plus prestigieux était celui de la Pythie. Il s'agissait à l'origine
d'une femme du pays, une vierge, qui prophétisait une fois l'an, le 7 du mois de
Bysios, jour anniversaire de la naissance d'Apollon. A l'époque classique, les
consultations ont lieu une fois par mois, toujours le 7. Il y eut, dit-on, jusqu'à trois
Pythies, deux en titres et une suppléante, prophétisant à tour de rôle pour répondre
à l'affluence des consultants. Les procédures préliminaires étant accomplies sous la
surveillance des prêtres (ablutions, acquittement d'un droit de consultation,
sacrifice), le consultant pénétrait dans le temple où avait lieu un second sacrifice,
avant d'avoir accès enfin à l’adyton, où se tenait la Pythie. Sur le lieu et le
déroulement de la procédure exacte, nous n'avons que des hypothèses. Il posait une
question, souvent sous la forme d'une alternative, faut-il mieux agir de telle ou telle
manière. La Pythie, inspirée par la pneuma, le souffle divin, est saisie
d'enthousiasme (mania) ; alors le dieu s'exprime par sa bouche. Certains oracles ont
été contestés. On a reproché à l'oracle d'utiliser son audience pour prendre parti
dans des périodes de troubles.
Si nous cherchons à comprendre la spiritualité hellénique, nous constatons
l'importance extrême de l'oracle delphique, notamment dans le domaine de la
législation religieuse. Même constatation pour l'essor d'une morale moins dure et
plus humaine, qui connaisse le pardon, ignoré dans les sociétés les plus archaïques,
victimes des vendettas en chaîne. Cest aussi toute une morale de modération, de
juste mesure qui s'impose, celle qui a produit certaines des plus nobles maximes
delphiques : « Rien de trop », expression d'une sagesse qui fuit l'excès orgueilleux
et la démesure violente qui font sortir l'homme de sa condition, ou bien le «
connais-toi toi-même », nouvelle proclamation des limites de l'homme.
Le rôle de la mantique pythique n'est pas moindre dans les affaires d'État. C'est elle
qui favorise le mouvement de colonisation, soutenant religieusement les colons
dans leur dure condition d'exilés, parfois même les conseillant dans le choix de leur
implantation. Quelques-unes des plus grandes fondations de l'Occident grec lui sont
dues, telles Syracuse, Géla, Crotone, Tarente. Les monnaies de nombreuses
colonies portent le trépied, symbole de leur dévotion envers un Apollon
véritablement Archégète, « fondateur ».
Considérable est aussi le rôle politique du sanctuaire oraculaire. Le clergé
delphique, qui dirigeait en fait la politique de l'oracle bien plus que la parole du
dieu qu'on interprétait comme on le voulait, suivait la loi du plus fort et a pu être
accusé sans injustice de prendre le parti de Sparte au VIe siècle, celui du roi de
Macédoine au IVe siècle. La Pythie a été accusée successivement de « médiser »
(prendre le parti des Mèdes, les Perses), « laconiser » (être du côté des
Lacédémoniens) et de « philippiser » (se prononcer en faveur de Philippe de
Macédoine). La Pythie était de Delphes, cité aristocratique, et durant la guerre du
Péloponnèse, elle soutint « naturellement » de préférence Sparte à Athènes qui était
démocratique. L'exemple le plus fameux, le plus sinistre, est celui de la réponse qui
est donnée aux ambassadeurs athéniens venus consulter après les Thermopyles : «
Malheureux, pourquoi vous tenez-vous assis ? Quitte ta demeure et les hauts
sommets de ta ville oraculaire. Fuis aux extrémités de la terre. Ni la tête ne reste
solide, ni le corps, ni l'extrémité des jambes, ni les mains, ni rien de ce qui est au
milieu n'est épargné ; tout est réduit à un état pitoyable, détruit par l'impétueux
Arès monté sur son char syrien. » Cet « impétueux Arès » n'étant autre le grand roi
perse, dont l'armée approche sans plus rencontrer de résistance… On imagine bien
comment cette prophétie devait renforcer le courage des Athéniens ! Dans son
soutien intéressé au Perse, l'oracle était allé trop loin et l'Athénien Thémistocle, qui
avait des amis dans le clergé delphique, avait obtenu un second oracle, où il était
conseillé de se protéger dans un rempart de bois. Sur ses conseils, les Athéniens
abandonnèrent donc leur ville, se réfugièrent sur la flotte qui gagna l'incontestable
victoire de Salamine en 480.
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
I. Le sanctuaire de Delphes est un site grandiose à flanc de montagne sur la pente
de Rhodini près de la gorge du Plestos, construit en une succession de terrasses. Le
site de Delphes était considéré par les Anciens comme le centre de la terre. Centre
religieux du monde grec, l'adyton contenait à côté du trépied l'omphalos, pierre
Objectifs :
- Connaissances et compétences :
. Savoir décrire un sanctuaire
panhellénique, connaître la fonction et
interpréter la signification symbolique de
ses différents éléments : monuments
religieux (temples), espaces de loisirs
(théâtre, stade), dons dédicatoires
(statues ou autres trésors). Développements
sur l’histoire de l’art grec classique en
relation avec les nouveaux
programmes.
. Lecture de plans de monuments et mise en
relation avec des maquettes et des vestiges
antiques. Initiation à l’archéologie et
l’utilisation des éléments archéologiques
par l’historien : traces des monuments et
leur reconstitution en élévation, technique
de modélisation (maquettes, images 3D),
localisation des trésors trouvés, « mystère »
de la faille d’où est censée s’exhaler le
souffle d’Apollon pour inspirer la Pythie, et
dont les archéologues n’ont retrouvé
aucune trace.
. Étude de textes grecs, permettant de
souligner la diversité des sources de
l’histoire ancienne.
. Connaissance de la pratique de la
divination (oracle)
. Utilisation des ordinateurs (classes
mobiles) en autonomie, avec liens sur
fichiers et liens internet, pour
effectuer des recherches guidées.
. Travail de groupe et restitution sous forme
de courts exposés guidés par les questions,
et servant de trame au cours.
- Socle commun : étude de cas, ouverture
sur une autre civilisation, histoire de l’art.
- Préparation du B2I par un apprentissage
progressif de l’autonomie : les sites internet
sont présélectionnés (ce qui permet de
vérifier les informations), les élèves n’ont
qu’à cliquer pour les ouvrir, ils doivent, par
contre, faire le tri entre les nombreuses
informations qu’ils contiennent, rédiger et
mettre en forme leur trace écrite sur
l’ordinateur.
Activités, consignes et productions des
élèves :
30
brute où les Grecs voyaient, entre autre chose, l'ombilic du monde, lieu de la parole
d'Apollon. Delphes dut peut-être sa longévité et l'ampleur de son prestige au fait
même que son pouvoir, immense dans l'ordre moral et religieux, fut limité dans
l'ordre politique. En remontant la voie sacrée, le visiteur passait devant les trésors
et les ex-voto pour accéder au temple. Tous les quatre ans avaient lieu les Jeux
pythiques, au stade (7 000 places) et au théâtre en l'honneur des dieux. Ces vestiges
sont parmi les mieux conservés de la Grèce.
L’intérieur du temple d’Apollon est tellement abîmé qu’il ne reste rien de ce que
fut l’adyton. Le peu qui a survécu, paradoxalement, augmente moins nos
connaissances que notre embarras. Avant la fouille du temple, les auteurs anciens
(Hérodote, Euripide, Diodore, Strabon, Plutarque, Pausanias) permettaient
d’imaginer d’une façon précise le lieu de la mantique apollinienne : c’était dans
l’adyton, où seuls la Pythie, le clergé d’Apollon, et les consultants étaient autorisés
à rentrer après s’être purifiés. L’adyton, selon Pausanias, se trouvait au plus
profond du temple, les consultants descendaient dans le manteion, ce qui laisse
imaginer une installation souterraine (comparable à la grotte de la Sibylle de
Cumes). Dans le sol de l’antre, entre les pieds du trépied, toujours selon la tradition
écrite, s’ouvrait un trou béant d’où s’exhalait le pneuma delphique, souffle du dieu,
parfois délicieusement parfumé. Pénétré par cette émanation, la Pythie rentrait alors
en transe, elle perdait tout contrôle d’elle-même, possédée qu’elle était par le dieu,
et rendait ses obscurs oracles. Le site fut exploré à partir de 1891 par l'École
française d'Athènes, après le vote par l'Assemblée nationale d'un budget spécial
permettant de déplacer le village de Kastri installé sur ses ruines. Lorsqu’à la fin du
XIXe s ont eu lieu les fouilles du temple, les archéologues s’attendaient à trouver
au moins dans le sol une faille naturelle. Or le rocher de l’adyton ne présente pas la
moindre fissure… Il n’y eut donc aucune construction souterraine. On imagine
simplement que l’adyton était séparé du reste du temple par une cloison (légère,
dont les matériaux fragiles auraient pu disparaître sans laisser de trace). On peut ici
faire une digression sur le travail des archéologues et des historiens de l’Antiquité,
et insister sur le fait que l’Histoire notamment de l’Antiquité n’est pas une science
exacte ; c’est une « enquête » sur le passé, qui souvent aboutit à émettre des
hypothèses davantage que des certitudes.
Les trésors des cités au Ve s :
- L’Aurige de Delphes (474) : Conducteur de char debout sur son char. La statue
fut consacrée par Polyzalos, tyran de Géla (colonie grecque de Sicile), pour
célébrer sa victoire à la course de char de 475 lors des jeux pythiques.
- Trésor des Athéniens (490-480), virage de la montée vers le temple d’Apollon,
6,5 X 9,5 m², ordre dorique. Frise représente les exploits d’Héraclès et de Thésée
(héros athénien, considéré comme le fondateur de la cité), le combat des Grecs
contre les Amazones. Placé sous l’égide d’Apollon. Athènes a sauvé le monde de la
sauvagerie. Célèbre la victoire de Marathon, les Athéniens l’ont édifié avec le butin
de Marathon (Athènes a sauvé le monde des Perses)
- Monument de Lysandre ou base des navarques (après 405) : À l’entrée du
sanctuaire. Socle sur lequel reposait un ensemble de statues en bronze : à l’arrière
les statues des hommes qui avaient contribué à la victoire, et à l’avant un ensemble
mythologique : les Dioscures (Castor et Pollux), Zeus, Apollon, Artémis, Poséidon,
qui couronne Lysandre, l’amiral de la victoire. Victoire de Sparte contre Athènes à
Aigos Potamos en 405 (à la fin de la guerre du Péloponnèse).
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Sous le nom d'Hymnes homériques nous
est parvenue une collection de poèmes
religieux, dont chacun est consacré à un
dieu. Homériques par la langue, le mètre, la
technique formulaire, ces poèmes étaient
destinés à être récités dans des sanctuaires à
l'occasion de fêtes. Ils sont de dates
diverses, parmi les plus anciens certains
remontent au VIIe siècle avant J.-C. Ils sont
d'un grand intérêt par les légendes sacrées
qui y sont racontées pour justifier la
fondation des sanctuaires ou glorifier une
divinité. Apollon, né à Délos, est le fils de
Léto et de Zeus et a une sœur jumelle,
Artémis. Après avoir tué au bord d'une
source un monstre femelle, le redoutable
serpent Python, Apollon dit vouloir élever à
cet endroit un temple, celui de Delphes.
Pour obéir à la loi divine qu'il avait luimême établie et qui frappait d'exil les
assassins, il fut envoyé sur terre pendant
huit ans au service d'Admète, roi de Phères.
Ayant expié son meurtre, il revint à
Delphes, pur et lumineux, prendre
possession du site oraculaire.
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
31
HA – Citoyens et non-citoyens à Athènes au Vè s
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Situer la démocratie dans le temps long de l’histoire politique athénienne : elle
apparaît ainsi comme une expérience politique neuve (après la royauté, l’oligarchie
et la tyrannie) qui se met en place au Ve siècle (508 av J.-C.), jusqu’à la crise du
régime qui fait suite à la guerre du Péloponnèse (431-404).
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
L'étude de la démocratie athénienne permet
de présenter une forme d'organisation
politique nouvelle dans un programme qui
jusqu'alors avait présenté le pouvoir
politique aux mains d'un seul dans l'Egypte
pharaonique. Elle ne doit pas faire penser
aux élèves que notre démocratie en est la
descendante directe et c'est la raison pour
laquelle il est essentiel d'en présenter les
limites, limites institutionnelles par
l'exclusion des non-citoyens et limites
pratiques par la non-participation d'une
grande partie du corps civique.
En 2nde, la finalité du chapitre est de donner
à l’élève une base culturelle sur le chemin
de l’apprentissage de sa propre
citoyenneté et des responsabilités qu’elle
implique. L’accent est donc mis sur les
droits et devoirs du citoyen et sur le
fonctionnement concret de la démocratie
athénienne, tout en tenant compte de ses
spécificités. Il s’agit également de
s’intéresser aux exclus de la démocratie et
aux conditions de leur exclusion.
Sources et muséographie :
Sources littéraires
Aristophane, Théâtre complet, Garnier-Flammarion, Paris, 1999.
Thucydide, Histoire de la guerre du Péloponnèse, traduit par J. de Romilly, Robert Laffont, coll. « Bouquins », Paris, 1992.
« Collection des Universités de France » («CUF»), publiée par l’association Guillaume Budé/Les Belles Lettres : Aristote,
Le Politique, La Constitution d’Athènes ; Démosthène (discours judiciaires) Contre Timocrate, Contre Aphobos ; Eschyle,
Les Perses ; Euripide, Les Suppliantes ; Isocrate, Aréopagitique ; Lysias, Sur le meurtre d’Eratosthène ; Pseudo-Xénophon,
Constitution des Athéniens.
Sources épigraphiques
J.-M. Bertrand, Inscriptions historiques grecques, Les Belles Lettres, Paris, 1992.
Institut F. Courby, Nouveau Choix d’inscriptions grecques, Les Belles Lettres, Paris, 1971.
J. Pouilloux, Choix d’inscriptions grecques, Les Belles Lettres, Paris, 1960.
H. Van Effenterre, F. Ruzé, Nomima. Recueil d’inscriptions politiques et juridiques de l’archaïsme grec, École Française
de Rome, 1994-1995.
Recueils de sources
P. Brûlé, L’Histoire par les sources. La Grèce d’Homère à Alexandre, Hachette supérieur, Paris, 1997.
H. Van Effenterre, L’Histoire en Grèce ancienne, Armand Colin, coll. «U2 », Paris, 1967.
P.Vidal-Naquet, M. Austin, Économies et sociétés en Grèce ancienne, Armand Colin, coll. «U2 », Paris, 1992.
Ne pas oublier la céramique à figures rouges athénienne
Ouvrages généraux :
Ils sont issus soit de grands hellénistes ( Moses I. Finley 1912–1986, Jean-Pierre Vernant 1914-2007, Édouard Will 1920-1997,
Pierre Lévêque 1921, Pierre Vidal-Naquet 1930-2006, Nicole Loraux 1943-2003, Claude Mossé 1924) ou philologues (Jacqueline
de Romilly 1913, Monique Trédé-Boulmer), soit de professeurs d'histoire grecque (Pierre Brulé, Raoul Lonis, Yvon Garlan,
Marie-Claire Amouretti, Françoise Ruzé, Pauline Schmitt-Pantel, Marie-Françoise Baslez) et/ou des archéologues (Anthony
Snodgrass, François Queyrel)
Sur la cité en Grèce
Pierre Brulé, La Cité grecque à l'époque classique, PU Rennes, 1995. Un ouvrage qui se consacre moins à la politique qu'à la
géographie, à l'économie, à la vie sociale et à la religion : une approche originale.
R. Lonis, La Cité dans le monde grec. Structures, fonctionnement, contradictions, Nathan-Université, Paris, 1994.
Cl. Mossé, Le Citoyen dans la Grèce antique, Nathan-Université, coll. « 128 », Paris, 1993.
Id., Les Institutions grecques à l’époque classique, Armand Colin, coll. « Cursus », Paris, 1999.
Oswyn Murray, Simon Price, La Cité grecque d’Homère à Alexandre, Maspero, Paris, 1992.
A. Vatin, Citoyens et non-citoyens dans le monde grec, SEDES, Paris, 1984.
François de Polignac, La Naissance de la cité grecque. Cultes, espaces et société, VIIIe-VIIe siècles av. J.-C., La Découverte,
Paris, 1989.
Anthony Snodgrass, La Grèce archaïque, Hachette, Collection Pluriel histoire, 2005, 285 pages
M.-F. Baslez, Histoire politique du monde grec antique, Armand Colin, coll. « Fac Histoire », 3e éd., Paris, 2004.
32
J.-M. Bertrand, Cités et royaumes du monde grec : espace et politique, Hachette, Paris, 1992.
C. Mossé, Les institutions grecques à l’époque classique, Armand Colin, coll. « Cursus Histoire », 6e éd., Paris, 1999.
C. Mossé, Histoire d’une démocratie : Athènes, Le Seuil, coll. « Points Histoire », Paris, (1971) 1992.
Odile Wattel, La politique dans l’Antiquité grecque, Paris, Armand Colin, coll. « Cursus », Paris, 1999.
Sur l’histoire grecque
Amouretti M.-C. et Ruzé F.H Le Monde grec antique, Coll. Hachette Supérieur, Hachette, 1990 (2003). Excellente mise au point
et abondante bibliographie, présence de textes commentés.
Mossé C., Dictionnaire de la civilisation grecque, Complexe, 1992. Idéal pour une recherche rapide de notions particulières.
Vernant J.-P, L'Homme grec, Seuil, Points Histoire, 1993. Un plaisir de lecture et une approche problématisée par thèmes très
intéressante.
Buttin A.-M., La Grèce classique, Coll. Guide Belles Lettres des civilisations. Les Belles Lettres, 2000. Un guide utile pour
trouver rapidement des informations précises sur un sujet.
E. Lévy, La Grèce au Ve siècle : de Clisthène à Socrate, Le Seuil, coll. « Points Histoire », Paris, 1995.
C. Orrieux et P. Schmitt Pantel, Histoire grecque, PUF, coll. « Quadrige », nouv. éd., Paris, 2004.
M.-F. Baslez, Histoire politique du monde grec, Nathan, Paris, 1994.
F. Chamoux, La Civilisation grecque, Arthaud, Paris, 1983.
Cl. Mossé, A. Schnapp-Gourbeillon, Précis d’histoire grecque, Hachette, Paris, 1990.
Cl. Mossé, La Fin de la démocratie athénienne, Paris, PUF, 1962.
E.Will, Le Monde grec et l’Orient, le Ve siècle, tome I, PUF, Paris, (1972) 1993.
Guerre et citoyenneté
Pierre Ducrey, Guerre et guerriers dans la Grèce antique, Paris, 1985.
Y. Garlan, La Guerre dans l’Antiquité, Nathan-Université, Paris, 1999.
Id., Guerre et économie en Grèce ancienne, La Découverte, Paris, 1989.
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La Grèce classique, La Documentation photographique, n° 6092, 1987 / M.C. Amouretti
Travail et société dans l’Antiquité (n° 6015), 1975 / M.C. Amouretti
Athènes au Ve siècle (n° 226), juin 1962
Revues :
Le siècle de Périclès, TDC, n° 916, du 15 au 31 mai 2006
La cité grecque au Vè siècle / Pierre LÉVÊQUE, H&G, 357, avril mai 1997, p. 79-88
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
concepts, problématique) :
Le chapitre consacré à la cité d'Athènes présente un exemple de l'organisation
BO 6ème : « C’est en associant étroitement
politique d'une cité à son apogée. Dans la partie du programme réservée à la Grèce
l’étude du Parthénon, le fonctionnement de
antique, cette approche athénocentriste (critiquée par certains historiens) s'explique l’ecclesia et le rayonnement de la cité au
par le déséquilibre des sources favorisant Athènes et par la volonté de donner un
milieu du Vème s., que les élèves
exemple précis et original d'une cité, ce qui ne réduit en rien la diversité du monde
percevront l’originalité de la démocratie
grec. Présenter Athènes au Ve siècle avant J.-C., c'est tout d'abord insister sur la
athénienne. »
complémentarité entre la vie urbaine (qui a tendance à occulter le reste) et son
Avec l’exemple d’Athènes, on aborde des
33
territoire ; le monde antique est un monde de paysans et l'agriculture y occupe la
grande majorité de la population. C'est ensuite s'interroger sur la façon dont cette
cité s'est construite en mettant en exergue le lien fondamental entre le politique, le
religieux et le culturel, et entre la domination politique et le développement d'un
centre intellectuel exceptionnel. Le déséquilibre des sources précédemment évoqué
trouve d'ailleurs une part de son explication dans le regard que les Athéniens ont
porté et construit sur eux-mêmes, dans l'image qu'ils ont voulu offrir aux cités de
l'époque et celle qu'ils désiraient laisser à la postérité. C'est ainsi que tous les
aspects de la cité, de l'Ecclésia au Parthénon, du théâtre à la sculpture, de la
réflexion philosophique aux fêtes célébrant la cité, permettent de saisir l'originalité
et la puissance d'Athènes à son apogée ; mais le « resserrement » chronologique au
Ve siècle est discutable puisque les réformes politiques sont en partie antérieures et
que le regard philosophique porté sur la cité est lui postérieur : cf les penseurs et
hommes politiques du IVe siècle, comme Socrate (470-399 av. J.-C.), Aristophane
(450-385 av. J.-C.), Alcibiade (450-404 av. J.-C.), Isocrate (436-338 av. J.-C.),
Xénophon (430-355 av. J.-C.), Platon (427-346 av. J.-C.), Démosthène (384-322
av. J.-C.), Aristote (384-322 av. J.-C.). C’est dans la Politique d’Aristote (324-322
av. J.-C.) que, pour la première fois, est posée la question de la définition du
citoyen.
Il convient de s’interroger sur la pertinence de l’étude du cas athénien. À défaut d’y
voir un régime politique « modèle », on peut penser que l’Athènes classique occupe
une place de choix dans notre histoire parce que nous disposons pour cette ville
d’une très riche documentation (archéologique, littéraire, épigraphique). En outre,
l’histoire de la citoyenneté athénienne tend à se confondre avec celle de la
démocratie – ce qui explique la forte polarisation dont elle est traditionnellement
l’objet. L’avènement de la cité athénienne (VIIIe-VIIe siècle) n’est cependant
pas concomitant de la naissance de la démocratie (Ve siècle). Il faut de ce fait se
garder de toute confusion en montrant bien que l’histoire politique de l’État
athénien est le fruit de crises et de compromis – en particulier au VIe siècle – qui
l’ont conduit à adopter le régime démocratique. Dans cette optique nouvelle, la
crise sociale et politique du VIe siècle apparaît comme un temps de transition et
d’expérimentation. Ainsi, la tyrannie de Pisistrate semble avoir constitué une
tentative pour établir un pouvoir soutenu par le demos, sans pour autant instituer
de régime démocratique.
Comme le suggèrent les instructions officielles, les historiens privilégient
aujourd’hui deux axes de recherche pour rendre compte de l’apparition progressive
de la démocratie athénienne :
– Il s’agit de considérer cette histoire sous l’angle de l’élargissement progressif du
corps civique au demos. Dans le cas athénien, cette évolution s’opère en deux
temps : les réformes soloniennes (594 av. J.-C.) introduisent de nouveaux critères
pour accéder à la communauté civique ; ainsi, le critère de la naissance est
remplacé par celui de la fortune. On attribue à Solon la publication de sa
législation. Il aurait été le premier à introduire l’usage des axones, panneaux de
bois exposés dans l’espace public. Mais la « démocratisation » réelle de la vie
politique est amorcée avec Clisthène (508-507 av. J.-C.), qui provoque un nouvel
élargissement du corps civique et l’ouverture de la vie politique au demos, dont
émane désormais le pouvoir judiciaire, législatif et exécutif, par le biais des
assemblées (Héliée, Boulè, Ecclesia) et des magistratures qui lui sont ouvertes
(archontat, stratégie, etc.). C’est la réorganisation de l’espace civique par le
redécoupage territorial de l’Attique : les quatre tribus préexistantes sont remplacées
par dix tribus, regroupant des circonscriptions (trittyes) non contiguës réparties
entre trois régions administratives (côte, ville et intérieur) et subdivisées en dèmes ;
ainsi la tribu ne correspond pas à une entité géographique contrôlable par un clan
aristocratique et chacune d’entre elles bénéficie d’un territoire semblable, ce qui a
permis l’avènement de la démocratie, en unifiant l’Attique « par désir de mélanger
(les Athéniens) afin qu’un plus grand nombre jouît des droits civiques »
(Constitution d’Athènes). On peut d’ailleurs remarquer que les trittyes de la ville
(asty) sont plus restreintes que celles de l’intérieur ou de la côte ; elles sont, en
effet, découpées en fonction de la densité de population, la densité urbaine étant
plus importante que celle des autres parties. On retrouve donc le souci d’avoir
sensiblement le même nombre de citoyens dans chaque tribu. En rendant tous les
citoyens égaux devant la loi, une loi qui désormais serait l’expression de la volonté
du demos entier, il crée les conditions qui vont permettre à la démocratie de naître.
Dans la Constitution d’Athènes, Aristote affirme que Clisthène a « remis l’État à la
multitude ».
notions fondamentales : celle de politique,
de citoyenneté, de différents degrés de
participation à la vie publique.
Le chapitre s'appuie sur des types de
documents très différents (textes,
monuments, sculptures, vases, objets,
monnaie...) afin de permettre la
confrontation de différents langages,
dépasser du concret à l'abstrait en
identifiant par une démarche historique
simple les données qu'offrent les
documents, de donner une vue d'ensemble
de la civilisation athénienne et, en dernier
lieu, de permettre aux élèves de
comprendre l'importance du document dans
l'écriture de l'histoire. Enfin, ce chapitre,
dont la teneur culturelle est forte, autorise
la réflexion sur la place qu'occupe
l'Athènes antique dans notre propre
identité, en nous inscrivant dans le temps
long de l'histoire.
Le fonctionnement de la démocratie
athénienne doit, pour être compris des
élèves de Sixième, s'inscrire d'abord dans le
concret. C'est pourquoi les documents de la
leçon invitent à s'attacher aux lieux, aux
objets et aux talents de la démocratie. Il est
nécessaire de donner des exemples précis
de discussions sur la Pnyx : évoquer
l'organisation des fêtes, l'entretien des rues,
la construction des temples, le paiement du
tribut... avant d'amener les élèves à une
réflexion plus abstraite qui peut s'appuyer
sur une comparaison avec le régime de
l'Egypte.
Le fonctionnement de la démocratie est
complexe et il n'est pas possible d'entrer
dans des détails institutionnels avec des
élèves de 6e. Le schéma met donc en
évidence quelques notions-clefs permettant
de saisir la particularité de ce régime : un
corps civique élargi (théoriquement à
l'ensemble des citoyens), des
responsabilités partagées entre différents
groupes et limitées dans le temps, le tirage
au sort (qui signifie que tout citoyen en
vaut un autre et que le hasard, d'origine
divine, a sa place dans la vie politique),
enfin des élections pour les magistratures
les plus importantes qui exigent des
compétences particulières (commandement
de l'armée, gestion du trésor public). Cette
démocratie directe est limitée dans les faits
: les paysans éloignés de la ville ne peuvent
participer régulièrement aux séances, les
thètes sont exclus des magistratures
principales... Dans la pratique d'ailleurs, la
colline de la Pnyx ne peut accueillir plus de
6 000 personnes, soit 10 à 15 % des
citoyens. L’Assemblée dispose de pouvoirs
quasi illimités : elle vote et promulgue les
lois, dispose du droit de guerre et de paix,
élit aux magistratures militaires et à
certaines magistratures financières et
contrôle l’action des magistrats. Par un
34
– La démocratie est considérée comme une pratique concrète du pouvoir organisant
les relations sociales au sein de la cité selon des modalités nouvelles. La
communauté se réalise à travers des cultes communs dotés d’une dimension
politique et patriotique : les grandes fêtes de la cité, comme les Panathénées à
Athènes, sont interprétées comme des pratiques civiques, mettant symboliquement
en scène la définition athénienne de la citoyenneté. De même, l’exercice de la
citoyenneté est inscrit dans l’espace urbain : son aménagement, les lieux
symboliques de la ville et leurs embellissements revêtent une dimension civique.
L’adhésion aux valeurs politiques athéniennes est également en jeu à travers la
culture collective : théâtre, rites alimentaires (banquets communs), art de la parole.
Ces formes de sociabilité sont fondées sur une éthique du partage et de la
participation collective. En ce sens, elles prolongent l’activité politique à
proprement parler et sont parties prenantes de l’expérience de la démocratie. Cette
histoire culturelle du politique a réhabilité l’étude des autres manifestations de la
vie civique (théâtre, fêtes religieuses, débats intellectuels).
Dans la mesure où le programme insiste sur la filiation avec le monde
contemporain, c’est bien la pratique de la démocratie qui constitue le fil conducteur
entre l’Athènes classique et le XXe siècle occidental. Cette filiation s’est opérée
par la réflexion des Anciens, qui a alimenté les théoriciens modernes (humanistes,
philosophes des Lumières) et contemporains. De fait, l’histoire de la cité
athénienne est devenue un « lieu de mémoire» politique et culturel de l’Occident ;
les Athéniens ont mis au point le concept de citoyenneté qu’ils ont défini comme
une forme de participation directe au pouvoir législatif, exécutif et judiciaire. Ils
sont ainsi considérés comme les inventeurs de la démocratie directe et de la notion
de souveraineté populaire. Si la dimension patrimoniale du sujet est évidente, elle
repose cependant sur une tradition pourvoyeuse de nombreux mythes. On peut en
effet s’interroger sur l’existence d’un «modèle de démocratie », alors que le régime
athénien n’a fonctionné de façon démocratique que durant une période relativement
courte (un siècle) et n’a pas survécu aux crises militaires et politiques de la fin du
Ve siècle. Pourtant, le mythe athénien a été entretenu par la philosophie politique
des Lumières (Voltaire, Montesquieu ou Rousseau) qui imprègne encore notre
culture politique. Suivant cette tradition, Athènes donne une vision exigeante de la
citoyenneté, définie comme un ensemble de droits et de devoirs envers l’État et
reposant sur l’octroi à tous les citoyens de la faculté de participer à la direction
politique de la cité. Dans l’esprit du programme, ce mythe politique doit être
confronté à la réalité sociale athénienne. Le demos (« peuple ») est bien au centre
du pouvoir politique, mais il s’agit d’une minorité de la population. L’exemple de
la citoyenneté athénienne permet donc de montrer le caractère profondément
inégalitaire d’un régime dont les institutions sont à la fois démocratiques et
censitaires. Ainsi, on pourra réfléchir aux relations entre citoyenneté et démocratie,
et distinguer cette démocratie « antique » (directe mais fermée et inégalitaire) d’une
pratique contemporaine de la démocratie (représentative et, a priori, plus ouverte et
égalitaire).
Deux ouvrages de Pierre Vidal-Naquet (se recoupant largement) permettent de
comprendre comment la Révolution a compris Athènes : La démocratie grecque
vue d’ailleurs, Champs Flammarion, 1996 et Les Grecs, historiens, la démocratie,
le grand écart La Découverte 2000.
Jusqu'à la Révolution (comprise), la connaissance de l’Antiquité grecque est
essentiellement basée sur Plutarque.
Au XVème siècle, chez les humanistes florentins, émerge une réflexion politique
qui constitue un relais entre l’Antiquité et le Siècle des Lumières
Le Siècle des Lumières voit s’animer le débat à propos d’Athènes et de Sparte :
Voltaire est partisan d’Athènes et Rousseau de Sparte, mais le débat oppose moins
la liberté et l’égalité, voire la démocratie et l’esprit oligarchique que le luxe
(Athènes) et la frugalité (Sparte), les valeurs du commerce et celles de la guerre.
Rousseau voit dans Sparte la réalisation de l’idéal du citoyen, seul produit de
l’histoire pouvant faire face au modèle de l’homme selon la nature.
En ce qui concerne Montesquieu, P. Vidal-Naquet parle de choix “ éclectiques ”.
Dans les livres III, IV et V de l’Esprit des lois sur la vertu comme principe et
comme pratique de la démocratie antique, Athènes est peinte aux couleurs de
Lacédémone, celles de la frugalité. La boulè annuelle des 500 devient l’équivalent
du Sénat romain ou de la gerousia spartiate.
Pendant la période révolutionnaire, l’identification la plus forte entre Révolution et
Antiquité grecque se fait pendant l’An II : Sparte, la cité des homoioi forme avec la
République égalitaire de l’an II un couple indissociable ; c’est la démocratie
simple vote, elle peut frapper d’atimie ou
d’ostracisme un citoyen jugé dangereux
pour la démocratie. Elle dispose de
pouvoirs judiciaires exceptionnels comme
la procédure d’eisangelie dans le cas de
crimes politiques portant atteinte à la sûreté
de la cité… C’est parmi ses membres que
sont tirés au sort magistrats, héliastes
et bouleutes. Pour les décisions
importantes, un quorum de 6 000 votants
est exigé. En moyenne, 2 000 à 3 000
personnes y assistent pour un effectif
moyen de 40 000 citoyens. Le programme
des séances est affiché quatre jours à
l’avance. Elles débutent par des prières et
un sacrifice, puis les textes mis à l’ordre du
jour et préparés par la Boulê sont présentés.
N’importe quel citoyen peut
prendre la parole et proposer un texte de
décret au vote. Le vote se fait à main levée,
sauf exception pour le vote d’ostracisme.
Ce sont surtout les magistrats en vue et les
orateurs qui influencent l’auditoire.
Les objets de la démocratie permettent
d'inscrire l'acte politique dans une pratique
concrète et de relier cette pratique au
fondement théorique du régime
démocratique. Ainsi la clepsydre, par la
mesure du temps de parole, donne son sens
à l'isonomie c'est-à-dire au droit égal à
gérer les intérêts communs. Un temps de
parole égal est le signe qu'au tribunal,
l'accusation et la défense sont entendues et
que la fortune ou la naissance ne donnent
théoriquement pas plus de droit. Les jetons
d'héliaste, parce qu'ils permettent un vote
secret, sont un garant de la liberté théorique
du vote. Le jeton à tige creuse sert à voter
pour la condamnation d'une personne, celui
à tige pleine pour son acquittement. Enfin,
le kleroterion permet un tirage au sort des
jurés, ce qui, pour les Athéniens, symbolise
pratiquement une désignation protégée par
les dieux. Des plaquettes portant chacune le
nom d’un juge sont glissées dans les
encoches. Des cubes noirs et blancs sont
ensuite jetés au hasard dans le conduit
vertical situé à gauche. Si un cube blanc
apparaît dans le trou situé en bas à gauche,
les juges de la
première ligne horizontale siégeront, dans
le cas d’un cube noir, ils ne le pourront pas
; et ainsi de suite pour les lignes suivantes.
Les membres de la Boulè et la plupart des
magistrats sont également désignés par
tirage au sort. Les Athéniens considèrent
cette procédure comme la plus
démocratique. Les ostraca permettent de
donner un exemple précis de contrôle et de
montrer que le régime a réfléchi à la façon
de se défendre.
Le texte de Plutarque nous rapporte la
procédure d’ostracisme dont Aristide « fils
de Lysimachos » fait l’objet en 482 avant
J.-C. (avant Thémistocle, son rival). La
35
modèle. Robespierre et Saint-Just utilisent Sparte pour voir leur propre société
comme transparente, comme idéalement unifiée. En 1793, le thème de la
régénération l’emporte et le culte de l’antiquité gréco-romaine en est l’instrument.
Pendant la dictature montagnarde, seul Camille Desmoulins ose prendre le parti
d’Athènes au nom de la démocratie, de la liberté de la presse et du droit à l’erreur,
mais Camille Desmoulins est le seul des révolutionnaires à avoir une culture
grecque un peu étoffée.
Au XIXème siècle s’impose la lecture libérale : le discours change aussitôt après le
9 Thermidor même si Sparte demeure le modèle dominant sous la Restauration,
voire la monarchie de Juillet, dans l’enseignement ; progressivement, le modèle
spartiate se place à droite, voire à l’extrême droite. Le mouvement en faveur
d’Athènes s’affirme chez les libéraux du début du XIXème siècle ; il est renforcé
sous la Troisième République naissante : celle-ci se lit dans Athènes (finesse,
culture, liberté d’expression) et voit en Sparte les Allemands (vainqueurs certes,
mais autoritaires....). Cette identification s’est d’autant plus aisément prolongée au
XXème siècle que les nazis eux-mêmes revendiquent le modèle spartiate (cf H.-I.
Marrou Histoire de l’éducation dans l’Antiquité).
Par ailleurs, la lecture des sources a imposé des biais. Les sources sur Athènes
datent majoritairement du IVème siècle av. J.-C. parce que l’écriture au Vème
siècle av. J.-C. demeure une exception. Glotz (en 1936) classait par ex, les sources
en deux parties : tout ce qui pouvait renvoyer à un fonctionnement harmonieux des
institutions était placé au Vème siècle av. J.-C. ; tout ce qui supposait la discorde et
la crise était situé au IVème siècle av. J.-C.
Pierre Vidal-Naquet s’interroge sur notre rapport à la Grèce : “ la Grèce n’est pas
dans notre histoire et pour comprendre celle-ci nous n’avons nul besoin de savoir
comment fonctionnait l’assemblée athénienne, ce qu’était la boulè (le Conseil), et
comment était appliqué l’ostracisme. Ce qui est dans notre histoire ou du moins
dans une partie de notre histoire et que nous ne pouvons en arracher, parce qu’elle
est le passé, c’est le dialogue avec la Grèce et d’abord avec les textes grecs. La
réélaboration, tantôt sous la forme mythique ou idéologique, tantôt sous la forme
du travail critique et scientifique, de l’héritage grec, est une des données de notre
histoire intellectuelle, qui s’exprime dans la création sans cesse renouvelée, de
nouveaux concepts, de nouveaux champs épistémologiques. ”
Il est toutefois indéniable que l’héritage athénien est à l’origine de notre culture
politique. Les Athéniens se sont également interrogés sur la nature du pouvoir et la
meilleure constitution politique, réflexion centrale dans l’oeuvre d’Aristote ou de
Platon. L’idée que la publicité des lois crée les conditions pratiques de l’exercice
d’un pouvoir démocratique constitue une des innovations les plus remarquables de
l’histoire politique athénienne. L’égalité des citoyens devant les lois est confondue
avec la publication des lois écrites : dans cette optique, faire de la politique signifie
aussi avoir la faculté d’en débattre publiquement dans la cité. Les statues des dix
héros éponymes (qui ont donné leur nom aux dix tribus d’Athènes), érigées sur
l’Agora en face du bouleuterion, surmontent les textes de lois affichés sur le socle
du monument : la lecture de ces textes, rendue ainsi plus facile et accessible, doit
permettre de rappeler les grandes règles de la démocratie. Enfin, la civilisation
athénienne est constitutive de notre culture occidentale. Les oeuvres artistiques et
intellectuelles athéniennes ont en effet servi de référence au courant humaniste de
la Renaissance, et leur « redécouverte» a permis l’avènement de codes esthétiques
nouveaux. La représentation de la nudité par exemple, est devenue un topos de l’art
renaissant, malgré les interdits religieux, grâce à la redécouverte de la statuaire
antique et des canons gréco-romains. On peut également faire état de la « naissance
» de l’histoire comme discipline scientifique constituée, trait caractéristique du Ve
siècle athénien. Or la méthode, fondée sur l’esprit critique, préconisée par
Thucydide (Histoire de la guerre du Péloponnèse) pour reconstituer le passé,
prévaut encore dans notre approche des sources historiques.
DÉBATS HISTORIOGRAPHIQUES
L’historiographie s’est considérablement développée depuis une vingtaine
d’années. La description classique des institutions politiques s’est renouvelée en
prenant en compte l’existence de cultures politiques inscrites dans l’espace civique,
ainsi que dans les structures de la vie sociale et culturelle des citoyens. L’étude du
Ve siècle athénien s’est en outre enrichie des questions posées par la relecture de la
période archaïque, caractérisée par la naissance des cités-États dans le cadre
desquelles sont tentées de multiples expériences politiques (oligarchie, tyrannie,
procédure d’ostracisme est utilisée pour la
première fois en 488-487. Une fois par an,
l’Ecclésia vote à main levée pour savoir si
elle veut procéder à un vote d’ostracisme. Il
s’agit ensuite de désigner par un vote secret
à l’Assemblée (qui doit pour l’occasion
réunir un quorum de 6 000 votants, nombre
symbolisant l’ensemble
du peuple) le citoyen que l’on veut exiler
de la cité pour une période de dix ans sans
qu’il perde la jouissance de ses biens. Il
faut inscrire le nom de ce dernier sur un
bout de céramique (beaucoup ont été
retrouvés lors des fouilles de l’Agora).
L’Assemblée doit choisir entre deux noms
de citoyens ce qui montre l’importance
prise par le jugement du demos dans la
vie politique. Le but de cette procédure est
d’éloigner de la cité toute personne qui, par
l’influence qu’elle exerce dans la cité,
pourrait y instaurer un régime personnel.
L’ostracisme obéit au respect de l’égalité
entre les citoyens. (Plutarque en montre les
limites, car il y voit davantage l’expression
de la jalousie du peuple envers une
personne de talent). La privation des droits
cesse avec la fin de l'exil. Mais si le
nombre de voix n'est pas suffisant, c'est
l'accusateur qui risque l'exil. Peu à peu,
l'ostracisme est remplacé par d'autres
procédures permettant à l'accusé de se
défendre devant un tribunal. On peut
également perdre la citoyenneté par un acte
rituel (ou atimie) à la suite d'accusations
bien précises (24 cas, dont la lâcheté au
combat, le non respect des lois, les dettes,
l'entrave à la justice, l'impiété, le non
respect d'une sentence d'ostracisme).
C'est aussi l'occasion de provoquer chez les
élèves une réflexion sur la maîtrise du
langage, aujourd'hui.
Isocrate (436-338) a suivi les leçons de
Socrate et a été professeur d'éloquence. Son
Panégyrique est un de ses célèbres
discours. Dans une démocratie directe, il
faut savoir convaincre son public et
maîtriser « l'art de la parole ». A la tribune
de la Pnyx (« Qui demande la parole ? »
était la formule traditionnelle), certains
orateurs de talent, comme Périclès, ont
exercé un réel ascendant sur leurs auditeurs
par leur maîtrise de l'argumentation qui
inspirera d'ailleurs philosophes et auteurs
tragiques. Les techniques de persuasion
deviennent au Ve siècle un objet de
réflexion et d'enseignement comme le
prouve le développement de la sophistique.
Les sophistes s'attachent à former, dans des
cours privés et payants, des élites de la
tribune.
36
etc.) aux origines de la démocratie athénienne. Ces travaux ont d’abord permis de
définir la notion de cité, étudiée comme un ensemble complexe de relations :
– Les relations qui s’établissent entre les hommes qui composent la cité en font
avant tout un groupement humain doté de droits politiques. La cité est ainsi
considérée comme une communauté de citoyens ;
– La manière dont elle organise l’espace qu’elle occupe offre l’image d’un
ensemble solidaire ville-territoire ;
– Enfin, les relations qu’elle tisse avec les autres cités ou royaumes font d’elle un
État souverain.
La cité ainsi définie est à la fois un corps civique doté d’institutions propres et un
État indépendant. Cet État exerce sa souveraineté sur un territoire constitué d’un
centre politique (en général urbain) et de l’espace (souvent rural) qu’il domine.
Ainsi, il convient mieux de parler de cité-État, pour traduire la notion de polis.
La question des facteurs de l’émergence de la cité entre le début du VIIIe siècle et
le milieu du VIIe siècle a aussi suscité de multiples interprétations :
- Parmi les causes avancées avec prudence par les historiens pour expliquer ce
cheminement vers la démocratie figure la transformation des techniques militaires
qui prive l’aristocratie foncière du monopole de la défense de la cité puisque le
combat individuel cède le pas à la phalange hoplitique. C’est ce que démontre
notamment la victoire de Marathon contre les Perses en 490 avant J.-C. Les
hoplites ont alors vraisemblablement réclamé leur part de pouvoir. La réforme
militaire ou « réforme hoplitique », généralisée au VIIe siècle, a renforcé le
sentiment d’adhésion des soldats issus du peuple (hoplites) à la cité-État et a
entraîné l’élargissement progressif du corps civique, jusque là composé de l’élite
aristocratique.
- L’historien Francois de Polignac a par exemple mis en avant l’importance du fait
religieux : selon lui, l’existence de pratiques cultuelles et funéraires communes
détermine les limites du territoire civique. L’apparition du temple, au VIIIe siècle
avant J.-C., situé en marge de l’espace contrôlé par la ville (temples périphériques)
ou en son centre (sanctuaires urbains) marquerait ainsi l’avènement d’une cité
constituée et soucieuse de borner son territoire. La religion ainsi considérée serait
un facteur d’accélération de la constitution de la communauté civique.
- Les historiens évoquent aussi les transformations économiques qui conduisent au
développement des échanges et à l’apparition de la monnaie à partir du VIIe siècle
avant J.-C. Ainsi se serait développée une communauté d’hommes dont la richesse
n’était plus seulement liée à la possession de la terre.
- Enfin, selon A. Snodgrass, l’accroissement démographique avéré par
l’archéologie (augmentation du nombre des sites occupés, accroissement des restes
funéraires et du matériel céramique), à partir de la seconde moitié du VIIIe siècle,
permet de dater les premiers regroupements humains en cités. En Attique, ce
renouvellement démographique aurait présidé à la « réunion » (synoecisme) autour
d’Athènes de petites communautés comme Brauron, Marathon, etc.
Quoi qu’il en soit, la démocratie est le résultat d’une construction lente, liée à la
volonté de plusieurs grands noms de l’histoire athénienne de faire la part belle au
demos ou de s’appuyer sur lui, faite de réformes successives. Après Solon et
Clisthène en effet, la démocratie n’aurait pas eu autant d’éclat au Ve siècle sans les
mesures d’Ephialtès et la politique de Périclès.
En définitive, ces travaux ont souligné la diversité du monde grec : la formation de
la cité obéit ainsi au temps long d’une chronologie fluctuante, tributaire de facteurs
religieux, politiques et sociaux, ainsi que des circonstances locales. La recherche
a ainsi mis en avant que l’étude du cas athénien ne saurait constituer un modèle
d’organisation politique extensible à l’ensemble du monde grec. En ce sens,
l’histoire antique actuelle est en rupture avec l’historiographie passée (Gustave
Glotz 1862-1935) faisant d’Athènes le modèle d’évolution de la cité en Grèce. Il
apparaît aujourd’hui qu’Athènes n’est qu’un exemple parmi d’autres, comme le
souligne d’ailleurs l’intitulé du programme de seconde. On peut aussi rappeler qu’il
existe, à côté de la polis, un autre modèle d’État : l’ethnos (État tribal).
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Le terme de démocratie apparaît seulement dans le troisième quart du siècle sous la
plume d'Hérodote. C'est à l'origine un terme polémique inventé par les ennemis de
l'organisation démocratique qui s'insurgent contre la prédominance du démos. Le
nouveau régime est au départ qualifié d'isonomie ce qui signifie égale répartition,
égale distribution dans le cadre d'une société hiérarchisée. L'isonomie ne concerne
qu'une partie de la population, il ne s'agit donc pas d'égalité de tous mais d'un droit
Activités, consignes et productions des
élèves :
BO 2nde : « Athènes devient dès le Ve
siècle avant Jésus-Christ une cité
gouvernée par l’ensemble de ses citoyens.
Il faut donc partir du citoyen, en centrant
l’étude sur le fonctionnement concret de la
démocratie (cadre géographique de la cité,
37
égal pour une partie de la population à gérer les intérêts communs. Ainsi, la
souveraineté est dépersonnalisée, elle devient une chose commune : la conduite des
affaires publiques s'élargit à un plus grand nombre et l'autorité ne s'incarne plus
dans la personne mais dans la fonction. Les réformes démocratiques qui instituent
un corps politique fondé sur l'idée de citoyenneté se font progressivement de Solon
à Pisistrate et à Clisthène.
L'observation du plan d’Athènes permet en premier lieu de révéler l'omniprésence
des monuments religieux. Les deux cœurs de la cité, l'Acropole et l'Agora, ont tous
les deux un contenu religieux visible grâce aux monuments, ce qui permet d'insister
sur l'imbrication du religieux et du politique. Dans un deuxième temps, on notera
que l'Agora concentre l'essentiel des bâtiments politiques. Cette place publique se
développe surtout avec le régime démocratique. Elle est le lieu où la communauté
se retrouve et aussi le lieu du pouvoir. Ainsi, l'idée abstraite de placer le pouvoir au
centre de la communauté (cf. Aristophane dans Les Oiseaux, v. 1004-1009) se
retrouve dans l'architecture, la place publique et l'invention du politique sont
intimement liées. Les lois sont placardées afin d'être vues de tous ; la publicité des
lois est garante de la règle démocratique.
Athènes au Ve siècle est une ville fortifiée dont l’enceinte (9 km de long) érigée en
479 par Thémistocle fut complétée par l’édification des Longs Murs (459-446 av.
J.-C.) reliant la ville au port du Pirée. Jusqu’à la construction du Pirée, Athènes ne
dispose d’aucune véritable installation portuaire : les navires sont amarrés au large
de Phalère ou tirés sur la plage. Le site du Pirée est bien choisi : il présente trois
baies, formant trois ports naturels. C’est Thémistocle qui, sous son archontat, en
493-492, initie les travaux. Le port principal, Kantharos, au nord-ouest, est un
grand port de commerce. Zéa, au centre, est le principal port de guerre, suivi de
celui de Mounichie, à l’est. Ils sont dotés de loges pour accueillir les trières. Le
chantier est achevé dans les années 450. La ville du Pirée, construite selon un plan
en damier conçu par l’architecte Hippodamos de Milet devient, durant le Ve siècle
avant J.-C., une grande ville cosmopolite, proche d’Athènes, peuplées de marins,
de pêcheurs, de commerçants, d’ouvriers de l’arsenal auxquels se mêlent les
étrangers de passage et les esclaves venus de toute la Méditerranée et du PontEuxin. Très dynamique, elle devient le pôle économique de la cité athénienne et
fait figure de port de redistribution des denrées de toute la Méditerranée vers les
autres États grecs ou au-delà. Dans les années 458-456, Athènes et le Pirée sont
reliés par les Longs Murs, de façon à garantir, quoiqu’il arrive, les relations entre la
ville et son port. Un troisième mur, appelé Mur de Phalère, à l’est, relie l’enceinte
d’Athènes à la côte englobant la rade de Phalère dans la zone protégée des attaques
extérieures. C’est dans ces murs que la population de la cité vient se réfugier durant
la guerre du Péloponnèse. Grâce à ces travaux, la cité athénienne s’est dotée d’un
ensemble portuaire bien équipé et fortifié, à la mesure de sa puissance navale. Le
Céramique comprend le quartier des artisans (qui s’étend jusqu’à l’Agora) et le
cimetière (situé hors les murs). L’Agora est aménagée en place publique au début
du VIe siècle : utilisée comme place de marché, elle devient le centre politique
d’Athènes à l’époque des grandes réformes démocratiques (VIe-Ve siècles). On y
trouve le Bouleutérion où siège la Boulè ou Conseil des 500 (au premier
Bouleutérion, bâtiment de 23,3 x 23,80 m édifié lors de la création du conseil, s’en
ajoute un nouveau à l’ouest vers la fin du Ve siècle av. J.-C.), organe capital dans le
fonctionnement de la démocratie. Il est créé par Clisthène en 508-507. Les 500
bouleutes sont recrutés pour un an parmi les citoyens de plus de 30 ans, par tirage
au sort. Ce nombre important et l’interdiction posée d’être bouleute plus de deux
fois dans sa vie donne toutes ses chances au citoyen de l’être au moins une fois. La
première fonction du Conseil est de préparer les lois soumises à l’Assemblée. Il
surveille ensuite leur application. C’est ainsi un organe à la fois législatif, exécutif
et judiciaire (examen et contrôle des magistrats). Enfin, son rôle est aussi
administratif (des commissions se répartissent les tâches : gestion des sanctuaires,
des fêtes, des édifices publics, des remparts, des finances…). Au sud de la place, la
Tholos (un bâtiment circulaire érigé en 470) est le lieu de réunion des prytanes, la
commission permanente de la Boulè. L’Agora abrite également le Tribunal
populaire, l’Héliée. Il regroupe 6 000 citoyens de plus de 30 ans (héliastes),
recrutés par tirage au sort à raison de 600 par tribu parmi des volontaires qui
prêtent serment. Les héliastes sont répartis en plusieurs tribunaux ou dikasteria aux
compétences diverses, jugeant de très nombreuses affaires. Les procès politiques
sont tenus devant l’Héliée qui peut casser une loi votée par l’Ecclésia, à la suite
d’une action en illégalité engagée par n’importe quel citoyen ce qui lui confère une
fonction non seulement judiciaire mais aussi politique. Les héliastes sont d’ailleurs
droits et devoirs du citoyen, exercice des
magistratures), puis en l’élargissant aux
rapports du civique et du religieux, et aux
aspects culturels. Il faut en outre souligner
la conception restrictive de la citoyenneté
que développe Athènes au Ve siècle, et
insister sur les limites de la démocratie
athénienne : une citoyenneté fondée sur le
droit du sang (mais refusée aux femmes),
qui exclut les étrangers et les esclaves et
dont le fonctionnement révèle des
problèmes. Entrées possibles : les lieux de
pouvoir à partir du plan d'Athènes, la
religion civique à partir de la frise des
Panathénées, etc. »
Les Instructions officielles insistent ainsi
sur trois axes d’étude. Le citoyen constitue
le coeur du sujet. On commencera par
définir la citoyenneté athénienne qui repose
sur les mêmes éléments que la nôtre : des
conditions d’accès, l’attribution de droits,
le respect de certains devoirs. À partir de la
description des grands organes politiques
athéniens (séparation des
pouvoirs et contrôle étroit entre ces
institutions), on insiste sur les procédures
qui visent à établir une véritable égalité
politique à Athènes : tirage au sort,
ostracisme, collégialité et rotation annuelle
des charges publiques. L’accent est mis sur
le fonctionnement de cette démocratie
moins par la description des institutions
que par les procédures qui permettent aux
citoyens de participer réellement à la
démocratie. Le second axe s’intéresse à la
culture politique athénienne. La citoyenneté
repose sur des pratiques culturelles qui
visent à imposer les valeurs démocratiques
et à renforcer l’union de la population. La
religion, le théâtre, l’art en constituent les
manifestations essentielles. Leur étude
permet d’évoquer le prestige de la culture
athénienne à travers de grandes
réalisations, comme les monuments de
l’Acropole. Enfin, la démocratie athénienne
est loin d’être un régime politique parfait. Il
faut insister sur l’exclusion de la majorité
de la population et montrer que cette
démocratie est en
fait réservée à une élite.
Les futurs programmes précisent :
« L’unité de la cité des Athéniens a trois
dimensions : religieuse, politique et
militaire. L’étude est conduite à partir :
- de la fête des Panathénées
- d’un débat à l’Ecclesia (pendant la guerre
du Péloponnèse par exemple…)
- de l’engagement militaire d’un citoyen
(hoplite à Marathon, marin à Salamine…) »
Exemple du texte de Thucydide dans la
Guerre du Péloponnèse en 441 : les soldats
athéniens présents à Samos décident de
s’opposer à la révolution oligarchique qui
vient d’éclater à Athènes au nom de la
défense de la démocratie. Ils le font en
38
les premiers à bénéficier de la création par Périclès du misthos. Vers le sud-ouest,
le Strategion accueille les stratèges, magistrats chargés de commander l’armée et la
flotte et de garder le territoire. C’est la principale magistrature, à laquelle on est élu
en fonction de son prestige, dont les prérogatives s’étendent peu à peu à la politique
extérieure, aux finances. C’est donc elle qui permet de diriger la cité. C’est un
bâtiment postérieur au milieu du Ve siècle mais son identification reste sujette à
caution. Les archéologues croient avoir identifié l’Héliée, un imposant quadrilatère
daté du début du Ve siècle. Sur la colline de la Pnyx un vaste hémicycle a été
aménagé pour accueillir l’Ecclesia : l’Assemblée des citoyens commence à s’y
réunir à partir de la fin du VIe siècle (réformes de Clisthène). Athènes est l’une des
rares cités à y consacrer un espace spécifique, aménagé vers 460 av. J.-C. et prévu
pour contenir 6 000 citoyens, à 400 m au sud-ouest de l’Agora. L’Aréopage ou «
colline d’Arès » abrite le lieu de réunion de l’ancien conseil aristocratique ; tribunal
jugeant les crimes de sang, il est composé d’anciens archontes. L’Acropole est le
principal sanctuaire de la ville. Les premiers efforts d’aménagement remontent sans
doute à Pisistrate. En 449, Périclès décide de réaliser un programme de grands
travaux. Les Propylées (438-432) permettent d’accéder au sanctuaire où le
principal bâtiment est le Parthénon (447-442), abritant la gigantesque statue
d’Athéna Parthénos (10 m de haut environ). À partir du Ve siècle, les concours de
théâtre, directement reliés aux grandes fêtes religieuses (Panathénées ou
Dionysies), se déroulent au pied de l’Acropole à côté du sanctuaire dédié à
Dionysos, dans le théâtre de Dionysos.
Les différentes institutions athéniennes se contrôlent mutuellement. Les magistrats
exercent sous le contrôle de l’Assemblée, on a l’exemple d’une amende infligée au
stratège Périclès. La boulê – ou Conseil –, issue par tirage au sort de l’ecclésia,
contrôle et juge la plupart des fonctionnaires, ainsi que les magistrats, sur
accusation de tout particulier. Toutefois, un appel reste possible devant le tribunal.
De même, la boulê prépare le travail législatif de l’Assemblée des citoyens qui est
d’ailleurs présidée par les prytanes en exercice, ceux-ci décidant de l’ordre du jour
des délibérations.
La guerre, toile de tond de la vie politique des cités (ceIles-ci sont en guerre en
moyenne plus de deux ans sur trois et la paix ne parvient jamais à s'imposer plus de
dix ans de suite) traduit une conception particulière de la liberté a la fois liée à
l'absence de domination étrangère et a la capacité d'imposer sa propre domination.
L'armée en Grèce a toujours été un élément primordial, tant pour des raisons
économiques que structurelles. Le principe de la cité qui a pour loi une
indépendance absolue l'oblige en effet à se battre contre d'autres cités ou contre des
ennemis extérieurs pour garder son autonomie et sa liberté. La guerre et ses
principales batailles sont l'occasion d'insister sur l'identité soldat-citoyen. Rendue
nécessaire par l’obligation qu’a le citoyen de payer son équipement, la règle de la
proportionnalité des charges militaires existe en Grèce dès la période archaïque.
C’est à Athènes qu’elle est la mieux connue. Depuis l’époque de Solon existent
quatre classes censitaires : pentacosiomédimnes, hippeis, zeugites et thètes. L’achat
et l’entretien de chevaux étant coûteux, les cavaliers sont des citoyens riches
appartenant soit à la première classe des pentacosiomédimnes (soumis non
seulement au service militaire mais aussi à la triérarchie et autres liturgies) soit à la
classe des hippeis (cavaliers). Pour le combat, ils sont armés de deux lances et
d’une épée ; ils montent sans selle ni étrier ; le cheval est seulement harnaché, sans
protection. Les hoplites, citoyens affectés à l’infanterie lourde, peuvent appartenir
aux deux premières classes qui n’auraient pas choisi la cavalerie, mais surtout à
celle des zeugites. Quant aux thètes, ils ne peuvent servir que comme fantassins
légers ou comme rameurs sur une des 300 à 400 trières que compte Athènes à son
apogée. Comportant trois rangées de rameurs (comme leur nom l’indique), assis sur
des gradins se trouvant à trois niveaux différents, ce navire de guerre en bois, doté
d’une quille en chêne est facile à construire et aisément maniable. L’État fournit la
coque, le gréement et l’équipage. Les triérarques, ont pour tâche de mettre le navire
en état, d’assurer son entretien et celui de l’équipage, de fournir l’armement. En
situation critique, la cité recourt à l’emploi de zeugites, de métèques, voire
d’esclaves.
Les guerres médiques illustrées par les trois batailles principales de Marathon,
Salamine et Platées, sont à l'origine de la domination et du rayonnement d'Athènes
dans le Bassin méditerranéen. La victoire de Marathon devient dans ce cadre pour
les Athéniens un événement fondateur de l'opposition Grecs/barbares, et surtout
elle légitime l'organisation militaire, civique et religieuse de la cité. Cependant, si
les victoires des guerres médiques fondent la grandeur athénienne, elles portent
suivant des procédures démocratiques: ils
convoquent une assemblée, ils débattent et
ils élisent des magistrats. L’armée apparaît
donc ici comme une cité en miniature.
Exemple du document, extrait de la
Constitution des Athéniens, sur
l’inscription des nouveaux citoyens
(attribué à Xénophon dans l’Antiquité ;
mais écrit en 420 av. J.-C., il est
en réalité trop ancien pour avoir été écrit de
sa main) : les quatre conditions pour être
inscrit au nombre des citoyens
sont être né de parents « ayant tous deux le
droit de cité », c’est-à-dire d’un père
citoyen et d’une mère fille de citoyen ;
avoir plus de 18 ans ; être de condition libre
; être de naissance légitime (c’est-à-dire né
d’un mariage légitimement
contracté). Ce document permet aussi de
rappeler le rôle du dème dans l’exercice de
la démocratie : l’inscription à l’état civil se
fait en début d’année, au cours de
l’assemblée générale des citoyens du dème
(démotes) où l’on élit le démarque et les
autres magistrats de la circonscription.
Tous les citoyens ont le droit et le devoir de
siéger à l’assemblée populaire où ils votent
l’inscription d’un jeune homme sur les
registres de l’état civil. La procédure offre
également des garanties au « candidat » à la
citoyenneté, qui peut contester par une
action en justice la décision des démotes.
Mais si les juges lui donnent tort, il risque
de perdre la liberté et d’être vendu comme
esclave.
Exemple du serment des héliastes, passage
probablement interpolé dans un discours de
Démosthène de la seconde moitié du IVe
siècle av. J.-C. mais il est très
vraisemblable que cette transcription soit
fidèle au serment du Ve siècle. Ils
s’engagent à respecter la déontologie
propre à l’exercice de la justice à Athènes,
ainsi qu’à assurer la défense de la
démocratie. Il s’agit donc d’un document
exceptionnel qui permet de restituer les
termes de l’engagement solennel pris par
les juges et les jurés, au moment de leur
entrée en charge (tirage au sort, collégialité,
impartialité, égalité, droit de défense, vote
secret…). Le texte mentionne l’âge requis
pour siéger à l’Héliée: « je n’ai pas moins
de trente ans ». Les juges (ou les jurés) sont
des citoyens et sont tirés au sort. Ils sont 6
000 au total (600 par tribu), mais ne sont
qu’exceptionnellement réunis
en séance plénière. Le serment indique
également que les héliastes doivent exercer
leurs fonctions dans le respect de la
constitution et des lois athéniennes (« je
voterai conformément aux lois et aux
décrets du peuple athénien et de la Boulè
des Cinq-Cents »). Ils prêtent aussi serment
de lutter contre la mise en place d’une «
tyrannie» ou d’une «oligarchie ». Les juges
39
aussi en elles la crise. L'impérialisme athénien provoque divisions et rivalités.
L'hoplite existe depuis le VIIe siècle avant J.-C. C'est un citoyen. Il maniait ses
armes d'attaque (une lance en bois d'environ 2,50 m pourvue d'une pointe de bronze
ou de fer et une épée courte pour le corps à corps) avec son bras droit et était armé
d'un bouclier de 0,90 m de diamètre, qui couvre la partie gauche du corps du
fantassin, sa partie droite est protégée par la partie gauche du bouclier de son
camarade de rang à droite. Cette disposition explique à quel point la sauvegarde de
chacun dépend de la vaillance des autres. Au sein de la phalange, chaque hoplite
protégeait donc son voisin de gauche, ce qui explique l'obligatoire cohésion du
groupe et l'esprit de corps qui en découle. Pendant le service militaire,
l'entraînement est quotidien. Les hoplites doivent savoir lancer le javelot avec force
et précision pour arrêter les charges de cavalerie ennemies. Le regroupement des
combattants en tribus accentue ce sentiment « national ». L'exercice de la force
armée est à Athènes intimement lié à la citoyenneté. La victoire à Marathon a pour
effet direct de légitimer et de valoriser cette organisation civique et militaire, ainsi
que les institutions qui l'assurent.
Les grands vainqueurs de Salamine en 480 avant JC sont la trière athénienne et ses
rameurs. Dirigé par deux rames à l'arrière, ce vaisseau très fin (36 m de longueur, 5
m de large) est équipé d'un éperon en bronze pour couler les navires adverses. Les
170 rameurs frappent la mer en cadence afin de donner à la trière une vitesse
suffisante. L'œil magique peint sur la proue doit favoriser les manœuvres et
conjurer le mauvais sort. Les rameurs sont issus de la dernière classe censitaire, les
thètes, car ils n'ont pas les moyens de s'acheter l'équipement hoplitique. Ils
représentent une bonne moitié du corps civique et deviennent avec la victoire de
Salamine le moteur du développement de l'impérialisme maritime athénien. La
construction et l'entretien des trières se font dans le cadre de la liturgie instituée
pendant cette période.
Les cérémonies funèbres pour les morts au combat sont significatives. La cité
d’Athènes rend hommage à ses morts en érigeant une stèle sur laquelle sont inscrits
les noms des morts soit sur l’agora, soit dans le cimetière. Les morts au combat
sont aussi honorés lors de funérailles officielles qui sont l’occasion d’éloges
funèbres dans lesquels on célèbre la supériorité de la cité. La défense de la cité est
considérée comme un devoir sacré qui va jusqu’au sacrifice de sa propre vie. La
cérémonie est publique et se déroule en trois temps : exposition des défunts,
auxquels les familles rendent un dernier hommage (offrandes), convoi funèbre qui
transporte les dépouilles dans des cercueils communs (un par tribu), inhumation
collective des restes (les corps ont été brûlés, on n’ensevelit que les os) dans le
cimetière du Céramique, aux portes de la ville, où est érigé un monument public
(une stèle). La fonction de ce monument est commémorative : il s’agit
d’immortaliser le sacrifice des citoyens morts pour la patrie. Il a aussi une fonction
civique et pédagogique : rendre exemplaire la mort patriotique de ces soldats. Ces
stèles funéraires font penser aux monuments aux morts érigés en France après la
Première ou la Seconde Guerre mondiale.
La participation à la vie politique à Athènes est conditionnée par la citoyenneté.
L'acquisition de celle-ci a varié selon les périodes. La règle générale est l'hérédité.
Pour être citoyen, il faut être fils de citoyen et de mère athénienne, d'où
l'importance de la filiation et du mariage. L'époque classique représente un tournant
dans la conception de la citoyenneté. Avant les guerres médiques, est citoyen celui
qui peut exercer la principale fonction des hommes adultes libres, la guerre, c'est-àdire celui qui a les moyens de s'acheter son équipement. Avec la victoire sur les
Perses et la naissance d'une imposante flotte de guerre constituée de rameurs, la
citoyenneté s'étend aux indigents, aux thètes. Comprendre l'esprit démocratique à
Athènes, c'est d'abord comprendre qui est citoyen et qui ne l'est pas.
En l’absence de sources précises, le chiffre exact de la population et le poids
respectif de chaque catégorie sont l’objet de controverses entre les historiens.
Cependant, quelles que soient les estimations, il est certain que l’écrasante majorité
de la population est exclue de la citoyenneté, le nombre des citoyens se limitant à
environ 40 000. Les chiffres avancés par V. Ehrenberg proposent une fourchette.
Les citoyens représentent de 15 à 21 % de la population totale en 480 av. J.-C.
contre 10 à 18 % en 430 av. J.-C (idem vers 400 av. J.-C.). On constate donc que la
part des citoyens sur la population totale de la cité diminue, alors que l’ensemble de
la population augmente (passant de 120 000-150 000 habitants à 215 000-300 000
habitants) entre le début et la fin du Ve siècle. La croissance de la population est
surtout due à l’augmentation du nombre des esclaves (multiplié par deux à trois) et
plus encore des métèques (dont le nombre triple, voire quadruple). La communauté
s’engagent ainsi à défendre la démocratie.
Aristophane (445-385 av. J.-C.) critique la
justice athénienne. Une de ses pièces est
une satire du système judiciaire athénien
dans un contexte où il s’est
considérablement démocratisé en
permettant aux citoyens les plus pauvres de
participer aux tribunaux populaires
d’Athènes grâce à l’institution du misthos
(une indemnité journalière de 2 puis 3
oboles). Aristophane dénonce la corruption
des juges qu’il explique par la pauvreté des
juges populaires. Dans cet extrait,
Philocléon est en effet plus motivé par
l’appât du gain (misthos) et le sentiment de
puissance que lui confère sa fonction, que
par un idéal de justice.
Vers 422 av. J.-C., Euripide (484-406, le
plus célèbre poète tragique grec avec
Eschyle dont il est l’héritier et Sophocle
son contemporain ; on lui doit 92 pièces
dont 19 ont été conservées, auxquelles
s’ajoutent de nombreux fragments) invente
dans Les Suppliantes un dialogue
imaginaire entre Thésée, partisan de la
démocratie, et un héraut thébain, partisan
de la tyrannie. Cette tragédie est écrite en
423 dans le contexte de l’Athènes
démocratique en guerre contre Sparte
depuis 431. La guerre du Péloponnèse
accroît les tensions politiques. La
démocratie athénienne est en crise. Certains
Athéniens accusent le demos de voter
inconsidérément pour ceux qui le flattent,
les démagogues, au détriment des intérêts
de la cité. Les partisans du demos
s’insurgent contre le caractère inégalitaire
du régime dont les plus hautes
magistratures sont accaparées par les
aristocrates. Ce dialogue est en fait un
débat politique sur la liberté d’expression,
la souveraineté du peuple, la magistrature.
La cité de Thèbes, représentée dans le texte
par son héraut est alors alliée de Sparte. Le
texte s’adresse aux spectateurs : les
citoyens mais aussi les métèques, peut-être
les femmes et les étrangers de passage.
Thésée, héros fondateur de la communauté
athénienne (qui aurait délivré la ville du
joug de Minos en tuant le Minotaure), est
confronté au porte-parole de Thèbes,
chacun cherchant à défendre son régime
politique. Euripide s’est souvent inspiré de
la guerre du Péloponnèse dans ses oeuvres,
mêlant ici des réactions à des épisodes du
conflit et des éléments mythiques. La cité
de Thèbes fonctionne toujours dans les
oeuvres de l’époque comme un contremodèle, comme une anti-Athènes où règne
la tyrannie (Ainsi dans Antigone, Sophocle
– poète tragique grec (495-406 av. J.-C.) –
met en scène Créon, roi de Thèbes tenté
d’appliquer la raison d’État au détriment de
sa propre famille).
Exposer les arguments de chacun des
40
politique est donc composée d’une partie de plus en plus restreinte de la population
citoyens) au cours du Ve siècle.
Les citoyens ont des devoirs : défendre leur cité par la guerre, obéir aux lois et
respecter les dieux. À l’âge de 18 ans, le jeune garçon est présenté par son père aux
membres du dème. Un double vote a lieu. D’abord pour savoir si le jeune a l’âge
requis. Ensuite pour vérifier qu’il est bien de condition libre et le fils légitime d’un
citoyen et d’une fille de citoyen. L’inscription dans le dème est préalable à
l’inscription dans une trittye et dans une tribu. Le dème est, depuis les réformes de
Clisthène, la circonscription territoriale de base. Il y en a une centaine à Athènes.
Chaque citoyen fait suivre son nom de celui de son dème (démotique). D’après
l’ouvrage d’Aristote, après leur inscription, les jeunes gens doivent suivre pendant
deux ans une sorte de service militaire (éphébie). L'éphébie est le moment qui
précède pour un jeune Athénien le passage à la condition d'adulte. Son existence
remonte au moins au début de l'époque classique. Pendant la première année (de 18
à 19 ans), le jeune Athénien apprend le maniement des armes et effectue une
tournée des sanctuaires ; la deuxième année (19 à 20 ans), après avoir reçu le
bouclier et la lance, il effectue des marches à travers l'Attique et séjourne dans les
fortins frontaliers. À l'occasion de la fête d'Artémis, les éphèbes font le serment de
défendre leur patrie, ses dieux et ses institutions, puis à la fin de la deuxième année,
ils font, dans le théâtre de Dionysos, une démonstration de ce qu'ils ont appris
devant l'assemblée réunie. Le citoyen athénien reste mobilisable jusqu'à 49 ans. Le
serment permet d'insister sur le rapport étroit entre citoyenneté, guerre et religion.
La démocratie athénienne est fondée sur une double exclusion : exclusion des noncitoyens qui forment pourtant la plus grande partie de la population de la cité ;
exclusion relative des pauvres car la vie politique continue à être l’affaire des
riches. C’est ensuite un régime qui, à partir de la fin du Ve siècle, connaît une crise
liée au déclin de son influence en Grèce. Cette crise extérieure rend manifeste
certains dysfonctionnements propres au régime démocratique antique.
Les métèques, nombreux dans l'artisanat et le commerce, les femmes en s'occupant
des travaux domestiques, des travaux des champs et de petit commerce, les
esclaves par leur travail dans les mines, dans les ports et dans les champs, assurent
la vie économique de la cité et permettent donc à certains citoyens d'être libres de
s'occuper des affaires politiques de la cité.
L'esclavage signifie l'exclusion de la vie politique, des droits civils, des fêtes
religieuses et de tous les lieux (palestre et gymnase) où les futurs citoyens
recevaient leur éducation. L'esclave est le négatif du citoyen qui assure les taches
permettant au citoyen de s'occuper des affaires politiques. La condition de l'esclave
dépend grandement du maître et des travaux qu'il effectue : services domestiques,
chargement et déchargement des navires, travaux dans les mines du Laurion. Dans
les représentations iconographiques, l'esclave est toujours figuré en plus petit, pour
symboliser son infériorité. L'esclave est vu comme un « instrument » qui permet au
citoyen de s'occuper des affaires de la cité. Le texte célèbre d'Aristote a pour but de
justifier théoriquement le statut de dépendance des esclaves dans une cité où
l'égalité entre les citoyens et la liberté étaient présentées comme des valeurs
supérieures et étaient censées définir les rapports humains. La présence d'esclaves
risquait d'entraîner une contradiction insoluble. Aristote fait donc appel à la nature
qui aurait créé des hommes asservis, sans faculté de délibérer donc assimilables
dans le droit à une marchandise, à un « outil parlant ».
Les métèques, étrangers résidant à Athènes, sont une richesse pour Athènes car ils
subviennent à leurs propres besoins, paient une taxe de résidence et développent
l'artisanat et le commerce (cf Les Revenus de l’Attique de Xénophon (430-355
avant J.-C)). Au bout d’un mois de séjour dans la cité, le métèque doit se trouver un
patron (prostatès), qui est son représentant dans toute affaire judiciaire. Il doit se
faire inscrire sur le registre du dème où il réside comme métèque et s’acquitter
d’une taxe (le metoikon : 12 drachmes pour les hommes, 6 pour les femmes). Il
s’intègre à la vie de la cité par certains aspects : il est protégé par les lois, astreint
aux liturgies, doit servir dans l’armée comme hoplite, participe à certaine fêtes
civiques comme les Panathénées ou les Grandes Dionysies mais n’a aucun droit
politique. Il n’a pas le droit d’accéder à la propriété foncière mais peut acquérir des
richesses mobilières et peut exercer tous les métiers. Malgré la lourdeur de ces
devoirs, ils se voient toujours refuser l’accès à la citoyenneté, ce qui explique leur
mécontentement. Un texte de Xénophon illustre la timidité des efforts envisagés
par les citoyens : l’auteur promeut l’ouverture de plus hautes fonctions aux
métèques, mais sans jamais évoquer l’accès à la citoyenneté.
Il est très difficile et donc rare de devenir citoyen athénien autrement que par la
personnages en faveur et contre les deux
régimes politiques. Arguments en faveur de
la démocratie (Thésée) : tout citoyen
peut participer s’il le souhaite, au
gouvernement de la cité. Égalité devant la
loi (loi écrite), concept d’isonomie.
Possibilité d’intenter une action en justice.
Arguments contre la démocratie (héraut
thébain) : dénonce la démagogie et
souligne le fait que tout le monde n’est pas
apte à se mêler de politique. Arguments
contre la tyrannie (Thésée) : un seul a la
puissance, il n’y a pas d’égalité possible.
Expliquer ce que les personnages disent de
la démocratie à l’aide de ses connaissances.
Expliquer la citation : « le peuple y est roi
», rappeler l’étymologie et la définition de
la démocratie. Expliquer
qu’elle est directe et rappeler le rôle de
l’Ecclésia (utiliser aussi la phrase du texte
concernant la prise de parole à
l’Assemblée). « Chacun reçoit le pouvoir à
tour de rôle » : expliquer la pratique du
tirage au sort et le système des
magistratures. « Elle n’accorde aucun
privilège à la fortune, mais le pauvre et le
riche y possèdent des droits égaux », « avec
les lois écrites, le faible et le riche
ont des droits égaux » : exposer la notion
d’isonomie. « Il est permis aux plus faibles
de répondre à l’homme autorisé de la
fortune, quand il les insulte » : faire
référence aux droits du citoyen en matière
judiciaire (tous les citoyens peuvent
intenter une action en justice et sont tous
protégés par une même loi). Expliciter
quelques limites évoquées par le texte : la
question de la démagogie et le fait que dans
la réalité, riches et pauvres n’ont pas tout à
fait les mêmes droits (accession à certaines
magistratures).
Aristophane a aussi composé en 405 av. J.C. une comédie satyrique (les Grenouilles)
où il ironise sur le sort d’un esclave
condamné à la torture pour témoigner à la
place de son maître accusé de vol. Dans
l’Athènes classique en effet, le témoignage
d’un esclave n’est recevable en justice
qu’à condition d’être obtenu sous la torture.
On estime qu’un esclave ne dira la vérité
que si la crainte de la torture l’emporte sur
celle de son maître.
41
naissance. Les cas connus d’individus recevant la citoyenneté ne dépassent pas la
dizaine pour tout le Ve siècle avant J.-C. Nous sommes assez bien documentés
sur la façon dont le droit de cité peut être accordé à un non-citoyen, grâce à des
inscriptions. Événor se voit accorder la citoyenneté pour services rendus à la cité :
son oeuvre de médecin (« Événor le médecin (…) a mis son art au service des
citoyens et des autres habitants de la cité. ») et sa contribution aux finances de la
cité (« récemment il a donné au Trésor public un talent d’argent. »). C’est
l’Assemblée qui décide et se prononce par un vote secret. La loi prévoit également
la possibilité d’attaquer le décret si le bénéficiaire n’est pas jugé digne d’accéder au
rang de citoyen. Une autre disposition interdit qu’un nouveau citoyen puisse
remplir une haute fonction. C’est seulement à la seconde génération et à condition
d’être né d’une Athénienne que le fils d’un nouveau citoyen dispose de la plénitude
des droits civiques. Cela montre combien Athènes est jalouse de son droit de cité et
ne l’accorde qu’avec parcimonie. Il arrive également que la cité octroie la
citoyenneté de façon collective. Le Ve siècle nous en fournit deux exemples
célèbres. En 427, les Platéens, alliés d’Athènes, dont la cité est rasée par les
Thébains, se réfugient à Athènes et obtiennent le droit de cité. À la fin de la guerre
du Péloponnèse, un décret accorde la citoyenneté aux Samiens, fidèles jusqu’au
bout à Athènes.
Les femmes à Athènes (cf fiche suivante)
Le régime politique athénien est l’objet de vives critiques qui se multiplient à partir
de la fin du Ve siècle. En insistant sur les innovations intervenues au milieu du Ve
siècle, on peut aborder la question de l’évolution de la justice athénienne, entre
démocratisation (instauration du misthos indemnisant les citoyens participant à
l’Héliée) et corruption des juges-citoyens (selon Aristophane). Cela peut aussi
conduire à une réflexion sur les dangers qui menacent notre démocratie
contemporaine. Le dernier tiers du Ve siècle est une période de crispation du débat
politique sur fond de crises (chute de la démocratie en 404, procès de Socrate en
399 av. J.-C.) et d’échecs militaires (guerre du Péloponnèse de 431 à 404 av. J.-C.).
Mais beaucoup de textes datent du IVè s.
Le théâtre constitue un lieu d’apprentissage des valeurs de la démocratie. Les
acteurs grecs sont tous des hommes, y compris pour les rôles féminins. Ils portent
des masques censés correspondre au caractère du personnage. La place de l’acteur
dans les pièces s’affirme au Ve siècle. Alors que le choeur joue encore un rôle
majeur chez Eschyle, Sophocle puis surtout Euripide développent les dialogues et
font intervenir un troisième personnage. Le théâtre de Dionysos est construit au Ve
siècle au pied de l’Acropole, à proximité du sanctuaire de Dionysos. L’activité
théâtrale est étroitement liée à la pratique religieuse : c’est dans le cadre des fêtes
religieuses en l’honneur de Dionysos (Lénéennes ou fête du vin nouveau, grandes
Dionysies de printemps) que sont organisés les concours de tragédies. Les gradins
où sont assis les spectateurs dominent une grande place, circulaire à l’origine
(semi-circulaire aujourd’hui), l’orchestra, au centre de laquelle est situé l’autel
de Dionysos. Derrière l’orchestra était située la scène (skénè), construite sur une
plate-forme surélevée d’environ deux mètres au-dessus de l’orchestra. Comédies et
tragédies sont présentées dans le cadre de concours qui se déroulent lors des
grandes fêtes religieuses. C’est la cité qui en contrôle l’organisation. Les chorèges
(citoyens riches qui financent les concours dans le cadre des liturgies), les poètes et
les pièces jouées sont choisis par la cité. Sur scène, il y a trois acteurs (chacun
jouant plusieurs rôles). À cela s’ajoute le choeur (dirigé par le coryphée),
personnage collectif traduisant les sentiments et les réactions des spectateurs. Le
public (citoyens, étrangers résidents ou de passage, peut-être les femmes) paie deux
oboles l’entrée, mais au milieu du IVe siècle avant J.-C. (ou déjà sous Périclès),
une caisse est créée qui permet à tout citoyen pauvre de toucher le jeton nécessaire
à l’entrée au théâtre. Les représentations théâtrales sont l’occasion pour la cité
athénienne de montrer son rayonnement politique. Le théâtre est aussi, à l’image de
l’Ecclésia, un lieu de débat des questions qui concernent l’ensemble des citoyens.
Le spectateur assiste à une confrontation d’opinions sur des problèmes qui sont
ceux de la cité. Ainsi, le théâtre contribue à faire réfléchir le citoyen sur son régime
politique, son rôle dans la cité et l’amène à se forger sa propre opinion. Les
Athéniens, qui se rendent en masse au théâtre, apprécient particulièrement les
pièces d’Euripide, autant pour ses innovations en matière de mise en scène
(indépendance des choeurs par rapport à l’action) que pour ses références aux
mythes traditionnels.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
42
HA – Les femmes et la citoyenneté à Athènes au Vè s
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
Nicole Loraux (dir.), La Grèce au féminin, Belles Lettres, 2003.
Nicole Loraux, Les Enfants d'Athena. Idées athéniennes sur la citoyenneté et la division des sexes, Seuil, 1990.
G. Duby, M. Perrot, dir., Histoire des femmes. L’Antiquité, tome I, dir. Pauline Schmitt Pantel, Plon, Paris, 1991.
Pierre Brulé, La Fille d’Athènes, La religion des filles à Athènes à l'époque classique. Mythes, cultes et société. Les Belles
Lettres, Paris, 1987.
Documentation Photographique et diapos :
Revues :
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, Enjeux didactiques (repères, notions et
concepts, problématique) :
méthodes) :
C'est surtout à travers le cas de la femme athénienne "citoyenne" du Ve siècle avant
J.-C. que l'on a envisagé jusqu'ici la situation des femmes grecques. Les textes
littéraires et les documents figurés sur la citoyenne athénienne abondent en effet et
ont formé cette image de la femme grecque recluse et mineure. Toutefois, l'analyse
d'autres types de documents (les inscriptions sur pierre par exemple), d'autres cités
(dans le Péloponnèse, en Grèce centrale, en Asie mineure), d'autres époques (le 4 e
siècle et l'époque hellénistique) nuance cette image. En matière de statut des
femmes citoyennes, Athènes ne constituait probablement pas un modèle pour les
autres régions de la Grèce. En revanche, dans l'ensemble de la Grèce, la
documentation n'offre rien ou presque sur les femmes métèques et encore moins sur
les femmes esclaves.
Activités, consignes et productions des
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
élèves :
documentaires et productions graphiques :
Auteur de plaidoyers, Lysias (458-380 av.
J.-C.) a composé un discours pour la
I. Fille, femme et mère de citoyen
défense d’un mari accusé du meurtre de
L'image traditionnelle de la femme en Grèce est celle d'une recluse dans le
l’amant de sa femme. Ce document nous
gynécée, vouée aux travaux domestiques, la maîtresse de la maison, (oikos), celle
livre de nombreuses descriptions de la vie
que l'on représente perpétuellement avec son métier à tisser. Ses attributs sont le
panier à laine, la quenouille et le miroir. C'est notamment ainsi que de nombreuses
domestique athénienne. Les débuts de la
femmes apparaissent sur les vases et les stèles funéraires. Cette vision doit
relation matrimoniale entre ce citoyen et sa
femme sont caractérisés par une certaine
cependant être interprétée avec un certain recul : elle reflète un idéal et pas
nécessairement la réalité vécue par les femmes.
suspicion : l’épouse est sous la surveillance
de son mari, du moins jusqu’à la venue du
Certes les femmes restent d'éternelles mineures. Elles sont constamment sous
premier enfant, signe que la maternité
l'emprise d'un tuteur, le kyrios, qu'il s'agisse de leur père, de leur mari, de leur
confère aux femmes athéniennes une
oncle, de leur frère ou encore de leur fils. En conséquence leur liberté juridique et
administrative est très limitée. Elles étaient exclues officiellement de toute
certaine légitimité. Enfin selon cet
participation à la vie politique de la cité, du débat public comme de l'exercice de
Athénien, l’épouse exemplaire doit prendre
en charge les tâches domestiques avec
fonctions politiques ou de la défense de la cité. Il faut noter cependant que le mot
"citoyen" (politès) existe en grec au féminin (politis), mais il est d'un usage tardif et économie et savoir-faire. Comme l’indique
peu fréquent. Leur appartenance, aux côtés des hommes, à la communauté civique, ce texte, la maison athénienne comporte un
étage : au rez-de-chaussée demeurent les
se traduit de façon différente, puisque les femmes sont exclues des lieux où se
hommes, tandis que le premier étage est
prennent les décisions. Malgré tout, les femmes trouvaient de nombreuses
réservé à l’appartement des femmes, signe
occasions de s'intégrer à la vie civique : par leur rôle dans la transmission de la
citoyenneté, par leur place dans la vie religieuse, et dès la période hellénistique par
de la séparation des sexes dans la société
athénienne.
le rôle public des reines et des citoyennes les plus aisées.
La situation de la femme à Athènes peut s'apprécier d'abord à travers le mariage et
par la place qu'elle occupe dans la maison, l'oikos. C'est d'abord à la fille du citoyen
que l'on s'intéresse. Dans le gynécée, la mère va éduquer sa fille pour en faire une
future bonne épouse. Elle apprend ainsi à filer la laine, à tisser les étoffes, à diriger
les serviteurs. Dans les familles aristocratiques, la fille apprend à lire et écrire et
reçoit un enseignement plus poussé en musique et poésie ; c'est une éducation liée
en partie à son futur rôle religieux. La femme athénienne doit s’occuper des
43
activités et des soins du foyer : s’occuper des enfants, se charger des tâches
ménagères comme la préparation des aliments et des vêtements. Leurs activités
concernent l'intérieur de la maison mais l'idée d'une séparation totale dans l'espace
de la maison avec une partie réservée aux femmes (le gynécée) est aujourd'hui
contestée (la majeure partie de la population n'en avait pas les moyens). De la
même manière, de nombreuses femmes devaient travailler à l'extérieur, dans
l'agriculture ou dans le commerce. Il faut donc bien faire la différence entre «
l'idéal » et la pratique. Dans les familles les plus riches, les femmes peuvent avoir
un rôle d’intendante plus que d’exécutrice.
Les activités d'une épouse et mère de famille varient en fonctions de critères
sociaux et économiques. Dans les familles aisées, la maîtresse de maison dirige le
foyer et les esclaves domestiques. Elle dispose avec ses filles d'appartements
réservés aux femmes et aux enfants en bas-âge, le gynécée. Elle y reçoit ses amies,
tisse, fait de la musique. Outre quelques achats et les funérailles d'un membre de la
parenté, l'occasion principale de sortie pour les femmes aisées est constituée par les
fêtes religieuses et plus particulièrement les Thesmophories, à Athènes. Dans les
foyers modestes, il n'y avait probablement pas de gynécée, peu ou pas de
domestiques et les femmes pouvaient être appelées à travailler à l'extérieur de leur
oikos, comme marchandes ou comme nourrices par exemple. Le contrôle social
exercé sur les femmes des milieux modestes était donc moins étroit que celui qui
visait les femmes des classes supérieures.
Le temps du mariage est un acte fondamental, surtout depuis la loi de Périclès de
451 av. J.-C. qui précise que pour être un citoyen il faut avoir un père et une mère
citoyens. En général les filles se marient jeunes, dès la puberté - parfois
l'engagement peut être conclu dès l'enfance - avec un homme souvent plus âgé.
Dans tous les cas, c'est le père de la jeune fille qui conclut l'engagement du
mariage. Celui-ci est le statut normal de la femme et son objectif est clairement
énoncé : donner des enfants légitimes. Un mariage n'est légal que s'il unit un
citoyen à une fille de citoyen ; la stérilité est un motif de divorce (ou plutôt de
répudiation de la femme par le mari). La cérémonie du mariage (gamos) conduit à
faire changer la femme de maison : elle passe de celle de son père à celle de son
époux, lui apportant une dot (proix).
Ce passage est important : la femme devient la maîtresse de la maison du mari, c'est
elle qui la gère, aidée de ses servantes sur le travail desquelles elle doit veiller.
Quant à la dot, elle ne devient pas la propriété du mari : il n'en a que l'usufruit. En
cas de divorce, il doit la restituer.
Cela ne fait pourtant pas de la femme un être juridique complet. Elle n'a pas
réellement de droit de propriété, mais elle n'en est pas totalement écartée : elle peut
être source de propriété et la transmettre, mais elle n'en a ni la disposition ni la
gestion. Afin que les biens ne sortent pas du cercle familial, une fille qui n'a ni frère
ni descendants directs et qui devrait hériter des biens de son père (fille épiclère) se
trouve obligée d'épouser son plus proche parent. La femme grecque apparaît une
fois encore comme une sorte de "sous-citoyen", de citoyen frappé d'incapacité.
Toutefois, plusieurs exemples sont rapportés par les sources, dès le IVe siècle avant
J.-C., de femmes - souvent des veuves - qui géraient et administraient leurs biens,
parfois considérables. Un décalage existait certainement entre théorie et pratiques.
Lorsque les Grecs présentent des
revendications « féministes », c’est sur le
mode comique et satirique. Ainsi
Aristophane (450-385 avant J.C.) dans
L’Assemblée des femmes. Les Athéniennes
ont décidé de prendre le pouvoir.
Praxagora, leur porte-parole, propose la
communauté sexuelle et rétorque aux
objections de son époux.
II. Les courtisanes et les religieuses
Certaines femmes possèdent une place à part dans la société athénienne, les
courtisanes. On désigne sous ce terme, hétaïre en grec, non pas les prostituées, mais
certaines femmes indépendantes, des compagnes, des concubines (aussi désignées
spécifiquement par le terme pallakaï), vivant sous la protection d'Athéniens, parfois
riches, et ayant réussi elles-mêmes à rassembler une fortune quelquefois non
négligeable.
Certaines d'entre elles purent jouer un rôle important à Athènes y compris dans le
domaine politique, et l'on pense ici à la plus célèbre et sûrement la plus
exceptionnelle, Aspasie, la concubine de Périclès. On peut ranger dans cette
catégorie les femmes métèques, venues s'établir à Athènes pour toutes sortes de
raisons.
Si les plus pauvres sont effectivement des prostituées (pornai), souvent installées au
Pirée, la plupart d'entre elles exercent souvent des activités en rapport avec le
commerce ; elles peuvent être aussi musiciennes, chanteuses, etc. Elles participent
aux banquets, manient l'argent, en bref, femmes libres et indépendantes, elles
s'introduisent dans ce « club d'hommes » qu'est la cité et participent pleinement de
son évolution.
44
Les prêtresses
La vie et les pratiques religieuses donnent à la femme grecque toute sa place au
sein de la communauté civique. Mais le rôle de la femme dans la religion apparaît
tout autant comme un facteur de son intégration à la cité que comme une manière
de marquer son altérité et sa complémentarité vis-à-vis des hommes. Ce rôle se
joue tout d'abord au sein de la maison, de l'oikos. La femme, comme maîtresse de
la maison, rend un culte quotidien à Hestia, la déesse du foyer ; elle tient aussi une
place primordiale dans le culte des ancêtres et dans les cérémonies et pratiques
funéraires. Les fonctions religieuses de la femme prennent toute leur ampleur au
cœur de la cité. Les femmes peuvent être prêtresses et participer activement aux
cérémonies religieuses ; certaines cérémonies leur sont même réservées.
Prêtresses
C'est une fonction de grande importance, comparable aux magistratures. Les
femmes sont principalement attachées à des divinités féminines comme Athéna,
Déméter ou Artémis ; mais cette règle n'est pas absolue. Cette fonction est assurée
par les femmes dans des conditions similaires à celles des hommes : à Athènes la
prêtresse d'Athéna Nikè est désignée pour un an et perçoit un salaire (misthos) de
50 drachmes, et elle bénéficie de distinctions honorifiques comme la place
d'honneur au théâtre. Certaines prêtresses étaient désignées à vie, telle la prêtresse
d'Athéna Polias à Athènes. Les prêtresses étaient d'ordinaire des citoyennes
"normales", épouses et mères de famille. Toutefois, dans certains cas, plutôt rares,
la prêtrise est accompagnée de restrictions concernant la vie sexuelle. A Athènes
toujours, l'épouse de l'archonte-roi, la reine, était considérée comme une prêtresse
et exerçait un rôle religieux important.
Dans Lysistrata, Aristophane fait allusion à une sorte de cursus honorum religieux
des fillettes et des jeunes filles. Cette participation au culte est à la fois une charge
et un honneur, souvent réservé aux plus grandes familles.
Exclues de la vie politique, les femmes sont intégrées à la vie religieuse de la cité,
si elles ne participent pas aux sacrifices sanglants et au partage de la viande qui
suit, elles sont présentes lors des grandes manifestations religieuses telles le cortège
des Panathénées, les grandes fêtes de Dionysos. Élues ou tirées au sort comme
prêtresses, elles occupent dans certains cas une place de premier plan comme la
prêtresse d’Athéna Polias à Athènes.
Fêtes, cultes et cérémonies
Les femmes prennent part aux grandes fêtes de la cité. Lors des Panathénées, ce
sont des jeunes filles qui sont chargées de la confection du péplos de la déesse (les
ergastines) et de son transport vers l'Acropole pendant la procession. Au cours de
celle-ci, les femmes portent divers objets du culte (eau, corbeilles, offrandes, etc).
Certaines fêtes leur étaient exclusivement réservées, comme les Thesmophories,
célébrées en l'honneur de Déméter Législatrice. Comme l'indique l'adjectif
accompagnant le nom de la déesse, cette fête était celle de "l'ordre social" : les
épouses légitimes de citoyens pouvaient seules y participer et la cérémonie était
présidée par une femme. La fonction civique de la femme, bonne épouse et de mère
de citoyen, était ainsi célébrée. Seule la participation de toutes les citoyennes à
cette fête garantissait la fécondité de la communauté et donc sa survie. A l'opposé,
lors de certaines fêtes comme les Dionysies ou les Adonies, ce sont plutôt les
femmes marginales qui étaient concernées. Les Adonies permettaient aux
concubines, courtisanes et femmes métèques de côtoyer les hommes athéniens ou
étrangers. Célébrées dans la "chaleur lascive de l'été" (selon les mots de Marcel
Detienne), ce sont des fêtes nocturnes propices à des rencontres hors du contrôle
familial.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Athènes n’est pas toute la Grèce, il semble que dans d’autres cités, bien que n’ayant
pas plus de droits, les femmes aient joui de plus de libertés. Les femmes de Sparte
s’entraînent aux exercices physiques afin de mettre au monde de vigoureux soldats,
elles participent aux jeux, elles peuvent être propriétaires de leur dot. Enfin les
courtisanes souvent riches, cultivées, connaissent une liberté certaine. La belle et
intelligente Aspasie jouit d’un grand prestige dans l’entourage limité de son amant
Périclès.
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
45
HA – Périclès
Approche scientifique
Approche didactique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
Insertion dans les programmes (avant,
spatiale) :
après) :
Périclès (vers 490-429 av. J.-C.) « fils de Xanthippe, du dème de Cholarkos » est
né dans une famille aristocratique (génos des Bourzyges par son père, des
Alcméonides par sa mère) et il est le petit-neveu de Clisthène. De 443 à 429 avant
J.-C, il a constamment été réélu à la stratégie, marquant ainsi fortement la vie
politique athénienne. Son nom reste attaché aux grands travaux de l'Acropole et à la
période d'apogée d'Athènes.
Sources et muséographie :
On ne conserve qu’un seul buste de ce personnage, de Crésilas, sculpteur grec du Ve siècle av. J.-C., contemporain de Phidias.
Ce portrait de Périclès dit « olympien » était placé sur l'Acropole ; cette statue en bronze, réalisée après la mort de l'homme d'État,
le représentait debout.
Ouvrages généraux :
Pierre BRULÉ, Périclès, l’apogée d'Athènes, coll. « Découvertes », Gallimard, n° 217, 1994
Claude Mossé, Périclès, l'inventeur de la démocratie, Payot coll. « Biographie », 2005
Documentation Photographique et diapos :
Revues :
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, Enjeux didactiques (repères, notions et
concepts, problématique) :
méthodes) :
Périclès représente le dirigeant d’Athènes au temps de sa splendeur, le Ve siècle
Il est le seul repère de l’histoire grecque
étant classiquement surnommé « le siècle de Périclès ». D’après l’historien
(avec Homère) à rester dans les futurs
Thucydide, son succès s’explique par sa lucidité en temps de paix mais surtout de
programmes : « 490 av. J.-C. (Marathon) ;
guerre, par son intelligence, son désintéressement et l’honnêteté de sa démarche.
milieu du Ve siècle av. J.-C. (apogée
Thucydide lui reconnaît une « autorité personnelle » qui lui évite le recours à la
d’Athènes, le Parthénon) » sont remplacés
démagogie si décriée à Athènes.
par « Ve siècle av. J.-C. Périclès »
Activités, consignes et productions des
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
élèves :
documentaires et productions graphiques :
Il existe de nombreuses représentations de Périclès semblables au buste mentionné. Le très célèbre éloge funèbre des soldats
morts au début de la guerre du Péloponnèse
Le stratège portait toujours un casque, non à cause de ses attributions militaires,
rappelle les idées fondatrices de la
maïs pour cacher une déformation de son crâne due, d'après ses biographes, à une
démocratie athénienne. Pour Périclès, la
naissance difficile. C'est pourquoi les poètes satiriques l’appelaient « tête d'oignon
démocratie n’est pas forcément le régime
». Principal chef du parti démocratique (bien que d'origine noble), Périclès est
politique dans lequel le peuple a
l'opposant d'un autre grand homme politique, Cimon, chef du parti aristocratique,
directement le pouvoir, mais celui qui
qu'il fait exiler par ostracisme en 461 av. J.-C. Il ouvre les fonctions prestigieuses
représente le mieux les intérêts de la
(l’archontat) aux citoyens les plus pauvres en leur versant une indemnité (le
misthos) étendue par la suite à ceux qui sont présents aux réunions de l’Assemblée. majorité des citoyens. Elle repose sur
l’égalité, qui permet aux plus pauvres
Diplomate et stratège, il est le premier à être élu stratège quatorze fois de suite
entre 443 et 429.
d’accéder aux magistratures, et sur la
liberté. Dans son discours, Périclès exalte
Un jugement de l’historien Thucydide (Ve siècle av. J.-C.) a plus que tout autre
contribué à fixer pour la postérité l’image de Périclès : « Tout le temps qu’il fut à la le «modèle » athénien, dont la «
tête de la cité pendant la paix, il la dirigeait avec modération, et sut veiller sur elle
constitution n’a rien à envier à celle de
de façon sûre ; aussi est-ce de son temps qu’elle fut la plus grande ; et de même,
[ses] voisins ». Il s’agit donc d’un régime
original, qui fait la fierté des Athéniens. La
lorsqu’il y eut la guerre, il apparaît que là aussi il apprécia d’emblée sa puissance
démocratie est définie comme un régime
[…]. La raison en était la suivante. C’est qu’il avait, lui, de l’autorité grâce à la
qui sert « l’intérêt de la masse des citoyens
considération dont il jouissait et à ses qualités d’esprit, et que de plus, pour
l’argent, il montrait une éclatante intégrité : aussi tenait-il la foule, quoique libre, en et pas seulement d’une minorité ». Périclès
oppose donc cette souveraineté «de la
main, et, au lieu de se laisser diriger par elle, il la dirigeait ; en effet, comme il ne
majorité», composée par le demos, aux
devait pas ses moyens à des sources illégitimes, il ne parlait jamais en vue de faire
régimes oligarchiques et aristocratiques,
plaisir, et il pouvait au contraire mettre à profit l’estime des gens pour s’opposer
même à leur colère. En tout cas, chaque fois qu’il les voyait se livrer mal à propos à dans lesquels le pouvoir est entre les mains
une insolente confiance, il les frappait par ses paroles en leur inspirant de la crainte d’un petit nombre. Les magistrats exercent
; et s’ils éprouvaient une frayeur déraisonnable, il les ramenait à la confiance. Sous une fonction publique de commandement
le nom de démocratie c’était en fait le premier citoyen qui gouvernait » (Thucydide au sein de l’État, à laquelle les citoyens de
plus de trente ans sont élus ou tirés au sort
II, 45, 5 ; 8-9).
pour un an. La magistrature la plus
Honni par ses contemporains ?
importante est la stratégie (conduite des
Cette opinion flatteuse était loin d’être partagée par tous les contemporains du
opérations militaires et politiques
grand homme. Les poètes comiques en avaient fait la cible de leurs plaisanteries.
étrangères de la cité). Selon Périclès, les
Son caractère hautain lui valait d’être comparé de façon pas toujours flatteuse à
magistrats sont désignés en fonction de leur
Zeus. On moquait aussi son physique, ce crâne démesuré que dissimulait mal le
mérite. Mais en réalité le seul mérite ne
casque du stratège. On se gaussait de ses liens avec Aspasie, cette étrangère qu’on
suffisait pas puisque certaines
présentait, sinon comme une courtisane, du moins comme une entremetteuse qui
46
procurait des jeunes femmes à son amant et à laquelle on attribuait une influence
politique notamment dans la guerre contre Samos, ennemie de Milet dont elle était
originaire. On colportait les pires ragots sur les relations entre Périclès et ses fils.
Mais, surtout, on accusait le stratège d’avoir déclenché une guerre qui s’était très
vite révélée plus difficile que prévu. Dans La Paix, comédie d’Aristophane, le dieu
Hermès, porte-parole du poète, allait jusqu’à dire que c’était pour échapper à une
enquête sur sa complicité dans les détournements de fonds opérés par son ami le
sculpteur Phidias que Périclès aurait précipité la cité dans la guerre. Cependant, la
critique politique allait bientôt se situer sur un autre registre, celui du régime dont
on lui attribuait la paternité, et singulièrement de cette institution qu’était la
misthophorie, la rétribution des fonctions publiques. Sans être nommément cité, il
est visé derrière la satire à laquelle se livre Aristophane dans Les Guêpes. Les
Athéniens y sont présentés comme des gens qui ne pensent qu’à juger pour
percevoir le salaire qui rétribue leur présence au tribunal. Cette même misthophorie
est dénoncée par Socrate dans le Gorgias de Platon : « J’entends pour ma part
répéter que Périclès a rendu les Athéniens paresseux, lâches et avides d’argent par
l’établissement d’un salaire pour les charges publiques » (515 c). Critique reprise
presque dans les mêmes termes dans la Constitution d’Athènes.
Mais plus encore qu’au siècle précédent, c’est la politique impérialiste d’Athènes
dont Périclès partage la responsabilité avec Thémistocle et Cimon qui est mise en
accusation au IVe siècle. C’est encore dans le Gorgias que Socrate tient des propos
sans équivoque : « Nos grands hommes d’autrefois, sans se préoccuper de la
sagesse ni de la justice, ont gorgé la ville de ports, d’arsenaux, de murs, de tributs
et autres niaiseries ; quand surviendra l’accès de faiblesse, on accusera ceux qui
seront là et donneront des conseils, mais on célébrera les Thémistocle, les Cimon,
les Périclès de qui vient tout le mal » (51 c-519 a). Dans la Constitution d’Athènes,
l’auteur affirme que c’est après les réformes d’Éphialte « que la cité commit le plus
de fautes sous l’influence des démagogues et à cause de la maîtrise de la mer »
(XLI, 2), Périclès se trouvant ainsi associé dans le blâme à ceux qui lui succédèrent
à la tête de la cité, et par conséquent inclus au nombre des démagogues.
Une gloire posthume ?
Il apparaît donc que dès le lendemain de sa mort et dans les décennies suivantes la
critique à l’encontre de Périclès est devenue un lieu commun du discours tenu dans
les écoles philosophiques. Dans la mesure où il incarnait la démocratie, c’est le
régime autant que l’homme qui était remis en question. Or, de démocratie on ne
parlera guère dans les siècles qui suivirent la défaite d’Athènes devant Philippe de
Macédoine, les conquêtes d’Alexandre et la mise en place des grandes monarchies
hellénistiques. C’est désormais la basileia, la royauté, qui est devenu le sujet de
prédilection des penseurs politiques. Et il faut attendre l’élaboration par Plutarque
de ses Vies parallèles pour voir réapparaître comme modèles de réflexion les «
grands hommes » de l’Athènes démocratique, dont Périclès. Le Périclès de
Plutarque est intéressant à plus d’un titre, parce que le biographe a recueilli quantité
de témoignages et d’anecdotes empruntés à des sources qu’il a pu consulter et qui
ne nous sont pas parvenues. C’est un personnage attachant, disciple du philosophe
Anaxagore, et qui sut transformer la démocratie « en un régime aristocratique et
royal dont il usa de manière droite et inflexible en vue du plus grand bien » (XV, l).
Désintéressé et incorruptible, méprisant les richesses, c’est un homme supérieur par
son sens de la justice et sa modération. Et pourtant, Plutarque ne s’arrête pas à cette
image « thucydidéenne » de Périclès. Il tient compte aussi des critiques formulées
par les contemporains, décèle chez le grand stratège une certaine tendance à agir de
façon « tyrannique », singulièrement à l’encontre des alliés, en utilisant le tribut
versé par ces derniers pour mener une politique de grands travaux certes
admirables, mais au seul bénéfice des Athéniens, puis en entraînant Athènes dans
une guerre qui s’avérera désastreuse. Mais « tyrannique » aussi peut-être par
certains aspects de sa vie privée, Plutarque n’hésitant pas à reprendre toutes les
accusations colportées contre Périclès tant à propos d’Aspasie que de ses rapports
avec ses fils. Même si le jugement final est positif, une certaine ambiguïté demeure
qui nourrira les jugements contradictoires de la postérité. Une postérité
relativement tardive, liée à la fois à une méconnaissance de Thucydide, mais plus
encore au faible intérêt, pour ne pas dire à l’hostilité envers le système politique
auquel son nom était rattaché.
Il est intéressant de retrouver son image dans un ouvrage qui connut un succès
particulier à la veille de la Révolution française, Le Voyage du jeune Anacharsis de
l’abbé Barthélémy. Périclès y apparaît comme un homme de génie, habile à
persuader ses contemporains par la force de sa parole, mais aussi capable de les
magistratures (comme la stratégie) étaient
réservées aux seuls citoyens de condition
aisée. Selon Périclès, l’exemplarité du
régime réside dans l’égalité des citoyens
devant la loi (isonomie), devant la justice
(« différends particuliers »), devant le vote
et dans la participation aux affaires de
l’État. La démocratie apparaît ainsi comme
un régime égalitaire où la vie politique est
ouverte aux citoyens méritants,
indépendamment de leur fortune ou de leur
naissance. Le régime athénien se distingue
aussi par la valorisation du service de l’État
(un citoyen ne se mêlant pas de politique
est un « citoyen inutile »), considéré
comme un droit et un devoir civique. Mais
il s’agit d’une vision idéalisée de la
démocratie : la cité n’est en effet gouvernée
que par une minorité,
les citoyens, inférieurs numériquement aux
femmes, aux métèques et aux esclaves, qui
sont exclus de la vie politique. En outre,
tous les citoyens n’ont pas un accès égal
aux magistratures dont certaines sont
réservées aux plus riches d’entre eux. La
démocratie athénienne est un régime
censitaire et fondée sur de fortes inégalités
(entre citoyens et non-citoyens).
47
flatter quand cela était nécessaire. Il accrut la puissance d’Athènes au point de
susciter contre elle des haines qui lui seraient fatales, cependant qu’il amollissait
les Athéniens par des fêtes et des jeux, sous l’influence de la courtisane Aspasie.
Ces fêtes et ces jeux étaient au contraire portés à l’actif de Périclès par un
contemporain de l’abbé Barthélémy, l’Allemand Cornelius de Pauw qui, dans un
ouvrage intitulé Recherches philosophiques sur les Grecs, voyait dans les grands
travaux de l’Acropole un moyen d’assurer la subsistance des citoyens les plus
pauvres. Comme le Périclès de Barthélémy, celui de Pauw était l’héritier du
Périclès de Plutarque, mais le philosophe allemand ne manifestait aucune réserve à
l’encontre du régime démocratique et défendait la misthophorie et le tirage au sort
des magistrats. Cependant, c’est là une opinion assez exceptionnelle, et pour les
hommes de la période révolutionnaire en France, Périclès reste le témoin et le
responsable d’un régime « corrompu ». Seul peut-être, parmi les contemporains, le
jeune Chateaubriand sera sensible à l’ambiguïté de celui en qui il voyait à la fois un
orateur froid, « au cœur de glace », et l’amant raffiné d’Aspasie. Ce faible intérêt
pour Périclès s’explique : le régime qu’il incarnait n’était en aucune manière
présenté comme un « modèle » dans une Europe profondément inégalitaire, et
même ceux qui se prétendaient partisans de l’égalité n’en redoutaient pas moins les
masses « ignorantes » auxquelles il n’était pas question de donner le pouvoir.
Naissance d’un symbole
C’est donc seulement le XIXe siècle, avec les progrès de la démocratie
représentative, qui, en redécouvrant l’expérience athénienne, revalorisera du même
coup la personne de Périclès. C’est d’abord d’Angleterre que vint le mouvement,
avec la publication d’une Histoire de la Grèce en douze volumes par George Grote
qui s’inspire largement de Thucydide pour décrire la démocratie péricléenne. Le
mouvement ne fit que s’amplifier au cours du siècle et au début du XXe siècle. En
France, cela est particulièrement sensible dans l’œuvre de Gustave Glotz qui
enseigna à la Sorbonne devant des générations d’étudiants auxquels il transmit une
image idéalisée de « l’inventeur » de la démocratie. Doté d’une intelligence hors du
commun et de talents inégalés d’orateur, le Périclès de Glotz a donné à Athènes le
régime le plus juste, le plus égalitaire, en un mot la démocratie par excellence. Il a
su procurer du travail aux plus pauvres, faire d’Athènes la cité la plus brillante.
Aspasie devient sous la plume de l’historien « la belle et savante Milésienne ».
L’Athènes de Périclès est ainsi donnée en exemple à la France de la IIIe
République.
Depuis un demi-siècle, si l’image de Périclès continue à incarner l’Athènes
démocratique, la valeur exemplaire de celle-ci est devenue l’objet de nombreuses
controverses. Bien que fervent défenseur de l’expérience athénienne, le grand
historien Moses I. Finley, dont l’œuvre s’impose à partir du milieu du siècle, voyait
en Périclès l’héritier du tyran Pisistrate : comme lui, « il prit toute une série de
mesures destinées à assister financièrement les pauvres avec l’argent de l’État »,
afin de saper les bases du « patronage aristocratique ». Plus récemment, un
historien américain, Josiah Ober, met également en valeur l’habileté d’orateur de
Périclès, mais se refuse à l’idéaliser et à l’opposer à ses successeurs, car eux n’ont
pas eu la chance de bénéficier de circonstances exceptionnelles, alors que
l’hégémonie d’Athènes, conséquence des guerres médiques, était à son plus haut
niveau. Pour l’historien Patrice Brun, auteur d’une récente Histoire de la Grèce à
l’époque classique, le portrait idéalisé de Périclès par Thucydide « lui sert à noircir
la figure de ceux qui lui ont succédé, au premier rang desquels Cléon, avec lequel
l’historien avait d’une part des comptes personnels à régler (c’est à l’époque de sa
domination qu’il fut exilé) et qui représentait d’autre part une classe sociale, celle
des artisans, bien éloignée de l’aristocratie terrienne dont Périclès et Thucydide
étaient issus ». Un récent ouvrage va plus loin dans le dénigrement de Périclès, en
qui l’auteur L.-J. Samons voit « le plus charismatique – et dangereux – des leaders
de l’Histoire occidentale » (What’s wrong with Democracy).
Ce ne sont là que quelques exemples de la façon dont on a, au cours de l’histoire,
jugé la personne et l’œuvre du plus célèbre des hommes politiques athéniens. Il va
de soi que nous ne connaîtrons jamais le « vrai » Périclès, puisque, à la différence
d’autres hommes politiques de l’Antiquité (Démosthène, Cicéron, César), il n’a
laissé aucun écrit et que ses discours ont été recomposés par Thucydide. Il reste que
son nom est inséparable de l’apogée d’Athènes et d’un régime dont se réclame
encore le monde d’aujourd’hui.
La première condition à Athènes pour être citoyen est la naissance. Jusqu’en 451450, il suffisait d’être de père athénien pour être citoyen. À partir de cette date,
48
selon un décret voté à l’initiative de Périclès, sont citoyens les enfants nés d’un
père citoyen et d’une mère fille de citoyen, unis en légitime mariage. Cette mesure
prive du droit de cité les enfants dont la mère est étrangère à la cité ou d’une
famille de métèques. Ainsi la citoyenneté se ferme-t-elle.
C’est Périclès qui est à l’origine de l’indemnité de présence (misthos) accordée au
départ aux héliastes pour compenser la perte d’une journée de travail ou d’affaires.
Elle est étendue par la suite aux bouleutes et à certaines magistratures et enfin à
l’Assemblée au IVe siècle avant J.-C. Cette indemnité a sans doute fait évoluer le
recrutement social des juges, qui est devenu plus populaire. La misthophorie
souligne le fait que la citoyenneté n’est pas seulement vue comme un statut mais
correspond aussi à une fonction.
Avant Périclès, les Panathénées consistent surtout en des concours sportifs. Les
vainqueurs de ces concours sont abondamment célébrés. Périclès introduit à la fête
des compétitions plus intellectuelles, pour mettre en valeur l’éclat d’Athènes,
Athéna étant aussi la déesse de l’intelligence.
L’éloge des premières victimes de la guerre du Péloponnèse est l’un des textes les
plus connus de l’histoire grecque. Beaucoup de commentateurs y voient en effet le
seul texte du Ve siècle proposant une théorie de la démocratie. Se pose le problème
de l’auteur. Ce discours est en effet repris par Thucydide (460-395 av. J.-C.) dans
son œuvre majeure la Guerre du Péloponnèse. La pratique de l’insertion du
discours est chose courante au cours de l’oeuvre mais reste à savoir si l’on peut être
certain que l’historien grec ne le réécrit pas. Thucydide est contemporain du
discours ; il est admirateur de Périclès et connaît bien le fonctionnement de la cité,
ayant lui-même été stratège avant d’être exilé à la suite de la défaite d’Amphipolis
(424). Il met à profit cet exil pour entamer son récit qu’il ne peut achever avant sa
mort vers 400. Sa méthode est clairement explicitée. Ainsi, la plupart des historiens
considèrent que si reconstruction il y a, l’historien reste fidèle aux circonstances, au
contenu et à l’esprit du texte. D’autre part, le texte présente une ressemblance
frappante avec Les Suppliantes d’Euripide. Périclès est stratège au moment où il
prononce ce discours en 431 avant J.-C. (Thucydide précise d’ailleurs dans son
ouvrage qu’il a été choisi par le peuple pour le prononcer), moment délicat pour la
cité puisque les Athéniens sont à l’abri des Longs Murs tandis que les Spartiates
dévastent l’Attique. C’est donc dans ce contexte difficile de la première année de la
guerre du Péloponnèse que Périclès prononce ce qu’il faut définir comme une
oraison funèbre (logos epitaphios), discours officiel spécifique à Athènes, adressé
depuis le Céramique aux citoyens et aux étrangers. Le fondement de la grandeur
athénienne repose pour Périclès sur sa valeur politique. L’auteur veut mettre la
démocratie en valeur et la proposer comme modèle : « loin d’imiter les autres
peuples, nous leur offrons plutôt un exemple », phrase à laquelle répond le passage
: « notre cité est pour l’ensemble de la Grèce une éducatrice ». Athènes est donc
bien présentée comme la créatrice d’un modèle politique qu’elle propose en
exemple c’est-à-dire qu’elle souhaite voir copier. Il y a pour Périclès un esprit de la
démocratie qui ne se résume pas pour lui à ses institutions sur lesquelles il reste très
vague. Cette dernière a aussi un « caractère national ». L’idée que les masses
prennent réellement part à l’activité du gouvernement est éludée. « Quand un
homme sans fortune peut rendre quelques services à l’État, l’obscurité de sa
condition ne constitue pas pour lui un obstacle » : cette phrase est ambiguë. On
peut y voir une allusion à la misthophorie ou bien se dire que « quelques services »
est bien vague et ne désigne peut-être pas l’accès à des charges bien définies. En
fait, il semble qu’il y ait, pour Périclès, une hiérarchie en fonction de laquelle
s’effectue la répartition des rôles. « C’est en fonction du rang que chacun occupe
dans l’estime publique que nous choisissons les magistrats de la cité. » Périclès
entend ici que c’est le « mérite » ou « estime publique » qui préside à l’élection (il
renvoie ici à l’élection des stratèges). La démocratie permet donc selon lui le choix
du meilleur, d’où le fait qu’il précise bien « selon le mérite plutôt qu’à tour de rôle
». Cela correspond d’ailleurs à une réalité puisque seuls les plus riches et les plus
instruits de fait accèdent à ces magistratures électives. Ses propos ne sont pas antidémocratiques. Il fait référence ailleurs dans le texte au fait que tous participent au
vote ou font des propositions, mais ce n’est néanmoins pas là être à la tête de la
cité. « Parce que notre régime sert les intérêts de la masse des citoyens et pas
seulement d’une minorité, on lui donne le nom de démocratie. » Périclès nous livre
ici sa vision idéale de la démocratie, qui peut surprendre. En effet, Périclès dit que
la démocratie est un régime où l’on gouverne pour le peuple mais non par le
peuple, ce dernier apparaissant davantage comme le bénéficiaire du régime que
comme le peuple souverain. Cette démocratie repose sur l’égalité (isonomie).
49
L’égalité définie par Périclès est essentiellement une égalité civile devant les
tribunaux, puisqu’il cantonne l’égalité devant la loi aux « différends particuliers ».
Il ne s’agit pas ici d’une égalité politique ce qui vide la notion d’isonomie de son
contenu. Elle repose aussi sur la liberté. D’abord, la liberté politique sur laquelle il
ne s’étend pas car elle va de soi. Périclès insiste bien plus sur la liberté de moeurs :
« nous sommes tolérants dans les relations particulières ». La méfiance est absente
des relations quotidiennes ; il montre ainsi que la diversité est un bien car elle
permet des relations sociales apaisées. Immédiatement après, il revient à la liberté
politique et indique : « nous évitons très scrupuleusement d’enfreindre les règles
établies », « nous obéissons aux magistrats », « nous obéissons aux lois ». Il s’agit
de montrer que la liberté ne signifie pas la licence ou l’anarchie. Les Athéniens
sont disciplinés, ils obéissent d’abord aux lois écrites dont il rappelle qu’elles sont
faites pour les individus, mais aussi aux lois non écrites c’est-à-dire les lois
morales. Pour Périclès, la démocratie c’est aussi une éthique et une culture. Il s’agit
de montrer que le texte est partial et s’inscrit dans le contexte de la guerre du
Péloponnèse. On a donc ici affaire à une autocélébration de la cité athénienne, à un
discours hégémonique qui s’adresse tout autant aux Athéniens qu’aux étrangers
(métèques mais aussi étrangers de passage) et surtout aux Spartiates. Il s’agit
d’impressionner les auditeurs : de réactiver chez les Athéniens le courage
nécessaire à poursuivre le conflit, d’impressionner les étrangers et de les voir
reconnaître et accepter les prétentions d’Athènes. Ce discours est une manière de
combattre aussi le modèle spartiate et au-delà les oligarques, en répondant à leur
critique par la démonstration que la démocratie n’est pas le gouvernement des
premiers venus mais celui du « mérite ». C’est sur ce dernier point que réside la
remarque majeure que l’on peut faire sur ce discours : la démocratie selon Périclès
ne correspond pas à la définition que l’on en donne habituellement.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
50
HA – L'Acropole d'Athènes
Approche scientifique
Approche didactique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
Insertion dans les programmes (avant,
spatiale) :
après) :
Les constructions de l’Acropole sont des temples, des autels, des statues : ce sont
des constructions religieuses dédiées à Athéna. Mais l’Acropole est aussi et surtout
un sanctuaire à la gloire de la cité. On s’intéresse au lien entre l’architecture et la
politique. Il s’agit de faire comprendre que toute grande réalisation architecturale,
comme l’Acropole, entre dans un projet politique précis. Les monuments construits
dans la seconde moitié du Ve siècle, à l’initiative de Périclès, sont conçus comme
la manifestation de la puissance de la cité.
D’où I. Un sanctuaire religieux, II. Le sanctuaire d’une grande puissance III. Le
sanctuaire d’une démocratie
Sources et muséographie :
nouveau musée : l’Acropole demeure aujourd’hui au centre de nombreux enjeux culturels et politiques, avec les revendications
sur les « marbres d’Elgin ».
Ouvrages généraux :
Jean Baelen, Chronique du Parthénon. Guide historique de l'Acropole, Belles Lettres, 1956
François Queyrel, Le Parthénon, Un monument dans l'Histoire, Bartillat, Paris, 2008
Bernard Holtzmann, L'Acropole d'Athènes, Monuments, cultes et histoire du sanctuaire d'Athèna Polias, Picard, Paris, 2003
Documentation Photographique et diapos :
Revues :
L'Histoire, n° 323, septembre 2007, D'où venait la richesse d'Athènes ? (Entretien avec Claude Mossé)
Carte murale : plan d’Athènes, plan de l’Acropole
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
concepts, problématique) :
L’objectif est de montrer comment, à
Athènes, religion et idéologie civique se
Admiré depuis près de 2500 ans, le Parthénon a traversé une histoire d'épreuves et
mêlent (notion de religion civique) : les
de passions. Modèle classique, il est une des plus parfaites réalisations du miracle
fêtes religieuses ont une double fonction :
grec. Conçu au Ve siècle dans l'Athènes de Périclès, le Parthénon se dresse sur
célébrer la déesse protectrice de la cité mais
l'Acropole, haut lieu le plus sacré de la cité. Sa décoration, avec ses frises et ses
frontons sculptés, aujourd'hui en grande partie au British Museum à Londres, exalte aussi exalter le patriotisme et renforcer la
cohésion sociale.
d'antiques légendes qui rattachent les Athéniens au sol sacré de la patrie. Tout
L'Acropole traduit à la fois le sentiment
concourt à célébrer la déesse Athéna.
religieux traditionnel qui anime la vie des
François Queyrel (Association internationale pour la Réunification des Marbres du
Athéniens et aussi le triomphe de la
Parthénon) revient sur la construction du monument lui-même et sur la
religion civique où « la victoire est fille des
signification des décorations qui l'ornent. Puis il raconte les péripéties, les
dieux ». C'est la mise en scène idéalisée
mutilations et les renaissances de cet étonnant bâtiment. Dès l'origine lieu saint
d'Athènes construite par les Athéniens, c'est
d'Athènes, le Parthénon fut successivement une église, puis une mosquée sous le
la démonstration volontairement
joug de l'Empire ottoman, mais aussi une poudrière qui explosa sous les bombes
ostentatoire de la puissance de la cité et de
des troupes vénitiennes.
ses dieux.
La description des monuments et des
Passage obligé des voyageurs romantiques au XIXe siècle, avant d'être protégé et
sculptures doit permettre de faire saisir aux
restauré au cours du XXe siècle, il demeure aujourd'hui au centre de nombreux
élèves le sens d'une religion civique et de
enjeux culturels et politiques, avec les revendications sur les "marbres d'Elgin".
faire le lien entre !a puissance acquise lors
Beaucoup de villes grecques (Argos, Corinthe, Thèbes, Pergame entre autres) sont
des guerres médiques et les créations
nées sur une colline escarpée dominant les terres voisines et offrant un site
architecturales et culturelles.
naturellement protégé. L’Acropole d’Athènes est ainsi occupée pendant l'époque
La frise des Panathénées fait honneur à
préhistorique et l’âge du bronze. L’Acropole athénienne est un lieu de culte et
Athéna qui reçoit des offrandes et qui
d’habitat très ancien (au moins depuis l’époque mycénienne). L’aménagement des
sanctuaires date de l’époque archaïque et est attribué au tyran Pisistrate et à ses fils. préside l'assemblée des dieux. Mais c'est
aussi la cité d'Athènes qui est valorisée par
C'est au début du Ve s. av J.-C. qu’un premier Parthénon est édifié et la colline
l'union de tous ses habitants, par ses
entourée à son sommet par un mur de bois. Lors de la seconde guerre médique,
certains Athéniens s'y réfugient, tandis que d'autres gagnent Salamine, protégée par victoires sur ses ennemis, par l'illustration
de sa puissance. La présentation de la frise,
la flotte athénienne. L'Acropole est prise d’assaut, ses occupants tués et les
volontairement située en fin de chapitre,
monuments détruits en 480 ; les Athéniens ne restaurent pas les bâtiments
permet de reprendre avec les élèves de
archaïques et se contentent de construire de quoi abriter les statues des divinités.
nombreux éléments qui donnent son sens à
Surtout soucieux de fortifier la ville pour en assurer la défense, puis d’organiser
l'étude d'Athènes au Ve siècle avant J.-C. et
aussi la protection des ports du Pirée, Thémistocle se borne à relever les
d'en vérifier ainsi la compréhension. Des
fortifications de l’Acropole avec les pierres trouvées sur place et repousse à plus
tard la reconstruction des temples. Comme l’écrit Thucydide (I, 93, 7) : « Il pensait différents quartiers d'Athènes, à
l'organisation politique, aux différentes
que le Pirée présentait plus d’utilité que la ville haute. » Les édifices de l’époque
composantes de la cité, à l'importance de la
classique qui demeurent aujourd’hui ont été conçus à l’époque de Périclès et
construits durant la seconde moitié du Ve siècle avant J.-C. C’est donc Périclès qui religion, à la maîtrise artistique et à la
51
fait de la colline la demeure des dieux, en particulier de la déesse Athéna,
protectrice de la cité. Pour financer le chantier, il puise dans le trésor des alliés et
dans celui d’autres divinités qu’Athéna ainsi que dans le produit d’une mine du
Laurion.
La cohérence du programme d’ensemble, sa réalisation relativement rapide,
l’importance des moyens humains et financiers mis en oeuvre et la renommée
qu’acquiert aussitôt l’Acropole dans le monde grec témoignent de la puissance de
la cité d’Athènes. Des siècles plus tard, l’auteur grec Plutarque, dans sa Vie de
Périclès, manifeste son admiration pour l’œuvre accomplie : « Les monuments
s’élevaient, d’une grandeur imposante, d’une beauté et d’une grâce inimitable ; les
artistes s’efforçaient à l’envi de se surpasser par la perfection technique du travail.
»
On entre dans l’Acropole par les Propylées, un portique couvert monumental. Sur
la droite, se trouve le petit temple d’Athéna Nikè qui célèbre les victoires
d’Athènes sur les Perses. Le temple est édifié en marbre entre 427 et 424. Au
centre, se dresse la grande statue d’Athéna Polias, protectrice de la cité. Non loin,
se trouve le grand autel d’Athéna où l’on procède aux sacrifices. Sur le côté Nord,
s’élève l’Érechthéion, le temple le plus ancien. Il tire son nom d’Érechtée, roi
mythique d’Athènes, plus tard identifié à Poséidon. Les Athéniens y rendent aussi
un culte à Zeus, Athéna et Héphaïstos. Sa construction dure de 421 à 406, avec des
interruptions. Il se distingue du Parthénon par son plan plus complexe, rendu
célèbre par le portique des Caryatides. Les Caryatides soutiennent un portique
couvert de la façade sud du temple. Les Caryatides signifient habitantes de Caryes.
Selon la tradition, cette ville de Laconie s'était jointe aux Perses, ses habitants
furent exterminés tandis que leurs femmes furent réduites en esclavage et
condamnées à porter de lourds fardeaux, symbolisés par le portique. La procession
des Panathénées se termine auprès de ce temple car il abrite la vieille statue en bois
d'Athéna qu'on disait tombée du ciel, la plus vénérée de toutes. Enfin, en haut de
l’Acropole, se tient le Parthénon, le grand temple de la déesse de la cité.
La reconstitution de Nicolas Lambert (Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts)
exécutée en 1877 rend bien compte de la manière dont les hommes du XIXe siècle
se représentent l’Acropole, et plus généralement la démocratie athénienne. Une
impression de puissance, de richesse, de sérénité s’en dégage qui donne une image
très positive de la démocratie athénienne. L’oeuvre pourrait être replacée dans le
contexte des luttes qui opposent républicains et royalistes pour le pouvoir dans la
IIIe République.
puissance d'Athènes, ce document offre une
vue globale rare.
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Le financement des constructions sur l'Acropole pose problème. En 449 avant J.-C,
Périclès fait adopter le décret organisant le financement public des constructions,
financement provenant du tribut payé par les cités (environ 5 000 talents). Périclès
décide de reconstruire les monuments de l'Acropole qui avaient été détruits pendant
les guerres médiques. Une source provient des Vies parallèles de Plutarque (46-120
ap. J.-C.), biographe grec dont l'activité se situe à la charnière des Ier et IIe siècles.
Plutarque décrit les travaux monumentaux entrepris par le stratège pour réaménager
le sanctuaire de l’Acropole, entre 447 et 432 av. J.-C. L’ampleur du chantier est
suggérée par la magnificence du projet (« parure au plus haut degré»), la multitude
et la préciosité des matériaux de construction transportés par voie terrestre et
maritime, ainsi que par la diversité des métiers impliqués. Le texte souligne les
motivations politiques qui ont poussé Périclès à entreprendre la reconstruction de
l’Acropole. Le sanctuaire est destiné à impressionner, à montrer la richesse et la
puissance d’Athènes. Par la phrase « il proposa au peuple de nombreux projets de
constructions et des plans d’ouvrages donnant une occupation à de nombreux
métiers », l’auteur suggère l’intérêt social et économique d’un chantier employant
une main-d’oeuvre nombreuse. Les travaux contribuent aussi à l’équilibre social de
la cité en donnant du travail aux catégories populaires. Pour les financer, Périclès
puise dans le trésor d’une ligue de Délos clairement considérée comme un
instrument au service de la puissance d’Athènes. En 454, le Trésor de la Ligue,
conservé à Délos, est transféré sur l’Acropole et de là, la confusion devient totale
entre les finances d’Athènes et celles de son Empire. L'objectif de l'auteur n'est pas
un travail historique mais la peinture de caractères. Pour Périclès, l’intérêt est aussi
d’ordre politique : en donnant satisfaction au demos, il peut ainsi renforcer son
Activités, consignes et productions des
élèves :
le Parthénon et la frise des Panathénées
52
assise populaire en vue de futures élections à la stratégie.
Dédié à Athéna Parthénos (la Vierge), le temple du Parthénon (30,88 m sur 69,50
m) domine l'Acropole. Il est édifié de 447 à 432 sous Périclès, par Ictinos et
Callicratès dirigés par Phidias. Les dimensions impressionnantes du temple
renforcent le caractère monumental de l’Acropole. Le temple renfermait, gardé
dans la salle des Vierges, le trésor de la ville et de la ligue de Délos. Construit sur
un podium, le temple est périptère – doté d’un péristyle ou colonnade cannelée tout
autour de son périmètre. En façade, les colonnes sont surmontées d’un fronton
sculpté. Le Parthénon, temple dorique construit en marbre blanc du mont
Pentélique et rehaussé de couleurs (le fond des métopes était bleu ou rouge et les
sculptures étaient peintes), est le monument le plus célèbre de l'Acropole.
L'harmonie de l'ensemble s'explique par les calculs mathématiques et les
corrections optiques mis en œuvre parles artistes : la base est bombée, les colonnes
inclinées vers l'intérieur et les fûts sont amincis vers le haut. Le Parthénon n'était
pourtant pas un temple au sens traditionnel du terme, il n'était pas un lieu de
rassemblement pour les fidèles (même s'il était ouvert) et les cérémonies du culte
avaient lieu en plein air autour de l'autel. Il avait pour fonction de protéger et de
mettre en valeur la grande statue chryséléphantine (en or et en ivoire) d’Athéna,
oeuvre de Phidias. La statue, dans la cella, nous est connue par les copies qui en ont
été faites. Debout, vêtue d'un péplos attique, coiffée d'un casque surmonté d'un
sphinx entouré de griffons et de chevaux allés, elle est à la fois bienfaisante et
armée. C'est une Athéna guerrière et victorieuse qui symbolise la puissance
d'Athènes, qui incarne la cité impérialiste et démocratique, autour de laquelle
s'organise l'aménagement de l'Acropole. Le Parthénon est une offrande, une
représentation d'un rituel dont l'Erechthéion était le centre, un acte politique qui
affiche la richesse, la puissance de la cité et de la déesse.
La fête des Panathénées, célébrée au mois de juillet-août (Hécatombaion) est l’une
des principales fêtes religieuses d’Athènes car elle est dédiée à la divinité
protectrice de la cité, la déesse Athéna. Cette fête commémore la victoire des dieux
sur les géants (la gigantomachie), thème représenté sur le voile (peplos) offert à
Athéna. Les Petites Panathénées ont lieu tous les ans, mais les Grandes
Panathénées, créées à l'époque de Pisistrate, se déroulent tous les quatre ans. Les
Panathénées sont contrôlées et organisées par les magistrats. La procession,
constituée des différents acteurs de la cité répartis par classes sociales et classes
d'âge, s'ébranle au lever du soleil au son de la flûte de roseau. Elle clôt les festivités
: concours musicaux dans l'Odéon, épreuves gymniques près du Pirée, concours
hippiques, courses de trières au cap Sounion. La procession des Panathénées
traverse Athènes pour se rendre sur l'Acropole. La procession part des portes de la
ville (portes du Dipylon), traverse le Céramique (cimetière), l’Agora, arrive à
l’Acropole par les Propylées et longe le Parthénon pour finir devant le grand autel
d’Athéna, où s’effectue le sacrifice des animaux consacrés à la déesse. Ce parcours
a une dimension symbolique puisqu’il traverse les hauts lieux de la vie publique
(Agora, cimetière) et religieuse (Acropole) athénienne. La cérémonie se présente
aussi comme une cérémonie civique inscrite symboliquement dans l’espace
politique et religieux de la ville. Dans cette mise en scène de la cité que représente
la procession, l'union de la périphérie au centre rappelle celle de tous les acteurs.
Après le don du péplos à Athéna, la déesse poliade(statue conservée dans le petit
temple de l’Érechteion), et les sacrifices, un banquet collectif (hestiasis) est
organisé dans chaque dème, et la fête s’achève par des réjouissances nocturnes. Des
magistrats, les hiéropes, prennent en charge l’organisation des festivités. Le
financement de la fête est public : l’État prend en charge les frais de la cérémonie,
soit directement, soit indirectement (en désignant des riches citoyens préposés à
cette liturgie). Les liturgies sont des dépenses publiques prises en charge par les
citoyens les plus riches. À Athènes, les plus importantes sont la triérarchie
(équipement d’un navire de guerre), la chorégie (entretien d’un choeur pour les
représentations dramatiques), l’hestiasis (financement d’un banquet public précédé
d’un sacrifice). Les riches tirent gloire de leurs nombreuses liturgies. La cité règle
également par décret le nombre des bêtes sacrifiées, la nature des dépenses et les
modalités de la distribution des viandes au peuple athénien.
Le déroulement de la procession (pompè) nous est assez bien connu grâce à la frise
du Parthénon dont les fragments sont dispersés dans différents musées, à Londres,
Athènes et Paris. La plus grande partie de la frise des Panathénées a été dérobée par
un Britannique, lord Elgin.au début du XIXe s., au temps de la domination turque.
53
Elle se trouve aujourd’hui au British Muséum ; une autre partie est restée à Athènes
(musée de l'Acropole). La frise des Panathénées sculptée par Phidias et son atelier
revêt une importance historique, symbolique et culturelle fondamentale. La frise,
sculptée sur la partie haute de la celle du Parthénon, court de chaque côté du temple
pour finir à l'avant (à l'est) par l'assemblée des dieux et le don du péplos. A l'ouest,
les préparatifs, au nord et au sud le double cortège constitué des différents acteurs
de la cité. Les fragments de la frise (qui était colorée) permettent de faire observer
la finesse du bas-relief, exécuté sur une épaisseur de quelques centimètres. Le
mouvement des cavaliers au galop et le traitement du drapé des porteurs
d'amphores et du péplos sont particulièrement exceptionnels (le marbre est un
matériau très difficile à travailler). Le porteur du péplos tend le tissu à l'archonteroi, péplos brodé par quatre filles de 8 à 11 ans issues des nobles familles
athéniennes. Les ergastines et les arrhéphores sont préposées par la cité à la
réalisation du tissu sacré offert à la déesse (le peplos en laine, teint de safran avec
des broderies représentant les exploits d’Athéna). Les canéphores sont les porteuses
de corbeilles renfermant des objets sacrés. Les sacrifices ont lieu sur l'autel
extérieur ; un nombre important de bêtes est sacrifié (hécatombe : 100 bêtes). Le
sacrifice sanglant (thusia) est l’un des actes essentiels de rituel religieux pour les
Grecs. Les bêtes sacrifiées sont des animaux domestiques (béliers, chèvres,
génisses, boeufs…) que l’on voit représentés sur la frise du Parthénon car
participant à la procession. Après avoir vérifié que l’animal ne présente aucune
impureté, le sacrificateur l’égorge en lui redressant la tête de façon à ce que le sang
jaillisse sur l’autel. Il est ensuite dépouillé et la peau souvent offerte au prêtre. On
procède ensuite à la découpe de l’animal. Les os recouverts de graisse sont brûlés
en l’honneur de la divinité, tandis que les entrailles et la chair sont partagées entre
les participants. Lors des Panathénées, on procède à un double sacrifice. Les bêtes
sont fournies par les alliés de la cité, manière d’affirmer l’impérialisme athénien.
La répartition des chairs se fait de façon hiérarchisée : les magistrats ont droit à des
parts particulières lors d’une première répartition, puis chaque citoyen qui a pris
part à la procession reçoit une part égale de la viande des animaux sacrifiés. Cette
seconde distribution a lieu dans le quartier du Céramique, situé au nord-ouest de la
ville. La diversité du cortège a une dimension intégrante ; il s’agit de réunir
citoyens et non-citoyens, Athéniens et non-Athéniens (métèques et alliés), hommes
et femmes. Ainsi le spectacle a pour fonction de montrer la cohésion de la
communauté et la grandeur de la cité. C’est donc l’image de l’unité et de la
puissance qu’Athènes veut donner d’elle-même. Mais si les métèques prennent part
à la procession, ils sont exclus du partage des viandes issues des sacrifices. Les
femmes elles aussi participent à la procession, mais cette intégration aux actes
civiques est toutefois limitée par le fait qu’il s’agit d’un petit groupe de femmes
sélectionnées et non de l’intégralité de la communauté féminine.
En comparant ce « discours de pierre » aux sources littéraires qui évoquent la
procession, on constate un décalage des informations qui accentue la portée
symbolique de la frise. Ainsi, tandis que dans les sources littéraires ce sont des
femmes qui portent les hydries, sur la frise ce sont des hommes ; tandis que
Thucydide évoque la présence des hoplites, ces derniers ne sont pas présents sur la
frise ; enfin, les cavaliers présents sur la sculpture sont absents dans les sources
littéraires. Ces divergences permettent de penser que les figures sculptées ont
moins pour objectif une représentation en tout point fidèle à la réalité qu'une
incarnation de valeurs et d'institutions militaires, politiques et culturelles, qu'une
exaltation patriotique du régime. Cette frise est l'illustration idéologique d'une cité
en pleine puissance que l'on peut rapprocher des discours tenus lors des oraisons
funèbres des soldats athéniens morts au combat. La présence des dieux clôturant la
procession, des dieux au milieu des hommes, confirme le sens à donner à cette
œuvre, celui d'une cité idéalisée qui célèbre ses propres valeurs. Les réactions des
autres cités, mêlant admiration et réserve, le prouvent aussi.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
54
HA – Alexandre le Grand
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
Les légendes s'emparèrent d'autant plus facilement de l'épopée d'Alexandre que les sources d'époque sont pratiquement
inexistantes. Les récits de ses conquêtes par les nombreux chroniqueurs officiels qui suivaient l'épopée ont disparu et de
nombreuses zones d'ombre demeurent. L'historiographie d'Alexandre date de l'époque romaine. Arrien (Histoire d'Alexandre,
éditions de Minuit, 1984), Diodore de Sicile (Livre XII), Plutarque (Vie d'Alexandre), Quinte-Curce se sont emparés de ce
personnage. Les sources historiques touchant à Alexandre mêlent donc légende et réalité. De son vivant, Alexandre lui-même s'est
employé à créer la confusion, encourageant les lectures légendaires de ses propres actes. Attribué au Pseudo-Calisthéne, le Roman
d'Alexandre décrit les faits et gestes d'Alexandre le Grand. On ne possède pas le texte original, son auteur n'est pas identifié et la
date même de sa rédaction -quelque part entre le IIIe et le Ier siècle avant J.-C., n'est pas fixée avec précision. Ce qui est considéré
comme acquis est que Le Roman d'Alexandre a été composé à Alexandrie d'Egypte. Ce qui rend cette œuvre remarquable, c'est
qu'elle joue un rôle majeur dans la constitution de la légende, en alimentant le pouvoir d'attraction de la geste du conquérant. Ce
texte révèle la fascination pour l'étendue de l'épopée, pour les contrées inconnues et donne lieu à des récits mystérieux et
empreints d'imaginaire (Alexandre arrive au bout du monde, dans le pays de la divinité, à la fin de la terre).
Ouvrages généraux :
Pierre Briant (1940) est, depuis 1999, titulaire de la Chaire Histoire et civilisation du monde Achéménide et de l’empire
d’Alexandre au Collège de France.
Pierre BRIANT, Lettre ouverte à Alexandre le Grand, Actes Sud, 2008
Pierre BRIANT, Alexandre le Grand, Que sais-je ?, 1974 (2002)
Pierre BRIANT, Alexandre le Grand : de la Grèce à l'Inde, Gallimard, coll. « Découverte », 2005
Pierre Carlier, Le IVe siècle grec jusqu’à la mort d’Alexandre, Seuil, coll. « Points Histoire / Nouvelle histoire de l'Antiquité »,
Paris, 1996
Paul Faure, Alexandre, Fayard, 1985 ;
Faure P., La Vie quotidienne des armées d'Alexandre, Hachette, 1982. Fourmille d'anecdotes vivantes.
Gérard Colin, Alexandre le Grand, Pygmalion, 2007 ;
Gustave Droysen, Alexandre le Grand, Complexe ;
Alexandre le Grand, Histoire et dictionnaire, (dir.) Olivier Battistini et Pascal Charvet, Laffont, coll. « Bouquins », Paris, 2004
Jacques Lacarrière, La Légende d'Alexandre, Gallimard, coll. « Folio », 2004 ;
Jean Delorme, Le Monde hellénistique, SEDES, coll. « Regards sur l'Histoire », 1975 ;
Paul Goukowsky, Alexandre et la conquête de l'Orient dans Le monde grec et l'Orient, II, PUF, 1975 ;
Pierre Jouguet, L'impérialisme macédonien et l'hellénisation de l'Orient, Albin Michel, coll. « L'évolution de l'humanité », 1972 ;
Dominique Joly (textes) et Antoine Ronzon (illustrations), La Fabuleuse Histoire d’Alexandre le Grand, Tourbillon, coll. « La
fabuleuse histoire », Paris, 2005
Nikos Kalampalikis, Les Grecs et le mythe d’Alexandre. Étude psychosociale d’un conflit symbolique à propos de la Macédoine.
Paris, L’Harmattan, 2007.
Jean-Claude Perrier, Alexandre le Grand, Éditions Hermann, coll. « Hermann Histoire », 2008.
Documentation Photographique et diapos :
Les Grecs en Orient : l'héritage d'Alexandre - n° 8040 (2004) / Pierre Fröhlich
Revues :
Alexandrie, lumière du monde antique. Les dossiers d'Archéologie, n° 201, mars 1995.
Carte murale : conquêtes d’Alexandre
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, Enjeux didactiques (repères, notions et
concepts, problématique) :
méthodes) :
Certains des points de sa biographie divisent encore les exégètes : les causes de
BO futur programme : « Le personnage
l’intervention grecque contre l’empire achéménide (continuité des projets de son
d’Alexandre, ses conquêtes et leurs
père Philippe de Macédoine, ou ambition personnelle ?), la fiabilité des écrits
conséquences (fondation de villes,
consacrés à l’épopée (en particulier Arrien), ses véritables intentions
hellénisation) ».
géostratégiques (fuite en avant vers l’inconnu, ou conquête limitée à la totalité de
C’est cette conquête extraordinaire et cette
l’empire achéménide ?), incendie de Persépolis (soif de destruction ou dérapage
fusion de cultures que le programme nous
incontrôlé ?), le sort de sa dépouille...
invite à étudier à travers des récits de
Pierre Briant démontre qu’Alexandre tenait à se réapproprier l’empire achéménide
l’épopée d’Alexandre. Il faut mettre en
pour le remodeler à sa guise, ce qui donne un tout autre sens au fameux « demi-tour relation des récits avec une carte historique,
- marche ! » que lui auraient soi-disant imposé ses soldats alors que l’Inde était à
permettant aux élèves de repérer dans
portée de sa main, en fait une décision mûrement réfléchie par le jeune stratège, qui l’espace les épisodes de la vie d’Alexandre,
estimait en avoir fini avec sa mise au pas des Achéménides.
son avancée jusqu’à l’Indus.
La soumission des Grecs par le roi de Macédoine, Philippe II, et l'expédition de son Les documents permettent d'appréhender à
55
fils Alexandre, entre 334 et 323 avant J.-C, marquent la fin de la période classique
en Grèce et le début de ce que l'on va désigner sous le nom d'époque hellénistique.
La jeunesse d'Alexandre, la brièveté de son destin et l'ampleur de ses conquêtes ont
fait de son règne une épopée largement diffusée dans l'Antiquité et bien au-delà.
Aristote prend en charge l'éducation d'Alexandre lorsque celui-ci est âgé de treize
ans. Aristote né en 384 avant J.-C. était un ami de la famille royale macédonienne.
Pendant dix ans, jusqu'à la mort de Philippe, ce fameux professeur de philosophie
et de rhétorique, lui-même le disciple de Platon, forme l'intelligence de son élève.
Convaincu de la supériorité de la culture grecque et véritable esprit
encyclopédique, Aristote enseigne la littérature, la morale, la dialectique, la
politique, l'histoire, la géographie, les sciences physiques et même des rudiments
de médecine.
Le meurtre de Philippe limite pour son fils Alexandre les risques d'être privé de la
succession au trône. Âgé de vingt ans, Alexandre III, dit ensuite le Grand, est
acclamé comme roi par l'armée. Il doit rapidement s'imposer, car partout l'agitation
renaît. Héritant d'un projet formé par son père, Alexandre part du nord de la Grèce,
de Pella, pour la conquête de l'Asie dès que sa situation est consolidée en Europe.
L’objectif d’Alexandre est de conquérir le monde entier (cf les connaissances
géographiques de l’époque et la carte d’Ératosthène qui révèle l’image d’un monde
très réduit par rapport à la réalité). Alexandre se dirige, à l'est vers l'Asie Mineure.
Alexandre se rend sur les tombes d’Achille et des autres héros homériques.
Profondément imprégné de culture littéraire grecque, Alexandre possédait, selon
Plutarque, un exemplaire de l’Iliade annoté par Aristote. Il trouve là les modèles de
bravoure et de courage qu'il tentera de suivre tout au long de ses conquêtes.
L'épisode du passage à Troie est de ceux qui participent à la constitution de la
légende. Avant son arrivée à Ilion, Alexandre élève des autels à Poséidon, Athéna
et Héraclès. A Troie, il consacre son armure dans le temple, s'empare de certaines
armes que les hypaspistes portaient devant lui dans les combats. Il offrit un
sacrifice à Priam dont il se disait le descendant. Il déposa une couronne sur le
tombeau d'Achille et une sur celui de Patrocle. D'après Arrien, l'histoire
d'Alexandre n'est pas aussi connue que celle de la guerre de Troie car il a manqué à
Alexandre un auteur aussi exceptionnel qu'Homère pour raconter son épopée.
Puis il part au sud vers l'Egypte, et repart vers l'est, traverse la Mésopotamie, la
Perse, et atteint jusqu'à l'Indus qu'il traverse avant de revenir à Babylone. La
plupart des villes fondées par Alexandre se nomment Alexandrie, du nom du roi
lui-même. En douze ans, Alexandre conquiert le plus vaste empire ayant jamais
existé, réunissant l’Orient à l’Occident, étendant la culture grecque dont il se
réclame sur des milliers de kilomètres. Celle-ci se transforme au contact des
civilisations orientales pour former finalement une culture originale que l’on
appelle « hellénistique ». Alexandre se fait accepter des peuples vaincus par sa
bienveillance à leur égard et en honorant leurs dieux.
Alexandre est à la fois un roi grec et un empereur oriental. D'une manière générale,
Alexandre ne parvient pas à communiquer à ses soldats macédoniens la fascination
que l'Orient exerce sur lui. Les adoptions d'enfants et les mariages avaient pour but
d'établir une meilleure compréhension mutuelle entre les deux cultures. Les
mariages forcés de Suse ne survivront pas à la mort d'Alexandre. D'une manière
générale, les tentatives de fusion au niveau aristocratique furent un échec. Les
Macédoniens considéraient que la mort de Darius devait marquer la fin de
l'expédition. L'adoption de coutumes orientales, l'arrivée dans l'entourage
d'Alexandre d'Orientaux et l'affaire de la proskynèse accentuent l'incompréhension
des Macédoniens. Il est possible qu'Alexandre ait voulu imposer sa divinisation aux
Grecs, comme le prétend Plutarque. De son vivant, des honneurs divins lui furent
rendus, des autels lui ont été dédiés dans des villes grecques d'Asie Mineure. Ces
indications doivent être données aux élèves car elles seront réutilisées lors du cours
sur Rome. L'étendue de ses conquêtes explique la difficulté qu'il y avait à disposer
d'informations sur l'empereur, était-il mort ou vivant ?
Alexandre meurt soudainement en 323 avant J.-C. dans sa capitale Babylone, à 33
ans. Les circonstances de sa mort sont teintées de mystère. Les prêtres, les
astrologues et les devins annoncèrent à Alexandre un grand malheur s'il entrait dans
Babylone. Les mauvais présages se multiplièrent. Au cours d'un banquet,
Alexandre fut saisi d'une violente fièvre. Il mourut au bout de quelques jours,
léguant son empire « au plus digne ». On a trouvé dans le cimetière royal de Sidon
(Liban) un bas-relief sur un sarcophage, représentant Alexandre à la tête de ses
troupes. Il date du IVe siècle avant J.-C. C’est ici que pourrait se trouver la tombe
d'Alexandre.
la fois le récit des événements historiques
et les légendes qui accompagnent l'épopée
tout en guidant les élèves dans ce parcours
historique. Il s'agit d'aider les élèves à
retrouver les indices, sources, auteur, date,
permettant de poser les jalons de la
méthode historique. L'étude des documents
doit permettre à la classe d'adopter la
posture de l'historien. Les documents
choisis ont aussi pour objectif de faire
découvrir ce mélange de cultures :
fondation de cités, association des peuples
soumis, rapprochement des croyances
religieuses. Il s'agit d'y retrouver les
influences de la culture grecque classique,
mais aussi les éléments propres à cette
nouvelle civilisation hellénistique dont la
ville d'Alexandrie, en Egypte, est un
résumé à elle seule.
56
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Diodore, confirmé par Arrien, décrit la revue des troupes arrivées sur le sol
asiatique en 334/333 avant J.-C. Les 32 000 fantassins se composent : de la
phalange (9000), armée de la sarisse et divisée en bataillons à base tribale (chaque
soldat tient un bouclier sur son bras gauche avec lequel il protège le côté droit de
son voisin ; armé d'une longue lance, la sarisse, il transperce ses ennemis à
distance) ; des hypaspistes royaux (troupes d'élite directement liées au roi) plus
mobiles (de 3 a 5 000 ?) ; des auxiliaires dont 7 000 représentent la contribution des
cités grecques. La cavalerie regroupe 5 à 7 000 personnes dont environ 1800
hétairoi, 2 000 Thessaliens et une cavalerie légère. La consommation de troupes au
cours de la conquête est immense, moins à cause des batailles que pour établir
garnisons, colonies, détachements de reconnaissance ou de pacification. Il faut sans
cesse de nouveaux renforts. Alexandre fait appel à des soldats iraniens, les 30 000
épigones. Une garde à pied perse double les hypaspistes et la phalange est de plus
en plus ouverte aux Perses. Cette orientation de l'armée est très mal acceptée par les
Macédoniens, ce qui explique la sédition d'Opis, lorsque le roi licencie ses vétérans
et les remplace par des indigènes entraînés.
La mosaïque représentant Darius, roi des Perses, s'enfuyant devant Alexandre à
Issos en 333 avant JC, retrouvée à Pompéi, date du Ier siècle avant J.-C. Elle
témoigne, à deux siècles de distance, de l'immense prestige dont jouissait
Alexandre dans le monde antique. L'épopée était connue, elle était racontée dans
les nombreuses biographies qui, dés la fin du IIIe siècle avant J.-C., sont proposées.
Ces récits prenaient pour origine le texte, aujourd'hui perdu, d'un philosophe
athénien installé à Alexandrie, Clitarque, dont l'Histoire d'Alexandre, énorme
somme très documentée, fut composée entre 320 et 300 avant J.-C. Les historiens
ne s'accordent pas tous sur la bataille représentée, certains penchent pour Issos (333
av. J.-C.), d'autres pour Arbéles (331 av. J.-C.) dans la plaine de Gaugamèles. En
revanche, les protagonistes ne font aucun doute. Cette représentation d'Alexandre
en conquérant est traditionnelle, en lien avec son œuvre et son surnom.
L'historiographie a souvent mis en avant son courage exceptionnel, ses qualités de
chef de guerre, de meneur d'hommes, faisant de lui un archétype de la figure du
conquérant. Il met ici en fuite Darius. L'attitude de ce dernier donne lieu à diverses
interprétations, son geste de la main montrerait la complexité des relations qui
unissent, au cours de leur affrontement, ces deux adversaires et que l'on trouve dans
toutes les biographies d'Alexandre. Il s'agit de noter les qualités artistiques
indéniables de l'œuvre, où à l'enchevêtrement des jambes des chevaux répond les
sarisses hérissées des Macédoniens.
Le courage d'Alexandre apparaît aussi pendant la prise de Tyr (Phénicie) en 332
avant J-C. L'importance des troupes techniques est remarquable : ingénieurs,
bématistes qui rassemblent tous les renseignements sur les routes, les distances, les
possibilités de campement. Alexandre est un grand stratège. Il utilise des machines
de guerre très perfectionnées. Il n'hésite pas à s'engager lui-même dans la bataille.
Activités, consignes et productions des
élèves :
« L’étude repose sur le récit de l’épopée
d’Alexandre » et les futurs programmes
rajoutent « appuyé sur des
témoignages ou des représentations de cette
épopée au choix ». Les documents
permettent d'envisager les différentes
caractéristiques de la puissance
d'Alexandre : une personnalité hors du
commun, une armée puissante (la phalange
et ses hoplites), et l'attrait de l'Orient.
La légende d’Alexandre domptant
Bucéphale : un grand seigneur thessalien
vint à Pella vendre à Philippe II, a un prix
considérable, un cheval qu'il appelait
Bucéphale « Tête de Bœuf ». C'est sans
effort ni difficulté qu'Alexandre dresse ce
cheval réputé indomptable. S'étant rendu
compte qu'il avait peur de son ombre, il le
fit galoper face au soleil. Cet épisode est à
rapprocher de ce que les Grecs considèrent
comme le destin. Dès son plus jeune âge,
Alexandre fait preuve d'une force et d'un
courage extraordinaires et est promis à une
vie hors du commun. Son père lui-même
lui conseille de conquérir un vaste empire.
Autre exemple : Alexandre et le nœud
gordien. En Phrygie, dans la ville de
Gordium, Alexandre pénètre sous la
conduite des prêtres dans le temple de
Zeus. La description du nœud en corde ou
en cornouiller varie selon les auteurs. Il
faut souligner la prudence d'Arrien qui note
que la force de l'épisode provient peut-être
en partie de l'autosuggestion des
participants. Alexandre ne cherche pas à
défaire le nœud, mais il le tranche d'un
coup d'épée. La prédiction dit que celui qui
déferait le nœud deviendrait maître de
l'Asie. Arrien n'affirme pas que l'épisode
est véridique, il reste prudent, disant : « Je
ne peux rien affirmer quant à la manière
dont Alexandre s'y prit à propos de ce
nœud. » II agit en bon historien, n'affirmant
pas ce qu'il ne peut vérifier.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
57
HA – Alexandrie d’Égypte (ou Pergame)
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
fondation d’Alexandrie en 332 av. JC ; Alexandrie devient capitale du royaume de
Ptolémée en 323 av. JC ; au Ier siècle avant J.-C., c’est la première ville du monde.
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
Strabon a décrit ce «centre » au Ier siècle avant J.-C.
Les fouilles actuelles montrent que les cultures s'installent en détruisant les structures précédentes et en utilisant ces matériaux
pour refaire leurs propres constructions. On retrouve donc très rarement des structures grecques complètes.
L'exposition « Trésors engloutis d’Égypte » s’est tenue en 2006-2007 au Grand Palais. Elle retrace seize siècles d’histoire de
l’Egypte antique, de 700 avant J.C. à 800 après J.C., et parcourt les périodes des dernières dynasties pharaoniques, des souverains
Ptolémées, des Romains, des Byzantins et du début de l’époque islamique.
"Trésors engloutis d’Egypte" complète une exposition qui avait eu lieu en 1998 dans ce même Grand Palais : "Alexandrie
redécouverte", alors organisée par le CNRS. Cette Alexandrie qu’on avait écartée de l’Egypte pharaonique, cette Alexandrie dont
on disait, depuis l’Antiquité, qu’elle était ad Ægyptum : « près de », « aux marches de » l’Egypte.
Ouvrages généraux :
GODDIO Franck, FABRE David, GERIGK Christoph, Trésors engloutis d’Égypte, Seuil, 2006.
J.-Y. EMPEREUR, Alexandrie redécouverte, Fayard, Paris, 2004.
J.-Y. EMPEREUR, Le Phare d’Alexandrie, la Merveille retrouvée, Gallimard, Paris, 1998 et 2004.
Documentation Photographique et diapos :
Les Grecs en Orient : l'héritage d'Alexandre - n° 8040 (2004) / Pierre Fröhlich
Revues :
J.-Y. EMPEREUR, "On a retrouvé le Phare d'Alexandrie !" L'Histoire 187, avril 1995.
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
concepts, problématique) :
BO actuel : « L’objectif est, à partir de
Depuis 1994, le Centre d'études Alexandrines (CEAlex), créé par Jean-Yves
l’exemple d’une ville, de présenter la
Empereur et son équipe de plongeurs, étudie les fonds entourant le fort Qaitbay.
civilisation hellénistique ». BO futur
Plus de 3000 blocs, dont plus des 2/3 sont des blocs architecturaux, ont été
programme : « L’exemple d’une cité
recensés. Il s'agissait évidemment de prouver que ces blocs provenaient
hellénistique montre qu’au sein de ces
effectivement du phare. L'emplacement du phare est toutefois mis en doute par
fondations, cultures grecque et indigène
Jean Yoyotte, pour qui il ne faudrait pas négliger l'hypothèse selon laquelle il
coexistent ou fusionnent. »
pourrait s'agir en fait de récifs artificiels construits sous Saladin pour protéger la
Avec l’exemple d’Alexandrie, on approche
côte des bateaux ennemis. Ce même Jean Yoyotte accorde une place très (trop ?)
plus précisément les caractéristiques de la
importante à l’influence égyptienne dans le développement de la ville.
nouvelle civilisation hellénistique. Ville
C’est en 1996 en effet que l’archéologue sous-marin Franck Goddio et son équipe
grecque en Égypte, ville cosmopolite où se
ont débuté les fouilles archéologiques sous-marines dans la baie d’Aboukir et le
côtoient Grecs, Égyptiens, Juifs de la
port d’Alexandrie. Ces fouilles ont abouti à la découverte de cinq cent pièces
diaspora (à faire remarquer aux élèves pour
originaires des trois anciens sites de l’Egypte antique : Canope-Pegouti et
préciser la notion de diaspora évoquée
Héracleion-Thônis (antérieures à la fondation d’Alexandrie) et Alexandrie. Ces
auparavant), grand foyer culturel où des
vestiges, prisonniers des eaux durant des siècles, l’ont été vraisemblablement en
ouvrages du monde entier doivent
raison d’une série de phénomènes naturels tels que des séismes ou des raz-deêtre rassemblés, grand centre commercial,
marées. Après des années de prospection sous-marine et grâce aux techniques de
interface entre l’Égypte, l’Afrique et le
géophysique les plus sophistiquées, l’équipe de Franck Goddio a réussi à
monde méditerranéen, lieu de syncrétisme
cartographier avec précision ces villes. Celles-ci ont toujours été citées par les
religieux…
textes anciens : leur existence ne faisait aucun doute mais les localisations précises
manquaient aux historiens. C'est donc d'une véritable avancée dont il s'agit.
Après de nombreux passages à vide, au fil des siècles, cette ambiance
multiculturelle s’est naturellement reconstituée pendant la colonisation britannique,
à la fin du XIXème siècle, où Italiens, Grecs, Arméniens, Syriens et Juifs
originaires de différents pays cohabitaient en paix. Suite à la proclamation de
l’indépendance de l’Egypte et la Révolution qui a mis fin à la monarchie,
Alexandrie n’a pas été épargnée par les crises qui ont secoué l’Egypte. La ville,
autrefois si florissante, s’est progressivement éteinte et s’est cloisonnée dans la
nostalgie et le souvenir de cette ambiance multiculturelle.
La Bibliotheca Alexandrina est le fruit d'un projet que l'Egypte a mené à bien avec
l'Unesco. Elle a agi comme un véritable catalyseur pour le dynamisme de la cité
méditerranéenne: depuis 2002, date de son inauguration, les projets culturels sont
nombreux à Alexandrie: un cercle vertueux dans lequel les entreprises et le
mécénat ont leur part de responsabilité.
58
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Après avoir conquis la Syrie-Phénicie, Alexandre séjourne en Egypte pendant
l'hiver 332-331 avant J.-C. Il célèbre des sacrifices en l'honneur d'Apis et des autres
dieux d'Egypte. Il s'attire ainsi la bienveillance du clergé égyptien et est couronné
pharaon. Alexandre fonde la première des trente villes qui porteront son nom
(Alexandrie de Margiane, Alexandrie d'Arie, Alexandrie d'Arachosie, Alexandrie
en Indoukouch, Alexandrie Extrême…). Le lac Maréotis est séparé de la mer
Méditerranée par une lagune suffisamment large pour pouvoir y fonder une ville.
La situation est idéale, le site est en relation avec Memphis et les principales villes
égyptiennes par les bras du delta. Il confie le chantier à l'architecte Dinocratés.
Alexandrie devint le comptoir du monde, idéalement placée pour le commerce
maritime comme pour le commerce intérieur grâce au delta. Ptolémée Ier Soter,
général d'Alexandre, poursuivit la tradition encyclopédique d'Aristote et contribua
à faire de cette ville la plus belle de l'Orient hellénistique.
La statue colossale du roi Ptolémée (13 m et 20t, socle compris) fut retrouvée, en
même temps qu'un sphinx, en 1968, près des côtes d'Alexandrie. La face avant qui
était enfouie dans le sol sous-marin, est bien mieux conservée que le reste.
De toutes les villes fondées par Alexandre et qui portent son nom, Alexandrie
d'Egypte joue un rôle primordial. En reliant l'îlot de Pharos au continent par une
jetée longue de sept stades (soit 7 fois 167 m) - l'heptastade - Alexandre crée un
double port, comme il était d'usage chez les Grecs. Une disposition qui, en passant
d'un port à l'autre selon la direction des vents, permettait d'être toujours protégé.
Quant à la ville elle-même, son tracé respecte l'urbanisme hellénistique : soit un
réseau en damier de rues à angles droits, délimitant des îlots réguliers. Elle a été
construite à l'image de Pella, la capitale de la Macédoine, avec des agoras, des rues
orthogonales et des palais immenses. A l'intérieur de ses murs, la cité fait environ 5
km d'est en ouest et 2 à 3 du nord au sud. Ses deux rues principales, l'axe est-ouest
- ou voie canopée - et l'axe nord-sud, font chacune 30 m de largeur, si l'on en croit
Strabon. Des dimensions qui impressionnent les visiteurs. La ville est organisée en
plusieurs quartiers administratifs. Les palais occupent un quartier entier, formant
une véritable cité interdite (Strabon) à l'est de la ville. La plupart des monuments
seront initiés par Ptolémée Ier qui prend possession de l'Egypte à la mort
d'Alexandre.
La ville est considérée comme la capitale intellectuelle du monde car des savants
du monde entier viennent y travailler, tandis que des Alexandrins sont envoyés à
l'étranger pour faire rayonner leur culture. La bibliothèque possède des livres en
provenance de partout. Alexandrie resta la capitale des douze rois Ptolémées. Si
elle devint la cité « de la science et de l'esprit », c'est en grande partie grâce à ses
lettrés. L'architecture alexandrine, comme la culture littéraire fut largement
encouragée par le pouvoir royal. Son rayonnement se poursuivit jusque sous la
domination romaine.
Le musée d'Alexandrie était une sorte d'académie des Sciences et des Arts où les
écrivains et les savants se réunissaient régulièrement. C'est dans ces bâtiments que
se situait la célèbre bibliothèque d'Alexandrie. Au temps des Ptolémées, il n'y avait
pas de salle de lecture, ni de pièce où conserver les livres. Simplement sur des
rayonnages dispersés à travers le site, étaient entreposés des centaines de milliers
de rouleaux. Les savants pouvaient librement accéder à ce fonds, ce qui était un
immense privilège. Le Musée leur servait par ailleurs à organiser des colloques et à
prendre leurs repas en commun.
Le phare d'Alexandrie fut construit au IIIe siècle avant J-C. Le roi Ptolémée l'avait
élevé sur la pointe orientale de l'île de Pharos, Pharus en latin, d'où le nom du
phare. Sa construction dès l'origine était vitale, la côte étant particulièrement
dangereuse. Ce monument de 135 m fut édifié, selon Strabon en pierre blanche calcaire local - mais du granit d'Assouan entra aussi dans sa construction. Des
sources recoupées permettent de décrire son allure générale. Il était constitué de
trois étages. Le premier de 71 m de haut était de forme quadrangulaire ; on y
accédait par une rampe à arcades. Le deuxième, de forme octogonale, faisait 34 m
de haut, et le troisième, cylindrique, haut de 9 m, était surmonté d'une statue de
Zeus ou de Poséidon. Le phare illuminera la Méditerranée jusqu'au XIVe siècle.
Les circonstances exactes de sa disparition ne sont pas établies
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Activités, consignes et productions des
élèves :
Centre d’échanges intellectuels avec la
bibliothèque qui doit rassembler des
ouvrages venant du monde entier, un musée
(plus des monuments grecs : un théâtre, un
stade, un gymnase, une nécropole,un
palestre...) ; le palais royal rappelle la
civilisation égyptienne.
Centre d’échanges religieux avec des
temples de différentes religions grecque
(Poséidon) et égyptienne (Isis), temple de
Sérapis (combinaison d’un dieu grec et
d’un dieu égyptien), quartier grec, quartier
égyptien et quartier juif.
Centre d’échanges économiques : des
navigateurs d’autres régions du monde, des
bateaux de commerce se retrouvent dans le
port d’Alexandrie (cf le Phare).
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
59
HA – Archimède de Syracuse
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
Documentation Photographique et diapos :
Revues :
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs,
concepts, problématique) :
Archimède de Syracuse, né à Syracuse en 287 av. J.-C. et mort à Syracuse en 212
av. J.-C., est un grand scientifique grec de Sicile (Grande Grèce) de l'Antiquité,
physicien, mathématicien et ingénieur.
La vie d’Archimède est peu connue, on ne sait pas par exemple s’il a été marié ou a
eu des enfants. Les informations le concernant proviennent principalement de
Polybe (202 av. J.-C. — 126 av. J.-C.), Plutarque (46 - 125), Tite-Live (59 av. J.-C.
– 17 ap. J.-C.) ou bien encore pour le cas de l’anecdote de la baignoire, de Vitruve,
un célèbre architecte romain. Ces écrits sont donc, sauf pour Polybe, très
postérieurs à la vie d’Archimède.
Concernant les mathématiques, on a trace d’un certain nombre de publications,
travaux et correspondances. Il a en revanche jugé inutile de consigner par écrit ses
travaux d’ingénieur qui ne nous sont connus que par des tiers.
Archimède serait né à Syracuse en 287 av. J.-C. Son père serait un astronome
Phidias, fils d’Acupater, qui aurait commencé son instruction. Il fut le
contemporain d’Eratosthène. On suppose qu’il parachève ses études à la très
célèbre école d'Alexandrie. Du moins, on est sûr qu’il en connaissait des
professeurs puisqu’on a retrouvé des lettres qu’il aurait échangées avec eux.
De la famille de Hiéron II, roi de Syracuse, (ici le terme de famille est à prendre au
sens très large de quelqu’un de la maison de Hiéron), il entre à son service en
qualité d’ingénieur et participe à la défense de la ville lors de la seconde guerre
punique. Il meurt en 212 av. J.-C. lors de la prise de la ville par le Romain
Marcellus.
Archimède est un mathématicien, principalement géomètre, de grande envergure. Il
s’est intéressé à la numération et à l’infini, affirmant ainsi par exemple qu’il avait
l’idée de l’infinité des grains de sable, mais qu’il faudrait les dénombrer (c’est
l’objet du traité intitulé traditionnellement « L’Arénaire »). Un système de
numération parent de celui d’Archimède faisait l’objet du livre I (mutilé) de la
Collection Mathématique de Pappus d’Alexandrie. La majeure partie de ses travaux
concernent la géométrie avec :
* l’étude du cercle où il détermine une méthode d’approximation de pi à l’aide de
polygônes réguliers et propose les fractions suivantes comme approximations :
22/7, 223/71, et 355/113.
* l’étude des coniques en particulier la parabole dont il présente deux quadratures
très originales. Il prolonge le travail d’Eudoxe de Cnide sur la méthode
d'exhaustion.
* l’étude des aires et des volumes qui font de lui un précurseur dans le calcul qui
ne s’appelle pas encore intégral. Il a travaillé en particulier sur le volume de la
sphère et du cylindre et a demandé à ce que ces figures soient gravées sur sa tombe.
« Le rapport des volumes d’une sphère et d’un cylindre, si la sphère est tangente au
cylindre par la face latérale et les deux bases, est égale à 2/3. »
* l’étude de la spirale qui porte son nom dont il a aussi donné une quadrature.
* la méthode d’exhaustion et l’axiome de continuité (présent dans les Eléments
d’Euclide, proposition 1 du livre X : « En soustrayant de la plus grande de deux
grandeurs données plus de sa moitié, et du reste plus de sa moitié, et ainsi de suite,
on obtiendra (on finira par obtenir en réitérant le procédé un nombre fini de fois)
une grandeur moindre que la plus petite. » De cette méthode on a pu faire
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Rajouter dans les repères des
correspondances avec le socle commun et
cité comme un exemple de cas
« Archimède de Syracuse (287 - 212 av. J.C.), mathématicien et physicien » pour
étudier dans les futurs programmes « La
Grèce des savants ».
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
BO futur programme : « Les savants grecs
déchiffrent le monde en s’appuyant sur la
raison ».
60
d’Archimède un précurseur du calcul infinitésimal.
Nous possédons un palimpseste connu sous le nom de manuscrit d'Archimède. Lors
de l'étude de celui-ci, l'on s'aperçut qu'Archimède avait la notion du calcul
infinitésimal, chose très moderne et tout à fait nécessaire pour progresser en
sciences. Il est rappelé que pour les anciens Grecs, Dieu est parfait parce que fini.
Archimède est considéré comme le père de la mécanique statique. Dans son traité,
De l'équilibre des figures planes, il s'intéresse au principe du levier et à la recherche
de centre de gravité.
On lui attribue aussi le principe d'Archimède sur les corps plongés dans un liquide
(Des corps flottants).
Il a aussi travaillé sur l'optique (La catoptrique).
Il met en pratique ses connaissances théoriques dans un grand nombre d'inventions.
On lui doit, par exemple,
* des machines de traction où il démontre qu'à l'aide de poulies, de palans et de
leviers, l'homme peut soulever bien plus que son poids
* des machines de guerre (principe de la meurtrière, catapultes, bras mécaniques
utilisés dans le combat naval).
Parmi les machines de guerres très importantes l'on doit souligner l'appareil à
mesurer les distances (odomètre) que les Romains empruntèrent à Archimède. En
effet pour que l'armée soit efficace, elle doit être reposée et les journées de marche
doivent donc être identiques. La machine d'Archimède doit être réalisée avec des
dents de rouage pointues et non carrées. On a mis très longtemps à la reconstituer
car on faisait cette erreur.
* la vis sans fin et la vis d'Archimède, dont il rapporte, semble-t-il, le principe
d'Égypte et dont il se sert pour remonter de l'eau. On lui attribue aussi l'invention
de la vis et de l'écrou.
* le principe de la roue dentée grâce auquel il construit un planétaire représentait
l'Univers connu à l'époque.
Le génie d'Archimède en mécanique et en mathématique fait de lui un personnage
exceptionnel de la Grèce antique et justifie la création à son sujet de faits
légendaires. Ses admirateurs parmi lesquels Cicéron qui découvrit sa tombe,
Plutarque qui relata sa vie, Léonard de Vinci, et plus tard Auguste Comte ont
perpétué, enrichi les contes et légendes d’Archimède.
À l'instar de tous les grands savants, la mémoire collective a associé une phrase,
une fable transformant le découvreur en héros mythique : à Newton est associée la
pomme, à Pasteur le petit Joseph Meister, à Albert Einstein la formule E = mc².
Pour Archimède, ce sera la phrase Eurêka ! (en grec : j'ai trouvé !) prononcée en
courant nu à travers les rues de la ville alors qu'il venait de trouver l'explication de
la poussée qui portera son nom. Archimède venait enfin de trouver la solution à son
problème : en effet, il était courant à cette époque que les rois en manque d'argent
fondent leurs bijoux en or et découvrent que les présents qui leur avaient été faits
n'étaient en réalité que du plomb plaqué or ou un mélange d'or-argent ! Le roi avait
chargé Archimède de trouver un moyen pour déjouer cette fraude[5]. C'est dans sa
baignoire, alors qu'il cherchait depuis longtemps, qu'il trouva la solution, d'où sa
joie ! Il put mesurer le volume de la couronne par immersion dans l'eau puis la
peser afin de comparer sa masse volumique à celle de l'or massif.
Le siège de Syracuse et les miroirs d'Archimède
Lors de l'attaque de Syracuse, alors colonie grecque, par la flotte romaine, la
légende veut qu'il ait mis au point des miroirs géants pour réfléchir et concentrer les
rayons du soleil dans les voiles des navires romains et ainsi les enflammer. Cela
semble scientifiquement peu probable car des miroirs suffisamment grands étaient
techniquement inconcevables, le miroir argentique n'existant pas encore. Seuls des
miroirs en bronze poli pouvaient être utilisés.
Une expérience menée par des étudiants du Massachusetts Institute of Technology
(MIT) en octobre 2005 semblait démontrer que cette hypothèse était réaliste. Le
professeur David Wallace et ses étudiants parvinrent en effet à enflammer une
reconstitution de bateau romain à 30 mètres de distance en dix minutes. Cependant,
cette expérience avait été menée hors de l’eau, sur du bois sec, sur une cible
immobile et à l’aide de miroirs ordinaires et non de miroirs en bronze comme ceux
de l’époque d’Archimède. Selon toute vraisemblance, la légende des miroirs
d’Archimède est irréaliste. Plusieurs facteurs tendent à prouver cela :
* Syracuse fait face à la mer par l’Est, ce qui aurait forcé Archimède à utiliser les
rayons du soleil du matin, moins puissants que ceux de midi.
* Les miroirs ne peuvent fonctionner que lorsque le soleil est visible, ce qui rend
cette « arme » peu fiable car entièrement à la merci de l’état du ciel.
61
* Les navires romains étaient vraisemblablement en mouvement, ce qui complique
fortement la tâche pour trouver le foyer. Pour être efficaces, les miroirs auraient dû
fonctionner très rapidement, ce qui ne fut pas le cas lors de la reconstitution.
* Les voiles n’auraient pas pu être prises pour cible, car leur couleur claire renvoie
mieux les rayons lumineux et ne concentre pas la chaleur aussi bien que la coque ;
de plus, les voiles sont constamment en mouvement à cause du vent et par
conséquent, sortent sans cesse du foyer.
* Historiquement, il n’est fait mention de l’utilisation de miroirs lors du siège de
Syracuse que 800 ans après les faits, ce qui rend l’anecdote assez douteuse.
Plusieurs auteurs plus anciens relatant cet épisode ne mentionnent ni les miroirs, ni
même l’incendie des navires romains. L'historien Tite-Live (XXIV-34) décrit le
rôle important d'Archimède comme ingénieur dans la défense de sa ville
(aménagement des remparts, construction de meurtrières, construction de petits
scorpions et différentes machines de guerre), mais il ne dit pas un mot de ces
fameux miroirs. De même, il raconte la prise de Syracuse, organisée pendant la nuit
non par crainte du soleil, mais pour profiter du relâchement général lors de trois
jours de festivités (généreusement arrosées) en l'honneur de la déesse Diane.
(XXV-23)
* L’utilisation de miroirs mobiliserait un grand nombre de personnes pour des
résultats peu probants. 300 miroirs furent ainsi utilisés pour la reconstitution lors de
l’émission, et à la fin de l’émission, un vent assez faible en renversa un grand
nombre, dont plusieurs furent brisés par la chute.
La mort d’Archimède
En -212, après plusieurs années de siège, les Romains auraient alors attendu une
journée nuageuse pour s’emparer de Syracuse et la piller. Le général Marcus
Claudius Marcellus souhaitait néanmoins épargner le savant. Malheureusement,
selon Plutarque[7], un soldat romain croisa Archimède alors que celui-ci traçait des
figures géométriques sur le sol, non conscient de la prise de la ville par l’ennemi.
Troublé dans sa concentration par le soldat, Archimède lui aurait lancé « Ne
dérange pas mes cercles ! ». Le soldat, vexé de ne pas voir obtempérer le vieillard
de 75 ans, l’aurait alors tué d’un coup d’épée. En hommage à son génie, Marcellus
lui fit de grandes funérailles et fit dresser un tombeau décoré de sculptures
représentant les travaux du disparu.
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Activités, consignes et productions des
élèves :
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
62
HA – La cité de Rome des origines au 1er siècle avant J. C.
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long,
amplitude spatiale) :
Il est, impossible de bien décrire la Rome républicaine, sauf dans les derniers
temps, quand la Ville remplaça ses monuments de bois par des monuments de
pierre. Pompée, César et Auguste sont les grands bâtisseurs en dur(able) : doiton les inclure dans la chronologie ?
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant, après) :
l’Enéide fait partie du programme de français
Sources et muséographie :
Sur la fondation : récits de Tite-Live (Histoire romaine, I, 4-13), de Denys d'Halicarnasse (Antiquités romaines, 1,74), et de
Plutarque (Vie de Romulus, 3-22)
Ouvrages généraux :
Filippo Coarelli (1936), professeur d'antiquités gréco-romaines à l'université de Pérouse, est l'un des meilleurs connaisseurs
actuels des antiquités romaines et de la Rome primitive. De plus, il est expert pour ce qui est de la topographie de la Rome
antique. Il a appliqué dans ses recherches une approche originale en liant histoire de l'art, archéologie et sources écrites.
Filippo Coarelli, Guide archéologique de Rome, Bibliothèque d'Archéologie, Hachette Editions, Paris, 1998
Jean-Noël Robert, Rome, Les Belles Lettres, 2002 (permet de retrouver facilement des définitions et des explications précises).
Histoire de Rome / Jean-Yves Boriaud, Histoire des grandes villes du monde, Fayard, Paris, 2001
Rome et la conquête du monde méditerranéen, 264-27 av. J.-C. Tome I. La Stucture de l'Italie romaine, Claude Nicolet, Nouvelle
Clio, PUF, Paris, 2001
Documentation Photographique et diapos :
Revues :
L'Histoire, « Quand les Étrusques devinrent romains » - Dominique Briquel, 05/2002 | n°265 | Dossier Les civilisations disparues
de la Méditerranée
L'Histoire, n° 165, « Rome, naissance d'une ville », avril 1993.
L'Histoire, n° 234, « Rome, capitale du monde », juillet/août 1999, numéro spécial.
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
Enjeux didactiques (repères, notions et
savoirs, concepts, problématique) :
méthodes) :
Depuis quelques années, les historiens qui se penchent sur le dossier de Rome
BO futur programme : « Du mythe à l’histoire
s'attardent moins qu'auparavant sur les splendeurs de la plus grande ville qu'a
: les textes sur la fondation de
connue l'Antiquité ; ils essaient d'abord de voir ce que lui a apporté son statut de Rome (l’Enéide de Virgile, l’Histoire romaine
capitale et ils tentent, avec plus ou moins de bonheur, de définir les limites entre de Tite-Live…) et la légende de Romulus et
Remus sont mises en relation avec les
la ville et sa banlieue, les différents espaces urbains et les activités auxquels ils
étaient dévolus.
découvertes archéologiques (IXe- VIIIe s). A
partir de la journée d’un citoyen romain un
jour d’élections, ou d’une promenade à travers
les lieux de la vie politique et d’une
description du Forum à la fin de la République,
on montre que la République romaine est un
régime oligarchique dans lequel les citoyens
ne sont pas à égalité de droits. On évoque le
fait que l’enchaînement des conquêtes aboutit
à la formation d’un vaste empire et à l’afflux
d’esclaves. Cette expansion rompt l’équilibre
social et politique, provoque des guerres
civiles et la fin de la République.»
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
Activités, consignes et productions des élèves :
documentaires et productions graphiques :
Il s’agit d’initier les élèves à la démarche
La chaîne montagneuse aride des Apennins qui occupe tout le centre de l'Italie
historique en leur faisant confronter des
ne concède à l'implantation humaine qu'un espace limité, le long des plaines
sources littéraires de statut différent (l’Énéide
littorales. C'est au nord du Latium, sur un site de premier pont sur le Tibre (ainsi de Virgile, poète romain du Ier siècle avant J.nommé parce qu'il s'y trouvait, depuis la mer, le premier gué où l'on pût
C. et Histoire romaine
traverser) permettant à là route reliant la Campanie à la Toscane de traverser le
de Tite-Live, historien romain du Ier siècle
fleuve, que la ville de Rome est installée. Ce site jouait un double rôle : d'est en
avant J.-C.) et des données archéologiques
ouest, il servait de ville-pont entre les Étrusques, le peuple de l'ouest, et les
(cabanes de bergers du VIIIe siècle avant J.Latins, le peuple de l'est ; du sud au nord, il formait une étape sur la route du
C). Les élèves doivent apprendre à exercer un
sel, la via Salaria, qui remontait le cours du Tibre.
regard critique pertinent sur les documents à
Le site de Rome est établi sur sept collines escarpées entourant une dépression
travers une des compétences attendues en fin
marécageuse sur la rive gauche du Tibre, fleuve navigable malgré l'irrégularité
de collège : les mettre en relation et les
de son débit. Le quartier le plus ancien de la ville de Rome est la colline du
confronter. Il s’agit aussi de repérer les deux
Palatin où se trouve le site primitif du VIIIe siècle. Occupé par des habitations
groupes qui constituent
privées jusqu'à la fin de la République, cette colline devient à partir du règne
la société romaine dans le texte de Tite-Live
63
d'Auguste le lieu de résidence des empereurs qui y construisent de vastes palais.
L'histoire des premiers temps de Rome reste assez obscure. Les premiers
occupants du site de Rome feraient partie des Latins (villages de bergers – pas
d’aménagements ni de monuments). Traditionnellement, la fondation de la ville
est fixée a 753 avant J.-C., événement que les Anciens fêtaient chaque 21 avril.
Dans un bronze étrusque « Louve allaitant Romulus et Remus » du Ve siècle
avant J.-C, retrouvé sur la colline du Capitole, l'animal est traité avec une
stylisation orientalisante (les Jumeaux ont été ajoutés à la Renaissance par
Antonio del Pollaiolo). L'histoire de l'origine de la Cité a été transmise de façon
légendaire, mais l'archéologie en a depuis confirmé à peu près les dates. Les
urnes-cabanes, urnes funéraires en terre cuite que l'archéologie date du VIIIe
siècle avant J.-C, attestent du peuplement du site de Rome à cette époque. Elles
permettent de connaître la forme de l'habitat. Lorsque la Ville est fondée, au
VIIIe siècle avant J.-C., les peuples étrusques, installés plus au nord, sont en
train d'étendre progressivement leur pouvoir sur l'Italie centrale, tandis que les
premiers colons grecs débarquent au sud de l'Italie (les Chalcidiens fondent
Cumes et Rhegion, tandis que les Péloponnésiens fondent Tarente Crotone et de
nombreuses colonies en Sicile). Ainsi, Rome bénéficie du mouvement
historique de l'éclosion des cités. C'est aux Étrusques qu'il revient d'avoir fait
passer une petite communauté latine de l'état de village a celui de ville-cité.
Originaires peut-être d'Anatolie, les Étrusques n'appartiennent pas au peuple
indo-européen, ainsi que le prouverait leur langue originale. Installés en
Toscane, ils conquièrent la plaine du Pô, au nord, puis au sud, le Latium et la
Campanie. Au VIe siècle avant J.-C., les rois étrusques construisent une solide
enceinte englobant les sept collines surplombant une zone marécageuse mal
drainée par les cours d’eau qui descendent jusqu’au fleuve Tibre. Les Étrusques
ont drainé la dépression du Forum grâce à un grand égout, la cloaca maxima, et
fait de ce lieu le centre politique et religieux de la Ville. On leur attribue
l'assainissement de Rome, les temples du forum boarium, la construction du
temple de Jupiter Optimus Maximus et les fortifications de la ville. Ils préparent
l'avènement de la république. Servius Tullius, deuxième roi mythique étrusque,
de 578 à 534 avant J.-C, a fait construire cette muraille autour des sept collines
de Rome, qui enferme une superficie de 426 ha ; il est aussi l'auteur d'une
grande réforme administrative consistant à répartir la population en cinq classes,
selon la fortune. En 509 d'après la tradition, quelques décennies plus tard
d'après l'archéologie, une révolution fomentée par les Latins chassa les
Étrusques – on ne croit plus guère au viol de Lucrèce, une légende. Au VIe
siècle avant notre ère, les Étrusques dominent toute la moitié nord de
l'Italie.Trois siècles plus tard, ils sont soumis par Rome. Défaite militaire ? Pas
seulement ! Pour préserver leurs privilèges, les élites étrusques ont en effet joué
la carte romaine. Ce qui explique leur remarquable intégration dans l'empire. Le
départ des rois (les Tarquins) s'accompagne d'un changement institutionnel.
S'installa alors une fragile république, immédiatement confrontée à de
redoutables ennemis : les Étrusques encore, les voisins latins, ou bien les
redoutables montagnards Samnites. Les menaces ne s'estompèrent qu'à la fin du
IVe siècle.
La situation changea profondément en 338. Après une guerre de plus, faite
contre les Latins et avec l'alliance des Campaniens, Rome sortit victorieuse du
conflit et, en distribuant avec générosité sa citoyenneté, elle se dota d'une armée
nombreuse. Cette dernière lui permit de développer un impérialisme parmi les
plus agressifs qu'a connus l'humanité. Le cœur de la ville, ravagé par les Gaulois
en 387, se dota alors des monuments qui, comme la curie et les rostres,
permirent la vie publique, puis de boutiques qui laissèrent bientôt la place à des
basiliques, grands bâtiments d'origine grecque destinés à la vie juridique et
commerciale ; en même temps, les quartiers populaires s'emplirent d'une
multitude d'immeubles de rapport, les insulae. Chaque victoire, chaque conquête
vit affluer à Rome esclaves et richesses, dans une ville qui, une fois débarrassée
de sa puissante rivale, la thalassocratie punique, eut désormais les moyens de
rivaliser en splendeur avec les villes de l'Orient hellénistique. En 86, elle
comptait près de 500 000 habitants, ravitaillés en eau par de multiples aqueducs,
et en vivres par les convois de navires venus de tout le pourtour de la
Méditerranée. C'est surtout après la deuxième guerre punique que le
développement économique et les conquêtes permettent un embellissement de
Rome et l'édification de nombreux monuments. L'importance de l'exode rural et
de l'immigration entraîne l'édification d'immeubles de rapport (insulae).
(patriciens et hommes de la plèbe).
Tite-Live est un historien romain qui a vécu de
59 avant J.-C. à 17 après J.-C. Son Histoire de
Rome, constituée de 142 livres, dont 35 ont été
conservés, a été écrite entre 25 avant J.-C. et
17. Il décrit au Ier siècle avant J.-C. une scène
qui se serait déroulée au VIIIe siècle avant J.C., soit sept siècles plus tôt ; cette source, qui
est donc loin d'être un témoignage direct, doit
être utilisée avec prudence. Ce texte permet
d'évoquer la tâche de l'historien et de montrer
pourquoi Tite-Live est considéré comme l'un
des plus grands historiens latins. Tite-Live se
fait seulement le rapporteur de la légende
relatant la fondation de Rome, mais il garde
ses distances envers ce qu'il considère comme
une fable ; faute de preuve, il s'abstient de la
contester ou de la défendre. Par cette
objectivité, il fait véritablement acte
d'historien. Mars, le dieu de la guerre, est
associé à la fondation de Rome parce que,
selon la légende, il serait le père de Romulus.
Même si cette paternité apparaît contestable,
Tite-Live estime que Rome a acquis sa
puissance par la guerre, ce qui justifie qu'elle
puisse associer le dieu Mars à son existence.
Dernière œuvre du poète Virgile qui a
jusqu'alors, dans ses écrits, manifesté son
intérêt pour les réalités concrètes, l'Enéide fait
la part belle à la légende et à la mythologie.
Alors que dans les Géorgiques, Virgile a
tourné en dérision les poèmes à sujet
mythologique, il n'hésite pas à faire intervenir
les dieux auxquels il attribue sentiments,
colères et stratégie, dans son récit de l’Enéide.
Virgile s'y est indéniablement inspiré de
l'Iliade et de l'Odyssée d'Homère en
composant six livres d'aventures suivis de six
livres de combats. La légende d'Énée comporte
plusieurs similitudes avec celle d'Ulysse. Les
deux hommes ont pris part à la guerre de Troie
; comme Ulysse, Énée est l'objet des rivalités
entre les dieux, dont il subit tantôt l'aide, tantôt
le courroux. Les deux héros connaissent la
même errance sur les rivages méditerranéens,
avant d'être reconnus maître de leur royaume.
Tout en exploitant les légendes relatives à la
guerre de Troie qui exercent alors une grande
fascination sur les Romains, Virgile évoque à
maintes reprises par des allusions, des
prophéties, des événements, la Rome
d'Auguste à laquelle il cherche à donner une
origine grandiose.
En étudiant « Rome, une cité du Latium
(à partir du VIe s. avant J.-C.) », on a pour
objectif de réinvestir la notion de cité mise en
place lors des précédents chapitres sur la
Grèce tout en mettant en lumière les
différences entre la civilisation grecque et la
civilisation romaine.
« Faire percevoir les caractères essentiels de la
Rome républicaine » consiste principalement,
dans le temps imparti, à définir la République
de manière simple. La formule « senatus
populusque romanus » donne une clé
64
Le Forum, première place publique, était le coeur de la vie romaine. La création
de cette première place publique au VIe siècle avant J.-C. marque la naissance
de Rome en tant que ville. C'est sur le Forum que sont implantés les lieux du
pouvoir politique où se prennent toutes les décisions importantes : les séances
du Sénat se déroulent dans la curie, les réunions des comices se font sur
l'esplanade qui la borde et les magistrats s'expriment sur toutes les questions
présidant aux destinées de Rome du haut des trois mètres de la tribune aux
harangues, appelée les Rostres. A proximité se trouvent la prison et l'escalier
des Gémonies où le corps des condamnés était exposé avant d'être jeté dans le
Tibre. La concentration de nombreux temples montre qu'il s'agit également du
centre de la vie religieuse. Les basiliques, où se retrouvent magistrats et
hommes d'affaires, les boutiques, attestent également du rôle économique du
Forum, alors qu'à son extrémité, le Colisée est un lieu de loisirs. Sur cette petite
place de 250 mètres de long sur 60 mètres de large, se concentraient tous les
aspects de la vie de la cité : on y trouvait les lieux de décision politique (Curie,
Comitium, forum), judiciaire (les basiliques), les principaux temples, la Voie
sacrée, l’activité commerciale (boutiques) mais aussi tout un fouillis de statues,
colonnes votives, arbres sacrés qui soulignent son caractère hautement
symbolique. Les monuments les plus anciens sont les temples de Saturne et de
Castor et Pollux qui datent du IVe siècle avant J.-C. ; le monument le plus
récent est le temple d'Antonin et Faustine, érigé au IIe siècle de notre ère.
L'histoire de Rome s'est poursuivie sur une longue période, en tait près de douze
siècles, du VIIIe siècle avant J.-C. au Ve siècle au sein de laquelle la phase la
plus active et la plus brillante s'inscrit entre le IVe siècle avant J.-C. et la fin du
IIe siècle. Après une lente et progressive conquête de la péninsule italienne qui
ne s'achève qu'au IIIe siècle avant J.-C., à l'exclusion de la Gaule cisalpine au
nord, Rome étend rapidement sa domination sur la majeure partie du pourtour
de la mer Méditerranée qu'elle transforme en « lac romain ». Les guerres
apportent gloire et butin aux soldats et à leurs chefs, des terres aux citoyens
pauvres, des ouvertures aux commerçants. Au IIIe siècle avant J.-C., Carthage
est la rivale de Rome ; les deux puissances convoitent la Sicile. C'est le début
des guerres puniques qui se déroulent en trois temps : à l'issue de la première
guerre punique (264 à 241 avant J.-C.), Carthage abandonne ses prétentions sur
la Sicile. L'expédition d'Hannibal est à l'origine de la deuxième guerre punique
(218-202 avant J.-C.) qui se termine par la victoire des Romains à Zama. Au
milieu du IIe siècle avant J.-C., Carthage, redevenue prospère, inquiète les
Romains ; lors de la troisième guerre punique (148-146 avant J.-C.), les
Romains écrasent Carthage et détruisent la ville. A la suite de la guerre contre
Carthage, la domination romaine s'étend sur le nord de l'Afrique et l'Espagne,
puis au IIe siècle sur la Macédoine, la Grèce, l'Asie Mineure. En 88 avant J.-C.,
Mithridate, roi du Pont, qui veut chasser les Romains d'Orient, massacre 100
000 Romains en Asie Mineure et occupe la Grèce, ce qui déclenche une guerre
au cours de laquelle s'illustrent plusieurs consuls romains : Sylla, puis Pompée.
De 58 à 45 avant J.-C., Jules César conquiert la Gaule.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
indéniable ; il n’est pas nécessaire de se livrer
à une étude détaillée des institutions de la
République romaine pour faire construire à nos
élèves une première définition de la notion de
République et réinvestir les acquis concernant
la notion de démocratie, étudiée dans le
chapitre sur la Grèce. La Res publica qui
désigne la « chose publique », marque la
suprématie d'une politique commune à tous les
citoyens sur la Res privata, la « chose privée ».
La souveraineté du peuple est affirmée dans la
formule qui définit le pouvoir républicain
SPQR. Pour prévenir toute velléité de pouvoir
personnel, les pouvoirs sont séparés, et exercés
gratuitement selon un système collégial, électif
et annuel. Le fonctionnement de la République
romaine ressemble à celui de la démocratie
athénienne par le partage des pouvoirs, le
principe des fonctions collégiales et électives,
la consultation des citoyens. Mais, dans le
système romain, tous les citoyens ne sont pas à
égalité, seuls ceux qui détiennent la fortune
exercent des responsabilités politiques, ce qui
s'apparente à un pouvoir oligarchique. Les
Romains ont une conscience de classe aiguë.
Chacun est considéré en fonction de sa
naissance et de sa richesse. Les praticiens
descendent des plus anciennes familles de
Rome et des plus célèbres. Au sommet du
cursus honorum se trouvent les deux consuls.
Responsables de l'ensemble de la politique, ils
convoquent et président le Sénat, font exécuter
les décisions du Sénat et du peuple, recrutent
l'armée et commandent les opérations
militaires. Les consuls donnent leur nom à
l'année. Les comices sont les assemblées
populaires au sein desquelles le citoyen romain
vote. Avec le Sénat et les magistrats, ils
forment le troisième pôle de la vie politique
sous la République. On distingue les comices
curiates, les comices centuriates et les comices
tributes. Les comices ne se tiennent que sur
convocation d'un magistrat et certains jours ;
leur rôle est d'élire les magistrats et de voter
les lois qui leurs sont proposées.
Installés récemment sur le territoire de Rome
ou descendants de familles modestes, les
plébéiens n'ont au départ aucun droit. Ce n'est
qu'à partir du Ve siècle, que la distinction
politique entre praticiens et plébéiens disparaît
; au IIIe siècle avant J.-C, l'égalité des droits
est théoriquement acquise.
Evaluation cohérente en fonction des objectifs
:
65
HA – Jules César et Vercingétorix
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Volonté dans le socle commun d’insister
sur les événements majeurs et les grandes
figures de l’histoire de la Gaule : le repère
« Alésia » est remplacé dans les
correspondances avec le socle par « 52
avant Jésus-Christ (siège d’Alésia par
César et présentation de Vercingétorix) » et
dans les futurs programmes par « 52 av. J.C. Jules César et Vercingétorix, Alésia ».
Sources et muséographie : la Guerre des Gaules
Ouvrages généraux :
Jérôme Carcopino, César, Presses universitaires de France, Paris, (1936) 1990
Yann Le Bohec, César, Que sais-je ? n° 1049, 1994, 128 p.
Luciano Canfora, Jules César, le dictateur démocrate, Flammarion, Paris, 2001 ;
Jean Malye, la véritable histoire de Jules César, Les Belles Lettres, 2007 (textes traduits et commentés, très bon accès aux sources
antiques) ;
Robert Étienne, Jules César, Fayard, Paris, 1997
Joël Schmidt, Jules César, Folio Biographies Inédit, Gallimard, 2005.
GOUDINEAU Christian, Le Dossier Vercingétorix, Actes Sud, Errance, 2001.
Camille Jullian, Vercingétorix, 1901 et réédition avec P.-M. Duval, 1977
Venceslas Kruta, Vercingétorix, Flammarion, 2003
Paul-Marius Martin, Vercingétorix : le politique, le stratège, Perrin, 2000, 260 pages
Serge Lewuillon, 52 avant JC, Vercingétorix à Alésia, éd. Complexe, 1999
Nos ancêtres les Gaulois, de Jean-Louis Brunaux, "L'univers historique", Seuil, 2008, 300 p.
Rome et la conquète du monde méditerranéen. Tome II. Genèse d'un empire, Claude Nicolet, Nouvelle Clio, PUF, Paris, 2001
La conquête romaine, A. Piganiol, PUF, 1995
Documentation Photographique et diapos :
Revues :
L'Histoire, 12/2003 | n°282 | Dossier La découverte des Gaulois : « C'est César qui a inventé la Gaule » - Christian Goudineau,
« Du bon usage de Vercingétorix » - Maurice Agulhon
« Alésia : la dernière bataille » - Maurice Sartre, 12/2001 | n°260
La Gaule de Vercingétorix - En finir avec les légendes, TDC, N° 670, 15 février 1994
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, Enjeux didactiques (repères, notions et
concepts, problématique) :
méthodes) :
Jules César (101-44 avant J-C)
Document d’accompagnement : « À partir
Caius Julius Caesar laisse l'image paradoxale d'être reconnu comme le plus célèbre des personnages de César et d’Auguste, on
consul et général de la République romaine et d'avoir été le principal instigateur du peut aborder de façon simple, dans une
passage du système républicain au régime impérial. La conquête de la Gaule lui a
classe de 6e, la liaison entre les conquêtes
permis de forger une armée de premier ordre, qui lui est entièrement dévouée et sur et le changement de régime : ce sont les
laquelle il peut compter, dans un contexte de guerre civile.
généraux vainqueurs qui deviennent
Jules César écrit La Guerre des Gaules en 51 avant J.-C. à l’occasion de la
empereurs. »
campagne de Gaule qui oppose les Romains à des peuples gaulois.
BO futur programme : « L’étude des
La Guerre des Gaules présente un double intérêt. C'est d'abord la rencontre de deux conquêtes s’appuie sur l’exemple de la
civilisations qui va donner naissance au monde gallo-romain. C'est ensuite un
conquête de la Gaule par César. Raconter et
tournant dans l'histoire de Rome, car auréolé du prestige de la victoire, Jules César
expliquer la carrière de César. »
affirme des prétentions politiques qui annoncent le glas de la République et
Le programme nous demande d’étudier, à
l'avènement de l'Empire. Ce récit est donc un témoignage direct, mais subjectif des l’aide de cartes, l’expansion romaine « sans
événements.
entrer dans le détail chronologique ». Le
En décrivant la Gaule avant l'arrivée des Romains, César traduit la vision romaine
document patrimonial que constitue la
de la société gauloise. L'absence de démocratie apparaît choquante et considérée
Guerre des Gaules nous fournit deux
comme un esclavage du peuple. Les mots sont empruntés au vocabulaire politique
clés. D’une part, la conquête de la Gaule
romain, notamment lorsqu'il parle des chevaliers (equites). La Gaule est morcelée
par les Romains peut servir d’étude de cas,
en tribus tantôt rivales, tantôt alliées, habituées à se faire la guerre. Le peuple n'a
la carte de l’expansion romaine dans son
aucun droit, la société est dominée par une noblesse guerrière et par les druides qui, ensemble permettant ensuite une
plus que de simples prêtres, apparaissent comme des hommes très savants.
indispensable et incontournable
Les Gaulois ? Comme le dit l'archéologue Christian Goudineau, professeur au
généralisation. D’autre part, le personnage
Collège de France, tout le monde garde les mêmes clichés en tête : des moustachus même de Jules César et l’utilisation
batailleurs et frustes, arriérés et débonnaires, vaguement sylvestres, redoutant que
politique qu’il fait de ses conquêtes
le ciel leur tombe sur la tête. Avec, en face, la puissance civilisatrice de Rome. Ses
militaires, notamment en Gaule, font entrer
66
temples immaculés, son urbanisme tiré au cordeau, ses institutions d'airain, ses
légions en ordre.
Vercingétorix est resté pendant longtemps un héros méconnu voire oublié.
L'histoire officielle de l'Ancien Régime commençait avec les francs et Clovis ; les
prédécesseurs romains, ou pire gaulois, n'intéressaient pas car ils n'apportaient rien
à la légitimité et la gloire du système monarchique. Le héros gaulois va revenir à la
mode à la fin du XIXième siècle pour plusieurs raisons liées au contexte politique
et social de l'époque : d'abord la France du second Empire vient d'être écrasée par
la Prusse en 1870. Dans ce contexte d'honneur meurtri et revanchard, la propagande
officielle est à la recherche de héros montrant qu'on peut être grand dans la défaite.
Ensuite, la République vient de remplacer l'Empire. Le contexte politique est
houleux entre les tendances républicaines, les monarchistes et les bonapartistes ;
l'une des principales pommes de discorde est la question de l'association de l'Eglise
et de l'Etat. Là encore la propagande officielle (qui passe par la toute nouvelle école
publique obligatoire de Jules Ferry), républicaine et plutôt anti-cléricale, cherche à
valoriser des héros nationaux liés ni à l'Eglise ni à la monarchie. Si l'on gomme les
prétentions de Vercingétorix à la royauté arverne, il répond complètement à ses
deux impératifs. Enfin, en des temps où la France constituait son empire colonial,
cette histoire permettait au colonisateur de dire en substance, à ceux qu'il venait de
réduire : "Nous aussi, nous avons un jour été conquis et civilisés par d'autres…
Alors pourquoi pas vous ?". La popularité de la reddition de Vercingétorix a donc
pour origine une volonté de glorifier un héros laïc, non compromis avec le pouvoir
monarchique capétien et grand même dans la défaite totale. Les causes motivant
cette volonté ont disparu depuis longtemps (l'Eglise et l'Etat sont séparés depuis un
siècle, et les monarchistes et les bonapartistes ne sont plus que quelques originaux
sans poids politiques) mais la reddition demeure un des clichés les plus connus de
notre histoire.
Sous la IIIe République, les Gaulois étaient de gauche. Ce n'est pas un hasard si, en
octobre 1903, le président du Conseil Émile Combes se déplace à ClermontFerrand pour inaugurer une statue de Vercingétorix. Les Gaulois annonçaient alors
la démocratie, ils préfiguraient la nation et, de surcroît, n'avaient pas subi la tutelle
de l'Église catholique. Ils incarnaient une France d'avant Clovis, une France d'avant
les Francs. En effet, dans la mythologie qui se met progressivement en place à
partir du XVIIe siècle, les partisans de la noblesse (les Boulainvilliers, les SaintSimon, et plus tard Montesquieu) ont élu comme ancêtres les Francs, représentants
d'une époque idéalisée où le roi n'était que le premier parmi ses pairs, aristocrates.
Ce faisant, ces défenseurs des « droits historiques de la noblesse » laissèrent à leurs
adversaires et aux républicains du XIXe siècle l'occasion de faire des roturiers
gaulois, symétriquement, les ancêtres de la démocratie. Après les ouvrages
d'Augustin Thierry et d'Henri Martin, ce furent les manuels de classe qui
diffusèrent la légende dorée de Vercingétorix, le vaincu sublime, et celle des
valeureux Gaulois. La querelle prend un nouveau tour au lendemain de la défaite
française de 1871. Renan, méditant sa Réforme intellectuelle et morale de la France
, s'interrogeant sur les causes du désastre militaire, en vient à écrire : « C'est
probablement par la race germanique, en tant que féodale et militaire, que le
socialisme et la démocratie égalitaire, qui chez nous autres Celtes (sic) ne
trouveraient pas facilement leur limite, arriveront à être domptés, et cela sera
conforme aux précédents historiques. » On le voit : l'évocation des Gaulois est
depuis belle lurette lourdement lestée d'idéologie. Le mythe de la Gaule, inspiré par
César, a précédé l'histoire. Une histoire d'autant plus difficile à retracer que les
Gaulois n'ont guère laissé de traces écrites, malgré leur connaissance de l'écriture.
C'est grâce aux fouilles archéologiques, stimulées par Napoléon III, aux
découvertes nombreuses des vingt dernières années, que nous en savons un peu
plus aujourd'hui sur nos fameux « ancêtres ».
Dans les années 1960, les premières observations d'archéologie aérienne, menées
par Roger Agache, font tomber un premier cliché fondamental, parfois encore
enseigné aux écoliers : celui d'une Gaule "chevelue", couverte de forêts, comme
l'avaient qualifiée ses conquérants romains. Erreur ! En lieu et place de ce territoire
présumé presque vierge de toute agriculture, ce sont des terroirs aménagés autour
de grandes exploitations agricoles qui apparaissent sous l'objectif aérien de Roger
Agache. Un ensemble de pays mis en valeur, dont l'organisation compte encore
pour beaucoup dans l'aspect actuel de nos campagnes. Les archéologues ne se sont
pas arrêtés là. Leurs dernières découvertes, mais aussi la relecture de sites exhumés
il y a plus longtemps, dressent un portrait de nos ancêtres de l'âge du fer qui n'a
plus grand-chose à voir avec celui du débonnaire Astérix et de son compagnon
les élèves, de manière relativement simple,
dans la compréhension du lien existant
entre les conquêtes de la République
romaine et le changement de régime ; les
généraux vainqueurs deviennent
empereurs.
67
tailleur de menhirs…
Sur le site de Puy de Corent (Puy-de-Dôme), à quelque 20 kilomètres au sud de
Clermont-Ferrand, des fouilles entreprises par Matthieu Poux en 2001 mettent au
jour quelque chose comme un forum “à la romaine” qui semble se mettre en place
vers 130 avant notre ère. Tous les ingrédients sont là : un temple devant une grande
place, tout à côté ce qui ressemble à une halle commerciale avec des échoppes
d'artisans, une taverne et, tout autour, de l'habitat : voilà un oppidum qui
s'apparente à une ville. Dans sa Guerre des Gaules, César évoque pourtant bien les
oppida gaulois, mais l'historiographie en a longtemps retenu qu'il ne s'agissait que
de petites agglomérations fortifiées servant de refuge aux populations alentours en
cas d'attaque. Mais Corent était une véritable cité. Aucune construction de pierre,
pourtant, mais des bâtiments aux murs de torchis construits sur poteaux de bois.
Les quantités considérables de pièces retrouvées sur le site aux côtés de plusieurs
coins monétaires indiquent qu'on y battait monnaie : "C'est le signe qu'on est ici au
cœur du pouvoir politique arverne", selon Matthieu Poux. Les amphores, dont
certaines ont été sabrées, décapitées d'un coup d'épée, abondent aussi : ces
amphores contenaient toutes du vin, produit d'importation fort coûteux en
provenance… d'Italie. Les Gaulois qui vivaient là étaient donc considérés par
Rome comme un partenaire commercial de première importance ! Des vaisselles à
boire de facture grecque, romaine et proche-orientale montrent également que ces
relations commerciales s'étendaient jusqu'à la lointaine Palestine… Pour Matthieu
Poux, Corent n'est autre que le grand sanctuaire dynastique du grand roi Luern a
régné au IIe siècle avant notre ère sur le pays arverne. La grande capitale arverne
Nemossos pourrait avoir été formée autour de trois pôles distants de quelques
kilomètres : le premier, politique et religieux, à Corent, le deuxième, militaire, à
Gergovie, et le troisième, plutôt artisanal, à Gondole. Napoléon III avait fait ériger
en 1865 une statue de Vercingétorix haute de 7m située sur la pointe occidentale du
Mont-Auxois ; cette oeuvre du sculpteur Aimé Millet, hissée sur un socle dessiné
par Viollet-le-Duc, semble figurer le portrait même du Gaulois ; et pourtant, elle
mélange les époques : épée de l'âge du bronze, chevelure à la mérovingienne, traits
du visage inspirés de... Napoléon III ! Au XIXe siècle, sur la foi d'études de la
toponymie des lieux et de fouilles archéologiques organisées par Napoléon III, le
plateau de Merdogne – tout à côté de Clermont-Ferrand – est rebaptisé Gergovie.
Les fouilles de vérification menées au milieu des années 1990 autour du site
officiel de Gergovie ne laissent pas de doute : c'est bien là qu'eut lieu la bataille en
52 av. J.-C. En outre, les fouilles de Corent montrent que la ville a été subitement
abandonnée vers 50 av. J.-C., au moment de la défaite gauloise. Les découvertes
faites au pied de l'oppidum de Gondole comptent parmi les plus saisissantes de la
décennie écoulée. Datée du Ier siècle av. J.-C., la sépulture collective renferme
huit hommes et huit équidés déposés en deux rangées dans une même fosse.
Allongé sur le flanc, chaque homme a une main sur l'épaule de l'infortuné
compagnon allongé devant lui. Quant aux montures, les marques que portent leurs
membres ne laissent aucun doute : elles étaient soumises à rude épreuve et leurs
cavaliers les ont sans doute menées au combat. Mais aucune d'elles ne toise plus de
1,30 mètre au garrot. Dans la terminologie moderne, ce sont donc des " doublesponeys ". Aucune arme sur les hommes. Aucun harnachement sur leurs montures.
Aucun indice des causes du décès. S'agit-il de cavaliers tombés au combat ? Est-on
en présence de sacrifices humains, de suicides ?
En 58 avant J.-C., Jules César prend prétexte de la menace helvète et germanique
sur la Gaule pour franchir la frontière de la Gaule narbonnaise, où il est
gouverneur, et entreprendre la conquête des Gaules. Alors que durant l'hiver 53-52
avant J.-C, Jules César dont la charge de proconsul touche à sa fin, doit retourner à
Rome, certains chefs des peuples du centre de la Gaule lancent un appel à la guerre.
Vercingétorix, jeune noble arverne, prend la tête de la révolte, contraignant César à
revenir en Gaule pour l'affronter. César dépeint son adversaire sous les traits d'un
chef sanguinaire et impitoyable, ce qui est un moyen d'atténuer, pour la postérité,
l'échec subi par les Romains à Gergovie.
Les Romains excellent dans l'art du siège grâce à la maîtrise de techniques de
défense (fossés, pièges) et de machines d'attaque (catapultes, arbalètes à tir courbe,
fronde mécanique). Si Vercingétorix s'est laissé enfermer à Alésia, c'est parce que
sa stratégie consistait à prendre les légions romaines entre deux feux. La cavalerie
de César a renversé in extremis la situation. Alésia appartient à la légende
nationale. La défaite finale de Vercingétorix face aux troupes de Jules César, en 52
av. J.-C., n'a cessé toutefois d'alimenter les débats : le site de la bataille est-il bien
en Bourgogne où les archéologues le situent depuis Napoléon III ? C'est ce que
68
démontrent les fouilles.
César rêve d'être roi. Lorsque César entreprend la conquête de la Gaule, la
République romaine est déjà très affaiblie par des rivalités de factions et de
personnes qui provoquent des troubles. Pour combattre son rival, Pompée, César
franchit avec son armée le Rubicon (rivière séparant la Gaule cisalpine de l'Italie)
en 49 avant J.-C. ; c'est le début de la guerre civile. C’est après avoir battu Pompée
que Vercingétorix, enfermé dans un cachot près du Forum romain, est exhibé lors
du triomphe que Jules César ne peut célébrer qu'en 46 avant J.-C, avant d'être
exécuté le soir même dans sa prison. César, nommé dictateur à vie en 44 avant J.C., entreprend de profondes réformes qui affaiblissent les institutions républicaines.
Avec la nomination de César dictateur à vie, en février 44 avant J.-C., le retour au
fonctionnement du système oligarchique s'annonce de plus en plus impossible, ce
qui inquiète les sénateurs. Un petit groupe d'entre eux décide alors de former une
conspiration pour éliminer César, le jour des ides de mars, en 44 avant J,-C. Jules
César est assassiné dans la Curie, lieu de réunion du Sénat.
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Depuis le milieu du IIe siècle av. J.-C. et surtout après la conquête romaine du sud,
les Éduens ont fait allégeance à Rome et tissé avec elle des liens commerciaux,
politiques et militaires très forts. Traditionnellement, les Arvernes, peuple puissant
dominant le Massif central, s'y opposent et les conflits sporadiques s'enchaînent
jusqu'à la défaite arverne de -120. Rome vainqueur de l'affrontement impose ses
conditions, et emmène le dernier roi, Bituitos, vaincu près d'Orange, en captivité,
substituant un régime aristocratique. Au premier siècle avant J.-C., les nobles
voient leurs pouvoirs ébranlés et les liens de clientèle se relâcher peu à peu.
Commerçants et artisans ont intérêt à la présence romaine pour continuer à
commercer, à s’enrichir et à se libérer ainsi progressivement de la tutelle de
l’aristocratie foncière. Quant à Rome, elle a un besoin vital de la Gaule pour
écouler ses produits, elle a un besoin vital du blé de la Gaule pour nourrir ses
populations. Jules César sait profiter de cette déstabilisation comme il sait profiter
des rivalités entre familles nobles et entre tribus. La guerre des Gaules, qui sera
l’ultime aboutissement de ces confrontations, n’est pas le soulèvement général de
tout le pays face aux Romains. Vercingétorix est, au contraire, le représentant
d’une classe sociale, l’aristocratie, en pleine décadence politique. Vercingétorix
entre probablement dans l'entourage militaire de César, dont il devient l'un des
conturbenales (compagnons de tente). Celui-ci le forme aux méthodes de guerres
romaines en échange de sa coopération et de ses connaissances du pays et des
pratiques de Gaule chevelue. Il est sans doute le commandant du corps de cavaliers
arvernes, réquisitionné au titre des accords conclus en -120. Voulant peut-être
profiter de la situation très difficile que connaît Rome et du mécontentement qui
couve dans une Gaule lasse de ces années de guerre, Vercingétorix, trahissant
l'alliance romaine, prend le pouvoir chez les Arvernes et s'impose à la tête du parti
anti-romain, notamment grâce à l'art du discours prisé chez les Gaulois comme
chez les Romains qu'il a côtoyés. Vercingétorix va montrer un réel talent militaire
et politique et donner du souci à l'un des stratèges romains les plus talentueux. Son
action prend deux formes : il organise la résistance sous forme de guerre de
harcèlement (à laquelle la géographie gauloise se prête excellemment) en recourant
à la politique de la terre brûlée, ayant compris que l'armée romaine était très
dépendante de la logistique de son ravitaillement et il s'emploie à fédérer le plus
grand nombre possible de tribus de Gaule contre Jules César. À la fin de -53 et au
début de -52, les alliés romains traditionnels font peu à peu défection et se rangent
sous la bannière de Vercingétorix. Celui-ci met en œuvre sa stratégie : éviter
l'affrontement direct avec les légions, épuiser l'armée romaine par une course
poursuite en créant des « abcès de fixation successifs » et en lui supprimant toute
capacité à se nourrir sur l'habitant. Lorsque Vercingétorix remonte la rive droite de
l'Allier, César le poursuit rive gauche. Vercingétorix, fidèle à sa tactique, s'enferme
dans Gergovie. Ayant perdu tous ses auxiliaires gaulois, César s'efforce de
regagner la Province, puis l'Italie du Nord. Vercingétorix ne veut pas le laisser
échapper et envoie donc sa cavalerie affronter celle de César, à quelques kilomètres
d'Alésia : la bataille tourne à l'avantage des Romains. Vercingétorix regroupe les
forces gauloises à Alésia. Il adresse des demandes à tous les peuples gaulois de
fournir des renforts. Ce sera l'armée de secours. Pendant ce temps, César déploie
ses légions dans des camps placés tout autour et se met en position de siège en
faisant construire une énorme double fortification réalisée autour de la place forte,
pour empêcher les Gaulois de sortir et se ravitailler, et pour se protéger des attaques
Activités, consignes et productions des
élèves :
Jules César a intérêt à montrer la puissance
et les qualités de commandement de
Vercingétorix pour se mettre lui-même
en valeur ; il est plus glorieux de battre un
ennemi valeureux, noble, puissant et écouté
car cela tendrait à prouver que l’on a les
mêmes qualités que lui (voire plus
développées encore).
Tableau célèbre du peintre
d'histoire Lionel-Noël Royer, 1899 :
« Vercingétorix jette ses armes aux pieds
de César », musée Crozatier au Puy-enVelay
Ce tableau est une théâtralisation de la
reddition de Vercingétorix. Il est ici curieux
de voir un des guerriers de Vercingétorix
(au fond à gauche) avec un torque au cou.
En effet le torque n'était réservé qu'aux
divinités et aux personnages importants
faisant partis de la famille royale. La
réprésentation du Gaulois avec les cheveux
longs et moustache est remise en cause
aujourd'hui. Le cheval est un Percheron,
alors qu'à cette époque cette race n'était pas
en Gaule. De plus, les Gaulois montaient à
cru, alors qu'ici le cheval est harnaché. Le
bouclier à forme rectangulaire qui ne
correspond pas à la réalité de l'époque ; ils
étaient plutôt ovales. Et encore, nous avons
une représentation anachronique sous
forme de château avec un incendie qui ne
correspond pas à la réalité (sans parler
d'une cuirasse du VIIIème siècle av JC, de
chaussures modernes et de braies
mérovingiennes).
Nous sommes à la fin de la Guerre des
Gaules. Jules César a réussi à bloquer la
cavalerie gauloise et son chef Vercingétorix
dans l'oppidum d'Alesia. Le général romain
fait construire un ensemble fortifié qui
enferme les assiégés dans leur forteresse.
Au bout de 6 semaines, et après l'echec
d'une armée de secours gauloise,
Vercingétorix et les siens doivent se rendre.
Tout est perdu pour les defenseurs d'Alesia.
Vercingétorix réunit les siens et se justifie
d'avoir fait cette guerre non pas pour son
69
des troupes gauloises extérieures. Vercingétorix perd la partie au bout d'une
quarantaine de jours de siège, ses troupes mourant de faim. Les armées de renfort
gauloises, enfin arrivées, lancent une série d'attaques : les Romains ne sont pas loin
de céder, mais le siège n'est pas brisé, ils résistent. Vercingétorix se rend à César et
offre sa vie en échange de celle des 53 000 survivants d'Alésia. Les Gaulois sont
désarmés, sortent de la citadelle et sont emmenés en captivité. Cette défaite est due
aussi bien à la supériorité de son ennemi qu'au manque d'entente entre les peuples
et divers chefs gaulois, peu habitués à se battre ensemble, et aux retards mis à la
mobilisation des troupes de secours.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
interêt mais pour la liberté de tous.
Décidant de se sacrifier, il s'en remet alors
à leur décision : le livrer ou pas pour
apaiser la colère du vainqueur... et s'ils
décident de le livrer, sera-t-il mort ou vif ?
On demande ses exigences à César qui
réclame la reddition des chefs avec leurs
armes. Paré comme pour une fête,
Vercingétorix quitte Alesia et pénètre dans
le camp romain. Son allure fière et digne en
impose aux cohortes de légionnaires
alignées. Il fait avec son cheval le tour de
l'estrade où se tient César puis met pied à
terre. Sans un mot, il jette avec dédain ses
armes (épée, javelot et casque) au pied de
son vainqueur. César, d'abord surpris,
retrouve ses esprits et accable le chef
gaulois de reproches à propos de la trahison
de leur ancienne amitié ; puis les
légionnaires se saisissent de Vercingétorix
et l'emmenent vers son triste destin.
L'anecdote telle que reprise par la tradition
scolaire est celle relatée par Dion Cassius et
Plutarque, qui s'inspiraient probablement
d'un texte perdu de Tite-Live. Elle diffère
du récit beaucoup plus concis et moins
romantique fait par César dans son livre :
les chefs sont amenés captifs devant César,
les armes sont jetées au pied du vainqueur,
sans plus. Les historiens se sont demandés
si les chroniqueurs tenants de la version
romantique et pathetique n'avaient pas
enjolivé pour rendre tout cela plus
captivant. Cependant les spécialistes
relèvent plusieurs éléments culturellement
typiquement celtiques dans le récit (le
principe de victime expiatoire sacrifiée
pour sauver la communauté, le
contournement à cheval par la droite qui
était supposé lier magiquement la cible)
que les vénérables chroniqueurs romains
auraient bien été en peine d'inventer. Albert
Grenier (ancien professeur au Collège de
France et spécialiste des gaulois) la tient
donc pour authentique. Vercingétorix a
trahi César, plus par intérêt personnel que
par désir d’unifier les peuples de la Gaule.
En revanche le dialogue entre Jules César
et Vercingétorix, ("Donne-moi tes armes !
", lui dit le Romain. Et le fier Gaulois les
jette à ses pieds en s'écriant : "Viens les
prendre !") a été purement et simplement
inventé en un temps où la nation française
avait besoin de redonner un peu de vie à
son honneur perdu ; nulle part, les textes
d'époque n'en font mention.
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
70
HA – Auguste
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
L'œuvre d’Auguste est considérable : héritier de César, il organise enfin l’Empire
après un siècle de guerres civiles, y maintient la paix, orne Rome de grands
complexes urbains. Pourtant, il n’a cessé d’avancer masqué, d’où la personnalité
complexe et fascinante du personnage : un masque de douleur et de clémence pour
une obstination froide et calculée.
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Pb : dans le BO, « l’Empire est étudié au
moment de son apogée (IIe siècle ap. J.C.) ». Or Auguste figure dans les repères
des programmes actuels (« 1er siècle ap. J.C. (Auguste et la fondation de l’Empire) »)
et futurs (« 27 av. J.-C. – 14 Le principat
d’Auguste »). Les futurs programmes
remplacent cette apogée par « Ier et IIe
siècles - Paix romaine ».
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
Auguste, Pierre COSME, Perrin, Paris, 2005
Auguste, Jean-Pierre Néraudau, Les Belles lettres, 1996 (2007)
Le Siècle d’Auguste, Pierre Grimal, Que sais-je ?, PUF, 1992
Documentation Photographique et diapos :
Revues :
« D'Octave à Auguste : naissance d'un prince » - Jean-Michel Roddaz, L'Histoire, 05/2007 | n°320
« Rome : le combat des chefs » - Pierre Cosme, L'Histoire, 07/2006 | n°311 | Dossier La guerre civile
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, Enjeux didactiques (repères, notions et
concepts, problématique) :
méthodes) :
Document d’accompagnement : « À partir
des personnages de César et d’Auguste, on
peut aborder de façon simple, dans une
classe de 6e, la liaison entre les conquêtes
et le changement de régime : ce sont les
généraux vainqueurs qui deviennent
empereurs. »
BO futur programme : « L’empereur
dispose de l’essentiel des pouvoirs ; il a le
soutien de l’armée et fait l’objet d’un culte.
Étude du personnage d’Auguste et d’un
autre empereur important au choix ».
Toute la difficulté pour les élèves réside
dans un tableau de synthèse sur l’Empire ;
ils doivent avoir bien assimilé le cadre
politique de la Rome républicaine pour
saisir les glissements qui s’opèrent à partir
du Ier siècle avant J.-C., notamment du fait
de l’action des généraux victorieux (Jules
César, Octave).
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
Activités, consignes et productions des
documentaires et productions graphiques :
élèves :
I. La conquête du pouvoir
Octave a 19 ans quand il apprend par une lettre de sa mère Atia l'assassinat de son
grand-oncle et père adoptif (44 avant JC). De Grèce où il achève sa formation, il
revient au plus vite à Rome, non sans avoir pris les avis de ses amis, notamment du
fidèle Agrippa. Dans la Ville, encore mal remise de près d'un siècle de guerres
civiles, s'affrontent deux partis :
- Les optimates sont des patriciens, représentants de l'aristocratie et des grandes
familles, qui veulent envers et contre tout préserver les institutions républicaines et
raffermir l'autorité du Sénat. Leur plus illustre représentant fut Sylla.
- Les populares sont comme les précédents issus de l'aristocratie mais ils
considèrent que Rome est devenue trop importante pour continuer à être dirigée
comme une modeste cité. Ils préconisent des réformes destinées à gagner l'appui de
la plèbe (le peuple). Marius et César furent les principaux représentants de ce parti.
L'opposition des sénateurs républicains vaut à César d'être prématurément
assassiné. Mais sa popularité dans le peuple, en bonne partie due à ses largesses, est
intacte. Son lieutenant Marc Antoine espère bien en user pour prendre sa
71
succession à la tête de l'État. Face à ce dernier, qui jouit d'un grand prestige auprès
des légions et dans les provinces, Octave ne fait valoir ses droits qu'en vertu de la
seule légitimité, attitude alors dictée par la faiblesse de ses forces, mais dont il ne
se départira pas au sommet de sa gloire; cette continuité politique lui permettra
toujours d'apparaître comme le restaurateur des institutions. Il fera preuve, dans la
conquête comme dans l'exercice du pouvoir, d'un sens de la mesure et du
compromis, de finesse et de duplicité politiques, qui feront défaut à ses adversaires,
incapables de voir au-delà des rapports de forces.
Se servant du Sénat contre Antoine, il bat celui-ci devant Modène (43 av. J.-C.),
puis se retourne contre le Sénat, qui lui refuse le consulat, et s'appuie sur le peuple
de Rome. Nouvelle preuve de son habileté, lorsque les gouverneurs d'Espagne et de
Gaule, avec Lépide, viennent appuyer Antoine, Octave renverse la situation en leur
proposant une alliance contre le Sénat, par une marché commune sur Rome. C'est
le second triumvirat, premier pas vers le pouvoir absolu. Après leur victoire
conjointe, à Philippes en Macédoine (42), sur Brutus et Cassius, assassins de César,
Octave et Antoine se séparent. Le premier rentre en Italie et s'assure le soutien de
son armée en distribuant des terres aux vétérans, n'hésitant pas à spolier les
propriétaires italiens.
Quant à Antoine, occupé en Orient par ses amours avec Cléopâtre VII, reine
d'Egypte, il laisse le champ libre à son rival. Lorsqu'il revient en Italie, la guerre
semble près d'éclater, mais l'armée impose le pacte de Brindes (40 av. J.-C.), par
lequel Octave réussit à obtenir, dans le partage de l'Empire, la Gaule et l'Espagne,
qui soutenaient Antoine, celui-ci conservant l'Orient où il rêve de se tailler un
royaume pour lui et pour Cléopâtre. Lépide, relégué en Afrique, ne pouvait plus
jouer un rôle majeur.
Octave s'emploie aussitôt à consolider son domaine, puis aguerrit son armée par
deux ans d'une campagne pénible contre Sextus Pompée, maître de la Sicile et chef
des pirates. Lépide revendiquant cette conquête, Octave débaucha ses troupes et
s'empara de l'Afrique. La guerre contre Antoine ne pouvait plus dès lors être évitée;
Octave disposait contre lui des meilleurs atouts militaires; il commença par
discréditer politiquement son rival en le présentant comme un traître qui s'était mis
au service d'une reine orientale, et le fit déclarer « ennemi de la patrie ». Prenant
bien soin de ne déclarer la guerre qu'à Cléopâtre (en 31 av. J.-C.), Octave remporta
la même année la victoire navale d'Actium et passa en Egypte. Antoine et la reine
se suicidèrent (30 av. J.-C.) et le nouveau maître de l'Empire annexa la riche vallée
du Nil, intégrée à un monde romain enfin unifié.
II. L'œuvre impériale
Après la victoire décisive d'Actium, Octave se retrouvait seul maître de l'Empire,
investi de pouvoirs considérables, sous un décor républicain. Parvenu au pouvoir, il
n'eut jamais l'intention de bouleverser les institutions. Il mit au contraire le plus
grand soin à préserver la légalité institutionnelle, cumulant sur sa personne les
différents pouvoirs existants dans la République. La preuve en est sa fausse
abdication de janvier 27 av. J.-C., lorsqu'il fit mine de remettre ses pouvoirs au
Sénat, qui s'empressa de le rappeler à grand renfort de supplications. Les
institutions républicaines n'étaient toutefois plus qu'un théâtre de marionnettes,
maintenu par la seule volonté de l'imperator, titre hérité de César et qu'il avait reçu
en 38 ; dix ans plus tard, le Sénat lui donna celui de princeps senatus, c'est-à-dire
qu'Octave devenait le premier des sénateurs; en 27, enfin, il se fit attribuer le titre
d'augustus, « sacré », qu'allaient reprendre, après lui, tous les empereurs romains, et
qui lui conférait un caractère semi-divin. L'usage voulut qu'on l'appelât princeps, «
le premier », ou « le prince ». Auguste prétend restaurer les institutions et les
valeurs morales de la République, et reprend le terme de princeps que Cicéron
utilisait pour désigner les citoyens les plus dignes de conduire l'Etat. Mais il en
détourne le sens au profit d'un pouvoir personnel. Les Romains ne sont pas dupes,
mais ils lui sont reconnaissants d'avoir rétabli la paix intérieure après quatorze ans
de guerre civile. Auguste donne à la monarchie une couleur républicaine, car il sait
que les Romains haïssent les rois. En apparence, la plupart des institutions
républicaines - Sénat, magistrats - sont conservées, mais elles sont vidées de tout
pouvoir : les sénateurs sont nommés par l'empereur et exercent un simple contrôle ;
les citoyens élisent les magistrats qui sont proposés par l'empereur. En fait, le
princeps, l'empereur, exerce seul le pouvoir et choisit lui-même ceux qui l'aident à
gouverner.
Proconsul de toutes les provinces, de l'Italie et de Rome même, chef suprême des
armées, juge souverain, investi de la puissance et de l'inviolabilité tribunitienne,
72
préfet des mœurs avec le pouvoir des censeurs, grand pontife à partir de 13 av. J.C., Auguste put s'employer à créer une administration impériale parallèle aux
vieilles magistratures républicaines, désormais vidées de tout contenu. Il se réserva
les provinces frontières, où il désigna des légats, laissant le Sénat tirer au sort des
propréteurs et proconsuls pour les provinces sénatoriales, distinctions purement
théoriques dans les faits. C'est dans son œuvre militaire que se marque le mieux la
rupture avec la République : Auguste créa une armée permanente assistée de corps
auxiliaires recrutés dans les provinces et même parmi les Barbares.
Auguste se révéla un administrateur remarquable qui fit régner l'ordre dans
l'immense empire dont il avait pacifié les frontières. Il remit en honneur les anciens
cultes, s'efforça de restaurer les vertus familiales, se posa en protecteur des arts et
des lettres, embellissant Rome, et traitant libéralement les nombreux écrivains de
génie d'une époque à laquelle on devait donner le nom de «siècle d'Auguste».
Après sa mort, il fut divinisé par les honneurs de l'apothéose et un culte lui fut
désormais rendu. Il avait désigné de son vivant plusieurs successeurs et, finalement,
son beau-fils, Tibère, qui lui succéda sans opposition.
III. L'art augustéen
Auguste est un descendant d’Énée d’après Virgile. Les statues le représentent
souvent en général victorieux (pour rappeler qu'il a rétabli la paix) ; les divinités
représentées sur sa cuirasse attestent qu'il a reçu la protection des dieux, tandis que
le petit amour à ses pieds évoque Vénus, mère d'Énée selon la légende, ce qui le
rattache à la lignée fondatrice de Rome.
Le brillant essor que connurent les arts sous Auguste est remarquable par la
synthèse qu'ils réalisent. Rome était devenue un foyer d'attraction culturel où
aboutissaient tous les apports des pays soumis. Le mérite de l'empereur fut
d'apaiser et de guider l'enthousiasme éclectique de ses contemporains pour
l'hellénisme et l'exotisme; et, tout en accueillant ces apports, de faire revivre
l'austère tradition républicaine. L'art de la civilisation romaine qui se formule à
cette époque sous ses directives se caractérisera par sa sobriété, sa recherche du
grandiose, son raffinement décoratif. On cite volontiers la louange de Pline: «
Auguste a construit une Rome de marbre à la place d'une Rome de briques ».
L'architecture augustéenne s'inspire directement de celle d'Athènes, mais élève des
monuments qui resteront éminemment significatifs de la civilisation romaine:
forum grandiose, temples majestueux (à Rome, à Nîmes), arcs de triomphe
monumentaux (à Rimini, Rome, Aoste), l'amphithéâtre d'Arles (Bouches-duRhône) et les arènes de Nîmes.
L'idéologie augustéenne a orienté de façon décisive le style de la sculpture romaine
et du décor, élaboré à partir d'éléments alexandrins et pergamiens dont l'exubérant
naturalisme et le pathétisme sont heureusement tempérés par la sobriété abstraite;
les bas-reliefs de l'Ara Pacis Augustae fournissent l'exemple parfait du symbolisme
propre à la tradition latine.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
L'homme nous apparaît comme un politique habile et sachant bien s'entourer. A son
vieil ami Agrippa, dont il fera son gendre, s'ajoute le richissime Mécène (devenu
nom commun pour désigner une personne qui protège et entretient les artistes!).
L'empereur, que les statues représentent dans une attitude de grande noblesse, se
montre dans les faits pleutre à la guerre. Il est arrivé plus d'une fois que les soldats
huent le jeune Octavien, notamment après la victoire de Philippes sur Cassius et
Brutus, due avant tout au génie et au courage de Marc Antoine. Au sommet de
l'État, Auguste y regardera à deux fois avant de lancer des campagnes militaires
contre les ennemis (Parthes, Bretons,...) et il verra dans l'échec de son général
Varrus face aux Germains la preuve du bien-fondé de sa prudence. D'une santé
fragile, toujours à la veille de mourir, l'empereur vivra pas moins de 77 ans dont 44
en maître absolu du monde méditerranéen. Une performance qui justifie l'intérêt
qui lui est encore porté.
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
73
HA – Pouvoir et territoire à l'apogée de l'empire romain
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Le sujet évoque le double sens du mot « Empire » : territoire et pouvoir.
On appelle communément Empire le régime monarchique instauré par Auguste en
27 avant J.-C, qui perdure jusqu'à la fin de l'histoire de Rome. Mais les historiens
modernes utilisent plutôt le terme de principat pour désigner la monarchie
relativement libérale des deux premiers siècles et celui du dominat pour qualifier le
pouvoir monarchique absolu des siècles suivants.
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
Christol Michel et Nony Daniel, Rome et son empire, Hachette Supérieur, 2003 (présente la trame historique, de la fondation de
Rome à sa chute, accompagnée de cartes et citations).
PATRICK LE ROUX, Le Haut-Empire romain en Occident d’Auguste aux Sévères, Paris, Le Seuil, [1998] 2003
CLAUDE LEPELLEY (dir.), Rome et l’intégration de l’Empire, 44 avant J.-C.-260 après J.-C., Paris, PUF, 1998. (par le
directeur, avec Jean Delumeau, de la collection "Nouvelle Clio", fondée par Robert Boutruche et Paul Lemerle).
Mémoires d’Hadrien de Yourcenar en 1951
Documentation Photographique et diapos :
Henri Lavagne, La civilisation romaine - Documentation Photographique, n° 6099 (1989)
Flonneau J.M., L'Empire romain, Diapofilm multimédia.
Revues :
« Les citoyennetés dans l'Empire romain au IIè siècle ap. J.-C. », Yann LE BOHEC, H&G, 358, juillet août 1997
2000 ans de mondialisation / Collectif, in LES COLLECTIONS DE L'HISTOIRE N° 38, Hors-Série, Janvier-Mars 2008 : « Tous
les chemins mènent à Rome » (Maurice Sartre) : Monnaie commune, libre circulation des marchandises et des hommes... Et
surtout diffusion d'une langue et d'une législation, d'une religion, d'un mode de vie... L'influence et le pouvoir exercés par Rome,
pendant cinq siècles, sur un ensemble immense et composite n'étaient-ils pas déjà une forme de mondialisation ?
Carte murale : l’Empire romain (provinces, voies, villes et échanges)
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs,
concepts, problématique) :
Rome et l'intégration de l'Empire (44 av. J.-C. – 260 ap. J.-C.). Tome 1, François
Jacques, John Scheid , Collection "Nouvelle Clio", PUF, 1997, 480 pages
Rome et l'intégration de l'Empire (44 av. J.-C. – 260 ap. J.-C.). Tome 2, Claude
Lepelley (dir.), Collection "Nouvelle Clio", PUF, 1998, 640 pages
De la cité hégémonique à l’Empire communis patria des habitants des territoires
civilisés, les deux volumes de Rome et l’Intégration de l’Empire retracent la
transformation initiée par César sur un espace quasi définitif et achevée à la défaite
de Gallien face aux Perses.
Du Haut-Empire romain est souvent donné une image caricaturale. Le principat
était un régime autoritaire et répressif, mais ce n’était ni une monarchie absolue ni
une simple machine impérialiste. Très souple, il a réussi à maintenir une relative
paix intérieure, à gouverner et à intégrer dans l’Empire, sur le plan politique,
économique et social, les régions, les cités et les élites de tout le monde
méditerranéen.
Le premier tome est consacré aux structures de l’Empire, à l’évolution du régime
politique au profit du princeps qui devient progressivement dominus, à l’emprise de
Rome sur ses provinces, à la société, aux différents statuts des personnes, aux
instruments de la domination armée et enfin à la religion. Le Haut-Empire est,
selon les auteurs, soit un âge d’or, une période de paix et de prospérité interrompue
par de rares éruptions de violence civile, soit l’apogée de la brutalité, celle d’un
tyran dont les exactions à l’encontre de ses sujets n’auraient d’égale que le pillage
et la prédation endémiques des anciens vaincus par les vainqueurs, maîtres dans les
provinces, mais esclaves dans leur propre cité. Ce livre vient corriger les
caricatures qui tiennent souvent lieu d’histoire du Haut-Empire. Le prince est certes
le maître, mais son despotisme se fasait d’autant plus durement sentir, par rapport
au Bas-Empire, que les Romains conservaient encore un peu le souvenir de leur
antique liberté. L’organisation des provinces, si elle reste longtemps marquée par
l’idée que les provinciaux sont d’abord des vaincus, à ce titre privés de droit
puisque le droit ne peut exister qu’entre citoyens, laisse peu à peu place à l’idée
d’une gestion durable et rentable – à défaut d’être équitable. La lex Julia de
repetundis dont Salluste fait les frais n’est que le début d’une lente évolution qui vit
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
BO : « L’Empire est étudié au moment de
son apogée (IIe siècle ap. J.-C.), en
insistant sur le rôle de l’Empereur et
l’adaptation des institutions de la cité. Les
futurs programmes remplacent cette apogée
par « Ier et IIe siècles - Paix romaine : La
paix romaine, appuyée sur la puissance
militaire, s’impose aux provinces de
l’Empire. Elle favorise la construction
d’infrastructures et le développement des
échanges. L’étude est conduite au choix à
partir d’une villa gallo-romaine ou du trajet
d’un produit (vin, huile, métaux,
céréales…). »
BO futur programme : « L’empereur
dispose de l’essentiel des pouvoirs ; il a le
soutien de l’armée et fait l’objet d’un culte.
Étude du personnage d’Auguste et d’un
autre empereur important au choix ».
74
les Romains s’accoutumer à leur statut de maîtres du monde connu. La République
finissante avait bien établi des quaestiones relatives à la gestion des provinces, mais
leurs décisions iniques, généralement défavorables aux plaignants, avaient montré
leurs limites. Que l’on songe à la réticence des juges à condamner Verrès ou même
Salluste pour imaginer combien la rapacité des gouverneurs était acceptée du temps
de la République. L’Empire fut au moins une période de paix relative par rapport
aux constantes guerres civiles de la fin du Ier siècle, et les Asiatiques au moins ne
devaient pas regretter les défenseurs de la liberté Brutus et Cassius. L’Empire
apporta non la paix, mais une relative tranquillité, et les hommes s’habituèrent
progressivement à la nouvelle situation de l’oikoumene, unis derrière des frontières
immuables sous un maître unique garant de l’ordre et de la stabilité.
L’étude de l’Empire est souvent présentée dans le seule perpective romaine par les
Anciens, qui jugeaient plus intéressante l’histoire de l’Empire que celle des
provinces, sauf quand elle intéressait l’Empire dans son ensemble. Cette approche
tend parfois à exagérer l’unité et l’uniformité de l’Empire, puisque la méthode
chronologique prime sur l’approche thématique. La romanisation elle-même fait
penser que l’Empire tendait à devenir un tout uniforme où disparaîtraient les
particularismes régionaux. Mais, même pour un Romain du Haut-Empire, la
diversité régionale n’était-elle pas saisissante ? Le procurateur envoyé aux quatre
points de l’Empire pouvait-il confondre l’Egypte fertile et sa civilisation millénaire
avec la Brittannie septentrionnale et la Pannonie ? L’Empire gomma d’autant
moins les spécificités locales que la romanisation toucha d’abord les élites plutôt
que les peuples, que les langues vernaculaires ne disparurent que lentement et qu’il
ne conçut jamais un projet d’unification culturelle. Si l’Occident européen connut
une romanisation relativement rapide, l’Orient hellénophone méprisait trop les
Romaioi pour accepter la latinisation. Il suffit de rappeler l’emploi du droit grec du
commerce en Orient, la persistance des cultes égyptiens et l’inégal degré
d’urbanisation pour concevoir la nécessité d’une approche régionale de l’Empire.
Administration romaine à part, les peuples de l’Empire ne partageaient ni langue
(l’Orient restant hellénophone), ni religion (outre la religion impériale), ni droit, ni
mœurs ou mode de vie communs. L’histoire des provinces est une histoire éclatée,
mais seule la conscience des particularismes et des oppositions permet de
comprendre la grandeur et la vivacité de l’Empire, qui réussit à créer une
communauté de destin, une patria communis entre anciens vainqueurs et vaincus
sans bénéficier d’une communauté culturelle. La grandeur de l’Empire tient
d’abord au succès de cette unification sans complète assimilation qui porta ses
fruits à partir des crises du IIIe siècle lorsque des hommes issus de peuples non
italiques embrassèrent la cause romaine tant les différentes provinces étaient
devenues solidaires les unes des autres sans pour autant se fondre en une culture
commune.
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Dès le début du Ier siècle après J.-C, l'Empire romain devient à la fois une réalité
territoriale et politique. Les deux premiers siècles de l'Empire constituent une
période prospère, malgré quelques crises. Le système impérial n'est pas contesté et
les trois dynasties qui se succèdent contribuent à renforcer la puissance de l'Empire.
Parmi les premiers successeurs d'Auguste, on trouve d'abominables tyrans, comme
Caligula, Néron ou Domitien, mais aussi des administrateurs experts et des
généraux avisés, tels Tibère, Vespasien ou Titus. Le siècle des Antonins correspond
à l'apogée de l'Empire qui porte Rome à son plus haut degré d'éclat. Sous le règne
de Trajan, les conquêtes atteignent leur point extrême. Né en Espagne d'une famille
italienne, Hadrien (117-138) est considéré comme le plus « intellectuel » des
empereurs romains. Il est adopté par Trajan dont il a épousé la nièce. Grand
voyageur, il cherche à unifier l'Empire administrativement. Il favorise les arts et les
lettres et fait édifier à Rome le Panthéon ainsi qu'un mausolée (l'actuel château
Saint-Ange). Hadrien est un grand empereur parce qu'il a su préserver la paix, tout
en entraînant son armée. Il se déplace à travers son empire et se montre généreux
envers les habitants des différentes provinces. Il est curieux de tout et s'intéresse
aux activités les plus diverses. Il sait se faire apprécier de tous. Mais, sous le règne
de Marc Aurèle, la menace des invasions barbares préfigure déjà la décomposition
de l'Empire romain. Le IIe siècle apparaît comme une période de paix politique :
aucun empereur, si ce n'est Commode à la fin du siècle, ne meurt de façon violente.
Les pouvoirs de l'empereur se renforcent aux Ier et IIe siècles, parce que l'empereur
impose son successeur, qu'il désigne de son vivant, parce qu'il cumule tous les
pouvoirs, parce que sa personne fait l'objet d'un culte après sa mort.
Activités, consignes et productions des
élèves :
Colorier en bleu : GERMANICO,
DACICO, IMPERATORE, PATER
PATRIAE ; en rouge : TRIBUNICIA
POTESTATE, CONSULE ; en vert :
PONTEFICO MAXIMO, AUGUSTO; en
noir : NERVAE TRAJANO.
Ces titres signifient : Imperator : général en
chef victorieux ; Caesar : César ; Nerva
Trajano : fils adoptif de Nerva ; Optimo : le
meilleur ; Auguste» : Auguste, élu des
dieux ; Germanico : vainqueur des
Germains ; Dacico : vainqueur des Daces.
75
Le princeps, l'empereur, possède l'imperium sur l'ensemble de l'Empire. Il détient la
puissance des censeurs et la puissance tribunitienne ; en tant que chef des armées, il
jouit du pouvoir des consuls et il est grand pontife. Il cumule donc tous les
pouvoirs, civils, militaires et religieux.
Après Auguste, tous les empereurs romains portent le titre de César et d'Auguste.
Ils ajoutent aussi souvent le nom de l'empereur précèdent dont ils sont fils adoptif,
comme le fait Trajan, fils de Nerva. En théorie, le pouvoir impérial n'est pas
héréditaire, le choix du successeur du prince dépend du Sénat. Dans la pratique,
chaque empereur désigne son successeur. Cette transition s'accompagne souvent
d'intrigues politiques, voire de l'intervention de l'armée lorsque l'empereur n'a pas
de descendant direct. Sous le règne des Antonins, le système de l'adoption favorise
la stabilité : chaque empereur choisit et adopte celui qui lui semble le plus apte à
gouverner. Antonin le Pieux adopte Marc Aurèle, puis lui fait épouser sa fille. De
son vivant, il le nomme consul et lui donne le titre de César porté par les empereurs
; avant de mourir, il le présente comme son héritier à tout son entourage.
À sa mort, l'empereur fait l'objet d'un culte, ce qui s'inscrit dans la lignée de
l'héroïsation des grands hommes et de la divinisation de César. Dès le IIe siècle
avant J.-C., sous l'influence de la philosophie grecque et des religions orientales,
les Romains ont tendance à croire que certains hommes sont « prédestinés » et
accomplissent une mission divine. Auguste comprend très vite le rôle fédérateur
que le culte impérial peut jouer dans l'Empire, notamment dans les provinces
orientales.
A partir du Principat, l'envoi des magistrats dans les provinces ne dépend plus de
leur élection, mais bien du choix de l'Empereur. C'est lui qui détermine qui va où et
dans quelles conditions. De la même manière, l'administration impériale va
s'occuper à son tour de percevoir l'impôt et d'administrer des travaux.
À partir d'Auguste, l'administration de la ville de Rome change : le Préfet de la
Ville devient une magistrature définitive, et l'Édilité disparaît au profit de nouveau
fonctionnaires municipaux issus du corps des citoyens ou des affranchis.
L'Empereur prend aussi la charge de l'approvisionnement de la ville en blé, et
nomme lui-même la personne qui y pourvoit. Les autres magistratures (Questure,
Censure) ne sont pas ou peu modifiées. Le Sénat perd la place qu'il avait sous la
République. C'est l'Empereur qui lui soumet les lois, ainsi que ses nouveaux
membres. À partir de Claude, des provinciaux commenceront à y entrer, toujours à
condition de disposer du cens minimum de 1 million de sesterces: Trajan lui-même
était originaire d'une famille sénatoriale d'Espagne. À partir des Sévères, l'ordre
équestre commence à prendre l'ascendant sur l'ordre sénatorial.
Sous le Principat d'Auguste, les provinces ont été partagées entre l'empereur et le
Sénat, en provinces impériales et provinces sénatoriales. Au fil des conquêtes
territoriales et des découpages des provinces, les nouvelles provinces furent
réparties entre ces deux autorités :
- Le Sénat se voyait traditionnellement attribuer les provinces pacifiées
anciennement, ce qui ménageait ses prérogatives. Les gouverneurs des provinces
du peuple romain étaient des promagistrats (c'est-à-dire d'anciens magistrats
supérieurs, toujours sénateurs) nommés pour un an par le Sénat et portant le titre de
proconsul ou de propréteur. Ils doivent être au minimum de rang prétorien sauf 2 (
Asie et Afrique) qui sont de rang consulaire. Ils sont assistés de légats sénatoriaux
au nombre variant selon l’importance de la province et de questeurs pour les
finances. Les pouvoirs sont administratifs et judiciaires. L'attributation de ces
provinces se faisait par tirage au sort au Sénat (entre les anciens magistrats aptes, 5
ans apres avoir géré la magistrature habilitée), mais il n'était pas rare que
l'empereur intervienne pour casser une désignation ou influencer une nomination.
La plupart des provinces du peuple romain avaient à leur tête un propréteur, mais
l'Afrique — appelée « Afrique proconsulaire » — et l'Asie, plus riches, étaient
gouvernées par un proconsul. Le prestige de ces deux provinces, ainsi que les
grandes possibilités d'enrichissement qu'elles représentaient, en faisaient des postes
de fin de carrière par excellence : le gouvernement de l'Afrique ou de l'Asie
s'obtenait en général une quinzaine d'années après le consulat, et il s'agissait du
sommet de la carrière d'un sénateur, avec la préfecture de la Ville. Les revenus
fiscaux de ces provinces, fort prospères pour la plupart, alimentaient le trésor du
Sénat, l'ærarium Saturni, ce qui pour Auguste contribua encore à se concilier le
Sénat.
- L'empereur, détenteur du pouvoir militaire se réservait les provinces situées aux
frontières de l'empire. Ces dernières, mal soumises ou situées aux frontières de
76
l'Empire, possédaient des garnisons ou des armées complètes, et les gouverneurs
(les « légats d'Auguste ») y représentaient l'empereur. L'attribution des provinces
aux divers légats se faisait selon le bon vouloir de l'empereur, mais respectait
néanmoins certaines règles (dans les provinces les plus importantes, le légat
d'Auguste était en général un sénateur de rang prétorien ou de rang consulaire,
possédant donc le ius gladii, droit de vie et de mort sur des citoyens romains). Dans
certaines provinces de conquête récente comme dans les nouvelles provinces
danubiennes ( Rhétie, Norique) ou les provinces alpines, le prince nomme un
procurateur ou un préfet de rang équestre et non prétorien ou consulaire cumulant
toutes les fonctions administratives judiciaires, financières voire militaires ( il
commande des troupes auxiliaires). En cas d’intervention de la légion, cette
dernière est dirigée par le légat de la province voisine.
- L’Egypte jouit d’un statut particulier. Son entrée est interdite aux sénateurs et aux
plus illustres des chevaliers. Son gouverneur est le plus haut personnage de l’ordre
équestre, le préfet d’Alexandrie et de l’Egypte : depuis sa fondation par Alexandre,
Alexandrie est considérée comme ne faisant pas partie de l’Egypte, ( c’est «
Alexandria ad Egyptum » ou Alexandrie proche de l’Egypte), la citoyenneté
alexandrine étant distincte de la nationalité égyptienne. Assisté d’un certain nombre
de procurateurs financiers de rang équestre ou affranchis de l’empereur, le préfet
d’Egypte cumule tous les pouvoirs y compris militaires.
Le découpage administratif des provinces se compléta par l’organisation des
réseaux indispensables pour les communications : tracé de nouvelles voies
romaines, création sous Auguste d’un réseau de poste impériale (cursus publicus).
Enfin, les empereurs aménagèrent ces territoires par de nombreuses fondations de
colonies.
La création de nouvelles provinces a pu se faire de deux manières : par conquête
(par exemple celle de la Bretagne à partir du règne de Claude et par démembrement
de provinces existantes. Après Septime Sévère, il n'y eut plus de création de
province par conquête, les créations se firent par démembrement de provinces
existantes. Ainsi Septime Sévère scinda-t-il en deux les provinces qui avaient les
armées les plus puissantes (trois légions) : la Syrie et la Bretagne. Il créa également
les provinces d'Osrhoene (195) et de Mesopotamie (198) à la suite des expeditions
militaires qu'il conduisit en Orient et qui l'amenèrent à prendre la capitale des
parthes, Ctésiphon (28 janvier 198).
L'administration basique de l'Empire était finalement réalisée au niveau de la cité,
qui comptait un centre urbain, et un territoire sur lequel se situaient différentes
entités rurales (une division semblable à celle que l'on peut trouver en Grèce, entre
la cité, astu, et son territoire, chorâ) . Appelée ciuitas en latin, c'est là que se
prenaient la plupart des décisions, d'abord sur la manière de fournir à l'Empereur ce
qu'il demandait, ensuite sur la manière d'utiliser ce qui restait. Les cités de l'Empire
pouvaient relever de différents statuts :
- Les cités pérégrines sont des cités étrangères, n'ayant reçu aucun statut de Rome.
Elles peuvent être de trois types : libres, fédérées ou stipendiaires (c'est-à-dire
qu'elles paient l'impôt).
- Les cités de droit latin (ius latii) sont au niveau de base du droit. Ce statut fut
utilisé comme instrument de la romanisation, pour attirer les cités vers des
institutions compatibles avec l'Empire.
- Les cités de droit romain, enfin, ont le plus haut statut, légalement similaires à
celui de Rome. Ceux qui y naissent gagnent automatiquement la citoyenneté
romaine, et elles sont dispensées de certains impôts.
Les institutions municipales ont tendance à se calquer sur celles de Rome. On y
retrouve donc une assemblée des citoyens, et une autre plus restreinte,
aristocratique :
- Le Collège des Décurions correspondait au Sénat romain. Ses membres étaient
généralement une centaine, issus de l'élite locale. Ils élisaient entre eux tous les
magistrats de la cité.
- Les deux Duumviri exercaient la magistrature supérieure, comme les Consuls à
Rome. À la différence de ceux-ci, les Duumviri n'avaient pas de pouvoir militaire.
- Les Duumviri Quinquinales faisaient le recensement de la population (Censeurs),
tous les cinq ans.
- Le Questeur se chargait des finances publiques.
- Les Édiles s'occupaient de la gestion urbaine (incendies, architecture, police).
Le mode d'accès aux magistratures était censitaire, c'est-à-dire qu'il dépendait de la
fortune, ainsi que, dans une certaine mesure, de l'honorabilité. Exercer une
magistrature locale permettait d'accéder personnellement à la citoyenneté romaine.
77
Le Ier surtout le IIe siècle correspondent à l'âge d'or du monde romain. Pacifié,
mieux organisé, géré efficacement, l'Empire romain est alors un vaste ensemble
dans lequel les individus, les richesses, les courants culturels circulent librement.
Des diverses régions de son empire, Rome importe des produits de première
nécessité, comme le blé, mais aussi des produits de luxe qu'elle fait venir des
territoires les plus éloignés. Ainsi se développe une forme de spécialisation des
activités économiques. Paradoxalement, la maîtresse de la Méditerranée devient de
plus en plus dépendante de ses conquêtes pour son alimentation de base et sa
survie. Les documents insistent sur les liens économiques et culturels de plus en
plus étroits qui se tissent entre Rome et les diverses provinces de l'Empire, ainsi
que sur le rôle majeur que jouent les différents moyens de transport. Le limes est
fortifié au nord de la Bretagne, dans la région du Danube, à l'est de la Syrie et en
Afrique du Nord parce que ces provinces sont convoitées par les peuples barbares
voisins et que les frontières de l'Empire s'en trouvent menacées. Les produits
alimentaires qui arrivent à Rome sont le blé, l'huile et le vin qui proviennent des
provinces d'Espagne, Gaule, Sicile, Grèce, Egypte et Afrique du Nord. Les produits
de luxe sont l'ambre, les métaux et les fourrures du Nord, la soie, les épices, les
parfums et pierres précieuses d'Orient ou d'Afrique noire. La voie romaine, un
élément indispensable à la romanisation. Construites à l'origine dans un but
stratégique pour faciliter la conquête et le déplacement des troupes, les voies
romaines deviennent un élément indispensable des échanges commerciaux. La plus
grande partie du réseau a été mise en place à l'époque de la République. La
première route pavée, la voie Appienne, qui relie Rome à Capoue, date de 312
avant J.-C. Le revêtement de la route est formé de gros pavés de pierre juxtaposés,
reposant sur des lits de sable et de graviers. Le soin apporté à la construction des
voies romaines explique que certaines existent encore aujourd'hui ; les fondations
creusées profondément et constituées de matériaux de nature et de taille différentes
étaient étudiés pour supporter le poids des charges, les variations de température et
les infiltrations.
Plutôt que d'imposer leur domination sur les territoires conquis par un contrôle
militaire tyrannique, les Romains ont su intégrer habilement les populations des
provinces à leur mode de vie et en faire de fiers et fidèles serviteurs de la grandeur
de Rome. Les gouverneurs, délégués de l'empereur, sont chargés d'accomplir la
romanisation des provinces. La romanisation vise à apporter un certain « confort »
aux populations de l'Empire, grâce à des travaux d'urbanisme et à la construction de
nombreux monuments, par un développement de l'instruction, par l'adoption du
mode vie romain, à travers les activités quotidiennes, le costume ou les loisirs.
L'écrivain latin Tacite considère la romanisation comme une forme d'esclavage ; les
personnes romanisées perdent leur propre identité, leur culture, leur civilisation,
elles sont conduites sans s'en rendre compte à adopter une certaine discipline et une
docilité vis-à-vis de la puissance qui les a conquises.
Caracalla, fils de Septime Sévère, empereur de 211 à 217, est resté célèbre pour
l'édit qu'il a promulgué en 212 selon lequel la citoyenneté romaine était octroyée à
tous les habitants libres de l'Empire. Déséquilibré mental, Caracalla est aussi connu
pour sa brutalité et sa cruauté.
Ici monde grec et monde romain diffèrent. Si les cités grecques (au premier rang
desquelles Athènes, la cité démocratique) ont pour l'octroi de la citoyenneté
privilégié la naissance (est citoyen le fils d'un citoyen, voire même le fils d'un père
citoyen et d'une mère fille de citoyen) et donc limité l'intégration, l'obtention de la
citoyenneté pour les Romains est un acte juridique capable de transformer en
citoyens romains d'anciens esclaves devenus affranchis comme des étrangers : les
Romains eurent des sénateurs ou des empereurs illyriens, sémites ou arabes qui
étaient citoyens romains (et l'édit de Caracalla en 212 fit de tous les hommes libres
de l'empire des citoyens romains). Ce double modèle peut trouver un écho dans le
débat actuel entre le droit du sang et le droit du sol pour l'obtention de la
citoyenneté, et il est dommage que le thème de la citoyenneté romaine ait été effacé
des programmes, du moins de ceux de seconde, au profit de la seule citoyenneté
athénienne qui est loin d'être le modèle unique du monde antique.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
78
HA – Rome, capitale de l’Empire
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
Urbs. Rome, de César à Commode, Yann le Bohec, Editions du Temps, Paris, 2001
Rome à l'apogée de l'Empire : la Vie quotidienne, Jérôme Carcopino, La vie quotidienne, Hachette Editions, Paris, (1939) 2002
Rome, le centre du pouvoir, Rolando Bianchi Bandinelli, L'Univers des Formes, Gallimard, Paris, 1969
Documentation Photographique et diapos :
Revues :
TDC, Rome au temps de l’empire, 15 décembre 2008, N° 967
L'Histoire, n° 234, « Rome, capitale du monde », juillet/août 1999, numéro spécial.
L'Histoire, « Le plus grand amphithéâtre du monde : Le Colisée » - Christophe Castandet, 10/2001 | n°258
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, Enjeux didactiques (repères, notions et
concepts, problématique) :
méthodes) :
BO actuel : « Les élèves découvrent Rome
et ses lieux symboliques. En étudiant
Situé à 24 km de Rome, à l'embouchure du Tibre, Ostie, fondée à la fin du IVe
siècle avant J.-C., est le port de Rome à laquelle elle sert d'arsenal au temps des
l’histoire de Rome c’est, par exemple, la
description de la ville et des monuments
conquêtes ; elle devient un grand port de commerce lorsque l'empereur Claude fait
agrandir et creuser davantage ses bassins. Les marchandises qui y arrivent sont
symboliques de l’Urbs que les élèves
transbordées sur de plus petits bateaux qui peuvent remonter le Tibre jusqu'à Rome, devront prioritairement mémoriser. »
où des entrepôts ont été construits.
BO futur programme : « L’Urbs, capitale
de l’Empire, concentre les monuments
symboliques où le pouvoir se met en scène.
L’étude est conduite à partir d’une visite de
l’Urbs (monuments, sanctuaires,
statuaire) ».
Activités, consignes et productions des
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
élèves :
documentaires et productions graphiques :
La ville romaine et ses monuments
Les premiers grands travaux furent dus à des généraux vainqueurs doublés
d'ambitieux politiques. Pompée fit construire au Champ de Mars un vaste ensemble constituent un des documents patrimoniaux
de ce programme de sixième. En effet, à la
comprenant un jardin avec portique, un théâtre surmonté par un temple de Vénus –
base de la structure de l’Empire romain se
pour le peuple – et une curie, une salle de réunion du Sénat – pour les aristocrates.
trouve la cité, et la ville est le lieu par
Son principal concurrent, César, voulut faire plus et mieux. Il fit effectuer des
travaux sur des monuments anciens, qui en avaient assurément bien besoin : dans le excellence de la citoyenneté romaine. Les
grand cirque, utilisé pour les courses de chars, dans la basilique Émilienne qui
élèves doivent avoir une vision claire et
maîtrisée de la capitale de l’Empire, l’Urbs,
servait de forum couvert, au temple de Saturne, à la Regia où demeurait un prêtre ;
et il fit refaire la curie où se réunissait le Sénat. Le plus original tient dans la
puisque c’est elle le modèle pour toutes les
construction du forum que nous appelons « de César » : il s'agit d'une place
autres cités de l’Empire.
publique, surmontée par un temple de Vénus, déesse qu'il revendiquait comme son
Sur la maquette de Rome au IIe siècle après
ancêtre. Ce deuxième forum montrait que le centre de gravité politique avait
J.-C, je classe des monuments par
changé : l'État passait du pouvoir des aristocrates au pouvoir d'un monarque.
fonction :
C'est Auguste qui établit solidement la monarchie. Et l'architecture qu'il donna à la
- Fonction politique : palais impériaux,
forum républicain
Ville exprime ce changement (cf la louange de Pline: « Auguste a construit une
- fonction économique : forums impériaux ;
Rome de marbre à la place d'une Rome de briques »). Il fit construire ou
- fonction religieuse : les temples (Claude,
reconstruire de nombreux monuments, politiques, de loisirs et religieux. Comme
Vénus et Rome) ;
César, il ajouta aux précédents un forum, dominé par un temple de Mars. Et s'il
conserva par affectation de simplicité la demeure qu'il possédait sur le Palatin, il fit - lieux de loisirs : grand cirque, thermes,
amphithéâtre (Colisée).
ajouter dans sa proximité un ensemble comprenant temple d'Apollon et
bibliothèque. Pour les loisirs, il fait faire des travaux au grand cirque ; il engagea la Les nuisances sont multiples : le bruit, les
difficultés de circulation, la densité de
construction de deux théâtres, d'un amphithéâtre pour les combats de gladiateurs,
d'une naumachie pour les batailles navales et de thermes. Pour les dieux, il assura la population, le mauvais entretien des rues…
restauration de quatre-vingt-deux temples et la construction de l'autel de la Paix, du Il est difficile pour un élève de sixième de
temple de César divinisé, du panthéon…
comprendre un phénomène de modélisation
Avoisinant déjà le million d'habitants, Rome connaît alors l'entassement, la
(Rome modèle des autres villes de
promiscuité, le manque d'oxygène, le bruit et l'insécurité. L'extension de l'empire fit l’Empire). Pour l’aider, on peut passer par
de la Ville une capitale sans rivale dans le monde antique. Contrairement à la
la notion de capitale d’Empire et faire
légende qui présentait les Romains comme un peuple de fainéants, elle possédait
remarquer l’orthographe de « La Ville »
79
une vie économique intense. Les artisans travaillaient le bois, les métaux, le cuir, le
tissu et ils assuraient toutes les productions de luxe indispensable à une ville aussi
importante. Les commerçants exportaient les surplus et importaient ce que la Ville
ne produisait pas. L'alimentation constitua un cas particulier. Vainqueur éternel et
conquérant du monde, le peuple romain exigeait d'être nourri par les vaincus. Les
empereurs ont cependant toujours veillé à ce que les citoyens se procurent par euxmêmes une partie de leur subsistance. Pour le reste, un impôt particulier, appelé
annone, perçu et distribué par un service du même nom, procurait aux citoyens des
rations de blé mensuelles.
Plusieurs empereurs ont voulu marquer de leur sceau le visage de la Ville. Ils ont
construit des palais, des forums, des lieux de loisirs, des sanctuaires. Les empereurs
Nerva, puis Trajan, avec leurs propres forums, étendirent encore le cœur
monumental de la ville. Le mot palais lui-même dérive du nom du Palatin –
Palatinus, palatium. À partir de Tibère, le Palatin devint résidence officielle des
princes. Néron à la faveur de l'incendie de 64, installa en plein centre son immense
palais, la Domus aurea ou Maison dorée, un ensemble gigantesque qui s'étendait
jusqu'à l'Esquilin. Elle fut abandonnée, et les Flaviens firent construire sur le
Palatin un ensemble qui ne laissait guère de place à d'autres occupants. Les
empereurs Flaviens, puis les Sévères font de la demeure princière du Palatin
l'immense Palatium, modèle du palazzo italien ou du « palais » français… Sous
Néron, des projets d'urbanisme de réelle envergure transforment la ville en une cité
splendide qui fait l'admiration des visiteurs au IIe siècle. De nombreux documents
témoignent de la grandeur imposante de Rome au IIe siècle, mais également des
problèmes urbains qui ne sont pas sans évoquer des situations très contemporaines.
Pour les loisirs de la plèbe, toutes sortes de monuments furent construits,
notamment des thermes et le célèbre Colisée qui tire son nom d'une statue colossale
de Néron qui se trouvait dans sa proximité. Des thermes gigantesques, tels ceux de
Néron, de Trajan, puis de Caracalla, vinrent enfin compléter l'architecture d'apparat
de la Ville, à côté d'immenses théâtres, comme celui de Marcellus, et
amphithéâtres, comme le fameux Colisée, voués eux aussi aux plaisirs du peuple
romain. Plusieurs forums s'ajoutèrent à ceux de César et d'Auguste : ils sont dus à
Vespasien, Domitien et Nerva, mais le plus célèbre visa à commémorer la victoire
de Trajan sur les Daces.
Les empereurs s'efforcèrent d'organiser l'espace. Le Capitole concentra les
sanctuaires : c'était la colline sacrée. Le Palatin, comme on l'a dit, fut la colline du
pouvoir ; c'est là que résidait l'empereur quand il vivait à Rome. La vie économique
se concentrait sur la rive gauche du Tibre. L'habitat couvrait l'Aventin, le Caelius,
l'Esquilin, le Viminal et le Quirinal. Deux nouveaux quartiers connurent une grande
fortune. La Ville avait débordé sur la rive droite où se développait le Transtévère –
trans-Tiberim : au-delà du Tibre ; là se concentraient les étrangers et de nombreux
travailleurs. Le Champ de Mars était devenu un quartier officiel : les empereurs y
concentraient les lieux de loisirs et les lieux de culte. Le Vatican resta longtemps
une colline presque déserte.
Une reconstitution permet de voir la diversité et l'entassement des constructions à
Rome, au IIe siècle, ainsi que la démesure et la magnificence de certains
monuments. L'embellissement de la ville est une affaire de prestige personnel pour
les empereurs. Le Forum républicain perd ses fonctions politiques et devient un
centre monumental auquel tous les empereurs adjoignent leur propre forum. Bien
que surpeuplée, la Ville garde une place importante pour les espaces verts qui
couvrent plus du quart de sa superficie. Le tissu urbain sinueux de Rome est
totalement éloigné de l'urbanisme géométrique des cités grecques ou des villes
fondées par les Romains dans les provinces.
À Rome, la religion conditionne chaque instant de l'existence et fonde
l'organisation sociale et politique de la cité : mais elle n'implique l'existence
d'aucune métaphysique. Les Romains vivent dans l'immédiat et le concret. La
religion est un devoir des citoyens. Le Romain n'exprime pas un sentiment
religieux, il attend du dieu la garantie de sa protection en échange d'un sacrifice
(suovetaurile = porc : sus ; mouton : ovis ; taureau : taurus) ou de prières. Mais à la
fin de l'époque républicaine, sous l'influence des religions orientales, les religions
du salut connaissent une vogue de plus en plus importante.
Les Romains ont une conscience de classe aiguë. Chacun est considéré selon deux
critères : sa naissance et sa richesse. Cela détermine une structure hiérarchisée de la
société au sein de laquelle tous n'ont pas les mêmes droits. Grâce au travail fourni
par les esclaves, le citoyen romain dispose du temps nécessaire à l'exercice de ses
devoirs et de ses loisirs. Reconnu et intégré par les autres, le citoyen est membre de
avec des majuscules.
Les édifices politiques sont le forum
républicain et les forums impériaux qui,
plus qu'à de réelles fonctions politiques,
sont destinés à glorifier la grandeur de
Rome par la magnificence de leurs
monuments. Le centre réel du pouvoir est
le palais impérial. Les édifices religieux
sont : le temple de Jupiter, dressé sur le
Capitole depuis le VIe siècle avant J.-C, le
temple de Claude, ainsi que le temple de
Vénus et de Rome qui datent de l'époque
impériale. Les principaux lieux de loisirs
sont : les thermes (de Néron, de Trajan, de
Caracalla), les théâtres (de Marcellus, de
Pompée), l'Odéon, le Colisée, le stade de
Domitien, le Circus Maximus. Édifié à
l'initiative de l'empereur Vespasien, le
Colisée est achevé en 80, sous le règne de
Titus. Son inauguration donne lieu à une
immense fête qui dure 100 jours. L'arène,
couverte de sable, est de forme légèrement
elliptique ; le sous-sol renferme les cages
pour les bêtes et une machinerie permettant
de répandre de l'eau pour transformer
l'arène en lac artificiel. Trois étages de
galeries, à partir desquelles on accède aux
gradins, entourent l'édifice. Dans le Colisée
se déroulent des combats de gladiateurs,
des combats contre des bêtes féroces
amenées d'Afrique, et parfois des
naumachies (joutes nautiques). Les
gladiateurs sont des condamnés, des
prisonniers de guerre ou des professionnels,
répartis en plusieurs catégories en fonction
de leur armement. Plus que des bains, les
thermes sont de vastes complexes de loisirs
(gymnases, bibliothèque, salles de repos ou
de conversation, jardins) dans lesquels
chaque citoyen passe en moyenne deux
heures par jour, avant la cena (repas du
soir). Toutes les couches de la société s'y
côtoient. Les empereurs offrent à leur
peuple des édifices dont la magnificence va
croissante. Inaugurés en 217, les thermes
de Caracalla couvrent 11 ha et comptent
parmi les plus somptueux. Cela montre que
les habitants de Rome travaillent peu et
disposent de beaucoup de temps. Sous
l'Empire, près de 175 jours sont consacrés
aux jeux. En offrant aux Romains « du pain
et des jeux » (grâce à des distributions de
nourriture financées par les fonds publics),
les empereurs s'assurent de la docilité et de
la reconnaissance de la population.
Sénèque (4 avant J.-C.-65) est le plus
célèbre philosophe stoïcien de la Rome
antique. Après une carrière d'avocat et
d'homme politique, il est chargé de
l'éducation du futur empereur Néron.
Compromis dans une conjuration, il se
suicide. Il est l'auteur de nombreux, traités
80
plusieurs communautés sans lesquelles il n'est rien et ne peut rien faire. Le Romain
n'existe donc pas en tant qu'individu, mais en tant que membre d'un groupe.
On peut insister sur le caractère inégalitaire de la société romaine et sur les aspects
originaux de la vie quotidienne. Hiérarchisée, la société romaine n'est toutefois pas
une société fermée car, à tous niveaux, l'ascension sociale est possible : l'esclave
peut être affranchi par son maître, l'affranchi peut se voir conférer la citoyenneté
romaine. La catégorie sociale là plus nombreuse est celle des esclaves. Ils jouent un
rôle important parce qu'ils assurent tous les travaux. L'esclave n'est pas une
personne juridique. Il appartient à son maître qui dispose de lui comme de
n'importe lequel de ses biens. L'esclave n'a ni droits privés ni droits politiques. La
condition d'esclave se transmet héréditairement, mais une personne née libre peut
devenir esclave s'il s'agit d'un citoyen déchu de ses droits, d'un enfant abandonné
ou d'un prisonnier de guerre. Le traitement de l'esclave dépend du caractère de son
maître. Sous l'Empire, le sort des esclaves s'humanise et beaucoup sont affranchis.
Mais, aux frontières du gigantesque Empire romain qui, au IIIe siècle, va de
l'Écosse à la Palestine, les fortifications du limes ne suffisent plus pour contenir les
assauts des barbares. La crise du IIIe siècle eut pour conséquence que les
empereurs, préoccupés par les barbares, désertèrent la Ville pour vivre auprès des
armées. Un seul monument important fut construit, le mur d'Aurélien : on voit
quelles étaient les préoccupations de l'empereur. Au début du IVe siècle, Dioclétien
voulut reprendre la politique de ses prédécesseurs. Il fit construire des thermes,
reconstruire quelques monuments. L'usurpateur Maxence laissa une basilique et son
compétiteur heureux, Constantin, a donné son nom à un arc et des thermes. La
construction de Constantinople en 330 porta un coup fatal à Rome, qui souffrit de
la concurrence. Quand Constance II vint en visite, il fut frappé d'étonnement devant
tant de splendeurs accumulées. D'autres types de monuments firent leur apparition :
basilique et baptistère (Latran), églises diverses, catacombes. Quand les Goths
d'Alaric prirent la Ville en 410, elle était un gigantesque musée, rempli de trésors,
mais ne jouait plus aucun rôle politique. À ce premier « sac » de Rome vont
succéder plusieurs autres pillages : en 455, ce sont les Vandales, en 546, les Goths
de Totila puis, en 846, les Sarrasins. Si les grands monuments du paganisme
survivent, souvent parce qu'ils ont été transformés en églises, la campagne, aux
alentours, est ravagée, les grands domaines y sont de moins en moins cultivés, et
c'est l'Église, à laquelle Constantin a accordé une reconnaissance officielle, qui doit
pourvoir au ravitaillement d'une population de plus en plus assistée. Rome, où
demeurent pourtant un sénat et des préfets, passe bien vite de la tutelle de la
lointaine Byzance à celle des Francs, puis à celle de l'empereur germanique ; mais,
en tant que siège de la papauté, elle demeure, en dépit des vicissitudes de l'histoire,
la capitale du monde chrétien.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
et dialogues, ainsi que de trois
Consolations. Habile à analyser les maux
de la société, il recherche le bonheur dans
la vertu. Il présente Rome comme une cité
particulièrement attractive. La majorité des
habitants de Rome sont des nouveaux
venus arrivés des provinces lointaines et
même de contrées extérieures à l'Empire
romain. Avec plus d'un million d'habitants,
Rome est la ville la plus peuplée de
l'Empire ; elle voit sans cesse affluer de
nouveaux arrivants attirés par la grandeur
de ses monuments, la diversité de ses
activités, les nombreux loisirs qu'elle offre.
Juvénal (65 ?-128 ?) a publié des Satires
dans lesquelles il dénonce les vices des
Romains, l'inconfort de Rome, la misère du
peuple, la corruption de son époque.
Il est difficile de circuler à Rome parce que
les rues sont étroites, sales et encombrées
d'une foule de gens et d'animaux.
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
81
HA – La romanisation en Gaule
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Sujet différent de « la romanisation de la Gaule », qui commence avant Jules
César. La romanisation avait largement commencé en Gaule du Sud, avec la
fondation de villes comme Aquae Sextiae (Aix-en-Provence), Narbo Martius
(Narbonne) ou Lugdunum Convenarum (Saint-Bertrand-de-Comminges), lorsque
César entama la guerre des Gaules.
Assimilation des pays vaincus par les romains.
2 aspects: ce que les Romains ont imposé / ce que les Gaulois ont retenu (+
transmis aux vainqueurs)
Processus pluriel : juridique (diffusion citoyenneté romaine) / politique (élites
gauloises au sénat) / culturel (urbanisation, nouveau mode de vie, modèle grécoromain, culte impérial)
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
BO actuel : « Les processus de la
romanisation sont analysés à partir de
l’exemple de la Gaule. » A l’école
primaire, les élèves ont abordé l’Antiquité à
travers l’approche de la Gaule et de sa
romanisation. Volonté dans le socle
commun d’insister sur les événements
majeurs et les grandes figures de l’histoire
de la Gaule : les futurs programmes
évoquent la Gaule au moment des
conquêtes et à travers l’exemple d’une
ville.
Sources et muséographie :
exposition "Rome et les Barbares. La naissance d’un nouveau monde", à Venise, Palazzo Grassi, en 2008 (cf L'Histoire, n° 327,
janvier 2008, Dossier spécial : Rome et les Barbares)
Ouvrages généraux :
Histoire de la civilisation romaine, Hervé Inglebert, Collection "Nouvelle Clio", PUF, 2005, 608 pages ; Troisième partie :
Problématiques et débats / Les processus de romanisation : Les théories de la romanisation -- La romanisation, des processus
divers pour un résultat commun
C. DELAPLACE, J. FRANCE, Histoire des Gaules, VIe siècle av .J.-C-VIe siècle ap .J.-C., Armand Colin 2007.
Beck F., Chew H., Quand les Gaulois étaient romains, coll. Découvertes, Gallimard, n° 63,1989.
De Leseleuc A., La Gaule, Flammarion, 2001 ; offre une abondante documentation iconographique.
Paul-Marie Duval, La Vie quotidienne en Gaule pendant la Paix romaine, Paris, Hachette, 1960
Documentation Photographique et diapos :
Henri Lavagne, Venceslas Kruta, La Gaule celtique et romaine - Documentation Photographique, n°6070 (1984)
Perret M., La Gaule romaine, Diapofilm multimédia.
Revues :
L'Histoire, « Et les Gaulois sont devenus romains... » - William Van Andringa, 03/2005 | n°296
L'Histoire, n° 282, « Les Gaulois, des barbares très civilisés », décembre 2003.
L'Histoire, « Rome : l'empire modèle » - Maurice Sartre, 11/2002 | n°270 | Dossier Les racines de la mondialisation
L'Histoire, n° 33, « Quand Lyon s'appelait Lugdunum », avril 1981.
Les villes gallo-romaines - Une greffe réussie, ANDRE BUISSON, TDC, N° 747, 1er janvier 1998
« Aide à la mise en œuvre des nouveaux programmes de Seconde : Romanisation et citoyenneté en Gaule. », Jacqueline et JeanPaul CHABROL, H&G, 359, octobre novembre 1997
« De la Gaule celtique à la Gaule romaine le processus de romanisation en Gaule du Nord dans la cité des Nerviens (Classe de
seconde). », Jean-Louis PODVIN, Gilles POUCHAIN H&G, 369, février 2000
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, Enjeux didactiques (repères, notions et
concepts, problématique) :
méthodes) :
Le concept de « romanisation », utilisé pour rendre compte de la soumission d’une
Document d’accompagnement : « À la base
société et d’un territoire conquis aux formes d’organisation voulues par Rome,
de la structure de l’Empire se trouve la cité
remonte à la première moitié du XIXe siècle. La romanisation est devenue, avec le
: un territoire et une ville dont il dépend. La
temps, un langage commun des historiens pour parler de l’histoire impériale de
ville apparaît comme le lieu par excellence
Rome, c’est-à-dire pour décrire la multiplicité des transformations intervenues dans de la citoyenneté romaine. Les exemples
les territoires provinciaux sous la domination romaine. On peut d’ailleurs se poser
locaux seront exploités, dans la mesure du
la question de son intégration dans le concept plus large de colonisation.
possible, pour l’étude du plan d’une ville
Tout d’abord, l’inventaire a privilégié ce que l’on considère comme des apports de
romaine et de ses monuments, forum,
Rome : la pacification et les institutions capables de prolonger la paix, mais aussi
basilique, arc de triomphe, temple, théâtre,
un environnement politique, matériel et culturel (le latin par exemple) nouveau
amphithéâtre, cirque, thermes, aqueduc :
pour une partie des populations conquises, notamment dans la partie occidentale du ainsi peut être mis en évidence le lien entre
monde romain. Une deuxième étape, fondée sur un examen critique du bilan
romanisation et urbanisation. »
précédent, a attiré l’attention sur les autres, ceux qui avaient été contraints de
BO futur programme : « La romanisation
s’intégrer, se provincialiser, s’acculturer, et sur leurs réactions, violentes ou moins
s’appuie sur l’urbanisation sur le modèle de
perceptibles. Une nouvelle phase se fait jour, qui passe, pour certains spécialistes,
Rome, et sur la diffusion du droit de cité
par la remise en question du vocable lui-même. Imposé peu à peu par
romaine sans faire disparaître la diversité
l’historiographie européenne de l’Empire romain, le terme est désormais mis en
religieuse et culturelle. L’étude est conduite
question, voire accusé de figer la réflexion sur la conquête romaine et la
à partir d’un exemple au choix d’une ville
connaissance du passé romain à l’échelle de l’Empire. Une première opposition
romaine en Gaule ou en Afrique du Nord. »
existe entre ceux qui récusent la romanisation au nom de la mise à l’écart des
82
indigènes et ceux qui refusent le terme à cause de l’incapacité de Rome à maintenir
sa domination très longtemps depuis le centre. Une autre opposition voit le jour
entre les tenants de l’interaction entre conquérants et conquis et ceux qui s’en
tiennent à une ignorance réciproque des gouvernés et des gouvernants dans le
prolongement de l’interrogation traditionnelle : coexistence ou fusion. On peut
ajouter le contraste entre la revendication d’un empire réel décrit à partir
du vécu des habitants et la mise en valeur du rôle des élites locales culturellement
autonomes, attachées à la continuité de leur pouvoir et vouées à imiter Rome.
Les recherches ont ainsi évolué au gré des courants historiographiques et de la
mutation des méthodes sans engendrer l’uniformité. La romanisation décrit ainsi un
processus par lequel une communauté s’engageait dans une phase nouvelle,
créative, de son histoire, élaborait un nouveau langage définissant les rapports de
pouvoir, les relations sociales, les activités économiques, les identités culturelles
collectives et individuelles. La diversité ne reflétait pas les données de la
géographie mais le degré de résistance des cultures des conquis, vecteurs des
identités, d’où la légitimité d’interrogations relatives à la romanisation des Grecs,
des Grecs d’Asie, des Syriens, des Juifs, des Égyptiens, des Puniques, des Ibères,
des Celtes ou des Illyriens. D’où la multiplicité d’une histoire romaine riche à la
fois de l’action du pouvoir romain et des interprétations spontanées ou sollicitées,
selon les cas et dans des contextes mouvants, des populations locales qui ne se
réduisaient pas aux élites dont la stabilité pose elle-même des problèmes encore à
résoudre.
GREG WOOLF, Becoming Roman. The origins of Provincial civilization in Gaul,
Cambridge, Cambridge University Press, 1998
Les travaux de G. Woolf échafaudent une lecture de l’histoire provinciale
débarrassée d’une opposition sans objet entre Romain et indigène. Le choix d’un
territoire limité, la Gaule, caractérisé par un passé celtique jugé déterminant,
répond à une double visée : tester les concepts dans un cadre restreint et familier,
déconstruire l’un des modèles apparemment les mieux assis car souvent utilisé pour
mettre en valeur la romanisation dans le passé. Devenir Romain ne saurait ici se
confondre avec ce que l’on a désigné habituellement par ce terme : en effet,
l’auteur s’appuie sur l’idée que la romanisation de la Gaule est en réalité
l’aboutissement d’un processus culturel complexe qui s’est traduit par l’émergence
rapide d’une culture provinciale entièrement nouvelle, dans laquelle se combinaient
des éléments du passé et les fruits d’une « révolution culturelle » née avec Auguste
: autrement dit la diffusion d’une culture romaine elle-même en voie de constitution
et née de la combinaison de cultures différentes (en particulier l’hellénisme). En
Gaule, la période qui s’étend de César au règne d’Auguste (50-1 av. J.-C.) a
coïncidé avec ces changements culturels à plusieurs niveaux : celui, d’une part, de
la haute culture et, d’autre part, de la civilisation matérialisée par l’urbanisation, la
consommation, l’hygiène, les goûts, les loisirs et les cultes. Le phénomène, loin de
révéler des continuités, fut la traduction de l’arrivée au pouvoir de nouvelles
couches dirigeantes locales qui, avec la domination politique, s’approprièrent les
plus hauts standards de la culture du temps et imposèrent leur nouvelle vision du
monde là où cela leur était indispensable. C’est ainsi que les dirigeants des cités des
Gaules devinrent Romains, ce qui signifie que la participation active et soudaine à
cette nouvelle culture identifiait les nouveaux Romains des provinces et les
distinguait de ceux restés à l’écart. Les clivages opposaient non des Gaulois et des
Romains, des indigènes et des conquérants, mais des Gaulois entre eux, tandis que
la culture dominante intégrait indissolublement des ingrédients variés et
sélectionnés sous l’influence du pouvoir romain lui-même : « On pouvait devenir
Romain sous tant de formes variées que le devenir ne signifiait pas être assimilé à
un idéal-type, mais plutôt acquérir une position dans une structure complexe de
traits distinctifs par lesquels s’exprimait le pouvoir romain. » Le pouvoir religieux
changea de mains et de forme. Aux druides succédèrent les notables locaux
détenteurs des prêtrises, particulièrement de celles vouées au culte impérial. Cette «
conversion » supposait l’accès à une nouvelle culture religieuse et allait de pair
avec des syncrétismes liés aux ambiguïtés que recelaient inévitablement
l’adaptation des modèles et la création de nouveaux rites, de nouvelles pratiques, de
nouveaux cultes, dans le contexte de cette extraordinaire « révolution romaine ».
L’essor de la production de céramique sigillée, importée au départ d’Italie,
constitua un apport non négligeable de la Gaule aux cultures de l’Empire : signe de
nouvelles habitudes de consommation, la production gallo-romaine donna
naissance à la création de décors originaux, eux-mêmes véhicules d’idées nouvelles
sur la nature, les mythes ou les divertissements. C’est dans le domaine du corps,
83
peu étudié jusqu’à présent, que G. Woolf analyse en détail les effets de la nouvelle
culture. A un discours inédit sur la sexualité s’ajoutèrent la promotion de modèles
capillaires nouveaux (suppression de la moustache, chevelure soigneusement
peignée), allant de pair avec la diffusion d’objets de toilette, le soin vestimentaire,
l’usage des thermes, bref les éléments d’un langage du corps qui n’avait d’ailleurs
pas pour origine le centre romain mais l’Italie ou l’Orient grec. Sans doute, dans
ces domaines, les provinces gallo-romaines n’ont-elles rien apporté d’original, mais
Rome n’avait pas non plus innové en matière de bains. C’est de toute façon sur le
plan religieux que les Gaules firent surtout preuve de créativité dans un contexte où
le contrôle romain lui-même n’était pas contraignant au même degré selon le
registre culturel concerné. G. Woolf s’intéresse à ce qu’il appelle le cultural change
et met donc l’accent sur les manifestations provinciales d’un phénomène plus large
qui affectait le centre au même moment. Si les modes de vie du Romain et du
Provincial revêtirent, de fait, le même caractère de nouveauté, le mot acculturation
ne lui semble pas plus pertinent, dans ces conditions, que celui de romanisation ; il
fait par ailleurs l’économie de la continuité entre le passé pré-romain et le présent
impérial, et l’idée d’une romanisation venue d’en haut ou librement adoptée lui
paraît secondaire au regard des évolutions envisagées. Il examine surtout la
signification de changements qui furent voulus par le conquérant et relayés par des
provinciaux, lesquels intériorisèrent finalement le système culturel romain, soit un
ensemble de comportements, goûts et sensibilités, pour asseoir et conserver leur
pouvoir et leur supériorité tout en y intégrant des traits indigènes. Le lien entre
culture et pouvoir ainsi mis en exergue apparaît comme central dans la construction
d’un processus nouveau d’identification fondé sur l’acclimatation d’une culture
elle-même hybride, celle de Rome. G. Woolf est conscient des limites d’une
démarche qui doit encore faire ses preuves : non seulement l’idée de révolution
culturelle augustéenne ne fait pas l’unanimité, mais ses origines historiographiques
n’excluent pas qu’il s’agisse d’un instrument tactique plus que d’un modèle
d’analyse totalement pertinent. Enfin, les débats en cours modifient peu à peu les
notions d’histoire culturelle et même de culture. Le discours de G. Woolf est
efficace et son titre exprime avec netteté l’enjeu : devenir Romain est, au fond,
l’inverse de la romanisation, dans la mesure où les identités culturelles se
construisent sur des bases qui ne sont que très partiellement déterminées par
l’action de Rome. Une telle réflexion, qui participe de la recherche de nouveaux
concepts, récuse le modèle des interactions entre conquérants et conquis. J.
Webster est plus nuancée sur ce dernier point, qui propose de substituer à «
romanisation » le mot de « créolisation ». Selon J. Webster, le concept de
créolisation serait mieux adapté à la description des interactions culturelles et au
dépassement d’une histoire bipolaire, confrontant Romains et indigènes. J. Webster
constate ainsi que les modèles ne permettent pas une vue synthétique et équilibrée
des processus de romanisation et voudrait promouvoir une démarche « dans
laquelle la culture matérielle romanisée se prêtait à un usage double, à la fois pour
créer de nouvelles identités et pour préserver les aspects essentiels des croyances et
pratiques pré-romaines ». Un mot s’imposerait alors : créolisation, apparition de
formations sociales mélangées issues des deux cultures. Le plus souvent, le
processus rend compte non d’une mixité spontanée mais d’une adaptation
accompagnée de résistances. C’est toutefois à partir du fait religieux que J. Webster
cherche à construire un modèle. De fait, les Celtes de l’âge du Fer passent
traditionnellement pour avoir répugné aux représentations anthropomorphiques des
divinités. La conquête romaine introduisit, dit-on, des images humanisées des
dieux, résultat d’un syncrétisme accueillant, intégrant ces divinités dans une
cosmologie gréco-romaine. Cette vision apaisée n’explique rien, car ses promoteurs
oublient le contexte colonial dans lequel s’est élaboré le processus. Considérer que
l’iconographie religieuse romano-celtique n’est que l’expression d’une religion
celtique habillée à la romaine revient à gommer la créolisation, pourtant décisive. Il
ne s’agit pas de concurrence ni d’émulation mais bien de combinaison, de mixité
entre des influences et des croyances variées, de types inédits sous la forme où on
les connaît, ce que reflète les représentations d’Epona, la divinité cavalière, de
Cernunnos, le dieu barbu aux bois de cerf, ou de Sucellus, vêtu du manteau et
affublé du maillet, tout particulièrement. Le modèle suggère que le syncrétisme
ainsi exprimé résultait d’une opposition entre les valeurs de l’élite indigène et les
aspirations de la masse que ne pouvaient négliger les élites coloniales, puisqu’elles
partageaient ces mêmes traditions. La religion mixte n’a donc pas représenté
l’adoption de croyances et pratiques nouvelles, mais l’adaptation des cultes
étrangers aux conditions locales, soit une iconographie mêlée, confectionnée à
84
partir d’éléments appartenant au modèle dominant (formellement romain) et à la «
contre-culture » elle-même métissée (juxtaposition de symboles). Ce métissage
paraît bien exprimer un cheminement spirituel complexe que la forme artistique
suggère, sans apporter sur le fond la véritable explication. Au-delà des analyses
antérieures effectuées en se réclamant de la romanisation ou de l’acculturation, J.
Webster décrit les contacts culturels comme des séries d’actions et réactions
voulues, négociées, que la culture matérielle révèle et invite à explorer.
Conquise par César entre 58 et 50 avant J.-C, la Gaule est organisée par Auguste
qui la divise administrativement en quatre provinces (la Narbonnaise, l'Aquitaine,
la Lyonnaise (ou Celtique) et la Belgique) dans lesquelles il engage une politique
d'urbanisation et la construction d'un réseau de voies romaines. Située à la croisée
des grandes voies romaines, la cité de Lugdunum (Lyon) devient le grand centre
politique, économique et religieux des Gaules. Au Ier siècle, l'assimilation de la
Gaule fait de rapides progrès, et la vie économique connaît un grand
développement, grâce à l'essor de l'agriculture et du commerce. Tout en conservant
une partie de leurs us et coutumes, les Gaulois se laissent gagner par la civilisation
romaine, ainsi qu'en témoignent de nombreux vestiges. Il s’agit de comprendre, à
travers l'exemple de la Gaule, comment s'est effectué le processus de romanisation
dans les régions conquises par Rome.
La conquête de la Gaule a eu pour conséquence d'orienter la politique extérieure
romaine vers l'intérieur du continent européen, alors qu'elle avait, jusqu'alors,
privilégié les rives du bassin méditerranéen. Avec la conquête de la Germanie, sous
le règne d'Auguste, la frontière romaine est portée jusqu'au Rhin. Au Ier siècle,
l'empereur Claude conquiert, depuis la Gaule, la Bretagne (Angleterre).
Plutôt que d'imposer leur domination par la présence d'une force militaire
forcément mal acceptée, les Romains se sont employés à intégrer les populations
conquises, notamment les Gaulois, dans leur civilisation. Ils ont doté la Gaule de
tout un réseau de voies romaines afin de favoriser les échanges et de dynamiser
l'activité agricole et artisanale de ces provinces, et par là même d'enrichir leurs
habitants. Ils ont créé des villes sur le modèle des cités romaines et érigé des
temples, des amphithéâtres, des thermes, afin d'amener les Gaulois à adopter
progressivement le mode de vie romain. Ils ont fait entrer les notables gaulois au
Sénat romain.
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
La romanisation de la Gaule, c'est-à-dire l’intégration des provinciaux au mode de
vie de Rome, se fait par l’octroi de la citoyenneté romaine aux Gaulois, par la
création de villes et par la diffusion du culte impérial après le règne d’Auguste (-27
; -14). Elle entraîne l’adhésion spontanée et volontaire à la civilisation romaine des
élites dans un 1er temps, puis d’une grande partie de la population, ainsi que la
mise ne place d’une civilisation originale : la civilisation gallo-romaine.
1 - La romanisation par l'armée
L’armée joua un rôle majeur dans l’urbanisation, inséparable elle-même d’un
processus de développement économique et social. Son rôle s’est exercé en 3
phases :
* dans les premiers temps après la conquête, la mission de l’armée fut de quadriller
un territoire encore imparfaitement soumis et maîtrisé. Les troupes étaient
fractionnées et cantonnées à proximité d’oppida et de bourgs indigènes pour
lesquels elles constituaient immédiatement un important marché et un facteur de
développement. Les soldats étaient en effet soldés, et même vraisemblablement
avec du numéraire gaulois. Ils dépensaient une bonne part de cet argent sur place,
ce qui stimulait le commerce et l’artisanat locaux. Apparaissaient également des
postes fortifiés romains afin de surveiller et éventuellement d’administrer une
région donnée. Le marché offert par ces postes attirait des groupes de marchands et
d’artisans et donna naissance à une activité économique ainsi qu’à des
agglomérations qui, assez rapidement, accueillirent également des éléments de
population indigène locale. Lyon est à cet égard un cas exemplaire ; la création de
la colonie a répondu à des exigences stratégiques et politiques, mais la ville ellemême s’est développée sans tarder pour devenir un centre économique de premier
plan. Même chose avec l’Oppidum Ubiorum (Cologne). Si dans la croissance de
ces 2 villes, les voies de communication, terrestres et fluviales, ont joué un rôle
déterminant, c’est bien à la création de ces cités que les routes doivent leur
développement, et non l’inverse. D’autres villes gallo-romaines de moindre
Activités, consignes et productions des
élèves :
La citoyenneté : un privilège
Dans l’Empire romain, les citoyens
formaient une élite et une infime proportion
de la population. Ils se distinguaient par
leur tenue vestimentaire d’apparat – la toge
(les chevaliers portaient sur cette toge une
étroite bande pourpre et les sénateurs une
large bande) – et se faisaient représenter
dans cet habit.
Les citoyens tiraient ce privilège de leur
naissance (on était à Rome le fils de
quelqu’un avant d’être un individu
particulier), ou bien d’un acte juridique
d’adoption par un notable dont ils prenaient
une partie du nom ; le dernier cas possible
d’accès à la citoyenneté est l’obtention du
parrainage d’un grand personnage
(gouverneur de province, voire quelquefois
l’Empereur lui-même). Le droit romain
fournissait aussi ce privilège aux vétérans
des légions après la durée légale de leur
service militaire (20 à 25 ans). Aux
citoyens étaient réservées les charges de
prêtres du culte impérial, et à leurs épouses
une charge identique, celle de flaminique.
Ils pouvaient, par les suffrages de leurs
concitoyens, gravir les degrés du cursus
honorum (la carrière publique) et accéder
85
importance doivent leur origine à une présence militaire précoce et prolongée au
moment de l’occupation.
* L’abandon fréquent de sites de hauteur (Gergovie remplacée par
Augustonemetum) qui s’inséraient difficilement dans un réseau d’ensemble est à
noter. Les routes ont donc conservé, voire renforcé des centres préexistants,
lorsqu’ils se trouvaient sur leur passage, comme elles ont provoqué ou accéléré le
déclin de certains autres qu’elles ne desservaient pas.
* Enfin, le déplacement et l’installation de l’armée sur la frontière du Rhin a été un
facteur décisif d’expansion des échanges et d’accroissement des richesses. Elle a
permis à la partie orientale de la Belgique et plus encore aux Germanies, autour de
centres tels que Reims, Metz, Trêves ou Cologne, de devenir aux 2ème et 3ème s.
la région probablement la plus urbanisée et sûrement la plus romanisée de
l’ensemble des Gaules, à l’exception de la Narbonnaise.
Il s’agit d’abord d’un phénomène autoritaire et institutionnel. L’armée occupe le
territoire. Il ne faut pas oublier que Rome a combattu huit ans contre les Gaulois
avant de romaniser. Les vaincus subissent l’invasion des Romains comme un
traumatisme. Donc, dans un premier temps, les gouverneurs doivent réduire des
révoltes. Les Gaules sont sillonnées par des légions qui contrôlent la construction
des voies romaines. Elles ont un but stratégique car elles doivent faciliter le
déplacement des militaires, puis par la suite celui des fonctionnaires, comme ceux
du courrier. L’armée est également agent de la romanisation car des Gaulois
s’enrôlent et reviennent souvent plus riches. La présence de troupes autour des
chantiers routiers attirent les marchands et les artisans ce qui a développé des cités,
c’est ainsi que Bavai est créée.
2- La romanisation par l’administration et la citoyenneté
La romanisation se fait également par l’administration. Les Gaules sont divisées en
trois provinces (Belgique, Lyonnaise, Aquitaine) à cela va s’ajouter la
Narbonnaise. Par la suite, les transformations seront limitées. Les gouverneurs et
leur personnel sont en nombre restreint et ne peuvent pas couvrir tout le territoire,
les élites locales prennent donc de fait, le relais entre la masse et le pouvoir local.
• La citoyenneté romaine
A Rome, la citoyenneté se définit comme un statut juridique supérieur qui
comprend le droits publics (voter, être élu à Rome, participer à des sacerdoces…)
et les droits privés (posséder, vendre, faire un testament…)
• L’accès à la citoyenneté romaine
La citoyenneté romaine est d’abord réservée à quelques privilégiés, mais son accès
est ouvert. Pour les habitants de l’Empire romain, l’accession à la citoyenneté est
un honneur. Elle est aussi une condition indispensable pour gravir les échelons de
la société. Pour Rome, l’octroi de la citoyenneté est un moyen de s’assurer la
fidélité des cités conquises et constitue le principal vecteur de la romanisation.
La citoyenneté romaine est octroyée aux habitants de l’Empire en différentes étapes
: en 48, elle est accordée aux 1ers magistrats gaulois par l’empereur Claude et en
212, aux hommes libres de l’Empire par l’édit de Caracalla (Claude et Caracalla
étant tous 2 nés à Lyon).
La mesure prise par Claude en 48 ouvre la vie à une romanisation totale.
L'empereur Claude propose de faire entrer au Sénat romain les notables des Gaules.
Le texte de son discours a été conservé en partie par les « tables claudiennes »,
gravées sur bronze et retrouvées a Lyon. Les Romains tiennent à intégrer les
populations des régions conquises afin qu'elles s'assimilent à la population romaine
et ne cherchent plus à se rebeller, mais, qu'au contraire, elles participent à
l'enrichissement de l'Empire. L’édit de Caracalla achève le long processus ayant
contribué à intégrer des cultures et des peuples différents dans l’Etat romain.
Dans l’Empire romain, les citoyens formaient une élite et une infime proportion de
la population. Ils se distinguaient par leur tenue vestimentaire d’apparat – la toge
(les chevaliers portaient sur cette toge une étroite bande pourpre et les sénateurs
une large bande) – et se faisaient représenter dans cet habit. Les citoyens tiraient ce
privilège de leur naissance (on était à Rome le fils de quelqu’un avant d’être un
individu particulier), ou bien d’un acte juridique d’adoption par un notable dont ils
prenaient une partie du nom ; le dernier cas possible d’accès à la citoyenneté est
l’obtention du parrainage d’un grand personnage (gouverneur de province, voire
quelquefois l’Empereur lui-même). Le droit romain fournissait aussi ce privilège
aux vétérans des légions après la durée légale de leur service militaire (20 à 25
ans). Aux citoyens étaient réservées les charges de prêtres du culte impérial, et à
leurs épouses une charge identique, celle de flaminique. Ils pouvaient, par les
aux charges de questeur, d’édile puis de
duumvir de la cité. Ils étaient alors «
revêtus dans leur cité de tous les honneurs
», suivant l’expression consacrée. Ils
pouvaient, à leur tour, faire l’objet de
sollicitations pour devenir les « patrons »
de corporations (de métiers) ou de cités
moins avantagées. On les honorait
d’inscriptions et de statues sur le forum ou
dans d’autres espaces publics.
On peut citer l’exemple de Mediolanum
Santonum (Saintes) comme cité galloromaine au IIe siècle. Les Celtes avaient
implanté une cité gauloise sur une hauteur
de la rive gauche du fleuve Charente, au
milieu de la plaine (d'où Mediolanum).
Après la conquête (56 avant J.-C.), Auguste
charge le gouverneur de la Gaule de fonder
une cité nouvelle sur le territoire de la
civitas Santonum (cité des Santons). Située
sur l'axe qui relie Lyon à l'océan
Atlantique, Mediolanum Santonum devient
la première capitale de la province
d'Aquitaine. La ville de Saintes a été
construite selon un plan géométrique en
damier, sur le modèle des villes et des
camps militaires romains (cardo et
decumanus). Au Ier siècle, plusieurs
monuments de type romain y sont
implantés : un temple dédié à Auguste, un
arc de triomphe en l'honneur de
Germanicus, des thermes et un
amphithéâtre. Élevé sous le règne de
l'empereur Claude, au milieu du Ier siècle,
l'amphithéâtre de Saintes présente des
dimensions moyennes, légèrement
moindres que celles des arènes de Nîmes
(dont la longueur est de 136 m. sur 100 m.
de large). A Saintes, l'arène proprement
dite mesure 64 mètres sur 39 mètres.
L'amphithéâtre a été construit légèrement à
l'extérieur de la ville, dans un vallon, afin
de bénéficier d'une pente naturelle
légèrement incurvée, pour installer les
gradins.
Lyon est un bon exemple de la
romanisation de la Gaule. Elle est alors la
capitale des 3 Gaules et une plaque
tournante des échanges. Elle possède des
monuments prestigieux comme un théâtre,
un cirque et un temple. Les monuments
présents dans toutes les villes : Forum :
vaste place rectangulaire construite à
l’intersection des deux axes principaux de
la ville (cardo, nord-sud et decumanus, est
ouest), qui constitue le centre de la vie
municipale. Il a des fonctions politiques,
économiques, et religieuses. Basilique :
siège du tribunal, utilisée par les marchands
(ce que vont reprendre les chrétiens). Les
thermes qui occupent une part importante
de la surface de la ville. Ce sont des lieux
de sociabilité, de détente et de loisir. On y
86
suffrages de leurs concitoyens, gravir les degrés du cursus honorum (la carrière
publique) et accéder aux charges de questeur, d’édile puis de duumvir de la cité. Ils
étaient alors « revêtus dans leur cité de tous les honneurs », suivant l’expression
consacrée. Ils pouvaient, à leur tour, faire l’objet de sollicitations pour devenir les «
patrons » de corporations (de métiers) ou de cités moins avantagées. On les
honorait d’inscriptions et de statues sur le forum ou dans d’autres espaces publics.
3- La romanisation par l’urbanisation
La ville gallo-romaine, souvent ville nouvelle, n’a plus rien en commun avec les
villes gauloises de l’indépendance. Par ses monuments, son administration, le mode
de vie qu’elle propose, c’est là que s’est opérée la romanisation de la Gaule. Tout
en douceur, sans qu’il fût besoin d’y implanter une armée d’occupation trop
conséquente.
Pour les Romains, l’urbanisation, la construction d’un réseau rayonnant de routes à
partir de la capitale des Gaules, Lyon, l’établissement d’un cadastre sont autant de
manières d’intégrer les populations de l’Empire romain.
Résider en ville était la seule manière, pour les habitants de la Gaule, d’obtenir le
parrainage des notables et ainsi, quelquefois, d’acquérir un statut social supérieur à
l’intérieur de cette société gallo-romaine très hiérarchisée. La tête en était formée
par les descendants des anciennes familles de l’aristocratie gauloise, les premiers à
avoir pu profiter des largesses du conquérant.
• La création et le développement des villes
A partir de César, la Gaule est divisée en provinces administrées par les
gouverneurs romains. La Narbonnaise devient une province sénatoriale car elle est
soumise à l’autorité du Sénat. Les trois autres régions sont la Lyonnaise (ou
Celtique), l’Aquitaine et la Belgique. Elles dépendent d’un gouverneur établi à
Lyon. Rome favorise la création et le développement des villes. Pour des raisons
stratégiques, elles ont été créées sur l’emplacement de cités gauloises existantes, on
parle de proto urbanisation et à partir d’Auguste, elles possèdent des monuments à
l’image de Rome la maison carrée de Nice). Chaque cité este administrée par des
magistrats et un conseil municipal. La ville joue donc un rôle 1er dans la
romanisation de la Gaule. La construction des monuments, l’organisation des fêtes
reposent sur les dons des citoyens les plus riches. Grâce à ces dons, les citoyens
deviennent des notables et ils ont une place de choix dans la cité.
C’était le Sénat, à l’époque républicaine, puis l’empereur, après la fin de la
République romaine, qui décidait de la fondation des colonies, dans un but
stratégique et économique. Les Romains ont poursuivi systématiquement cette
politique en Gaule, dans le but de fournir aux habitants un nouveau cadre urbain en
rupture avec leur passé. Cette attitude est illustrée notamment par le cas
d’Augustodunum (Autun), fondée par Auguste pour proposer aux Gaulois un cadre
de vie éloigné de plusieurs dizaines de kilomètres du mont Beuvray (Bibracte,
ancienne capitale des Éduens indépendants). Dans le concept de ville romaine,
apparaît tout un processus de déstabilisation du peuple conquis. Les habitudes des
Gaulois devaient être changées, et les Romains leur fournirent un modèle d’habitat
éloigné de leurs anciennes coutumes : un plan urbain, un centre monumental, une
muraille. Pour les inciter à adopter leur civilisation, ils offrirent à une portion de
l’ancienne aristocratie gauloise, qui aurait dû tout perdre avec la conquête, le
privilège de devenir les élites de cette romanisation. Cet épisode de romanisation
massive, sur une courte durée, fut suivi d’une période plus longue de
transformations culturelles douces. L’action impériale ne se manifesta plus que
ponctuellement ; Claude donna le statut de colonies romaines à Trèves et Cologne
qui existaient déjà, accorda son parrainage à Octodurus (Martigny dans le Valais)
qui devint Forum Claudii Valensium, à Claudiomagus (Clion) ou à Axima (Aîmeen-Tarentaise). Puis, au Bas-Empire, Gratien fit de même à Cularo (Grenoble).
César envoya en Gaule un délégué chargé spécialement d’installer des colonies en
la personne de Tiberius Claudius Nero, le père du futur empereur Tibère. Par
ailleurs, un certain nombre de communautés de Gaule Narbonnaise reçurent dans
cette période le droit latin, un statut certes inférieur au droit romain, mais qui
apportait cependant d’importants privilèges juridiques. Pline l’Ancien nous a laissé
une liste de ces oppidas dont un certain nombre se virent même attribuer le titre de
colonie latine : Toulouse, Nîmes, Avignon (Forum Voconii), Aix (Glanum = St
Rémy de Provence), Carcassonne, Apt etc. Il s’agissait alors plutôt d’une
promotion de centres préexistants, en reconnaissance peut-être à leur loyalisme
durant la conquête de la Chevelue. Il dit encore de la Narbonnaise qu’elle était «
plutôt l’Italie qu’une province » où l’urbanisation impériale se borna souvent à
trouve les bibliothèques et les plus belles
œuvres d’art. Ils sont alimentés en eau par
des aqueducs. Un arc de triomphe : érigé en
l’honneur des empereurs par la ville qui
veut célébrer leurs actions militaires.
Amphithéâtre : arène pour gladiateurs,
combat avec les animaux. Les mieux
conservés sont ceux de Nîmes et d’Arles.
Cirque : course de chevaux.
TROIS CAPITALES PROVINCIALES
La Gaule est organisée en trois ensembles
provinciaux (Narbonnaise ; Trois Gaules, à
savoir Aquitaine, Lyonnaise, Belgique ;
Germanies inférieure et supérieure).
Narbonne, Lyon et Cologne en sont les
capitales provinciales. À Lyon, par
exemple, on trouve les bureaux du
gouverneur et de son administration propre,
de l’administration des douanes, des mines,
de la Monnaie, des héritages et des
successions, du recensement. On y trouve
aussi la garnison de la seule cohorte
urbaine de la Gaule. Peu de détails devaient
la différencier de ses deux consœurs,
hormis peut-être des valeurs honorifiques.
C’est également dans ces trois villes que
l’on trouvait le siège du culte fédéral de
Rome et d’Auguste, son temple et les
bureaux de son administration propre, avec
son juge chargé des litiges et le trésor du
sanctuaire. À ce lieu sont liées des fêtes
annuelles auxquelles assistaient tous les
délégués des cités de la Province, c’est-àdire tous les notables de la Gaule.
VILLES ET CITÉS
À l’intérieur des provinces, les « villes »
sont les capitales ou chefs-lieux des « cités
» de la Gaule, c’est-à-dire des
circonscriptions territoriales comprenant
ville et territoire rural pour chacun des
peuples du pays. En aucun endroit, les
autres agglomérations, sauf peut-être
certains sanctuaires ou villes thermales,
n’ont réussi à concurrencer en importance
ces villes gallo-romaines, les seules dotées
d’une administration municipale.
Dès l’époque d’Auguste, les statuts
juridiques des cités ont été unifiés en trois
groupes :
– les habitants des cités pérégrines paient
l’impôt foncier et la capitation (impôt sur la
tête, taxant tous les individus adultes). Un
homme libre d’une cité pérégrine ne peut
pas faire directement du commerce, ne peut
pas plaider en justice, et n’a pas le droit
d’épouser une femme de droit supérieur au
sien (c’est le même cas pour une femme
pérégrine) ;
– les hommes libres des cités de droit
latin ont les mêmes droits civils que les
citoyens romains : droit d’ester en justice,
de faire commerce, d’hériter, et de conclure
un mariage avec quelqu’un qui serait
87
prendre en compte et à renforcer des réalités plus anciennes et déjà profondément
marquées par la romanisation. En dehors de Lyon, Augst et Nyon, dont le rôle était
d’ailleurs de protéger la Narbonnaise et la route de l’Italie, la colonisation sous
César et Auguste concerna donc essentiellement le Midi. Ensuite, les fondations
coloniales se firent plus rares et touchèrent la bordure orientale de la Gaule et
surtout les Germanies : Cologne et Trêve sous Claude, Avenches et Spire sous les
Flaviens, Xanten et Nimègue sous Trajan. Au total, la colonisation a été en Gaule
un phénomène avant tout méridional et oriental, qui a profité à des régions déjà
bien engagées dans le processus d’urbanisation et de romanisation ou à celles dans
lesquelles les armées introduisaient une présence romaine plus forte et plus
constante. Il vaut parler de la répugnance aussi des vétérans à s’installer sous des
climats par trop différents de celui de l’Italie ou le souci de ne pas provoquer le
mécontentement des Gaulois par les confiscations de terres liées à toute déduction.
Certains propriétaires spoliés furent indemnisés par Auguste. A défaut de
déduction, il était toujours possible d’attribuer à une agglomération un titre colonial
honoraire. Mais fallait-il qu’il existât des agglomérations jugées dignes de recevoir
une telle distinction ! Tout se passe en effet comme si Rome avait répugné à
installer des colonies dans des régions dépourvues de tradition urbaine et de
présence militaire, et préféré mettre en œuvre d’autres formes de développement de
la vie urbaine, plus adaptées selon elle aux réalités indigènes.
C’est dans cette perspective que Rome introduisit un changement significatif dans
l’organisation traditionnelle des structures politico-territoriales gauloises,
consistant à mettre en place des cadres inspirés de la cité-Etat : des «
municipalisations ». Chaque civitates reçut une capitale : Augusta Treverorum
(Trêves), Augusta Suessionum (Soissons), Augustamagus (Senlis), Augustoritum
(Limoges), Juliomagus (Angers), Caesarodunum (Tours), etc. Il faut noter qu’ainsi,
malgré ses efforts, Rome ne put venir à bout des habitudes centrifuges des Gaulois
et les communautés qui vivaient dans les civitates continuèrent à jouir d’une grande
autonomie de fait. Il n’en reste pas moins que les nouvelles capitales devinrent
rapidement des centres importants. C’était là que résidaient, pendant une bonne
partie de l’année, les personnalités les plus importantes des civitas, là que s’arrêtait
le gouverneur lors d’une tournée, et que se tenait l’essentiel de la vie politique de la
cité ainsi que les cérémonies locales du culte impérial. Beaucoup de ces villes
reçurent une parure monumentale sur le modèle romain, financée par des fonds
publics ou privés. La « municipalisation » était aussi une monumentalisation, et il
était nécessaire d’inscrire dans la pierre, au centre des nouvelles capitales, les
transformations qu’avaient connues les Gaules : Saintes avec son arc de triomphe
de l’époque tibèrienne, et Autun avec son enceinte datant d’Auguste…
Les communautés de la Gaule connaissaient une grande variété de statuts qui
témoignait de l’inégalité juridique de leurs rapports avec Rome tout en favorisant
une intégration progressive aux structures impériales. Les cités fédérées (Eduens,
Lingons, Rèmes, Carnutes, Helvètes, Voconces et Marseille) bénéficiaient d’une
fiction juridique selon laquelle elles auraient conclu avec Rome un traité postulant
leur indépendance et les plaçant en position d’alliées. Les cités libres (Nerviens,
Trévires, Suessions, Silvanectes, Meldes, Leuques, Bituriges, Arvernes,
Ségusiaves, Santons, Bituriges, Vivisques) bénéficiaient elles aussi de ces
privilèges mais sans que ceux-ci soient garantis par un traité. Les cités stipendiaires
(les plus nombreuses) étaient réputées vaincues et soumises à Rome. Elles devaient
verser le tribut.
Le droit latin ne bénéficiait pas seulement aux élites locales mais apportait aussi
des avantages à tous les citoyens de la cité concernée. Ils pouvaient jouir des
mêmes droits civils que les citoyens romains, qui leur permettait d’épouser un
citoyen (ou citoyenne) et de transmettre ainsi la citoyenneté romaine à leurs
enfants. On comprend à quel point les promotions juridiques ont pu être
recherchées par les habitants de provinces ! Ce droit romain constituait en quelque
sorte une situation intermédiaire avant d’accéder au droit romain sans que cela soit
pourtant automatique.
Les institutions gauloises étaient composées d’une assemblée de citoyens (rôle
consultatif), d’un sénat ou ordre de décurions et de magistrats recrutés sur la base
de critères de moralité et de fortune (au seuil minimal du cens, la richesse foncière
= 10 000 sesterces). Cette garantie de fortune était justifiée, par le fait que les
décurions étaient collectivement responsables, sur leurs biens propres, des impôts
dus à Rome par la cité. D’autre part, l’obtention d’un « honneur » municipal
(décurionat, magistrature ou prêtrise) impliquait pour son titulaire une dépense
tarifée destinée à l’organisation des jeux ou le versement à la cité d’une somme
citoyen romain. Mais ils n’ont pas les droits
politiques. Seules les élites des cités
accèdent à la citoyenneté romaine, pour eux
et leur famille ;
– certaines villes sont devenues des
colonies de droit romain, soit par
installation de vétérans, soit par élévation
de leur statut. Les hommes libres sont à la
fois citoyens de leur cité et citoyens de
Rome, pouvant élire ou être élus aux
magistratures qui composent le cursus
honorum. Le droit romain est assorti
d’importants privilèges fiscaux (puisqu’il
exempte d’impôt direct).
L’ADMINISTRATION URBAINE
Dans toutes les villes, l’administration est
identique : le collège des décurions avait la
responsabilité des affaires publiques. On
n’en connaît pas le nombre exact pour
chacune des villes, mais, à Trèves, ils
étaient plus de 113. Ils forment le corps des
« notables » avec tout ce qu’ils entraînent à
leur suite comme clients et comme
activités. C’est ce collège qui élit les
magistrats annuels : les duumvirs
(successeurs du vergobret, magistrat civil
suprême gaulois qui détenait le pouvoir
exécutif), et au-dessous, deux édiles, deux
questeurs. Chaque cité a aussi ses prêtres,
augures, pontifes.
LE NOM DES VILLES
Pour bien marquer la rupture avec la
période de l’indépendance, les conquérants
ont systématiquement changé les noms des
villes de Gaule. Certaines colonies de droit
romain ont reçu un nom nouveau (17 sur
62), formé sur les noms des fondateurs :
Orange était ainsi la Colonia Firma Julia
Secundanorum Arausio, fondée par César
pour les vétérans de la deuxième légion.
Plusieurs ont un nom mixte, comme
Augustodunum (Autun, fondé sur le nom
de l’empereur Auguste et le nom gaulois de
la colline, -dunum). D’autres sont tout
simplement qualifiées de villes neuves
(Noviodunum). Enfin, la grande majorité,
bien que fondations nouvelles, reçoit des
noms d’origine gauloise, ainsi Mediolanum
Santonum, Saintes, Forum Segusiavorum,
Feurs, Lugdunum, Lyon, ou Lugdunum
Batavorum, Leyde, « colline des corbeaux
» ou « colline de la lumière ». Durant le
Bas-Empire, quelques agglomérations
changèrent de statut juridique du fait de
leur activité administrative et économique
(douane), comme c’est le cas pour le vicus
de Cularo qui devint Gratianopolis (la ville
de l’empereur Gratien, Grenoble).
Certaines villes ont changé de nom au
profit de celui du peuple dont elles étaient
les capitales, ainsi de Lutèce et des Parisii.
CINQ VILLES S’IMPOSENT
Le statut des cités n’a pas de rapport avec
88
équivalente proportionnelle au prestige et à l’importance de la cité qui pouvait
atteindre plusieurs milliers de sesterces. Selon l’usage romain, les magistratures
municipales devinrent collégiales et annuelles selon une hiérarchie à 2 degrés :
* au niveau inférieur, les questeurs et les édiles étaient en charge des domaines
techniques (finances, travaux publics, voirie, construction et entretien des bâtiments
publics, égouts, alimentation en eau, approvisionnement, marchés, jeux etc.)
* au niveau supérieur, 2 magistrats, les duumvirs
La ville était donc au cœur du processus de romanisation mais Rome s’adapta aux
caractères originaux des structures proto-urbaines de la Gaule celtique. C’est ainsi
qu’elle se montra peu soucieuse d’implanter systématiquement des colonies et
choisit au contraire de créer un réseau de centres politiques et administratifs sur la
base préexistante des civitates gauloises avec leur terroir atomisé en pagi et
parsemé de vici. Ainsi elle provoqua l’émergence d’un tissu urbain plus rationnel et
plus hiérarchisé, intégré au réseau routier et aux grands axes de communication de
l’Empire. L’urbanisation, fut progressive et inégale et demeurèrent une empreinte
et une personnalité profondément rurales dans les provinces gauloises.
• La mise en place d’un réseau de communication
C’était aussi l’occasion, pour le conquérant, de réorganiser le réseau urbain en
fonction du réseau routier et des sites de carrefours comme Lugdunum (Lyon),
Lutèce (Paris), Cenabum (Orléans), Caesarodunum (Tours)... Les romains bâtissent
des routes et des ponts pour faciliter le déplacement des armées et animer la vie
économique. Le réseau est dense en Narbonnaise à cause de l’ancienneté de la
conquête et autour de Lyon, mais il est moins dense en Bretagne.
Tous les miles, on place une borne routière de 2 m de haut, des gîtes étapes sont
installés pour la poste impériale.
L’élément essentiel de la romanisation reste la ville, mais y a-t-il eu un plan
d’urbanisation de la Gaule ? Il est certain que les hautes autorités romaines ont
choisi avec soin les sites à développer et les privilèges à octroyer. Les fondations
coloniales ont pour but le contrôle d’un point stratégique. Elles s’accompagnent de
déductions, c'est-à-dire de l’installation de citoyens romains, souvent des vétérans
sur des terres confisquées. Elles se divisent en colonies honoraires et colonies
romaines, comme Arles ou Narbonne. Ces installations développent des oppida
préexistants en Narbonnaise, dans le sud et l’est, mais peu dans l’ouest et le nord,
car les vétérans préfèrent un climat identique au leur et ne veulent pas mécontenter
les Gaulois en confiscant trop de terres. Il s’agit ensuite pour Rome de faire
ressembler les civitates gauloises à une cité-Etat où un centre urbain dirige une
zone rurale. Les civitates sont des territoires vastes avec des centres d’habitats
agglomérés. Les Romains auraient créé une soixantaine de civitates avec une
capitale, souvent patronnée par un empereur, comme Augustomagus, Senlis et
Caesarodunum, Tours. Ces capitales, même si elles n’arrivent pas à diriger tout le
territoire deviennent des centres importants où s’arrêtent les gouverneurs et les
personnalités. Cette municipalisation s’accompagne d’une monumentalisation sur
le modèle de Rome. La variété des statuts des cités n’est que lentement et
incomplètement diminuée.
Un certain nombre de villes gallo-romaines reçut, principalement à l’époque
augustéenne et conjointement, sans doute, à l’octroi de privilèges juridiques, le
droit de construire une enceinte. C’était souvent un cadeau impérial qui
récompensait le bon comportement des habitants de cette cité face au conquérant,
qui savait alors s’en souvenir. Pour les stratèges, ces enceintes sont indéfendables,
à moins de disposer d’une armée innombrable, alors que les villes n’avaient pas,
sauf Lyon, de garnison urbaine (la 13e cohorte, chargée principalement de garder
l’atelier monétaire). Elles semblent avoir été construites principalement dans le but
de frapper l’imaginaire des ruraux : elles soulignent la différence entre les deux
mondes, rural et urbain, le second étant celui que cautionnaient les conquérants, car
l’on sait que les campagnes formèrent longtemps des foyers de conservatisme
gaulois. Certaines villes, pourtant de dignité comparable, n’ont pas, dans l’état
actuel des recherches, bénéficié de ce privilège (Lugdunum). La limite entre la ville
et ses faubourgs est alors à rechercher là où commencent les zones des nécropoles :
un interdit, remontant à la « Loi des XII tables » de Rome, empêchait d’enterrer ou
d’incinérer les morts dans le pomœrium – enceinte sacrée. L’enceinte augustéenne
avait pour but de regrouper, à l’intérieur d’un périmètre sacré, les fonctions
urbaines. Le voyageur découvrait cette richesse en passant, notamment en Gaule
Narbonnaise, sous les arcs de triomphe érigés en l’honneur des empereurs par la
collectivité qui voulait célébrer ses actions militaires (Orange, Carpentras, Glanum,
etc.) et dont les reliefs formaient l’un des atouts de la propagande impériale. Bien
la taille et le nombre de monuments (la
parure monumentale). Si l’on choisit de
classer les villes suivant un ensemble de
critères tels que leur parure monumentale,
leur extension en superficie, le nombre et
l’importance des portes, des arcs de
triomphe, des thermes, l’existence
d’aqueducs, l’organisation administrative,
le nombre d’inscriptions découvertes, on
note la prééminence de cinq d’entre elles
(Lyon, Nîmes, Narbonne, Trèves, Vienne)
très loin devant le très important groupe des
autres.
89
que l’on ne dispose pas de certitudes, il est vraisemblable que, dans quelques cas,
l’enceinte se limitait à ces arcs, portes symboliques des villes dont le
franchissement était comme une action purificatrice.
La ville est donc l’élément central de la romanisation car pour Rome, il est
impossible d’intégrer un territoire qui ne lui ressemble pas. Rome amène donc une
cohérence à l’ « urbanisation » préexistante en Gaule. Il existe des limites. La
Gaule est une vitrine urbaine de la romanisation, les élites locales ont fait
beaucoup, des éléments indigènes traditionnels persistent, les territoires se
développent grâce à leurs propres richesses. Si les Gaulois ne remettent pas en
cause l’Empire, les Romains gardent une crainte vis-à-vis des Gaulois qu’ils jugent
inférieurs aux peuples d’Espagne et d’Afrique. La « terror gallicus » a la vie dure.
Donc, la Gaule appartient bien à l’Empire romain, mais n’a jamais été en
conformité complète avec les valeurs et les signes de la civilisation romaine. Ce qui
est l’originalité du modèle gaulois.
La ville a donc joué un rôle de premier plan dans la romanisation de la Gaule. Et,
comme le dit Paul-Marie Duval, dans La Vie quotidienne en Gaule pendant la Paix
romaine : « Les Gaulois s’étaient vite adaptés aux progrès de la vie urbaine, ils
l’ont pratiquée avec enthousiasme. La ville est alors devenue ce qu’elle est restée
depuis : le véritable foyer de la civilisation occidentale. »
4- La romanisation par le culte impérial
Les dieux indigènes des celtes vont être absorbés par les dieux gréco-romains et les
Romains vont apporter le culte impérial qui n’existait pas chez les celtes. Le culte
impérial est organisé par des collèges de prêtres. Tous les ans, une assemblée a lieu
à Lyon et elle réunit les Gaulois et les Romains dans une même ferveur religieuse.
Les Romains apportent également aux Gaulois les temples, monument religieux par
excellence, qui permet d’enfermer l’exercice de la religion dans un édifice sacré
(Maison carré de Nîmes ou l’arc de triomphe d’Orange). Ce culte permet de
mesurer la loyauté et l’unité des habitants de l’Empire.
Conçu comme l’un des ciments de l’Empire, le culte impérial a bénéficié, dès
l’origine, de la construction de monuments prestigieux situés dans les centres
urbains, près du forum. L’empereur Auguste et son gendre Agrippa ont voulu, pour
l’Empire qu’ils venaient de fonder, un ciment plus fort que la simple force de
l’armée romaine. Pour remplacer les vieux cultes de Jupiter, Junon et Minerve dans
les villes nouvellement fondées, les Romains ont ainsi inventé le culte de Rome et
d’Auguste. On conserve des temples consacrés à ce culte une bonne image dans les
deux exemples encore intacts en Gaule, la Maison carrée de Nîmes et le temple
d’Auguste et de Livie à Vienne, ainsi que dans les nombreuses autres villes où,
bien que détruits, ils ont été découverts par les archéologues (Lyon, Orange, Arles,
Avenches). Toutes les villes et tous les camps romains honoraient ensemble la
déesse Rome, le premier empereur fondateur de l’Empire et l’empereur régnant.
Parallèlement à ce culte « municipal », les trois capitales provinciales (Narbonne,
Lyon, Cologne) s’ornaient d’un sanctuaire fédéral. Même s’il reste méconnu à
Narbonne et Cologne, il peut être bien expliqué par l’exemple lyonnais. Face à la
colonie, sur la pente de la Croix-Rousse, dans un territoire appartenant en commun
aux soixante cités de la Gaule, son emplacement a été bien localisé, notamment par
les restes de l’amphithéâtre offert par le premier prêtre gallo-romain élu à cette
dignité et par la découverte de documents concernant ses « archives », comme la
Table claudienne, même si l’autel lui-même reste encore introuvable. En ces lieux,
tous les ans à la même époque, une fête réunissait les délégués des cités, dans le but
de renouer les liens de fidélité à l’Empire, de verser le tribut dû par les Gaules et de
régler avec le magistrat romain les affaires en souffrance.
Afin de donner au nouveau régime une manifestation religieuse qui soit susceptible
de renforcer d’adhésion au prince, Auguste mit en place un culte public, dédié au
numen de l’empereur. La diffusion de ce culte dans les provinces permettait à
celui-ci d’y établir une sorte de présence et de recevoir de cette manière les
témoignages de loyalisme de ses sujets. Dans les provinces gauloises qui ne furent
plus visitées par les empereurs régnants qu’exceptionnellement, le culte impérial
eut une importance essentielle. Mis en place par Drusus, le beau-fils d’Auguste,
celui-ci transmit alors aux délégués des 3 Provinces réunis pour l’occasion le vœu
de l’empereur de voir chaque année leur assemblée se réunir à cette date pour
célébrer le culte de « Rome et Auguste ». C’est donc à la fondation du culte
impérial que le Conseil des Gaules (Concilium Galliarum) doit son origine, et les 2
institutions furent de ce fait, étroitement liées. Les cérémonies du culte avaient lieu
chaque année au début du mois d’août, dans le cadre d’un vaste sanctuaire qui
90
disposait d’un véritable district fédéral placé au lieu-dit Condate, sur les pentes du
confluent Saône-Rhône, à l’emplacement du site actuel de la Croix-Rousse. On y
accédait par une double rampe qui menait à un amphithéâtre, où se tenaient les
réunions de l’assemblée et les jeux qui l’accompagnaient, et à l’autel des 3 Gaules
proprement dit. C’était un monument de grande taille, entouré de 2 colonnes
surmontées de victoires porteuses de couronnes. D’après Strabon, l’autel portait
une inscription énumérant les 60 cités gauloises, qui étaient représentées aussi par
des statues. C’était donc ce vaste complexe public et religieux, qui comprenait
également des jardins, des thermes et des bâtiments de réception, qui accueillait
chaque année les délégués des 3 Gaules venus célébrer le culte de l’empereur.
C’étaient des notables de haut rang, choisis parmi les membres les plus influents et
les plus expérimentés des assemblées municipales. Le Conseil des Gaules avait
pour mission de désigner parmi ses membres le sacerdos Romae Ausgusti, qui
devenait pour un an le « prêtre de Rome et d’Auguste » pour les 3 Provinces et qui
en présidait le Conseil. Cette fonction prestigieuse comportait de lourdes charges, à
commencer par le financement des jeux qui avaient lieu au moment de la
célébration du culte et de la réunion du Conseil. Cela nous amène à dire un mot sur
le rôle politique de cette assemblée qui pouvait le cas échéant, émettre un avis sur
la gestion des gouverneurs ou des procurateurs de province. Le ton demeurait
mesuré et les liens étroits qui existaient souvent entre les grands notables et
l’administration provinciale limitaient la portée de plaintes éventuelles. Ainsi, le
culte impérial servit de modèle aux provinces limitrophes et d’autres autels furent
érigés un peu partout. Il faut souligner un visage particulier de la romanisation
religieuse qui est la lutte contre les Druides. Ceux-ci furent soupçonnés d’avoir
joué un rôle important dans les révoltes du 21 et de 68-70, mais d’une manière
générale, c’était autant la puissance de leur cure sacerdotale que le caractère
sauvage de leurs rites que la puissance romaine souhaitait supprimer. Auguste puis
Tibère prirent un certain nombre de mesures, parmi lesquelles l’interdiction des
sacrifices humains, et défendirent aux citoyens romains de participer à des
cérémonies rituelles. Claude ensuite parvint à réduire le druidisme à la clandestinité
et par la conquête de la Bretagne le priva d’un précieux refuge.
5- La civilisation gallo-romaine
Au IIème siècle, la Gaule romaine connaît une période paix et de prospérité, la pax
romana. Ainsi naît une nouvelle civilisation : la civilisation gallo-romaine. Cette
expression montre la spécificité de la romanisation de la Gaule par rapport aux
autres pays conquis par Rome : les Romains empruntent aux Gaulois leurs
inventions dans l’artisanat et dans l’agriculture et les Gaulois adoptent le mode de
vie que leur proposent les Romains, la langue, l’administration des villes.
6- Les limites de la romanisation
La romanisation a touché plus les villes que les campagnes et plus le sud et l’est de
la Gaule. Elle a concerné essentiellement certains secteurs comme l’armée, où l’on
utilise le latin, l’administration… Les populations des campagnes ont conservé plus
longtemps leurs coutumes celtiques, notamment dans le domaine religieux.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Une nouvelle culture romaine s’est ouverte aux Gaulois. Mais sa découverte
et son acquisition n’ont pas été égales pour tous. L’ancienne aristocratie
gauloise, les détenteurs des charges administratives, les habitants des villes s’y
plongèrent littéralement. Les paysans, en revanche, n’en virent longtemps que
des effets très lointains. Il serait faux d’affirmer que les Gaulois ont tout
appris des Romains. Mais on aurait pareillement tort de minimiser les
enseignements de ces derniers. Les Celtes de Gaule ont changé leurs
manières de vivre, peu à peu, mais irrémédiablement. La population a
largement découvert quelque chose qu’elle ignorait pratiquement, le loisir.
Ce dernier a ouvert pour tous des perspectives insoupçonnées : l’accès - passif
ou actif - à des expressions artistiques (nouvelles), la course aux honneurs et à
une véritable carrière politique, la participation aux affaires religieuses, la
consommation sous des formes proches de la nôtre. Contrairement à l’idée
reçue, ces apprentissages n’ont pas été subits ni brutaux : engagés bien avant la
conquête militaire, ils durent s’exercer pendant des décennies pour produire une
nouvelle forme de civilisation
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
91
HA – L'empire romain et les chrétiens
Approche scientifique
Approche didactique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long,
Insertion dans les programmes (avant, après) :
amplitude spatiale) :
Le contexte spatial, politique et religieux est connu
Rappeler que la première persécution concerne…Jésus.
des élèves qui ont travaillé sur le judaïsme et sur
Il est essentiel de faire comprendre pourquoi les Romains, d'ordinaire
l’Empire romain : cet arrière-plan doit être ici
tolérants envers les autres religions, ne le sont pas envers le christianisme, réinvesti.
ce qui entraîne les persécutions.
Le pouvoir romain au Ier s. est confronté à la percée des religions
orientales mais aussi à la montée de l’indifférence en matière religieuse
alors qu'il cherche à développer le culte impérial. Traditionnellement
ouvert aux religions étrangères, il perçoit d'abord les chrétiens, dont les
communautés s'implantent en Asie Mineure, en Grèce et en Italie, comme
des Juifs et tolère leur monothéisme. En 64, néanmoins, Rome déclenche
contre les chrétiens une première vague de persécutions. Pendant près de
trois siècles les chrétiens vivent sous la menace de persécutions
sporadiques ou générales. A la fin du IVe s. cependant, le christianisme
triomphe et les cultes païens sont interdits.
Pourquoi l'Empire romain, après avoir persécuté les chrétiens, est-il
devenu chrétien ? Pour répondre à cette question, il importe d'étudier
l’évolution de son attitude, prudente et épisodiquement persécutrice
jusqu'au milieu du IIIe s., systématiquement hostile aux chrétiens jusqu'au
début du IVe s., tolérante enfin et convaincue au point de faire du
christianisme la religion de l'Empire.
Sources et muséographie :
C’est à partir de la deuxième moitié du IIe siècle et aux siècles suivants que sont rédigés les apologies, les hagiographies et les
martyrologues, en attendant l’âge d’or de la littérature chrétienne au IVe siècle avec les Pères de l’Eglise et les histoires
ecclésiastiques. La première de ces histoires, celle d’Eusèbe de Césarée, rédigée vers de 312, est pour nous une source majeure
sur cette époque. Pourtant ce sont des sources qu’il faut réinterpréter à la lumière des intentions des auteurs, les buts apologétiques
étant toujours primordiaux. De même les sources païennes sont tournées vers la polémique.
L’archéologie n’est pas probante avant les IIIe et IVe siècles : auparavant les lieux de réunion sont des maisons privées et la
présence chrétienne ne modifie en rien l’aspect du paysage urbain. Les documents iconographiques strictement contemporains
(Ier-IVe siècles) sont rares. Le christianisme s’est lentement séparé du judaïsme, qui ne peut pas représenter Dieu. L’art chrétien
apparaît tardivement et fut d’abord un art funéraire, un art des catacombes et des nécropoles.
En ce qui concerne les persécutions, l’historiographie chrétienne s’appuyant sur les hagiographies élaborées à partir du IIe siècle
n’a cessé de dénoncer l’intolérance de Rome. Les historiens modernes s’efforcent depuis quelque temps de retourner ce schéma
du persécuté et du persécuteur pour essayer de comprendre le point de vue des autorités romaines et de définir le délit religieux
dans l’Etat romain.
Ouvrages généraux :
Paul VEYNE, Quand notre monde est devenu chrétien (312-394), Paris, Albin Michel, 2007, 319 pages.
Le christianisme, des origines à Constantin, Simon Claude Mimouni, Pierre Maraval, Collection "Nouvelle Clio", PUF, 2006, 680
pages
Le christianisme, de Constantin à la conquête arabe (IVe siècle-milieu du VIIe siècle), Pierre Maraval, Collection "Nouvelle
Clio", PUF, 2005, 544 pages
Charles PERROT, Jésus et l'histoire, Desclée de Brouwers, 1993 (la référence sur la question historique à propos de Jésus et du
judéo-christianisme des premiers temps)
BASLEZ M.-F., Les Premiers Temps de l’Église, Gallimard, coll. « Folio Histoire », Paris, 2004.
J. Daniélou, L’Église des premiers temps, des origines à la fin du IIIe siècle, Le Seuil, coll. « Points Histoire », Paris, 1985.
M. MESLIN, Le Christianisme dans l'Empire romain, 1970.
Claude LEPELLEY, L'Empire romain et le christianisme, coll. « Questions d'histoire », Flammarion, 1969. (par le directeur, avec
Jean Delumeau, de la collection "Nouvelle Clio", fondée par Robert Boutruche et Paul Lemerle).
J.-M. Mayeur, Ch. et L. Pietri, A. Vauchez, M. Venard, dir., Histoire du christianisme, Desclée, Paris, t. 1 et 2, 1995.
A. Hamman, Les Premiers Chrétiens (95-197), Hachette, coll. « La vie quotidienne », Paris, 1992.
MATTEI P., le Christianisme antique (Ier - Ve siècles), Paris, Ellipses, 2003.
M. Simon et A. Benoit, Le judaïsme et le christianisme antique d’Antiochus Epiphane à Constantin, PUF, coll. « Nouvelle Clio »,
Paris, 1994.
P.-M. Beaude, Premiers chrétiens, premiers martyrs, Gallimard, coll. « Découvertes », Paris, 1993.
A. Grabar, Le premier art chrétien (200-395), Gallimard, coll. « L’univers des formes », Paris, 1966.
P. Prigent, L’art des premiers chrétiens : l’héritage culturel et la foi nouvelle, Desclée de Brouwer, Paris, 1995.
J. Guyon (sous la dir. de), D’un monde à l’autre. Naissance d’une Chrétienté en Provence. IVe-VIe siècles, Musée de l’Arles
antique, Arles, 2002.
Dictionnaire culturel du Christianisme, Cerf-Nathan, Paris, 1994
Aux origines du christianisme, Gallimard, coll. « Folio Histoire », 2000.
R. Nouailhat, La Genèse du christianisme. De Jérusalem à Chalcédoine, CRDP de Franche-Comté/Cerf, coll. «Histoire des
religions », 1997.
92
Pour enseigner les origines de la chrétienté, CRDP Franche-Comté/Basse-Normandie, coll. « Histoire des religions », 1996.
Documentation Photographique et diapos :
Nancy Gauthier, Les premiers siècles chrétiens, Dossier de la Documentation photographique, n° 7028, avril 1995.
Revues :
« Les débuts du christianisme », numéro spécial, H&G, 383, juillet-août 2003
B. Collot, « La Naissance du christianisme : il était une foi », TDC, n° 787, CNDP, janvier 2000.
« Le christianisme primitif », TDC, n° 507, CNDP, Paris, février 1989.
SARTRE M., AZIZA C., MESLIN M., SAFFREY H.-D., GAUTHIER N., CHAUVIN P., « le Mystère Jésus », in L'Histoire
(dossier), n°227, décembre 1998.
P. Chuvin, « Le Christ règne en Méditerranée », L’Histoire, n° 157, juillet-août 1992.
M.-F. Baslez, « Les voyages de saint Paul », L’Histoire, n°26, 1980.
Le Monde de la Bible, Querelles sur la divinité de Jésus, IVe-Ve s, 2002
Carte murale : les voyages de Paul, La Palestine, Jérusalem, Rome, Constantinople sur une carte du monde romain au IVe siècle
Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement
Partie du BO supprimée dans les correspondances
des savoirs, concepts, problématique) :
avec le socle commun : « On présente Jésus dans son
La question de la « naissance et diffusion du christianisme » a été
milieu historique et spirituel, et les Évangiles comme
renouvelée et médiatisée avec le débat sur la laïcité et la demande d’un
la source essentielle des croyances chrétiennes. »
enseignement sur les religions. Cette évocation est à resituer dans le
Volonté donc de se concentrer sur « le fait religieux
contexte actuel : d’une part, laïcisation croissante des sociétés
fondamental qu’est la naissance du christianisme ».
occidentales, d’autre part, regain des communautarismes et tensions
Idem dans les futurs programmes où le repère
géopolitiques autour du fait religieux.
L’évocation des progrès du christianisme et de ses relations avec l’Empire « début de l’ère chrétienne (vie de Jésus) » a été
remplacé par « vers 30 La mort de Jésus » ; ont été
romain offre l’occasion d’aborder la question des rapports entre religion
rajoutées : « Ier siècle Écriture des Évangiles, Début
et État, ainsi que celle de la place des minorités. Ces aspects mettent en
du christianisme » et « 313 Édit de Milan » (« IVe
évidence la dimension civique de certains thèmes abordés à travers cette
siècle ap. J.C. - conversion de Constantin a été
étude.
supprimé)
Attention aux raccourcis simplistes. En caricaturant à peine, Jésus «
Les professeurs d’histoire ne font, sur ce sujet, ni un
répand la Bonne nouvelle », puis ses disciples, et surtout Paul, «
cours de théologie ni de l’exégèse mais un cours
continuent de répandre son message » jusqu’au « triomphe » final au
d’histoire de l’Antiquité. L’histoire des religions est
moment de la reconnaissance comme religion officielle dans l’Empire. Il
une véritable éducation à la tolérance, un des
n’y a donc pas de trace des dissensions internes sur la conversion et le
respect de la Torah entre hellénistes et judéo-chrétiens, ni de la victoire du objectifs fondamentaux de l’école. Connaître les
croyances, les pratiques, les rites et les fêtes du
courant paulinien au IIe siècle. Aucun élément ne permet d’affirmer que
christianisme (comme du judaïsme et de l’islam)
Jésus avait pour ambition de fonder une religion. Le programme de
permet à l’élève de mieux comprendre l’autre et de
seconde (2002) ne mentionne pas le nom de Jésus, ni dans le libellé du
mieux l’accepter. Le phénomène religieux occupe
chapitre sur le christianisme, ni dans le commentaire de ce dernier. Par
une place centrale dans l’histoire des civilisations. Sa
contre - fait significatif - celui-ci contient le nom de Paul de Tarse. Après
connaissance est indispensable pour comprendre le
des siècles d’historiographie chrétienne où la vie de Jésus a été présentée
passé et le présent, visiter un musée, comprendre la
comme une rupture majeure dans l’histoire de l’humanité, plusieurs
littérature, écouter une Passion de Bach ou un
décennies de travaux laïques ont, au contraire, montré que les débuts du
christianisme sont surtout le fruit d’une évolution locale, celle de l’attente Requiem de Mozart. La méthode et la démarche
historiques sont les mêmes que pour toutes les autres
messianique du peuple juif, et d’une autre plus générale au monde
romain, celle de la pénétration des cultes monothéistes d’origine orientale périodes. Les textes religieux (Bible, Évangiles, Dix
Commandements, etc.) sont aussi des documents
: Isis, culte solaire et surtout Mithra dont on a retrouvé un grand nombre
historiques, au même titre que les écrits de Tacite ou
de sanctuaires jusqu’en Gaule. En fait, tout l’environnement
philosophique – issu de la Grèce Classique – et spirituel du monde romain la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
tend vers le culte d’un dieu unique. Avec ou sans Jésus, l’empire romain
Dans les démarches pédagogiques sur le
n’était-il pas en voie de « monothéisation » ? Dans cette approche
christianisme, le « Christ » n’apparaît pas avant la
contextualiste de la question, le personnage central des débuts du
deuxième ou troisième heure de cours sur ce
christianisme est moins Jésus que Paul, car ce dernier, par ses
chapitre, et ce n’est pas la vie de Jésus qui nous
correspondances, fixe le dogme et définit les stratégies de diffusion de la
intéresse, celle-ci a finalement peu d’intérêt en tant
nouvelle religion dans l’Empire, dans un environnement particulièrement
que telle, mais la façon dont les Evangiles la relatent,
difficile. Un problème se pose à partir de la conversion de non-Juifs :
dans le contexte bien spécifique de ce
faut-il exiger des nouveaux convertis qu'ils adoptent la circoncision et les
paléochristianisme du 1er siècle. Comme tout texte
interdits alimentaires, ou, tenant compte de leur origine, leur demander
narratif ou qui se prétend comme tel, les Evangiles
simplement un engagement ? Ces débats agitent de façon récurrente la
nous renseignent davantage sur les préoccupations
première génération des apôtres. Paul prône plutôt la seconde voie mais
des évangélistes que sur les événements qu’ils
sa position est loin d'être acceptée par tous. D’autre part, la datation de
déclarent relater. Ce n’est donc pas « l’individu Jésus
ces « Epîtres » (autour de l’an 50) montre qu’elles sont antérieures à la
» mais « le personnage Christ » qui est à la fois
rédaction des Evangiles (seconde moitié du 1er siècle) et qu’elles les ont
support et vecteur de la foi chrétienne, ce n’est pas la
très probablement influencées. L’apôtre Paul (qui n’avait pas connu
Jésus), au Ier siècle après J.-C., est donc l’artisan privilégié de la diffusion vie du premier mais l’histoire du second qu’il
convient d’étudier, d’où la nécessité pédagogique de
du message chrétien dans l’est du Bassin méditerranéen. « Apôtre des
bien « présenter » les Evangiles : le contexte de
Gentils », il est à la tête de l’effort missionnaire chrétien et entreprend
rédaction, les opinions et intentions des auteurs.
l’évangélisation du monde païen, après s’être d’abord appuyé sur les
93
communautés juives de la Diaspora. La tradition hagiographique connaît
cinq apôtres missionnaires, Pierre, Paul, Thomas, André et Jean. Les
missions de Paul au Ier siècle sont les mieux connues grâce aux épîtres et
aux Actes. Il ne faut cependant pas prendre tous ces récits des voyages de
Paul au pied de la lettre. Outre que l’harmonisation de ces récits avec les
épîtres est loin d’être évidente, la durée nécessaire des déplacements est
peu conciliable avec les parcours décrits. Luc fait monter Paul de
Jérusalem à Rome, la capitale du monde païen et centre de l’oikoumène,
en passant par Antioche, l’Asie Mineure et la Grèce. Il s’agit bien d’un
voyage symbolique, celui du passage de l’évangile des Juifs aux Gentils,
mettant en évidence l’aveuglement des Juifs et l’accueil des païens. Les
notations historiques et géographiques sont subordonnées à ce projet
théologique.
Les persécutions des autorités romaines et les divisions internes de
l’Église ne suffisent pas à freiner les progrès rapides du christianisme, qui
se dote progressivement d’une organisation, de textes, et dont le dogme
est définitivement fixé lors du Concile de Nicée (325).
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art),
supports documentaires et productions graphiques :
Lorsqu’on analyse la diffusion du christianisme, on montre comment le
christianisme s’est séparé du judaïsme et s’est affirmé dans l’Empire
romain, au point d’en devenir la religion officielle. Seul ce second aspect
est traité ici.
I. Persécution et diffusion limitée (Ie - début du IVe s)
Paul (Saul, de son nom hébraïque) est un juif de la Diaspora appartenant à
la secte des Pharisiens. Citoyen romain de langue grecque, né à Tarse en
Cilicie (v. 5-15 ap. J.-C.), ce juif rigoriste emploie le début de sa vie à
lutter avec zèle contre les impies de son peuple et mène notamment des
persécutions violentes contre les chrétiens. Il aurait alors eu une vision de
Jésus alors qu’il était sur le chemin de Damas (vers 33 ?), et se convertit
alors au christianisme. Il met ses talents de prédicateur au service du
message chrétien. À partir de 45, Paul entreprend une série de trois
voyages missionnaires qui se succèdent sur une vingtaine d’années et le
conduisent à Chypre, en Asie mineure (Galatie, Pamphylie, Phrygie,
Cilicie), en Syrie (Antioche a été le point de départ de ses voyages), en
Macédoine et en Grèce. Il ne limite pas sa prédication aux seuls juifs : il
convertit aussi de nombreux païens et contribue à la création de nouvelles
communautés chrétiennes dans tout l’Orient méditerranéen. Arrêté à
Jérusalem, il est emprisonné à Césarée durant deux ans, avant d’être
transféré à Rome pour être jugé par l’empereur. Il y est condamné et
décapité (« privilège » réservé aux citoyens romains), sans doute sous le
règne de Néron (v. 64). L’évangélisation du monde païen, après avoir
suscité des débats au sein de la jeune Église, marque une nouvelle étape
de l’expansion du christianisme, dont les progrès rapides inquiètent les
autorités romaines.
C’est à partir du IIe siècle que le christianisme se définit comme religion
autonome hors du judaïsme et à visée universelle, et au IIIe siècle qu’il
émerge de façon massive dans l’Empire. Les auteurs chrétiens ne sont
dorénavant plus des juifs, mais des païens convertis qui écrivent et
raisonnent dans le monde gréco-romain. Les apologistes du IIe siècle
(Justin, Tatien, Théophile d’Antioche) tentent de faire découvrir le
christianisme dans le cadre mental qui est le leur et polémiquent avec les
païens avec les mêmes outils qu’eux, ceux de la rhétorique. Ils définissent
la place du christianisme dans l’Empire : la « troisième nation » qui doit
transcender les autres dans l’universel tout en restituant les points de
contact et les filiations avec les païens et leur histoire. De la même façon,
du côté des païens, le christianisme est dorénavant identifié hors du
judaïsme. Les premiers auteurs (Tacite, Pline) étaient attentifs aux
troubles que provoquaient les chrétiens puis à la fin du IIe siècle la
polémique est passée au plan philosophique. Ce qui choque dans le
christianisme chez ces intellectuels païens (Lucien, Celse connu par le
Contre Celse d’Origène, Marc-Aurèle) c’est son monothéisme offensif et
exclusiviste, une sorte d’impérialisme religieux, alors que le monothéisme
juif était national et circonscrit à un peuple et que son ancienneté le
Activités, consignes et productions des élèves :
BO actuel : « Des cartes permettent de montrer la
diffusion du christianisme qui, d’abord persécuté,
devient la religion officielle de l’Empire romain. On
peut s’appuyer sur les premiers monuments chrétiens
(catacombes, basilique). »
BO 2nde : « L’étude de la diffusion du christianisme,
religion à vocation universelle, pose les problèmes
essentiels des relations de l'Église et du pouvoir :
comment une religion, dont les adeptes ont été
parfois persécutés, devient une religion tolérée, puis
la religion d'État de l'Empire. Entrées possibles :
l'expansion du christianisme à travers les voyages de
Paul de Tarse, etc. ».
BO futur programme : « Les chrétiens sont abordés
dans le cadre de l’empire romain, au moment où les
textes auxquels ils se réfèrent (lettres de Paul,
Évangiles) sont mis par écrit. L’étude commence par
la contextualisation des débuts du christianisme qui,
issu du judaïsme, se développe dans le monde grec et
romain. Les sources romaines permettent de situer
l’apparition des chrétiens.
Les relations du christianisme et de l’empire romain
sont expliquées : persécution et diffusion limitée (IIe
- début du IVe s), mise en place d’un christianisme
impérial à la faveur de l’arrivée de Constantin au
pouvoir (IVe s), organisation de l’Église (IVe – Ve
s). L’étude est fondée sur des extraits de textes, le
récit d’un épisode des persécutions, la présentation
du rôle de Constantin ou d’un exemple d’art
paléochrétien au choix du professeur. Raconter et
expliquer un épisode de la christianisation de
l’empire romain. Décrire une basilique chrétienne. »
À travers l’étude des premiers monuments chrétiens,
on peut retracer l’histoire du christianisme aux
premiers siècles, de la clandestinité à la
reconnaissance officielle, et mettre en évidence des
rites qui ont traversé les siècles. Les vestiges à
présenter proviennent de différentes régions autour
de la Méditerranée : il est intéressant de le faire
relever aux élèves car cela atteste la diffusion
du christianisme dans l’Empire romain. Ces
documents peuvent d’autre part faire l’objet d’un
travail complémentaire portant sur les symboles
chrétiens (le poisson, la croix, la colombe…)
94
rendait licite.
Pour les autorités, les chrétiens dérangent car ils bousculent l’ordre établi
des cultes, culte impérial et culte civique et les refusent, dans des sociétés
qui ne considéraient aucun culte incompatible avec les autres a priori. Le
judaïsme monothéiste est considéré comme religion licite au titre de
religion nationale alors que le christianisme est déclaré illicite en tant
qu’expression d’une secte intolérante. Les premières persécutions ont
pour but le maintien de l’ordre en punissant les fauteurs de troubles (par
exemple les émeutes provoquées par Paul à Ephèse). Puis le christianisme
devenu identifié, il devient persécuté en tant que tel malgré les
démonstrations de loyalisme politique de la plupart des chrétiens. Il est
d’abord condamné sur ses pratiques comme l’avaient été les associations
dionysiaques par le senatus-consulte de 186 av. J.-C. lors du scandale des
Bacchanales ; assimilé à une association de malfaiteurs, il se voit
reprocher ses réunions secrètes et nocturnes, des détournements de fonds
et des captations d’héritages et même l’anthropophagie. En bref on
reproche surtout aux chrétiens, après leur manque de tolérance, leur
manque de transparence.
Face aux accusations dont sont l’objet les chrétiens dans l’Empire romain
du IIe siècle, les ouvrages de défense du christianisme, appelés «
apologies », se développent. Les plus connues sont celles de Justin (au
milieu du IIe siècle) et de Tertullien (155-v. 225). Ce dernier, écrivain
converti au christianisme, est le plus éloquent des apologistes. Dans son
Apologétique (composé en 197) il veut disculper, aux yeux des autorités,
les chrétiens des crimes dont on les accuse, en montrant en particulier
qu'ils ne sont pas de mauvais citoyens, qu'ils remplissent leurs devoirs
civiques et sont de bons sujets de l'empereur. Le traité Sur la couronne
(décoration militaire romaine) parle particulièrement des problèmes qui se
posent aux soldats : un soldat chrétien peut-il prêter serment de fidélité à
l’empereur ? La réponse est négative, ce qui montre une évolution de la
pensée de Tertullien par rapport à l'Apologétique. Dans un de ces
ouvrages, l’auteur, sans doute un chrétien d’Alexandrie, répond aux
questions sur le christianisme qui lui sont posées par le païen Diognète
(peut-être un personnage fictif). Les chrétiens se différencient peu des
autres habitants de l’Empire, qui connaissent mal leurs pratiques, ce qui
explique les calomnies et les attaques dont les chrétiens sont victimes. Ils
sont accusés d’être de mauvais citoyens parce qu’ils ne participent pas au
culte impérial, de pratiquer l’inceste lors de leur repas parce qu’ils
s’appellent « frères », d’être anthropophages parce qu’ils mangent la chair
et boivent le sang. Le chrétien d’Alexandrie, ville qui possède une forte
communauté chrétienne et juive, constate que « leur genre de vie n’a rien
de singulier ». Pourtant il s’étonne que les juifs leur fassent la guerre et
que les Grecs les persécutent. Selon l’enseignement de Jésus, les chrétiens
aiment tous les hommes. Ils se présentent ici comme des hommes assez
extraordinaires, répondant au mal par le bien, comme « l’âme du monde
».
La persécution de 64 est une conséquence de l’incendie de Rome dont
Néron attribue la responsabilité aux chrétiens. L’empereur fou leur fait
subir le châtiment des incendiaires (cf la BD Murena et L'Histoire
« Voyage dans la Rome de Néron » - Claude Aziza, 05/0007 | n°321) .
Tacite présente le christianisme comme une « détestable superstition »
venue de Judée à Rome où elle a trouvé une « nombreuse clientèle ». La
persécution de Néron ne semble pas avoir été au-delà de Rome. Les deux
premiers siècles n’ont pas connu de persécution générale. Les
persécutions du IIe s. : 112 (Bythinie) et 177-180 (Gaule, Afrique et Asie
Mineure). Souvent inspirées parla pression populaire, hésitantes (Pline
interroge Trajan sur l'attitude à adopter), elles frappent sporadiquement
des chrétiens considérés comme inciviques et étrangers à la communauté.
Pline, gouverneur de Bithynie en Asie Mineure, doit juger des chrétiens
qui ont été dénoncés. Il fait une enquête rigoureuse et condamne certains
accusés à mort. Mais surpris par la quantité d’adeptes de cette religion –
nombreux en Asie Mineure –, il écrit à l’empereur Trajan pour lui
envoyer les résultats de son enquête et lui demander la conduite à tenir.
Les chrétiens vivent paisiblement sous les Antonins au IIe siècle.
Cependant la menace de la persécution est toujours présente puisqu’il
Rappel : M .Sartre, Jésus a-t-il existé ? dans la revue
L’Histoire n° 227 décembre 1998
Croyants ou non-croyants posent invariablement la
même question à l’historien : Jésus a-t-il existé ?
L’historien n’affirme rien sans preuve, mais il sait
que les documents peuvent l’abuser et que ce qu’ils
disent peut n’être que partiellement vrai. La première
difficulté à résoudre est donc celle de sources ;
suffisent-elles à démontrer l’existence de Jésus ? On
dispose d’abord de trois grands ensembles de textes
écrits par des fidèles de Jésus, non de son vivant,
mais au plus tôt une vingtaine d’années après sa
mort.
1. Les quatre Evangiles demeurent la source la plus
consistante. Celui de Marc (qui écrit pour les judéochrétiens romanisés et montre un Jésus humain,
tactile, qui relève) est reconnu comme le plus ancien
bien qu’il ne remonte pas au-delà de 65/70. Luc et
Matthieu sont un peu plus tardifs (vers 80/85). Luc
écrit dans un grec littéraire pour des groupes éduqués
de juifs hellénisés ou des Grecs judaïsés et présente
Jésus comme un exorciste dont la puissance vient de
la seule parole. Matthieu est celui qui connaît le
mieux la Torah et est le seul qui écrit dans une
perspective ecclésiologique où Jésus prend sur lui
nos maladies… L’Evangile de Jean est le plus récent
: il a été écrit vers 95.
2. Les Actes des Apôtres, 75-85, comptent peu
d’éléments biographiques
3. Les Lettres de Paul enfin, rédigées entre 50 et 64
ne donnent que de très rares indications à caractère
biographique.
En dehors de ces textes issus des milieux chrétiens,
on possède encore le témoignage d’un général juif
rallié à Rome, Flavius Josèphe (v. 37-100 ap. J.-C.),
et trois allusions d’auteurs païens du II° siècle.
1. Suétone (La Vie de l’empereur Claude (41-54))
signale que les Juifs de Rome furent expulsés par
Claude en 41-42 ou en 49, parce qu’ils s’agitaient à
l’instigation d’un certain « Chrestos »
2. Tacite (Annales, XV, 44) rapporte la persécution
par Néron, en 64, des chrétiens de Rome et rappelle
que les chrétiens tiennent leur nom d’un certain «
Chrestos » qui fut livré au supplice par Pontius
Pilatus
3. Pline le Jeune en 111-113, décrit les progrès du
christianisme dans sa province dans une lettre de
Pline le Jeune à l’empereur Trajan (v. 111-113).
Aucun des trois ne témoigne de l’existence de Jésus,
mais ils attestent que des individus se réclamaient de
lui, et ceci à Rome dès les années 40.
La rareté des sources romaines concernant Jésus
révèle le peu d’impact qu’eut sa prédication en son
temps. Si Ponce Pilate le fait exécuter, c’est surtout
pour calmer le désordre que le Christ a provoqué à
Jérusalem. Cf aussi l’exécution de Jean-Baptiste.
Confronter deux textes
1. Présentez conjointement les deux textes.
Les deux textes de Celse et de Théophile d’Antioche
traitent tous deux de la place et de l’attitude des
chrétiens au sein de l’empire romain. Celse,
philosophe païen du IIe siècle, dresse, dans cet
extrait tiré de son Discours vrai contre les chrétiens,
95
suffit d’une dénonciation. Les chrétiens dénoncés qui refusaient d’abjurer
étaient condamnés à mort. Dans ses interrogatoires, Pline, qui n’estime
pas les chrétiens et ne les connaît pas, juge leurs pratiques religieuses
irréprochables mais il trouve inadmissible leur refus d’accomplir le
sacrifice en faveur de l’empereur. C’est, selon lui, une attitude subversive.
La réponse de Trajan est déconcertante. Il ne faut pas les rechercher
systématiquement, mais il faut condamner ceux qui persistent à dire qu’ils
sont chrétiens et qui ne sacrifient pas en l’honneur des dieux de l’Empire.
Mais « on ne peut pas instituer une règle générale»; ce n’est pas une
persécution générale. Il faut agir au cas par cas.
Justin s’adresse aux non chrétiens, auxquels il entend expliquer les
pratiques du christianisme. Il s’adresse plus particulièrement, dans ses
Apologies, à l’empereur Antonin le Pieux. Justin décrit les chrétiens
comme respectueux de l’autorité impériale et souligne qu’ils se
soumettent aux impôts exigés par l’empereur. Cependant, il explique que
les chrétiens ne peuvent adorer « que Dieu seul ». Un des principaux
reproches formulés par les autorités romaines contre les chrétiens
concernait leur refus de pratiquer le culte impérial. En refusant de
reconnaître l’empereur comme une divinité (au rôle d’intermédiaire entre
ses sujets et les dieux), ils risquaient donc d’irriter les dieux, d’attirer le
malheur sur l’Empire et semblaient remettre en cause le pouvoir impérial
et donc, par-delà, la cohésion de l’Empire.
On l’a dit, les persécutions s’amplifient avec l’accusation de lèse-majesté
ce qui inclut les menaces sur la sécurité de l’Etat ; le refus de rendre un
culte à l’image impériale relève de ce crime. Mais il ne faut pas non plus
exagérer leur ampleur. Là encore la tradition martyrologique en donne
une vision déformée. Par exemple, les persécutions de Néron et de
Domitien se limitèrent à Rome tandis qu’au même moment en Orient le
christianisme ne fut nullement inquiété et prospéra ; ce sont les
apologistes du IIe siècle qui ont assimilé persécution et tyrannie en
s’inspirant de l’historiographie sénatoriale. Il ne faut pas non plus
exagérer la cruauté des persécutions : les empereurs et les gouverneurs
provinciaux disposaient de toute façon des condamnés pour les jeux de
l’amphithéâtre. Le but était le spectacle, bien entendu, mais aussi
l’exemplarité pour le public.
En fait c’est seulement à certaines périodes du IIIe siècle que la
persécution a été systématique et à grande échelle alors que l’Empire
traverse une crise profonde et manque de disparaître.
Fin IIe s. jusqu'en 249 : méfiance (Septime Sévère interdit en 202 les
conversions au judaïsme et au christianisme), méconnaissance (la police
les assimile à la pègre) et modération (certains chrétiens accèdent au
pouvoir). Le pouvoir romain a tardé à distinguer les chrétiens des Juifs et
n'a pas promulgué de lois antichrétiennes. Les persécutions sont le plus
souvent déclenchées par la population, méfiante à l'égard d’un groupe
dont elle ignore la foi. La cruauté dans les martyrologues est d’abord un
témoignage de la foi. Dans La passion des saintes Perpétue et Félicité par
exemple, le martyr et l’agonie d’un groupe de chrétiens vers 203 en
Afrique est décrit avec beaucoup de détails d’une grande cruauté. Mais
c’est un texte eschatologique : dans un rêve, la sainte voit son combat
contre le diable et Jésus qui l’attend au ciel avec les élus.
Le christianisme répond aux inquiétudes de son époque
Le IIIe siècle est à la fois le siècle des plus fortes persécutions et celui de
l’essor définitif du christianisme devenant une religion de masse. A partir
du règne de Marc-Aurèle et jusqu’à celui de Dioclétien, l’Empire subit
des crises très fortes : guerres et invasions constantes, peste, instabilité du
pouvoir avec des périodes d’anarchie, appauvrissement général et crise
économique, dépérissement de la civilisation urbaine et ruralisation. Dans
ce siècle de crise, les populations connaissent de nouvelles inquiétudes.
De nouvelles formes de religiosité touchent tous les milieux. En ces
temps de guerres, de troubles et d’oppression sociale, les masses se
réfugient dans l’eschatologie. Le syncrétisme peut être sommaire et
irréfléchi et exprime une religiosité multiforme. Celui des élites et des
philosophes tend au monothéisme sous des formes qui vont de la simple
juxtaposition de tous les aspects du dieu suprême à la hiérarchisation de
ses forces. Le syncrétisme de l’époque sévérienne est le fruit d’un esprit
un véritable réquisitoire contre les premiers
chrétiens. Théophile d’Antioche, évêque de la
jeune Église chrétienne et païen converti, fait lui
l’apologie du christianisme dans cet extrait de ses
Livres à Autolycus. Sans doute contemporains, les
deux hommes ont vécu au IIe siècle, période
marquée, dans l’Empire romain, par de régulières
persécutions à l’égard des chrétiens.
2. Quelle est l’opinion de chacun des auteurs sur le
christianisme et le but de chacun de ces textes ?
Celse est violemment hostile au christianisme, qu’il
considère comme une menace pour la cohésion de
l’empire romain, alors que Théophile d’Antioche,
évêque chrétien, prend la défense de sa religion face
aux attaques dont elle l’objet.
3. Comparez un à un les arguments des deux auteurs
pour défendre leur point de vue sur les chrétiens.
Le vocabulaire utilisé dans chacun des deux textes
est révélateur des conceptions antagonistes des deux
auteurs. Celse parle des Chrétiens comme d’une «
race nouvelle d’hommes (…) universellement notés
d’infamie », « se faisant gloire de l’exécration
commune ». Il les qualifie « d’engeance ». Théophile
d’Antioche, lui, associe au christianisme les valeurs
de « tempérance », de « maîtrise de soi », de «
fidélité », de « pureté » ou encore de « sagesse ».
À travers les deux textes, plusieurs types de
reproches formulés contre les Chrétiens apparaissent
:
– leur refus de pratiquer le culte impérial (docs 1 et
2) ;
– leur refus de rendre hommage aux dieux romains ;
– leur vie à l’écart de la société romaine (refus de
prendre part aux « devoirs civils et au service
militaire » et aux « fonctions publiques », ou encore
aux cérémonies romaines) (doc 1) ;
– leur pratique de l’anthropophagie et de «
promiscuités impies » (doc 2).
Théophile d’Antioche confirme et justifie le refus
des chrétiens de se soumettre au culte impérial, tout
en soulignant que le christianisme ne remet pas pour
autant en cause l’obéissance à l’empereur, et qu’il ne
menace donc pas la cohésion de l’Empire. Il rejette
par contre sans ambiguïté les accusations concernant
la pratique de l’anthropophagie ou de rites d’union
sexuelle : les valeurs d’amour et de « tempérance »
prônées par le Christ vont selon lui à l’encontre de
toute pratique de ce genre et il ravale ces accusations
au rang de simples rumeurs calomnieuses. Enfin, de
façon implicite, en insistant sur le caractère pacifique
du dogme chrétien, il rejette a possibilité de toute
action hostile du christianisme à l’encontre de
l’Empire romain. Celse, de son côté, considère qu’en
ne se pliant pas aux devoirs imposés par l’empereur,
en refusant le culte impérial ou en vivant à l’écart du
reste de la société, les chrétiens sont une menace
pour la cohésion de l’Empire et qu’ils peuvent
provoquer sa ruine.
4. Quel est le bilan des connaissances que vous avez
acquises grâce à ces textes sur la vie des chrétiens
dans l’Empire romain au IIe siècle ?
Les chrétiens refusent de prendre part au culte
impérial et aux cérémonies religieuses païennes.
S’ils obéissent à l’empereur et le respectent, ils
refusent de s’acquitter de certaines obligations (ex.
96
de cosmopolitisme, un triomphe des religions orientales et des cultes à
mystères qui visent à comparer et confondre les dieux. L’Empereur
Alexandre Sévère avait regroupé sur son oratoire Apollonios, le Christ,
Abraham, Orphée et Alexandre le Grand (Histoire Auguste, Alexandre
Sévère, 28-30). Puis il tend vers le monothéisme à la fin du siècle avec
l’idée de l’unité d’un Être infini et transcendant. Dans ce cadre,
l’empereur Valérien essaie d’imposer le culte du Sol Invictus. Ces
tendances unitaristes s’accompagnent d’une recherche du salut individuel
; les cultes à mystères (Isis, Mithra, Cybèle…) connaissent alors un
succès grandissant.
À la fin du IIIe siècle, l’école philosophique néo-platonicienne fait la
synthèse païenne de cette théologie qui vise la quête du divin et de
l’éternité et le besoin de transcendance. Ses auteurs (Plotin, Porphyre,
Jamblique) dotent les païens d’un système théologique unitaire pour
combattre le christianisme sur ses propres positions. Vers 270 Porphyre
rédige Contre les chrétiens où il tente de démontrer leur imposture. Dans
ce texte dont il ne reste que des fragments, il s’y montre grand
connaisseur de l’Ecriture, ce qui prouve que les textes chrétiens étaient
dorénavant répandus dans tous les milieux lettrés. L’autre réfutation
célèbre envers les chrétiens est celle de Hiéroclès (Le discours vrai) qui
dénonce l’exclusivisme du christianisme et défend la tendance syncrétiste
païenne ; Jésus doit être vu comme un thaumaturge à l’égal d’Apollonios,
et l’auteur ne nie pas ses miracles mais sa divinité. La critique du
christianisme n’est donc plus celle du IIe siècle qui voyait dans les
chrétiens des ignares. Le christianisme de son côté se sent assez fort pour
refuser le compromis qui proposerait de ne voir dans son dieu qu’une
émanation du dieu suprême. Parallèlement à ces spéculations
théologiques, la production littéraire reprend les mêmes thèmes : la Vie
d’Apollonios de Tyane de Philostrate de Lemnos, une hagiographie
moralisante sur un pythagoricien du Ie siècle, les Oracles chaldéens ou
l’Hermès Trismégiste qui font la part belle au syncrétisme et au
merveilleux nous renseignent sur cet idéal de vie ascétique. Cette époque
de croyances retrouvées est aussi celle de l’astrologie, des sciences
occultes, des miracles et de la fin du positivisme autant chez les païens
que chez les chrétiens qui croient à la présence et à l’influence d’un
monde invisible. De même, dans tous les milieux, cette présence
quotidienne de l’occultisme qui marque la religiosité de l’époque
s’accompagne d’une morale sexuelle renforcée liée à une mise en valeur
de la conjugalité et de la virginité. Dorénavant ce qui fait débat entre les
païens et les chrétiens c’est la vérité de leur choix et non leurs
conceptions du monde qui convergent. Cette seconde spiritualité de
l’Antiquité réunit toute la société dans la croyance dans le salut par un
dieu ou une divinité uniques ou unifiantes.
Durant le IIIe siècle, poussé par cette seconde spiritualité, le christianisme
devient un acteur essentiel de la vie de l’Empire. En tant qu’organisation
de masse, la seule — les cultes orientaux n’ayant jamais eu cette ambition
— il se structure en Eglise, ce qui implique une structure matérielle et un
appareil doctrinal. Il touche tous les milieux, toutes les classes sociales,
toutes les professions. Sa hiérarchie se constitue et sa structure temporelle
accumule un patrimoine et des bâtiments propres qui deviennent visibles
et identifiables. Les rites se précisent et l’Eglise doit définir les points de
la doctrine qui font débat sous la pression des hérésies lors de conciles et
de synodes. Au IIIe siècle et au début du IVe siècle : le montanisme qui
refuse l’alimentation carnée et le mariage, le donatisme qui refuse
l’indulgence aux clercs qui ont apostasié lors des persécutions, le
manichéisme qui explique que le monde est régi par les principes du bien
et du mal, le gnosticisme qui nie l’existence matérielle de Jésus et dévalue
le monde matériel créé par un Dieu mauvais. Et encore le docétisme,
l’encratisme, le sabellianisme qui annoncent les grandes hérésies
trinitaires et christologiques des IVe siècle-Ve siècles. La littérature
chrétienne intègre la culture gréco-romaine en continuant d’approfondir
les outils de la rhétorique et de la philosophie ; Origène et Clément
d’Alexandrie utilisent les réflexions du platonisme. L’universalisme
chrétien a intégré celui de la paideia. Lorsqu’Eusèbe de Césarée rédige
vers 300 sa Chronique universelle, il tente de démontrer l’antériorité de
devoir militaire) et de se joindre à de nombreux
moments de la vie romaine (jeux du cirque…) au
nom de leur dogme. Vivant ainsi à l’écart des moeurs
régnantes de la société romaine, il attirent sur eux la
méfiance et suscitent des rumeurs multiples, qui les
accusent notamment de pratiquer l’anthropophagie et
d’avoir des moeurs dépravées. Ils font l’objet de
persécutions violentes menées par les autorités
romaines. Certains auteurs chrétiens tentent, sans
succès, de mettre un frein à ces persécutions en
faisant dans leurs textes l’Apologie de leur dogme.
5. Pourquoi les chrétiens représentent-ils une
menace, aux yeux de certains Romains, pour l’ordre
intérieur de l’Empire ?
Les communautés chrétiennes du IIe siècle s’attirent
la méfiance des autorités romaines et d’une partie du
peuple en refusant de prendre part aux rituels et
pratiques qui garantissent la cohésion de l’Empire
romain.
Les cimetières chrétiens sont apparus au cours du IIe
siècle. En raison du nombre croissant de chrétiens et
de la pratique de l’inhumation, on creuse des
sépultures souterraines constituées de galeries de
plusieurs kilomètres sur plusieurs étages bordées de
niches, parfois richement décorées, où reposent les
défunts et qui aboutissent à des chambres funéraires.
C’est ce qu’on appelle des « catacombes », du nom
de celle qui était encore seule visible au Moyen Âge,
la catacombe de Saint-Sébastien, au lieu dit ad
catacumbas, « près de la combe ». Les catacombes
de Calixte à Rome s’étendent sur dix kilomètres et
sur quatre étages. Les catacombes apparaissent à
Rome à la fin du IIe siècle et au IIIe siècle. Ce
nouveau mode funéraire touche à la fois les païens,
les juifs et les chrétiens pour diverses raisons y
compris pratiques (le manque de place). Il est parfois
difficile de distinguer les sépultures chrétiennes des
sépultures païennes d’autant plus que les répertoires
iconographiques sont proches et s’influencent
mutuellement. Contrairement à ce que l’on a
longtemps pensé, en aucun cas les catacombes ne
furent des lieux de culte ni des lieux de réunion
clandestins pour les chrétiens persécutés ; elles
furent seulement des lieux de sépulture où les
proches du défunt se réunissaient lors des funérailles
(ou lors de l’anniversaire de sa mort) pour lui rendre
hommage. Aux IVe et Ve siècles le culte des martyrs
entraîne l’extension de ces lieux de sépulture, un
nombre grandissant de chrétiens désirant se faire
enterrer à proximité des corps saints. Le changement
des pratiques funéraires à la fin du Ve siècle
entraînera leur abandon progressif. Avant le IVe
siècle et la « Paix de l’Église », les chrétiens se
réunissent pour célébrer leur culte dans des maisons
privées, et n’ont donc aucun lieu de culte spécifique.
Ces catacombes sont donc parmi les rares lieux où
ont pu être retrouvés des témoignages artistiques
chrétiens antérieurs aux édits de Constantin. Seuls
les chrétiens les plus fortunés avaient les moyens de
faire décorer leur sépulture. On trouve dans ces
catacombes des peintures murales portant sur des
thèmes religieux et, plus tardivement, des
sarcophages sculptés de motifs chrétiens. Les scènes
97
Moïse sur les sagesses païennes. Il reprend aussi, en les assumant, les
curiosités de l’historiographie païenne y compris l’evhémérisme, dans le
souci d’éclairer le passé de l’humanité tout entière. Les mythes païens
eux-mêmes sont mis au service du message évangélique , et l’art chrétien
emprunte aux répertoires iconographiques de la mythologie et réinterprète
les figures du paganisme avant d’inventer progressivement sa propre
iconographie.
Ce ne sont en aucun cas les persécutions qui empêchent un nombre de
plus en plus grand d’adeptes de se convertir. Au contraire, le
christianisme a su les intégrer et les sublimer par le culte des martyrs
(martyria = témoignage). Rares en réalité, elles ne sont systématiques
qu’à la fin du IIIe siècle sous la poussée d’un sursaut national à l’heure
des périls. Les difficultés auxquelles est confronté l'Empire et son
évolution autoritaire sont à l'origine de persécutions plus systématiques.
C'est pour des raisons politiques, parce que leur religion fait d'eux une
menace pour la cohésion de l’Empire que les chrétiens sont persécutés
De 249 à 313 l’Empire procède à des persécutions systématiques et plus
rapprochées :
- Les persécutions de Déce (249-251) : elles répondent au souci d'assurer
l’unanimité nationale face à la menace des invasions barbares en
imposant un sacrifice aux dieux protecteurs de Rome (acte de loyalisme et
de piété). Les autorités obligent tous les habitants de l’Empire à sacrifier
aux dieux et délivrent des certificats de sacrifices.
- Les persécutions sanglantes de Valérien (257-260) interdisent le culte
chrétien et obligent à sacrifier aux dieux traditionnels. Elles répondent à
la nécessité de faire front face à des difficultés multiples : anarchie
militaire, crise économique, épidémies.
- La persécution de Dioclétien (commence par 2 édits 303-304 et s’achève
en 311) : religion chrétienne interdite, édifices et mobiliers du culte
détruits, les livres chrétiens brûlés. Sacrifier est une obligation. Cette
persécution n’empêchera pas le triomphe du christianisme. Il sera porté à
partir de 313 par le pouvoir impérial avec Constantin.
II. Mise en place d’un christianisme impérial à la faveur de l’arrivée de
Constantin au pouvoir (IVe s)
Le christianisme répond aux exigences du pouvoir impérial
Au IIIe siècle, l’Empire a réussi à faire face aux périls mais au prix de
transformations. La monarchie passe du principat au dominat et devient
militaire, absolue et quasi-divine. Cette transformation du pouvoir
impérial se lit dans les pratiques (costume, cérémonial, marques
d’adoration, proskynèse), et dans les représentations (les statues des
empereurs sont dorénavant des colosses qui tiennent en main le sceptre et
le globe, symboles de la puissance universelle). Cet absolutisme
s’accompagne d’une bureaucratie et d’un appareil d’Etat renforcés qui
s’apparentent de plus en plus au début du IVe siècle à une tyrannie fiscale
et financière. L’ancienne aristocratie n’est plus un corps intermédiaire
entre l’Empereur et ses sujets. Elle a été remplacée par une fonction
publique docile et hiérarchisée, investie par le pouvoir impérial. Cette
bureaucratie éloigne encore plus les sujets de leur souverain. Celui-ci
n’est plus adoré à titre individuel mais comme le représentant d’une force
divine qui assure l’unité et la prospérité de l’Empire. Dioclétien a rétabli
l’autorité de l’Etat, c’est Constantin qui lui fournit les cadres idéologiques
en faisant du christianisme la religion officielle de l’Empire. Cet Etat,
cette monarchie absolue, étend son emprise au domaine religieux, faisant
se superposer l’universalisme de l’Empire et l’universalisme de la
nouvelle religion, l’unicité du Dieu transcendant et l’unicité d’un
empereur au-dessus de la commune humanité, épiphanie de la
souveraineté divine.
Le légendaire du triomphe du christianisme donne à Constantin un rôle de
premier plan : l’histoire de l’Eglise retient l’image d’un empereur
fondateur. Sous son règne Eusèbe de Césarée et Lactance élaborent une
véritable théologie politique faisant de l’Empire universel une
préfiguration du royaume de Dieu, et de l’empereur l’apôtre du dehors
dont la royauté est modelée sur celle du Dieu unique. À ce titre,
Constantin préside le premier concile œcuménique (en grec : « qui
qui décorent ces nécropoles souterraines évoquent le
salut offert par Dieu, la communion des fidèles et la
sollicitude de Dieu. Contrairement aux décorations
funéraires païennes de la même époque, elles n’ont
pas pour sujet central la mort, la religion chrétienne
mettant au contraire l’accent sur le triomphe face à la
mort.
Les figures et allégories du paganisme sont reprises
directement dans leur interprétation païenne : les
Dioscures figurent la concorde, le Phénix la
résurrection, le paon dont la chair est réputée
incorruptible l’immortalité… La représentation du
Christ emprunte aux modèles païens elle aussi : on
trouve ainsi le Christ sous la forme du Christ-phénix,
du Christ-Orphée ou du Christ solaire. Le Christ sous
la forme du Bon Pasteur est copié sur un Hermès
criophore, le banquet funéraire est emprunté
directement au modèle païen et l’Orante aux images
de la piété figurant sur les monnaies impériales.
C’est aussi l’occasion d’évoquer la question de la
représentation du Christ dans le premier art chrétien.
Alors que les artistes ne disposaient d’aucun portrait
authentique de ce personnage, de quelles façons ontils choisi de le représenter et quelle signification
peut-on trouver à ce choix ? Comment la figure d’un
Christ barbu s’est-elle finalement imposée ? Dans
l’art des premiers chrétiens, le Christ apparaît
majoritairement sous deux aspects : celui d’un jeune
homme imberbe (souvent dans la posture du Bon
Pasteur) et celui d’un homme barbu, à la longue
chevelure et au visage noble et expressif. Faute de
connaître l’apparence réelle du Christ, il semble que
les artistes aient eu recours à des figures qui
évoquaient, aux yeux de leurs contemporains (et
selon les « canons » de l’iconographie antique),
l’éternité et la sagesse. Figurer Jésus comme un
jeune homme imberbe, presqu’un enfant, c’est «
gommer » l’effet du temps sur le visage de celui que
les chrétiens considéraient comme le « Fils de Dieu
». D’une autre façon, choisir un homme à la barbe et
aux cheveux longs pour figurer le Christ est une
façon de montrer qu’il s’inscrit dans la durée et de
souligner sa sagesse. L’alpha et l’oméga, première et
dernière lettres de l’alphabet grec, symboles du
commencement et de la fin, sont aussi là pour
souligner l’omnipotence attribuée par les chrétiens
au Christ. Enfin, la figure isolée du Christ ne semble
s’être imposée que tardivement, à la fin du IIIe siècle
et surtout au IVe siècle dans l’art chrétien. Les
premières représentations chrétiennes se sont donc
construites par l’assimilation partielle des thèmes et
figures de l’iconographie contemporaine, païenne ou
officielle. Cependant, tout en se nourrissant de
l’iconographie de leur temps, les artistes chrétiens
ont peu à peu mis en place leurs thématiques propres,
leurs codes et, finalement, une iconographie
spécifique qui s’est peu à peu émancipée des images
païennes.
Le poisson, l’agneau et le chrisme sont des symboles
qui font directement référence à Jésus : ce sont des
symboles christologiques. De nombreux objets
quotidiens (bagues, coupes, verres…) ornés de ces
98
concerne l’ensemble du monde habité »). Tout au long du IVe siècle, le
pouvoir impérial resserre son emprise dans le domaine religieux :
intervention dans la théologie et législation répressive contre les hérésies,
le judaïsme et le paganisme. Cette tendance amène en Orient au
césaropapisme où le religieux est subordonné au politique. La situation en
Occident est différente avec les invasions barbares et la chute de Rome
au Ve siècle : dans le domaine latin Augustin pose les bases d’une
distinction entre la cité de Dieu et la cité des hommes.
Constantin (empereur de 306 à 337) entretient avec la religion chrétienne
des rapports qui demeurent ambigus : adepte du culte d’Hercule, puis de
Sol Invictus, il pratique d’abord une sorte de déisme mal défini fondé sur
la croyance en un Dieu unique, qu’il partage donc avec les chrétiens. Ses
convictions l’ont sans doute poussé à promouvoir la liberté de culte pour
tous. Si la tradition veut qu’il ait reçu une révélation brutale à la veille de
la bataille du pont Milvius (312) et se soit brutalement converti au
christianisme, ce n’est que sur son lit de mort qu’il s’est fait baptiser et est
donc devenu officiellement chrétien. Certains historiens estiment que son
ralliement au christianisme relevait plus de l’opportunisme politique (le
parti chrétien l’emportant alors largement dans l’Empire) que de la
conviction religieuse. En 313, Constantin règne en Occident et Licinius
en Orient. Les deux empereurs se rencontrent à Milan. Ils accordent la
liberté de conscience et la liberté pour tous les cultes, dont le
christianisme. Contrairement à son nom, ce texte n’est pas un édit mais un
mandatum, c’est-à-dire une circulaire envoyée aux gouverneurs. On sait
par Lactance qu’un exemplaire est envoyé au gouverneur de Bithynie, et
par Eusèbe de Césarée qu’un autre est envoyé au gouverneur de Palestine
; cet édit concerne toutes les religions et pas seulement le christianisme.
La religion des chrétiens n’est plus illicite et les persécutions sont
interdites. Constantin justifie la liberté accordée aux chrétiens par le fait
que l’Empire a besoin de leurs prières. Il continue d’assurer la charge de
Pontifex Maximus (Grand Pontife) et ne légifère contre le paganisme que
tardivement. Il tente sans succès de proscrire les jeux du cirque. La
religion traditionnelle, bien qu’en perte de vitesse, est encore bien
enracinée, même en Orient. Cependant, la législation lui devient de plus
en plus défavorable. Constantin interdit certaines pratiques comme la
magie et l’haruspicine, c’est-à-dire la divination par consultation des
entrailles des animaux. Il ne modifie ni la politique, ni la législation à
l’égard des juifs. Licinius et Constantin ne tardent pas à s’opposer et
Licinius s’en prend aux chrétiens mais il est battu et assassiné. Constantin
reste le seul empereur en 324 et décide de demeurer en Orient où il fonde
une nouvelle capitale, Constantinople. Constantinople est la capitale des
chrétiens de culture grecque, plus nombreux que ceux d’Occident, et se
présente comme « la deuxième Rome ». Les monnaies et médailles à
l’effigie de Constantin commencent à arborer des symboles chrétiens à
partir de 312-320 : le chrisme d’abord, puis le labarum (étendard orné du
chrisme). Constantin intervient dans les affaires de l’Église. Il arbitre les
querelles religieuses. L’Église chrétienne du IVe siècle apparaît
profondément divisée. Eusèbe, évêque de Césarée, est le premier historien
de l’Église. Il a rédigé en grec une Histoire ecclésiastique. Dans les
Martyrs de la Palestine, il raconte la persécution de Dioclétien (303- 310).
Eusèbe de Césarée évoque des persécutions en Phrygie, en Mésopotamie,
en Syrie (Antioche), à Alexandrie, dans la région du Pont Euxin (Mer
Noire). On reproche aux chrétiens de refuser de renier leur foi et de ne pas
sacrifier aux idoles païennes. Eusèbe est un des évêques les plus réputés
de son temps et a la faveur de Constantin. En 325, il prononce un
panégyrique en l’honneur de ses vingt ans de règne. Pour Eusèbe de
Césarée et la majorité des chrétiens, la liberté religieuse était inespérée.
Les chrétiens acceptent alors le caractère sacré de l’empereur qu’ils
considèrent comme leur chef. Il devient « égal des apôtres » et Constantin
se proclame « évêque du dehors ». L’empereur donne aux chrétiens des
bâtiments officiels (basiliques) pour célébrer le culte. Il fait des dons
importants aux évêques. Le clergé obtient des privilèges juridiques. En
321, Constantin décide que le dies soli (le dimanche) est férié.
Paul VEYNE, Quand notre monde est devenu chrétien (312-394), Albin
Michel, 2007 : la figure de Constantin tient une place centrale dans
symboles chrétiens ont été retrouvés par les
archéologues : ils témoignent de la vigueur de la foi
des premiers chrétiens. Le poisson, chez les
chrétiens, = (ICHTUS, en grec : chaque lettre du
mot, prise comme initiale, permet de former
l’expression « Jésus Christ, Fils de Dieu, Sauveur »)
peut aussi (tout en restant un symbole
christologique), être associé symboliquement à
l’Eucharistie, puisqu’il représente lui-même une
nourriture. Vivant dans l’eau, il peut aussi être
associé au symbolisme du baptême. Représenté avec
un vaisseau sur le dos, il symbolise le Christ et son
Église. L’agneau est, lui, généralement, symbole de
renouveau, de triomphe de la vie sur la mort. Pour
les Hébreux (sacrifice d’Abraham) et pour les
chrétiens, il est la victime sacrificielle associée au
renouveau : Isaïe associe dans sa prophétie l’image
du messie souffrant à celle d’un agneau mené à
l’abattoir. Le concile de Constantinople de 692
ordonna de ne plus représenter le Christ sous la
forme d’un agneau, mais sous les traits d’un homme.
Le chrisme, enfin, autre symbole christologique, est
souvent assimilé, par sa forme (six rayons souvent
englobés dans un cercle), à un symbole solaire ou
cosmique. On peut aussi penser qu’il figure l’axe du
monde au-dessus duquel s’élève le soleil (la boucle
du « r » grec). Le chrisme figurait sur le labarum,
étendard impérial de Constantin (qui apparaît sur les
monnaies à partir de 325). Y était figuré le portrait
de l’empereur surmonté d’une couronne d’or ornée
d’un chrisme. L’iconographie chrétienne utilise aussi
d’autres symboles. Ainsi l’ancre, symbole de fermeté
et de fidélité, apparaît dans les représentations
chrétiennes : elle symbolise pour les chrétiens le
salut et est associée au symbole de la croix (sa forme
s’y apparentant). Le dauphin, sauveur des naufragés,
associé à l’ancre, revêt pour les chrétiens la même
signification que le poisson. La représentation du
Bon Pasteur est aussi fréquemment utilisée par les
premiers chrétiens, qui y voient un symbole
christologique (« Je suis le Bon Pasteur, le Bon
Pasteur donne sa vie pour ses brebis », Jean, 10). La
croix telle que nous la connaissons est symbole de
victoire sur la mort et fait allusion à la crucifixion.
Ce n’est qu’à la fin du IVe siècle qu’apparaît la
représentation du Christ crucifié (bannie jusqu’alors
comme l’image d’un supplice dégradant, réservé à
des esclaves ou des étrangers, indigne du Fils de
Dieu). Jusqu'au milieu du XIe siècle, le Christ en
croix est vivant et triomphant, puis à partir de cette
époque, on ose le représenter mort, les yeux clos et la
tête baissée retombant sur l'épaule. Ces symboles
mettent à la fois en évidence les valeurs qui sont au
centre du message chrétien (paix, réconciliation,
renouveau, bonté) et le rôle central dans cette
religion de la personnalité de Jésus, Fils de Dieu aux
yeux des chrétiens. L’agneau, symbole du Christ, et
la croix chrétienne, symbole de résurrection, sont
présents sur le sarcophage de Valentinien III
(empereur d’Occident de 425 à 455), empereur
romain, confirmant ainsi le lien désormais officiel
entre l’Empire et la religion chrétienne.
Les fonts baptismaux étaient une sorte de bassin en
pierre, parfois recouverts de mosaïques et en forme
99
l’ouvrage. Veyne insiste sur les dernières évolutions de la
recherche sur ce personnage réfutant l’idée d’une personnalité
opportuniste. Constantin est décrit, source à l’appui, comme un homme
qui voit grand et qui est convaincu d’avoir été choisi pour prendre la tête
d’une nouvelle grande épopée. Revenant sur la chronologie du triomphe
de Constantin il insiste sur la réelle nature de l’Edit de Milan qui est
davantage un compromis entre christianisme et paganisme que l’acte de
triomphe du christianisme. P. Veyne souligne le renversement qui s’opère
avec la croyance chrétienne : alors qu’un païen était content de ses dieux
quand il avait obtenu ce qu’il voulait d’eux, un chrétien faisait en sorte,
lui, que son Dieu soit content de lui. Mais Constantin a pris un grand soin
à ne pas se mettre à dos les païens (tout en méprisant leurs croyances) : il
se veut avant tout un pacificateur de l’Empire. Cela ne l’empêche pas
dans sa sphère personnelle de favoriser les chrétiens. L’Eglise passant
ainsi d’un statut de « secte » prohibée à celui de « secte » installée dans
l’Etat. A la question pourquoi une telle conversion, Paul Veyne reprend
les propos d’Hélène MONSACRE : à celui qui voulait être un grand
empereur il fallait un dieu grand, gigantesque et aimant.
Paul Veyne rejette l’idée que le christianisme aurait seulement répondu à
une angoisse du siècle par la promesse d’une immortalité de l’âme. Dans
ce cas la religion ne serait qu’une parade face à la peur de la mort or pour
lui la religion est une catégorie pleine et entière qui ne peut se limiter à
une réponse rassurante. Pour lui les conversions sont dues à la découverte
par le néophyte d’un vaste projet divin dont l’homme est le destinataire :
on sait maintenant d’où on vient et où on va. Le monde n’est plus peuplé
de deux espèces vivantes qui se font face (les Dieux et les hommes) :
désormais Dieu englobe tout ce monde en son immense amour. Pour Paul
Veyne c’est donc à sa grande originalité que le christianisme doit son
succès.
Les décisions impériales ont été rassemblées dans des recueils de codes.
Le Code théodosien est l’un des plus importants avec le Code justinien
(VIe siècle). Théodose Ier (379-395) est le dernier empereur à régner sur
l’ensemble du monde romain. Par l’édit de Thessalonique (380),
l’empereur Théodose impose l’orthodoxie catholique définie à Nicée
(respect du dogme de la Trinité) aux sujets de son Empire. Il précise la
définition du dogme de la Trinité et dénonce les adeptes de l’arianisme
comme hérétiques. Il décrète qu’ils doivent être pourchassés et châtiés.
Théodose reconnaît aussi dans cet édit, pour la première fois, la primauté
romaine (le texte évoque le rôle central du « divin Pierre Apôtre ») dans
l’Église chrétienne, et renonce à son titre de « grand pontife ». Romain
occidental d’origine espagnole, Théodose, par ailleurs nommé empereur
par l’empereur d’Occident Gratien, assure l’unité religieuse de son
Empire en donnant logiquement la primauté au Pape, primat d’Occident.
Le christianisme coïncide donc désormais dans l’Empire, selon cet édit,
avec le catholicisme orthodoxe tel que défini à Nicée et son destin est
confié aux décisions du Pape. Les religions païennes ne sont pas visées
par cet édit.
En 391, le pouvoir est partagé entre Théodose en Orient et son beau-frère
en Occident. Ce dernier est flanqué d’un roitelet germain Arbogast qui ne
tarde pas à se débarrasser de lui. Ne pouvant directement monter sur le
trône Arbogast place un haut-fonctionnaire : Eugène. Ces événements
donnent des ailes à l’aristocratie païenne très importante au Sénat. Mais
Théodose refuse de reconnaître Eugène. Rome revient sur les dispositions
antipaïennes. En réaction Théodose franchit le pas et le 8 novembre 392 il
interdit le paganisme. C’est donc un conflit politique qui a été l’occasion
d’une révolution religieuse. Le 6 septembre 394 Théodose bat ses
adversaires à la rivière-froide ce qui finalement marque la défaite
irrémédiable du paganisme. Le christianisme devient religion d’Etat.
Théodose impose l’orthodoxie à tous les habitants de l’Empire. Les
païens et les hérétiques sont désormais poursuivis (cultes publics et
privés) et leurs temples détruits. Constantin avait reconnu le christianisme
mais ce n’était qu’une religion parmi d’autres. Désormais toutes les autres
religions sont interdites. Le pouvoir de l’État, jadis lié au paganisme, est
désormais lié au christianisme. La séparation de la religion et de l’État
était inconcevable dans les mentalités de l’époque. De persécuteurs, les
de croix. Ils étaient situés hors de l’église, dans un
bâtiment séparé, le baptistère. Le catéchumène
descendait trois marches, pour recevoir le baptême
par immersion, comme Jésus dans le Jourdain. Le
mot « baptême » vient du grec baptizein et veut dire
« plonger ». Au premier temps du christianisme, on
baptisait aussi bien par immersion que par aspersion.
Dans ce dernier cas, les baptisés recevaient
seulement un peu d’eau sur la tête. Le baptême par
immersion totale a été pratiqué jusqu’au IVe siècle.
Entre le Ve et le XIIIe siècle, en Occident,
l’immersion est seulement partielle. Depuis le XIIIe
siècle, on se contente d’un baptême par affusion (de
l’eau est versée
sur la tête du fidèle).
À l’origine, les basiliques ne sont pas des édifices
religieux. Il s’agit de bâtiments civils qui abritent les
activités judiciaires et commerciales sur les forums
romains. De forme rectangulaire, la salle comprend
une nef centrale flanquée de part et d’autre de deux
ou de quatre nefs latérales. Au
bout de la nef centrale se trouvait une abside. Quand
l’empire devient chrétien au ıve siècle, les églises
chrétiennes s’en servent de modèle : les
fidèles se tiennent debout dans la nef et le choeur,
réservé aux prêtres, est situé devant l’abside.
Le christianisme triomphant des IVème-Vème s. a
récupéré nombre de fêtes païennes. La fête de Noël
avait été placée le 25 décembre pour récupérer la fête
de Mithra du solstice d’hiver ; de la même manière
qu’un temps sacré peut être réutilisé par des cultes
différents, un espace sacré connaîtra le même sort ; il
n’est guère de temple antique sur les ruines duquel
on n’ait pas bâti une église. Le plus bel exemple,
parce que l’un des mieux conservé, est sans doute
l’église de San Clemente à Rome, sur le chemin qui
va du Colisée au Latran . A cet emplacement se
trouvait un Mithraeum, un temple de Mithra ; à la fin
du IVème s. on édifia par-dessus, mais sans le
détruire, une église paléochrétienne ; enfin au
XIIème s., on construisit sur les deux précédents
sanctuaires une église où l’on peut toujours voir
parmi les plus belles mosaïques médiévales de
Rome. Les trois bâtiments peuvent encore se visiter.
Quel sanctuaire de Mercure n’a pas été transformé en
église Saint-Michel grâce au rapprochement
fonctionnel qui fut fait entre le dieu et l’archange? ;
la toponymie vendéenne en a même conservé la trace
avec le petit village de Saint-Michel-Mont-Mercure.
Quel temple du Cavalier thrace, cette divinité
balkanique de l’époque gréco-romaine protectrice
des petites gens et grande pourfendeuse de monstres
en tous genres, n’est pas devenu une église dédiée à
Saint-Démétrios ? ; Saint-Démétrios qui n’est autre
que Saint-Georges, le cavalier dragonicide bien
connu. Dernier exemple mais non le moindre, que
cette image d’Isis lactans, Isis allaitant Horus,
christianisée par quelque dévôt chrétien du Fayoum
au IIème s., prototype le plus ancien actuellement
connu des Vierges à l’enfant (ph. Doc. [7]).
Bouclons la boucle. Nous avons dit que l’Épiphanie
correspondait à Noël selon que l’on suivait le
calendrier julien (le monde orthodoxe) ou grégorien
100
païens sont devenus des persécutés. Les autorités soutiennent désormais
l’Église et font construire des basiliques dans les hauts lieux du
christianisme : le Latran et le Vatican à Rome, le Saint-Sépulcre à
Jérusalem, etc. Le christianisme marque alors le paysage urbain avec la
construction d’édifices pour le rassemblement des chrétiens.
III. Organisation de l’Église (IVe – Ve s).
Officialisé et partie intégrante du pouvoir, le christianisme doit se définir,
se normaliser. De nombreuses hérésies divisaient l’Église chrétienne qui
n’avait pas eu l’occasion de mener une réflexion collective sur
l’interprétation des Écritures. Les IVe et Ve siècles sont ceux des grandes
hérésies trinitaires et christologiques à l’occasion desquelles le dogme
doit être défini lors de conciles. L’arianisme prêche la supériorité du Père,
seul Dieu. Le nestorianisme et le monophysisme affirment que le Christ a
une seule nature, pour les premiers surtout humaine, pour les seconds
surtout divine. Le Credo ou symbole de Nicée est rédigé à cette occasion.
Une de ces doctrines, l’arianisme, élaborée vers 320 par Arius, un prêtre
d’Alexandrie, semait particulièrement le trouble dans la communauté
chrétienne. Son point essentiel était la négation de la divinité du Christ.
Selon Arius et ses partisans, le Christ ne possédait qu’une divinité
secondaire ou subordonnée, ce qui remettait donc en cause le principe de
la Trinité. Pour régler la crise arienne, Constantin convoque tous les
évêques de l’Empire à Nicée en Bithynie. C’est le premier concile
oecuménique, mais la majorité des évêques, de culture grecque, venaient
d’Orient. Les évêques rédigèrent cette profession de foi des chrétiens en
s’inspirant de la profession de foi du baptême. La première affirmation
rappelle le monothéisme et concerne le Père : elle est courte parce qu’elle
n’est pas contestée. L’essentiel du Credo concerne Jésus-Christ, le Fils. Il
est de même substance que le Père et n’a pas été créé. Ainsi est affirmée
la parfaite égalité entre le Père et le Fils et les thèses d’Arius sont
condamnées. Le Fils est bien Dieu, vrai Dieu, de même nature que le
Père. Le texte fait ensuite référence à l’incarnation : le Christ a pris un
corps de chair et s’est fait homme. Le Credo rappelle la mort, la
résurrection et l’ascension du Christ. Le Christ est « au ciel », expression
imagée pour désigner le séjour de Dieu hors de la vue des hommes. Il
reviendra lors du Jugement dernier. La troisième affirmation concerne
l’Esprit-Saint : elle est très brève parce que ce point n’est pas à l’ordre du
jour. Le concile de Nicée condamne l’arianisme, mais ne met pas pour
autant un terme définitif à son existence. Le concile permet de rétablir
l’unité de l’Église et de clarifier l’organisation de l’Église en établissant
des règles et principes communs (ex. date de Pâques).
Les conciles œcuméniques sont ceux de Nicée (325) contre l’arianisme,
Constantinople (381) à propos de l’Esprit Saint, Ephèse (431) contre le
nestorianisme et Chalcédoine (451) contre le monophysisme. C’est à
l’occasion du concile d’Ephèse qu’est défini le culte marial. L’Eglise
devenue structure d’Etat, s’organise et encadre la société. La distinction
entre clercs et laïcs commencée au IIIe siècle s’affine, et la hiérarchie
ecclésiastique se met en place, se coulant dans les cadres administratifs de
l’Etat romain. La géographie épiscopale se moule sur celle des cités et des
municipes. Il y a cinq patriarcats : Rome, Jérusalem, Antioche,
Alexandrie et Constantinople. C’est autour des patriarcats orientaux que
se polarisent les conflits doctrinaux. Dès le début Rome affirme sa
primauté, mais Constantinople devenue capitale impériale en 330 est
favorisée par le pouvoir impérial et affirme sa prééminence. Les évêques
sont des fonctionnaires impériaux. L’emprise sur la société se marque
aussi par la christianisation du temps et de l’espace. Dès 321 Constantin
légifère sur le repos dominical puis le calendrier s’étoffe avec les fêtes du
temps pascal et de la nativité. La fixation de la date de Pâques pose
problème jusqu’à nos jours entre les différentes Eglises. La date de Noël a
été calquée sur celle de la fête du Sol Invictus à la fin décembre, les
évangiles ne donnant aucune indication sur une date quelconque. Les
fêtes de Pâques et de la Pentecôte sont à l’origine des fêtes juives, la micarême et les bombances de la période de Noël viennent du paganisme : la
temporalité chrétienne est une prolongation, à peine métamorphosée, de
l’héritage antique. La construction de basiliques marque le paysage urbain
(le monde catholique) et que Noël avait succédé à la
grande fête solaire de la nuit du 24 au 25 décembre,
qui réunissait adeptes de Mithra, d’Osiris, d'HéliosSol et d’Apollon, toutes divinités solaires. C’est là
l’explication de la galette des Rois, figuration
symbolique de l’astre solaire. Ne s’adressait-on pas,
autrefois, en Normandie, au petit enfant (l’enfant-roi
ou l’enfant-soleil) caché sous la table pour dire à qui
l’on donnerait telle ou telle part, en l'interpellant :
Phoebe Domine (Seigneur Phébus, c'est-à-dire
Seigneur Apollon)?
101
en particulier à Constantinople. Ce type de bâtiment était déjà courant
dans l’Antiquité, il s’agissait de salles de réunion ou de marchés couverts.
Mais les besoins de ce culte nouveau qui doit réunir l’assemblée des
fidèles — l’ecclésia qui a donné église — exige ce type d’édifice car le
temple païen n’était que la demeure du dieu. Avec le culte funéraire des
saints se multiplient aussi les martyrions et les pèlerinages.
Ces IVe et Ve siècles sont enfin l’âge d’or de la patristique grecque et
latine. Ces Pères de l’Eglise sont non seulement de grands auteurs dans la
culture gréco-romaine, mais ils la revendiquent définitivement comme
partie intégrante du christianisme. Dans le même temps s’accélère la lutte
contre le paganisme avec l’arrêt des financements puis l’interdiction des
sacrifices, nocturnes en 353, de tous les sacrifices en 392, et pour finir la
fermeture de l’école d’Athènes en 529. A la fin du Ve siècle, il n’y a
presque plus de païens, d’hellènes. Le paganisme ancien est mort de luimême, périmé. En ces Ve et VIe siècles, l’Etat est devenu un
gouvernement des scribes. Les cités disparaissent en Occident avec les
barbares, déjà christianisés pour la plupart, plus lentement en Orient au
VIIe siècle lors de la montée des périls qui marque la fin de la cité antique
et des élites intellectuelles. La renaissance byzantine qui commence à la
fin du VIIIe siècle s’appuie sur l’héritage antique sans en connaître les
conditions matérielles et intellectuelles. Pour une bonne part ce sera
répétition des modèles antiques, de manière sclérosante. C’est dorénavant
le christianisme qui doit porter l’héritage de la civilisation gréco-romaine.
La partie orientale de l’Empire romain est plus intensément christianisée
que la partie occidentale. En effet, le christianisme est d’abord un
phénomène urbain. Les premières communautés se sont développées
autour des synagogues de la diaspora (cf les voyages missionnaires de
saint Paul). En Orient, les grandes Églises du IIe siècle sont : Césarée,
Damas, Antioche, Éphèse, Thessalonique, Corinthe, etc. Quatre des cinq
patriarcats sont situés en Orient (Constantinople, Antioche, Jérusalem et
Alexandrie). En Occident, seules Rome et Carthage sont comparables.
L’Église d’Afrique a été très importante. Parmi les Pères de l’Église, trois
sont africains : Tertullien (apologiste du IIe siècle), Cyprien (évêque de
Carthage et martyr en 285) et surtout Augustin (évêque d’Hippone au IVe
siècle). Les campagnes ne sont évangélisées que plus tardivement, et
souvent de façon imparfaite : moins accessibles pour les missionnaires et
à l’écart des grands centres d’échanges, les populations des campagnes
sont aussi plus attachées aux croyances païennes et donc moins
perméables au message chrétien. Il est à rappeler d’ailleurs que le mot «
païen » a été créé sur la base du latin paganus, qui signifie « paysan ». De
façon générale, les régions qui restent à l’écart du processus de
christianisation sont celles qui se situent à l’écart des grands axes de
transport de l’Empire romain : les ports, les centres d’échanges
commerciaux et les villes situées sur les principales voies romaines sont
au coeur des échanges d’idées et ont donc accès rapidement au message
chrétien, ce qui n’est pas le cas pour les régions plus isolées.
Le monachisme apparaît vers 270, avec la retraite dans le désert égyptien
du premier moine, saint Antoine. Il s'explique par la paix religieuse et par
le désir de certains chrétiens de trouver une autre voie vers la sainteté que
le martyre. L'éloignement du monde permet la rencontre avec Dieu par le
biais d'une épreuve purificatrice, rappelant la tentation de Jésus par le
diable dans le désert. De la forme solitaire des ermites, le monachisme
passe progressivement à la forme cénobitique (vie en communauté) avec
saint Pacôme, également en haute Egypte. Le monachisme se développe
également en Syrie (saint Jérôme et saint Siméon), avant de gagner un
peu plus tard l'Asie Mineure (saint Basile) et l'Afrique du Nord (saint
Augustin). Le premier moine en Gaule fut saint Martin, au IVe s.
Les progrès du christianisme ont été lents en Gaule. La religion
chrétienne semble y avoir été apportée (en même temps que des cultes
orientaux comme celui de Mithra ou d’Isis) à l’origine par des Orientaux
et des Grecs débarqués dans les ports de Provence. Elle semble alors
s’être diffusée d’abord dans les cités de la vallée du Rhône, vallée qui
constituera le premier foyer du christianisme gaulois et qui gardera de
cette époque un rôle longtemps central dans l’organisation de l’Église.
Les documents manquent cependant pour préciser la situation de ces
102
chrétiens, sans doute très peu nombreux jusqu’au IIe siècle. La première
référence qui y est faite date de 177, sous le règne de Marc Aurèle : il
s’agit du récit du martyre subi à Lyon par des chrétiens de cités
rhodaniennes (parmi lesquels sainte Blandine et saint Pothin). La
pénétration du christianisme dans le reste du territoire est plus difficile.
Saint Denis arrive d’Italie vers 250 avec six autres missionnaires pour
évangéliser la Gaule, mais ce n’est réellement qu’au IVe siècle, après
l’édit de Milan (313), que la diffusion du christianisme va s’accélérer et
devenir réellement significative en Gaule. Constantin, qui résidait
régulièrement à Arles, y organise un concile en 314, tandis que saint
Martin de Tours (316-397), « l’apôtre des Gaules », poursuit l’oeuvre
missionnaire de ses prédécesseurs et que basiliques, cathédrales et
baptistères commencent à apparaître dans les cités des Gaules. À la fin du
IVe siècle seulement, toutes les capitales régionales ont été pourvues d’un
évêque. Quand Clovis, roi des Francs, est baptisé vers 496, la
christianisation du territoire est encore bien fragile, et il faut attendre le
VIe siècle pour qu’apparaissent des chapelles rurales attestant d’une
évangélisation en profondeur du territoire.
Les premières communautés de chrétiens, sur le modèle des
communautés juives, sont dirigées par un collège d’anciens (les
presbytres, du grec presbutêros, « plus vieux »). Ils sont assistés par des
diacres (du grec « serviteur »). Au cours des IIe et IIIe siècles se détache
souvent du groupe de presbytres (qui deviendront les prêtres) un
président, fonction qui deviendra celle d’évêque (episcopes, « surveillant
»). Ces communautés de chrétiens se réunissent, pour célébrer leur culte,
dans des maisons privées. Aucun lieu de culte spécifique n’existe donc :
c’est seulement à la fi n du IIe siècle qu’apparaissent dans les sources la
trace d’édifices réservés au culte chrétien. Les chrétiens priaient debout,
les mains ouvertes et les bras tendus vers le ciel comme les juifs et les
païens.
Justin (v. 100-166) écrit une Apologie qu’il adresse à l’empereur Antonin
pour répondre aux attaques de ceux qui suspectent les chrétiens
d’immoralité. Son témoignage permet de voir l’évolution qui s’est
accomplie depuis les repas des premiers chrétiens, où la fraction du pain
et la bénédiction du vin constituaient l’essentiel du culte. Le dimanche,
les chrétiens se réunissent, lisent des textes de l’Ancien et du Nouveau
Testament. L’évêque les explique : c’est l’homélie. Après les prières, le
pain et le vin sont bénis en reprenant les paroles de Jésus lors de la Cène.
Ce rite fondamental du culte chrétien s’est appelé au Ier siècle « fraction
du pain », puis « eucharistie » au IIe siècle et « messe » au Ve siècle. Les
diacres qui assistent les prêtres apportent le pain consacré aux absents et
aux malades. Le dimanche est « le jour du Seigneur », terme qui remplace
celui de « jour du soleil », employé par les païens. Ce jour a été choisi par
les chrétiens pour commémorer le jour de Pâques et, au IIe siècle, il a
remplacé le shabbat juif, célébré le samedi.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Le christianisme est le fruit de trois universels emboîtés : le monothéisme
juif, création tardive et incomplète du second Temple, la paideia de la cité
grecque qui conquiert le monde avec Alexandre, et l’Empire romain dont
la domination politique se veut œcuménique . Il est le fruit des conditions
historiques de son élaboration. Le judaïsme du second Temple invente
l’eschatologie apocalyptique et le messianisme dans un contexte de crise
politique et culturelle. Le proto-christianisme rejeté par le judaïsme
s’ouvre aux Gentils et se proclame universel. Les populations de l’Empire
romain étaient sensibilisées au monothéisme et à la transcendance avant
même leur conversion au christianisme, mais ce dernier avait un appareil
théologique et idéologique plus complet que les sectes orientales et
philosophiques concurrentes. Enfin l’appareil d’Etat, sortant de la crise du
IIIe siècle, s’est servi de cet appareil idéologique et l’a utilisé à son profit.
C’est de ces trois éléments que naît au IVe siècle cette civilisation
originale, celle de l’Antiquité tardive dont l’héritage est recueilli par le
christianisme.
Suspectés de menacer l’ordre de l’Empire romain, les premiers chrétiens
subissent, jusqu’au IIIe siècle, une série de persécutions menées sous
l’égide des autorités politiques. Elles n’entravent cependant en rien
Evaluation cohérente en fonction des objectifs :
103
l’expansion de la foi chrétienne au sein du bassin méditerranéen. On a un
retournement de situation radical qui s’est produit entre le IIe et le IVe
siècle dans les relations entre l’Empire romain et la religion
chrétienne. Aux Ier et IIe siècles, l’Empire romain persécute avec férocité
les premiers chrétiens, minoritaires. En 380, l’édit de Thessalonique
témoigne de la place centrale désormais acquise par le christianisme au
sein de l’Empire : l’empereur Théodose indique que tous ceux qui
n’obéissent pas à l’orthodoxie catholique définie à Nicée doivent être
persécutés. Le christianisme, désormais dominant, bien organisé sous la
tutelle de l’empereur, mène à son tour des persécutions religieuses contre
les hérétiques. Les édits de Théodose de 391-392 parachèveront cette
évolution en faisant de la religion chrétienne la religion officielle de
l’Empire romain et en interdisant le paganisme.
Comment expliquer l’expansion puis le triomphe du christianisme entre le
Ier et le IVe siècle ? Il convient d’abord de montrer les difficultés
auxquelles le christianisme est confronté à ses débuts : ses divisions
(spatiales et doctrinales), la concurrence des autres religions, l’hostilité de
la foule et des empereurs qui le perçoivent comme une menace pour
l’unité de l’empire, favorisant malgré eux son expansion par le culte des
martyrs. Il convient ensuite de montrer les facteurs qui ont permis son
expansion : la promesse du salut pour tous, l’organisation et la
hiérarchisation de l’Église, sa diffusion dans toutes les couches sociales
des villes de l’empire. Enfin, en devenant un élément de cohésion de
l’empire, la christianisation est soutenue, à partir du IVe siècle, par
l’empereur et se consolide par la fixation du dogme et l’interdiction du
paganisme. En conclusion, il convient de nuancer ce triomphe en
montrant d’une part que le christianisme ne s’est guère diffusé dans les
campagnes encore païennes au ıve siècle, et d’autre part qu’il court
désormais le risque d’être soumis au pouvoir de l’empereur.
Entre le Ier et le IVe s., l'attitude du pouvoir romain à l'égard des
chrétiens a considérablement évolué : il les a persécutés, puis tolérés et a
fini par persécuter les non-chrétiens au nom d'un christianisme devenu
religion officielle. Cette évolution s'explique largement par les problèmes
auxquels a été confronté l'Empire entre le IIIe et IVe s. : invasions
barbares, crises économiques, montée en puissance de l'Empire sassanide.
Par son caractère exclusif, par son organisation, le christianisme pouvait
apporter à l'Empire les principes et les moyens capables d'assurer sa
cohésion et sa pérennité. Pour les chrétiens, le changement de statut
impliquait une révision de leurs relations avec l'État romain : ce fut la
tâche des Pères de l'Église.
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