Yannick Lécuyer 737
qui découle logiquement de l’exercice de certaines libertés –
notamment telles qu’elles découlent de l’application de l’article 8
de la Convention en matière sexuelle – ne nous semble pas tota-
lement rédhibitoire. Il s’agit plus d’un problème culturel que cul-
tuel. L’obstacle de l’individualisme s’avère plus insurmontable. En
effet, en islam, l’individu ou l’homme n’est pas un sujet de valeur,
c’est le collectif qui prime, le corps, la Oumma. Le culte musulman
ne connaît pas «la personne humaine kantienne existant en soi et
pour soi autonome» (7). Or la Convention de 1950 et ses protocoles
additionnels se veulent avant tout un outil de protection et de
sauvegarde des droits individuels. La rédaction actuelle de la Con-
vention ne consacre même pas «de manière évidente les droits des
destinataires collectifs» (8).
Plus qu’une incompatibilité intégrale entre l’islam et les droits de
l’homme – tels qu’ils ressortent entre autres de la jurisprudence de
la Cour européenne des droits de l’homme – il est préférable d’évo-
quer des incompatibilités structurelles ou ponctuelles. On notera
ainsi que certains éléments de l’islam sont difficilement solubles
dans le principe de non-discrimination, que l’on trouve énoncé à
l’article 14 de la Convention européenne. Incidemment, on trouve
une autre contradiction centrée sur la notion d’unité. Les droits de
l’homme sont un concept unitaire qui répond au «défi de l’unité de
la race humaine» (9). Or l’islam de son côté comporte une multipli-
cité de dignités qui correspondent elles-mêmes à une multiplicité de
situations sexuelles, confessionnelles. Cela cadre mal avec le principe
d’unicité des droits de l’homme qui irrigue le contentieux européen
des droits de l’homme. Il existe également une tension dans la
notion de libertés et de limitations ou d’ingérences, ces dernières
répondant à l’exigence du principe de légalité dans un cas et de con-
formité à la vérité révélée dans l’autre cas. Enfin, contrairement
aux libertés et droits fondamentaux, l’islam est marqué par une
absence de flexibilité. Alors que les droits de l’homme sont évolutifs
et relativement souples (10), le coran est jugé comme une œuvre
(7) H. Abdelhamid, Universalité des droits de l’homme et spécificités arabo-musul-
manes, Le Caire, Dar al Nahda al arabia, 2004, p. 96.
(8) J.-M. Larralde, «La Convention européenne des droits de l’homme et la pro-
tection des groupes particuliers», Rev. trim. dr. h., 2003, n° 56, p. 1255.
(9) R. Cassin, «L’Homme, sujet du droit international et la protection des droits
de l’Homme dans la société universelle», La technique et les principes du droit public :
études en l’Honneur de George Scelle, t. 1, Paris, L.G.D.J., 1950, p. 81.
(10) Cour eur. dr. h., Airey c. Irlande, 9 octobre 1979, Rec. A29, F. Teitgen, Peti-
tes affiches, 1998, n° 76, pp. 47-50; G.A.C.E.D.H., 2ème éd., Paris, P.U.F., 2004, p. 17;
§26 : «la Convention doit se lire à la lumière des conditions de vie d’aujourd’hui».