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Valorisation de la séquestration du carbone et gestion forestière
Jean Jacques Malfait (Maître de Conférences)
Guillaume Pajot (ATER, Doctorant)
Sébastien Rouillon (Maître de Conférences)
Université BORDEAUX 4
GRAPE - Centre Environnement Economie Publique UMR-CNRS 5113
Avenue Léon Duguit 33608 PESSAC
malfait@u-bordeaux4.fr
pajot@u-bordeaux4.fr
Résumé :
Les certitudes quant à un réchauffement climatique brutal et préjudiciable à l’humanité sont de
plus en plus fortes. Les forêts en croissance fixent d’importantes quantités de carbone, variables selon les
zones. Ce service assuré par les forêts constitue une externalité dont l’ensemble de la société tire un
bénéfice, mais dont le prix est actuellement nul. Il apparaît néanmoins intéressant de se demander ce qui
se passerait si le carbone constituait à l’avenir un produit de la filière bois. C’est ce que se propose
d’explorer cette communication, au travers de l’introduction d’un système d’incitations économiques
destiné à la prise en compte de production de séquestration de carbone. Une analyse empirique utilisant
les données relatives au pin maritime du 4ième inventaire forestier de la Gironde est réalisée. On discute
des influences du taux d’actualisation, des prix du carbone et de la durée de vie des produits. On montre
l’importance de la valeur sociale du service rendu par les sylviculteurs. On pose la question des
possibilités de mise en place de mécanismes opérationnels de rémunération des sylviculteurs.
Réalisé avec le soutien financier de la Région Aquitaine
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Valorisation de la séquestration du carbone et gestion forestière
L’effet de serre est un phénomène d’origine naturelle. Le rayonnement solaire est absorbé par la
Terre, puis renvoyé vers l’espace sous forme de rayonnement. Une partie de ce rayonnement est absorbée
et réfléchie par les gaz à effet de serre (GES)1
De nombreuses activités humaines nécessitent l’utilisation de combustibles fossiles (charbon,
pétrole, gaz) fortement émetteurs de GES. Ces émissions de GES génèrent un piégeage accru de l’énergie
et cela se traduit par une augmentation de la température à la surface de la terre.
Ces craintes quant à un réchauffement climatique préjudiciable à l’humanité ont suscité de
nombreuses recherches au cours des dernières années2. Bien que la nature du changement climatique
(horizon temporel éloigné, dommages environnementaux etc.) rende difficile toute tentative d’estimation,
les coûts du changement climatique peuvent être appréhendés à l’aide de deux méthodes :
- le changement climatique devrait occasionner pour de nombreux secteurs et à l’échelle mondiale des
coûts. Ces dommages constituent une première approche de l’estimation des coûts du changement
climatique (coûts des dommages) ;
- une autre façon d’aborder le problème consiste à prendre en compte la nécessité de réduire les
émissions de gaz à effet de serre. Des changements technologiques et des systèmes d’incitations
économiques devraient être mis en place pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Ces
changements devraient générer un certain nombre de coûts d’adaptation pour la société ; ces coûts
constituent une seconde approche des coûts du réchauffement climatique (coûts d’évitement).
Une revue de littérature non exhaustive portant sur l’estimation de ces coûts indique une grande disparité
dans les valeurs obtenues, et ce quelque soit la méthode retenue. Avec la première méthode, les
estimations varient selon les auteurs entre 5 et 30$ par tonne de carbone3. L’autre méthode fournit des
valeurs plus importantes, l’idée d’éviter les émissions de carbone par une taxe étant opérationnelle dans
plusieurs pays comme la Suède ou la Norvège. Son montant s’élève dans ces deux pays à près de 150$
par tonne de carbone (Hoën et Solberg, 1997). En Australie, le AGO (Australian Greenhouse Office)
fournit trois estimations pour le prix des futurs permis d’émissions. Celles-ci s’établissent à 30, 100 et
180 euros par tonne de carbone (Enzinger et Jeffs, 2000). La plupart des études internationales s’accorde
sur un échelonnement de valeurs comprises entre 40 et 180 dollars par tonne de carbone (Van Kooten,
2004). L’an dernier, sur le marché européen anticipant la création cette année d’un marché obligatoire, les
permis s’échangeaient en moyenne à des valeurs allant de 30 à 40 euros la tonne4 et c’est autour de ces
valeurs que semblent s’effectuer les premiers échanges sur le marché fonctionnant depuis le premier
janvier de cette année. Les experts estiment que le prix du carbone pourrait s’élever jusqu’à 75 euros la
tonne en 2008 (voir www.pointcarbon.com).
Si on prend en compte le fait que la déforestation est, après la combustion des énergies fossiles,
la seconde source des émissions de Co2 (principal responsable de l’amplification de l’effet de serre), on
peut utiliser le potentiel des forêts en tant que puits de carbone, solution qui pourrait s’avérer moins
coûteuse que la réduction des émissions de GES. Les forêts jouent en effet un rôle important dans le cycle
du carbone et contribuent de façon non négligeable à l’atténuation du changement climatique. On parlera
de puits de carbone lorsque la forêt capte plus de carbone qu’elle n’en émet ; d’une source lorsque la forêt
émet plus de carbone qu’elle n’en capte. Généralement, une forêt jeune en croissance va être un puits de
carbone, tandis qu’une forêt mature, plus ou moins en équilibre aura une contribution neutre au cycle du
carbone. Au prélèvement de la ressource ou en cas de catastrophe naturelle la forêt peut constituer une
source de carbone à un horizon plus ou moins éloigné dans le temps5.
Ce service (parmi de nombreux autres) assuré par les forêts est une externalité. C’est un service
dont la société tire une utilité, mais il n’est pas rémunéré. Puisque le prix de ce service est nul, il n’est pas
pris en considération dans les décisions de gestion des propriétaires forestiers et ne peut pas interférer
avec les objectifs de gestion sylvicoles. Il en est de même pour les industriels de la première
transformation. La nullité du prix n’implique pas cependant pas la nullité de la valeur6, et il serait
intéressant de se demander ce qui se passerait si le carbone constituait comme le bois un produit des
activités forestières. C’est ce que l’on propose ici, à travers l’introduction d’un système d’incitation
économique, destiné à la prise en considération de la « production » de séquestration de carbone.
On peut dire que la société tire son utilité d’une part de la production de bois, d’autre part de la
fonction de séquestration de carbone. On supposera également que la valeur économique du carbone est
approximée par le coût des dommages associé au réchauffement climatique. Le bénéfice pour la société
d’un investissement forestier peut être décomposé en trois éléments :
- le bois qui est une production marchande contribue à l’utilité de la société ;
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- le stockage de carbone dans la forêt qui permet au moins de retarder l’effet des émissions de
carbone sur le climat;
- enfin, le stockage de carbone ne s’arrête pas lorsque la forêt est coupée. Si les arbres morts
émettent du carbone le temps de leur décomposition, en revanche, les arbres qui sont transformés en
produits continuent de stocker du carbone.
On se propose dans ce travail d’évaluer la pertinence économique de la valorisation de la
séquestration du carbone pour la sylviculture et de voir en quoi les critères habituels de gestion en seraient
affectés.
Nous analyserons comment le modèle de gestion sylvicole classique peut intégrer la
problématique de la séquestration du carbone. On cherchera à maximiser le rendement économique de la
production de bois avec celui de l’optimisation de la séquestration de carbone. On étudiera les
conséquences induites sur les conduites traditionnelles de gestion sylvicole par un mécanisme de
rémunération du stockage du carbone. On se place dans le cadre de la rémunération des flux de carbone
séquestrés et libérés sur une période donnée ou technique de la « variation des stocks » (Pajot 2005). Tout
opération de séquestration se voit rémunérée, toute émission fait l’objet d’un paiement. Le capital
correspondant est détenu par l’agent durant la période considérée. Dans le cas de la production ligneuse il
restera à définir la date réelle de sortie des stocks de carbone.
On a simulé les résultats qui seraient obtenus sur des peuplements équiens de pin maritime. On
étudie les effets des variations du taux d’actualisation, des prix du carbone et des durées de vie des
produits. Les pistes ouvertes par la réflexion s’orientent une rémunération de type taxes-subventions
réalisée sous l’égide d’une agence décentralisée, ou la mise en œuvre d’un véritable marché de permis
d’émission où s’échangeraient les droits d’émission et de séquestration7.
1. Les principes d’optimisation de la production forestière
On part du modèle classique de gestion sylvicole prenant en compte les coûts d’opportunité
engendrés par les investissements forestiers (coût du temps, des options alternatives à la forêt). On se
place à l’échelle d’un peuplement équien, c'est-à-dire que les arbres qui composent le peuplement ont le
même âge. On suppose que le prix du bois, le taux d’intérêt, la fonction de croissance des arbres, ainsi
que leurs états futurs, sont connus avec certitude. L’objectif du propriétaire forestier est de choisir la
durée de révolution T qui va permettre de maximiser le rendement économique de son activité.
Il est fréquent que l’on raisonne sur une seule rotation. On peut dire dans ce cas que l’optimum
est atteint lorsque l’accroissement de valeur marginal des coupes rapporté à leur valeur totale est égal au
taux d’intérêt r. Autrement dit, au-delà de ce point il vaudrait mieux placer le capital sur le marché
financier puisque le rendement du capital y serait supérieur.
Cependant il est établi depuis assez longtemps8 que la façon correcte de poser la question est
d’envisager une suite de rotations9, ce qui conduit de fait à réduire la durée de la rotation T. En effet dans
ce cas le rendement attendu doit être supérieur à r 10 . Sans entrer dans le détail on montre en effet qu’il
faut couper des arbres plus jeunes car leur accroissement marginal individuel en valeur commence à
décroître relativement tôt.
On peut exprimer les conditions d’optimum obtenues sous d’autres formes, mais cela n’a pas
d’utilité ici11.
Quel peut être maintenant l’effet de la prise en compte du bénéfice engendré par la séquestration
du carbone. Supposons qu’il existe un prix pour le carbone et que celui-ci permette la détermination d’une
rémunération lorsque le carbone est séquestré, et réciproquement d’un paiement lorsque les produits issus
de l’exploitation forestière se dégradent et que des émissions de carbone se produisent. On est dans le
cadre d’analyse des méthodes de variations de stocks.
2. La prise en compte de la valorisation du carbone dans la gestion sylvicole
Les méthodes de variation des stocks s’appuient sur le suivi des variations comptables des stocks
de carbone. Des crédits sont attribués lorsque les stocks de carbone augmentent et des débits sont portés
au compte de l’entité lorsque les stocks de carbone diminuent (G.Pajot, 2005). On peut envisager des
rémunérations pour les variations marginales de ces stocks de carbone (c'est-à-dire les flux). La
rémunération que va recevoir ici le sylviculteur (le prix par tonne de carbone stockée) est censée couvrir
le stockage permanent (à l’infini) des émissions de CO2 qu’il assume. Si l’on fait abstraction de la
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destination du bois le sylviculteur sera conduit à verser à son tour un paiement relatif au stock libéré en
fin de période. Dans ce cas il devra assumer le coût des émissions de CO2 résultant de la destruction ou de
la dégradation finale de la ressource ligneuse. On supposera dans un premier temps que les émissions de
carbone ont lieu dès la coupe des arbres, c'est-à-dire que l’on ne s’occupe pas pour le moment de la durée
de vie des produits.
Ce scénario de référence constituera une première étape d’analyse pour intégrer ensuite les
produits transformés du bois dans des stratégies plus complexes.
La notion de variation de stock de bois correspond à l’accroissement de volume (en m3) pour
une période donnée (l’année le plus souvent) et une superficie donnée (l’hectare le plus souvent). On peut
passer à la tonne de carbone par un ensemble de coefficients. De même pour le passage en CO2 en fin de
cycle. A un coefficient près et avec un prix relatif à la seule quantité de carbone contenue par les tiges
c’est une formule de type Faustmann12 qui servira au calcul en valeur de la somme des accroissements de
volumes de la période13.
On s’abstiendra ici de donner les formes fonctionnelles qui reproduisent les conditions de
maximisation pour le sylviculteur de la production jointe de bois et de carbone ou fonction objectif (voir
par exemple Appels, 2001 ; Enzinger et Jeffs, 2000).
Dans un premier temps nous avons voulu nous référer à la pratique passée à l’échelle d’une zone
forestière importante. Nous avons choisi le département de la Gironde au travers des résultats du 4°
inventaire national. Le phénomène d’accumulation du carbone est représenté ci-dessous. Le flux
cumulées se retrouvent la dernière année abstraction faîte des volumes prélevés lors des éclaircies :
Stocks et flux de carbone par hectare et par an (Gironde 4° inventaire IFN)
0 t
10 t
20 t
30 t
40 t
50 t
60 t
70 t
80 t
90 t
100 t
05 ans 10 ans 15 ans 20 ans 25 ans 30 ans 35 ans 40 ans 45 ans 50 ans 55 ans
Variations de stocks de
carbone
Stocks de carbone
Notons qu’il s’agit d’une représentation annuelle non observée. En effet l’Inventaire Forestier
National (IFN) fournit des résultats moyens par tranche de 5 ans puis de 10 ans à partir de 40 ans. Les
flux sont recalculés à partir d’une estimation des stocks annuels14. La somme des flux de carbone
susceptible d’être rémunérée est transférée à la 1° transformation lors de la coure rase, située ici
arbitrairement à 60 ans.
Nous avons cherché à estimer en pratique l’intérêt pour le sylviculteur de s’engager dans un
processus de rémunération de la séquestration du carbone. Cette démarche se heurte à nombreux
problèmes d’estimation. Cependant on peut dégager des conclusions globales robustes.
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3. Le passage aux formes fonctionnelles du modèle
La première étape est d’estimer le bénéfice retiré de la production de bois à la date optimale de
coupe. On se place dans le cadre d’une parcelle ayant les caractéristiques moyennes de celles observées
par unité de surface (un hectare) en Gironde pour le 4° inventaire.
Pour mener un calcul d’optimisation précis on doit disposer annuellement du volume et du prix
de vente.
Pour la détermination du volume moyen à l’hectare diverses formes fonctionnelles ont été
testées. Aucune ne s’avère pleinement satisfaisante. Soit elles décrivent bien la phase de pousse intense
des premières années, mais mal la stagnation de pousse à partir de 25-30 ans, soit c’est l’inverse. Pour ce
département la stagnation de pousse moyenne de certaines classes est très marquée15.
Fonction d'ajustement des volumes (m3/ha) sur un peuplement de pin maritime (Gironde 4° inventaire IFN )
0 m3
50 m3
10 0 m3
15 0 m3
200 m3
250 m3
300 m3
0 ans 05 ans 10 ans 15 ans 20 ans 25 ans 30 ans 35 ans 40 ans 45 ans 50 ans 55 ans 60 ans
Les points représentent les données observées du 4° inventaire
On a choisi une forme polynomiale pour caler la série des données sur celle de l’IFN. De même
on peut utiliser la série « volumes coupés » pour estimer les prélèvements effectués sous forme
d’éclaircie16.
Pour la détermination des prix on a retenu le rapport prix au cube unitaire moyen de ventes
récentes de l’Office National des Forêts. On peut trouver une forme fonctionnelle de type polynomiale
satisfaisante pour représenter la relation cube moyen - prix17.
Une autre difficulté apparaît cependant pour l’exploitation des données IFN par classe d’âge en
matière de prix. Le nombre de tiges étant donné par classes le volume unitaire subit de brusques hausses
au changement de classe. Ceci entraîne les mêmes ruptures dans le calcul de la valeur actualisée des
coupes de bois. Il est préférable de lisser aussi le nombre de tiges en fonction de l’âge18.
On a analysé les résultats pour différents types d’ajustements. Pour le revenu net actualisé sur
une période infinie la différence entre les solutions extrêmes n’est que de 20%19. Le taux d’actualisation
choisi est de 3%. Le calcul de la rémunération du carbone est beaucoup moins sensible puisque seul
l’effet volume joue, le prix étant unique.
4. Durées optimales des rotations forestières et revenus actualisés de la
production de bois et de la séquestration du carbone
On présente dans les graphiques suivants les différents chemins d’optimisation pour les formes
fonctionnelles retenues20. On a d’abord représenté le revenu actualisé pour la production de bois. Pour
mémoire on a indiqué la tendance du revenu non actualisé.
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