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Pour répondre à ces questions, il faut voir s’il est
possible de discerner la catégorie de la voix à partir
des formes aptes à exprimer les rapports de voix
(Vassiliéva, Pitskova 1991: 96).
Il s’agit avant tout de la combinaison être +
participe passé, car certains auteurs (Référovskaïa
1973, Gak 1986, Wagner 1962 et autres) considèrent
cette formation comme la voix passive verbale. Ils
affirment que c’est le verbe être qui porte les marques
de mode, de temps, de personne et de nombre et que
dans les cas où cette forme se trouve en corrélation
de transformation avec un verbe actif, elle représente
une voix passive.
Mais plusieurs linguistes (Tesnière 1966,
Sauvageot 1962, Vassiliéva et Pitskova 1991)
n’identifient pas la tournure être + participe passé
comme une forme catégorielle représentant une unité
formelle et sémantique. Les raisons qui ne permettent
pas de la traiter ainsi sont d’ordre grammatical,
sémantique et stylistique.
Premièrement, il y a des restrictions dans la
formation de la tournure passive. On peut mettre au
passif tout verbe transitif direct: l’objet direct du verbe
actif devient le sujet du verbe passif, et le sujet du
verbe actif devient le complément du verbe passif:
«Ils avaient commencé «petit»» (Lagorce 1978: 22).
«Les spectacles étaient partout commencés, je
crois» (Camus 1994: 38).
Mais dans certains cas, le verbe transitif direct ne
peut être mis au passif, par exemple:
«Je sentais le sommeil me gagner» (Camus 1994: 15).
Il n’est pas possible non plus de mettre au passif
de verbes transitifs indirects:
«Marie ne comprenait pas très bien et a demandé
à Raymond ce qu’il y avait» ( Camus 1994: 79).
de verbes intransitifs:
«J’ai dormi pendant presque tout le trajet»
(Camus 1994: 10).
Deuxièmement, le passif est défini comme une
forme conjuguée périphrastique où le verbe être est
combiné avec le participe passé d’un verbe transitif
de nature (Il a été assassiné. Il sera jugé demain?).
Mais en réalité, le sens «passif» de ces locutions
n’apparaît que par recoupement. La construction dite
«passive» n’est qu’un cas particulier d’une
construction plus générale: celle du verbe être avec
un adjectif attribut accordé en genre ou en nombre
avec le sujet. La voix passive du verbe est constituée
uniquement par la conjugaison du verbe être combiné
au participe passé faisant fonction d’attribut du sujet
(Sauvageot 1962: 130-132).
Un des traits caractérisant une forme analytique
est l’englobement de tout le système lexical d’une
partie du discours. Par exemple, n’importe quel verbe
peut être employé au passé composé, au futur
antérieur, à l’imparfait etc. Seulement une partie des
verbes transitifs se soumet à la tournure passive (être
+ participe passé). Cela signifie que la tournure en
question ne peut être considérée comme une forme
morphologique analytique.
Troisièmement, dans la tournure passive la notion
du temps est marquée par le verbe être tout seul et
non pas par la combinaison être + participe passé
(Vassiliéva, Pitskova 1991: 97-99). «Il y a autre chose
que j’ai bien vu, quelque chose de concret, de cruel,
d’inévitable: si vous n’avez pas de voiture, vous êtes
cuit» (Labro 1986: 32). – le présent de l’indicatif.
«Le concierge a tourné le commutateur et j’ai été
aveuglé par l’éclaboussement soudain de la
lumière» (Camus 1994: 17). – le passé composé de
l’indicatif.
«Et quand je me suis réveillé, j’étais tassé contre
un militaire qui m’a souri et qui m’a demandé si je
venais de loin» (Camus, 1994: 10). – l’imparfait de
l’indicatif.
«J’avais déjà été frappé par la façon qu’il avait
de dire: «ils», et plus rarement «les vieux», en
parlant des pensionnaires dont certains n’étaient
pas plus âgés que lui» ( Camus 1994: 16). – le plus-
que-parfait de l’indicatif.
«Un dernier mot: votre mère a, paraît-il, exprimé
souvent à ses compagnons le désir d’être enterrée
religieusement» (Camus 1994 : 13). – l’infinitif.
Ainsi, la tournure être + participe passé ne peut
être considérée comme une forme catégorielle de la
voix. C’est une construction à plusieurs valeurs.
Certains auteurs – grammairiens (Référovskaïa
1973, Vassiliéva, 1991) parlent de la «voix
pronominale» ou «réfléchie». Ils définissent la voix
réfléchie de la manière suivante: «Les verbes qui
désignent une action consciemment dirigée par le
sujet et revenant sur lui-même se rangent dans la
catégorie de la voix réfléchie. La voix réfléchie utilise
la forme pronominale». Y a-t-il lieu de constater que
les formes pronominales constituent par elles-mêmes
une voix? Cette question ne viendrait pas à l’esprit
s’il n’existait que des verbes pronominaux réfléchis
ou réciproques dans lesquels le pronom se est
complément d’objet puisque les uns et les autres
admettent d’être tournés à la voix passive. Dans la
pratique on peut très bien opposer à Je me sers moi-
même un temps passif Je ne suis bien servi que par
moi. Quant aux verbes intransitifs essentiellement
pronominaux, il est difficile de leur reconnaître en
français moderne une valeur de sens particulier. Par
exemple, les verbes «s’ennuyer, se plaire». Même en
Quelques regards critiques sur la voix du verbe
en français contemporain
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