En quoi ce personnage, que vous interprétez vous-même, vous
touche-t-il ?
D’une certaine façon, même si mon parcours personnel n’a rien
à voir, je me reconnais en lui. J’ai l’impression, ici en France,
d’être son alter ego. Nous partageons le même espoir et la même
ambition de devenir une star. Cette histoire entre aussi en
résonance avec mes racines familiales, avec mes parents. Ayant
vécu en France, j’ai été coupé de l’Algérie et j’avais envie de me
confronter à mes origines.
S’agit-il d’une pièce plus théâtrale que chorégraphique ?
En général, la particularité de mon travail est de se situer à
mi-chemin entre ces deux formes d’expression. C’est encore le
cas dans cette pièce. Le texte est évidemment très présent. Une
voix off ponctue le récit et Moussa lui-même s’exprime au cours
du spectacle. Mais la danse, portée par la musique de Omur H.,
crée des respirations, des moments privilégiés pendant lesquels
le spectateur se retrouve totalement immergé dans le rêve de
Moussa.
Le hip-hop peut donc raconter une histoire ?
Ce qui m’intéresse avant tout dans cette création, c’est la force
de son propos. La danse, pour moi, est d’abord un vocabulaire
plutôt qu’une fin en soi. Adapter un roman sous forme chorégra-
phique est un défi extraordinaire. C’est le texte, ici, qui suggère
toutes les pistes de travail, y compris les plus physiques. Même si
ma formation initiale est le hip-hop, je suis nourri aujourd’hui de
l’apport de diverses influences, qu’elles soient contemporaines ou
même classiques. En témoigne mon duo avec Pauline Geslin, qui
joue le rôle de la jeune fille dont Moussa est amoureux. Plus que
de langage hip-hop, je me sers du langage des corps.
Compte tenu de son thème, cette pièce a-t-elle une importance
particulière dans votre parcours de chorégraphe ?
À travers la collaboration avec Aziz Chouaki, j’ai pu dénoncer
une situation sociale qui me touche particulièrement en adoptant
un point de vue non seulement artistique mais aussi politique.
La trajectoire de Moussa, qui passe du rêve au terrorisme, est
l’illustration d’une situation très dure. Sans pour autant délivrer
un message, la pièce porte en elle-même ses propres réponses.
Texte et entretien par Isabelle Calabre, journaliste, à l’occasion
de la résidence de création au Théâtre National de Chaillot
FARID OUNCHIOUENE
COMPANIE FARID’O
Farid Ounchiouene, chorégraphe et metteur en scène, interprète
autodidacte originaire de Lille, débute sa carrière en tant que
danseur professionnel en 1994 suite à une audition organisée
à l’initiative de l’État et de la Région Nord-Pas-de-Calais. En
1996, il est remarqué aux Rencontres de danses urbaines de
La Villette.
Il travaille ensuite en tant que danseur-interprète aux côtés du
chorégraphe Farid Berki pour la Compagnie Melting Spot, et
avec Xavier Lot au sein de la compagnie de danse contemporaine
Ulal DTO. Attiré par l’interprétation dramatique et désireux
avant tout d’ouvrir sa pratique de danseur hip-hop à d’autres
disciplines artistiques, il suit de 1997 à 2003 plusieurs stages
de théâtre, danse contemporaine et cirque, dirigés par Antonio
Vigano au Teatro La Ribalta de Milan, Gilles Defacque au
Théâtre international de quartier Le Prato, Julie Stanzak du
Tanztheater Wuppertal, Guy Alloucherie, metteur en scène de la
Compagnie Hendrick Van Der Zee, et Pippo Delbono. Parmi ces
rencontres artistiques, celle de Guy Alloucherie notamment
marquera par la suite son travail.
Porté par l’envie de développer une démarche de création qui lui
est propre, il fonde en 2002 la Compagnie Farid’O.
Muni d’un vocabulaire chorégraphique enrichi d’une ouverture
vers d’autres disciplines artistiques, il crée en 2003
Syntracks
,
pièce alliant danse hip-hop, musique, cirque et poésie. Le texte
occupe alors une place de plus en plus importante dans sa
démarche de création, faisant entrer en résonnance le geste de
la chorégraphie avec la parole du théâtre. Il interprète en 2004
La Nuit juste avant les forêts
de Bernard-Marie Koltès, solo
de danse et théâtre, qui sera présenté au Festival d’Avignon. Il
crée ensuite
Être dans la rue
(2006), pièce chorégraphique de
rue pour trois danseurs et un guitariste. Puis il met en scène les
textes
Saleté
(2006) d’après le roman de Robert Schneider et
Mistero Buffo
(2008) d’après Dario Fo, mêlant dans les deux
pièces le théâtre et la danse.
En 2010, il travaille avec Aziz Chouaki, musicien, dramaturge,
auteur de romans et de textes pour le théâtre, qui participe
à l’adaptation pour la scène de son roman
L’Étoile d’Alger
.
La pièce éponyme, mise en scène et chorégraphiée par Farid
Ounchiouene, est accueillie en résidence puis créée au Théâtre
National de Chaillot.