Marie-Sophie, la coiffeuse :
« Je pense que certaines caractéristiques des gens, c’est tout simplement de naissance, c’est là
depuis le début. C’est tout simplement comme ça, cela vient des gènes. Cela me fait penser à
ce dicton de chez nous qui dit :’si un jour je deviens comme ma mère ou comme mon père,
alors, bon, débarrassez-vous de moi’ ou quelque chose comme ça. Toutes ces choses sont,
comme on dit, ‘prédéterminées génétiquement’ ».
La boulangère :
« Parce que selon ce qu’on en entend dire, et d’après ce que j’en sais et ce que j’en pense,
certaines choses appelées des gènes, peuvent être transformées. Et quand on intervient dans
ces choses, c’est de la manipulation…Comment cela se fait ? Euh… Non, là-dessus, je ne sais
rien. Est-ce que c’est par le sang ? Je n’en ai pas la moindre idée. Je ne sais pas. Non, je n’ai
aucune idée comment ils s’y prennent. Tout ce que je peux en dire est que c’est vraiment
intéressant. Oui, je trouve vraiment intéressant de lire des articles là-dessus et surtout
d’entendre des explications à la télévision sur ce qu’on arrive à faire avec les gènes.
Comment on fait cela? Encore une fois, je ne sais pas, moi. Ceux qui savent, eh bien ce sont
ceux qui font de la recherche génétique. Et la recherche génétique, euh, si vous posez aux
gens la même question qu’à moi, si vous leur demandez ‘Qu’est-ce que la recherche
génétique ?’ eh bien ils vous répondront ‘La recherche génétique, c’est pour modifier les
gènes, c’est de la manipulation’. Modification, manipulation, voilà les mots… La recherche,
c’est pour modifier quelque chose. Quant à savoir exactement ce qui est modifié et où… ou
combien de temps durent ces modifications? Avec quoi, avec quels moyens on les réalise? À
mon avis, personne ne pourra en dire grand-chose. Là-dessus, on est tout simplement pas
assez informé ».
Les associations d’idées que font surgir les « gènes » ressemblent aux figures à deux faces
du dieu Janus. Une des faces est tournée vers un domaine de significations centrées sur les
concepts d’ « héritage » d’un patrimoine donné et l’autre, sur celui de « manipulation », de la
transformation volontaire, par la science, de ce donné . Autrement dit, une des faces du Janus
génétique nous parle de parenté, d’origines, d’histoires de famille et l’autre de bébés-
éprouvette, de maïs transgénique, de clones, de recherche génétique et de restructuration de
l’humain. La première face nous remet à la perception du « Moi » et du « Toi » et de
l’existence vécue. L’autre face nous parle de manipulations, de laboratoire et de scénarios
aussi prometteurs qu’angoissants. Le domaine sémantique de l’ « héritage » s’ancre dans le
passé familial, dans ce qu’on est devenu personnellement. Au contraire, l’idée de
« manipulation » a pour enjeu le futur de l’humain en soi. Le mot gène permet ainsi de
confondre dans un seul souffle ce qui est porteur de sens et ce qui relève de la fiction, d’une
part, des expériences personnelles concrètes et de l’autre, des on-dit à connotations