CRITIQUE LITTÉRAIRE LÉONARD VINCENT Athènes, ville ouverte Écrivain et grand reporter, Léonard Vincent fait vivre la rue d'Athènes, au cœur de la crise. PAR SOPHIE PUJAS T out commence par une déflagration ; celle du suicide du vieux pharmacien Dimitris, ruiné, et qui n'a trouvé que ce moyen d'en finir avec la crise grecque. Nous sommes à Athènes, et Max, un Français, est venu là pour fuir la somme trop ordinaire de ses faillites personnelles. Sans amour, sans travail, sans argent, il rêve de s'effacer ; pire, il s'ennuie. « Athènes lui semble le lieu parfait pour se dissoudre et qu'on l'oublie, lui et tout ce qu'il doit cacher. » Quoi de mieux qu'une ville en déroute pour y promener la sienne ? « Là où est la catastrophe, je veux en être », se dit-il. Pendant quelques jours, il erre dans ses limbes personnels, entre abîmes et renaissances. La mort de Dimitris est le premier des chocs qui jalonnent ses dérives, conjuguant rêverie et brutalité. Apprivoiser une ville, c'est s'y égarer. Au risque de sombrer'corps et bien. Max ira au bout de ses déroutes. Il veut en finir avec l'espoir. « L'espoir est un poison lent, distillé, goutte à goutte, à mesure que les jours passent, se dit-il. D'ordinaire, il emplit les veines et bat dans le pouls. II se contente d'instiller un doute, une infime particule de lumière dans une nuit de cave, une étoile maigre et pauvre qui survit à l'aube. Inutile et dangereux comme un scorpion domestique, il surgit parfois, dans la docilité du quotidien, comme une embellie. » Pourtant, cet espoir frappé de soupçon ne cesse de renaître, qu'il se loge dans le sourire d'une femme, une brusque flambée de désir ou l'éclat d'une colère. « Non, pas encore une histoire d'amour », se dit Max quand il rencontre une jeune Antigone. Et pourtant si : la capacité à croire est inépuisable. Mais la foi est une denrée à faible durée de vie. Les rencontres sont fragiles, éphémères, faussées. Échangés dans une langue étrangère, les mots menacent de s'effriter, passé un bref instant d'émerveillement. Les réveils ne sont pas toujours gais, encore moins glorieux. Le rêve, marqué du sceau d'un romantisme las, aura pourtant un temps réclamé ses droits. Avant que le réel ne rappelle à l'ordre, précis. Le récit alterne moments d'envoûtement et brusques accélérations. Grand reporter, Léonard Vincent livre un portrait précis d'une ville en crise. L'amertume blasée d'élections décevantes, la lassitude qui gagne ; un attentat. Il multiplie les portraits, comme autant de visages d'une cité se cherchant. Un politicien trop prolixe ; des policiers arrêtant ou questionnant sans discernement ; et unjeune Ery thréen qui trimballe sa détresse de gosse perdu sur le bitume grec - autre témoin d'une époque sortie de ses gonds. Mais c'est en poète que l'auteur s'attache à chaque fragment de réel arraché, égrène les visions sombres ou brûlantes. Elles sont le fil qui retient Max à la vie - avec, peut-être, un certain sens de l'autodérision. « Max cherche depuis deux jours des raisons de continuer à exister. Pourtant il ne se résout pas à renoncer tout à fait. » Et comment démissionner vraiment face à l'inépuisable fascination de la rue ? La contemplation solitaire est ce qui lui rend le monde encore habitable. « Cette ultime résistance se nourrit du plaisir qu'il trouve dans le. silence, l'anonymat, la dissémination, il le sait. La solitude est son grenier aux trésors, son rejuge pour la longue nuit des questions. Depuis son enfance, ily déniche toute sorte de vertiges, de collines spirituelles, de cités idéales, de rivages indiens, de femmes incandescentes, de fumeries. Athènes s'est engouffrée dans cette brèche et la peuple toute entière. » Léonard Vincent esquisse une éthique du regard, périlleuse, brave. Max arpente les rues en collectionneur avide d'images. Peutêtre trouvera-t-il là, sinon un salut - le mot serait trop flamboyant, trop permanent sans doute -, du moins une nouvelle voie possible, qui sera de traverse. Doux-amer : ainsi l'un des personnages croisés par Max se définit-il. On pourrait en dire autant de ce récit au lyrisme grave. ATHENES NE BONNE RIEN édiîiDRs des £qy»rs 205 p.. 18 € LITTÉRATURE / Page 25