revue
Un usage « sympathique » des virus neurotropes :
le traçage transneuronal chez les mammifères
P. Coulon
Groupe d’étude des réseaux moteurs,
CNRS, FRE 2722,
280 boulevard Sainte-Marguerite,
13009 Marseille
Résumé.Depuis une quinzaine d’années, la connaissance de l’organisation des
réseaux de neurones au sein du système nerveux central chez les mammifères
s’est accrue de façon considérable grâce à l’emploi de virus neurotropes comme
outils de traçage. Ces virus, pseudorage, herpès simplex de type 1 et rage, se
propagent dans le cerveau au travers de chaînes de neurones connectés synapti-
quement entre eux. Cela signifie que le passage d’un neurone à un autre ne
s’effectue qu’au niveau des synapses. Chaque souche de virus possède des
caractéristiques qui lui sont propres, mises à profit pour étudier des réseaux
neuronaux de nature différente. Ainsi, la souche Bartha du virus de la pseudo-
rage, utilisée dans la majorité des études de traçage de voies chez les rongeurs, a
permis de caractériser des réseaux appartenant au système nerveux autonome à
la suite d’une injection périphérique. Bien que moins employé, le virus de la rage
est utilisé principalement pour décrypter l’organisation des réseaux moteurs et,
depuis peu, pour établir la cartographie de réseaux de neurones dans le cortex des
primates suite à une injection stéréotaxique. Par ailleurs, l’injection en des sites
distincts de virus de la pseudorage recombinants exprimant des gènes exogènes
différents permet d’étudier l’interdépendance de deux réseaux. Cette revue
présente les étapes qui ont jalonné le développement de la technique de traçage
transneuronal et elle met l’accent sur l’apport réciproque de la virologie et des
neurosciences pour faire progresser les connaissances dans les deux domaines.
Mots clés :virus neurotrope, traçage transneuronal
Abstract.For fifteen years, the knowledge of the organization of neuronal
networks inside the central nervous system of mammals has been considerably
enhanced with the use of neurotropic viruses as tracers. Those viruses, pseudo-
rabies, herpes simplex type 1 and rabies propagate in the brain through chains of
connected neurons. This means that the transfer from a neuron to another one
occurs only at the synaptic level. Each strain of virus has its own specificities
which are used to study neuronal networks of different nature. Thus, the Bartha
strain of pseudorabies, mostly used for tracing studies in rodents, has been very
useful to characterize the networks belonging to the autonomic nervous system
following peripheral inoculation. Less employed, rabies virus has been mainly
used for the characterization of motor networks and, recently, to map neuronal
networks in the cortex of primates after stereotaxic injections. On the other hand,
the injection at distinct sites of recombinant pseudorabies viruses expressing
different exogenous genes allows the study of interactions between two net-
works. This revue presents the milestones of the development of the transneu-
ronal tracing using neurotropic viruses and emphasizes what virology and
neurosciences bring to each other thanks to this technique.
Key words:neurotropic virus, transneuronal tracing
Tirés à part : P. Coulon
Virologie 2006, 10 : 95-108
Virologie, Vol. 10, n° 2, mars-avril 2006
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Depuis l’avènement des techniques de biologie moléculaire
et cellulaire, l’histoire de la virologie fourmille d’exemples
qui démontrent l’apport majeur de l’étude de la réplication
des virus et de leur cycle d’infection sur la compréhension
des mécanismes qui régulent le fonctionnement de la cel-
lule eucaryote. Ces avancées scientifiques peuvent être
considérées comme logiques puisque tous les virus utilisent
la machinerie de la cellule hôte (chacun dans une propor-
tion qui lui est propre) pour accomplir un cycle complet
d’infection et ils ont donc souvent adapté leur propre stra-
tégie de réplication aux schémas cellulaires. Il existe pour-
tant d’autres exemples qui illustrent l’apport de la virologie
dans la progression des connaissances en biologie. Celui
qui sera traité dans cette revue concerne l’établissement de
cartographies de réseaux de neurones dans le système ner-
veux des mammifères. Certains virus neurotropes possè-
dent la propriété originale d’infecter séquentiellement les
neurones qui sont synaptiquement connectés les uns aux
autres, ce qui permet de reconstituer a posteriori l’organi-
sation du réseau dans lequel un virus a été injecté. Ce type
de travail ne peut aboutir à des résultats clairs que s’il
résulte d’une compréhension réciproque entre deux parte-
naires : l’un issu du monde des neurosciences et l’autre
provenant de celui de la virologie. Bien que cela semble
élémentaire, les exemples de coopérations « symbioti-
ques » entre des chercheurs appartenant à des domaines
différents comme la neurophysiologie et la virologie de-
meurent peu fréquents. En effet, les premiers ont une appro-
che globale de leur discipline puisque leur champ d’inves-
tigation est l’animal entier (d’où leur appartenance aux
sciences dites intégratives), alors que les seconds travaillent
au niveau unitaire, un virus étant par définition un parasite
obligatoire de la cellule. Ces deux niveaux d’analyse ont
souvent pour corollaire un déficit d’interactions entre ces
deux catégories de scientifiques. Ainsi, les physiologistes
se représentent les virologues (ainsi que tous les biologistes
moléculaires et/ou cellulaires) comme des chercheurs dé-
connectés de l’organisme entier puisque travaillant au
mieux sur des cultures cellulaires, au pire dans des tubes à
essai. De même, beaucoup de virologues perçoivent les
physiologistes comme des chercheurs utilisant des techni-
ques ne pouvant répondre aux questions précises posées par
la biologie cellulaire : Quelle est la fonction d’une pro-
téine ? Avec quelles autres protéines interagit-elle ? De
quelle manière se déroulent ces interactions ?
Historique
Les premiers pas
À l’heure actuelle, les mécanismes de propagation des virus
neurotropes dans le cerveau des hôtes infectés sont loin
d’être élucidés. Les premiers indices suggérant une pro-
gression des virus le long des nerfs ont d’abord été apportés
par Ernest Goodpasture lors d’expériences d’infection de
lapins par le virus herpès febrilis [1]. Mais ce sont surtout
les travaux pionniers d’Albert Sabin qui ont mis en évi-
dence pour la première fois la spécificité du transport des
virus neurotropes dans le cerveau. En effet, après instilla-
tion intranasale chez la souris, le virus de la pseudorage
(PRV, virus à ADN double brin appartenant à la sous-
famille des Alphaherpesvirinae) est transporté dans le cer-
veau à travers les voies trigéminale, sympathique et para-
sympathique, alors que les virus de la stomatite vésiculeuse
(VSV) et de l’encéphalomyélite équine orientale (EEE)
sont transportés uniquement à travers la voie olfactive [2].
À cette époque, les régions infectées étaient identifiées par
la présence de nécroses (EEE, VSV) ou par les inclusions
qui étaient observées dans les noyaux des neurones (PRV).
Dans les années soixante-dix, plusieurs études morpholo-
giques ont confirmé que le virus herpès simplex de type 1
(HSV1, appartenant également à la sous-famille des Alpha-
herpesvirinae) était transporté de façon rétrograde dans les
axones, c’est-à-dire depuis la terminaison axonique
jusqu’au corps cellulaire [3, 4]. À la même période,
d’autres travaux basés sur la morphologie ont montré que
tous les virus n’étaient pas transportés de la même façon
dans le système nerveux. Ainsi, une étude réalisée sur le
système visuel du lapin a permis de conclure que la souche
G d’herpès simplex de type 2 (HSV2) était transportée de
façon antérograde (du corps cellulaire vers la terminaison
axonique) dans les neurones [5].
Les techniques d’immunohistochimie et l’emploi d’anti-
corps spécifiques ont permis par la suite la détection non
ambiguë des neurones infectés dans le cerveau [6]. Pour-
tant, il faudra attendre le début des années quatre-vingts
pour que le groupe de Kris Kristensson à Huddinge apporte,
par des méthodes immunohistochimiques, la confirmation
de ce qui avait été postulé par Goodpasture et par Sabin :
l’HSV1 est transporté dans le cerveau le long des chaînes de
neurones connectés les uns aux autres [7]. Cette publication
décrit la séquence d’infection du système nerveux par la
voie trigéminale à la suite de l’injection du virus dans le
museau de la souris. Elle peut être considérée comme la
première tentative d’élaboration d’une cartographie d’un
réseau de neurones en utilisant un virus (HSV1) comme
traceur transneuronal.
À cette période, rares sont les publications rapportant des
études physiologiques sur les neurones infectés par un virus
neurotrope. Les premières analyses publiées dans les an-
nées cinquante décrivaient les caractéristiques de l’activité
électrique des neurones du ganglion cervical supérieur de
poulet infectés par le PRV [8, 9]. Ces expériences sont hélas
restées sans lendemain si l’on excepte la série de travaux
complémentaires réalisés à Lausanne par le groupe de
Michel Dolivo sur des neurones du ganglion cervical supé-
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rieur de rat infectés par ce virus [10-12]. On peut regretter
que ce type d’études n’ait pas été élargi à d’autres virus
neurotropes (HSV1, rage...), elles auraient sans doute per-
mis de formuler des hypothèses plus précises quant aux
mécanismes qui régissent l’apparition des symptômes dans
les organismes infectés.
Au début des années quatre-vingts, l’équipe de Dolivo a été
la première à réaliser des expériences de traçage de voies
nerveuses chez le rat, d’une part sur le système visuel à
l’aide du virus de la rage [13] et d’autre part sur le système
trigéminal à l’aide du PRV [14]. L’intérêt de cette nouvelle
technique de traçage n’est pas apparu immédiatement aux
yeux des neuroanatomistes puisque, durant plusieurs an-
nées, seules les équipes de Kristensson et de Dolivo ont
publié des résultats issus d’expériences de traçage
transneuronal à l’aide de virus neurotropes. La première
travaillant chez la souris s’est intéressée au transport du
VSV et du virus Sendai à la suite d’une instillation intrana-
sale [15, 16], ainsi qu’à la propagation de l’HSV1 dans le
tronc cérébral consécutivement à une injection dans la
langue [17]. En utilisant le PRV comme traceur chez le rat,
la seconde équipe s’est attachée à comprendre l’organisa-
tion anatomique des réseaux de neurones contrôlant l’acti-
vité de muscles impliqués dans l’audition : tensor tympani
et stapedius [18, 19]. Ces résultats sont présentés sous
l’angle de la neuroanatomie et démontrent clairement l’in-
térêt de cet outil pour décrypter l’organisation hiérarchique
d’un réseau de neurones.
À cette période, apparaît la première collaboration fruc-
tueuse entre les neurobiologistes et les virologues. Au
CNRS à Gif-sur-Yvette, le groupe d’Anne Flamand avait
sélectionné chez le virus de la rage des mutants antigéni-
ques (échappant à la neutralisation par des anticorps mono-
clonaux) dont certains avaient perdu tout pouvoir patho-
gène pour les souris adultes à la suite de la substitution d’un
seul acide aminé dans l’ectodomaine de la glycoprotéine
[20-22]. Réalisée en collaboration avec l’équipe de Dolivo,
l’étude comparative de la propagation de deux de ces mu-
tants et de la souche sauvage d’origine (challenge virus
standard ou CVS) dans le système visuel de la souris a
permis d’une part de confirmer la capacité de ce virus à être
transporté de manière rétrograde à travers des chaînes de
neurones synaptiquement connectés et, d’autre part, de
montrer que les mutants dits avirulents du virus de la rage
n’étaient plus capables d’infecter certains groupes de neu-
rones [23].
Ces quelques publications ont constitué le socle sur lequel,
par la suite, se sont appuyées les équipes de recherche qui
ont développé puis fait adopter la technique de traçage
transneuronal dans le domaine de la neuroanatomie.
L’essor de la technique
C’est Hieronimus Kuypers, un neuroanatomiste spécialisé
dans l’étude des réseaux moteurs qui, assisté de Gabriella
Ugolini, démontra la capacité d’HSV1 à être transporté
rétrogradement à travers des chaînes de neurones innervant
la langue chez la souris [24] et des muscles locomoteurs
chez le rat [25]. Ces auteurs mirent aussi en évidence les
limites de l’utilisation d’HSV1 en montrant que l’infection
touchait également les cellules gliales à proximité de neu-
rones préalablement infectés ainsi que des fibres dites « de
passage » (axones appartenant à des neurones situés à l’ex-
térieur de la région infectée et traversant cette zone). Il
pouvait en résulter une contamination de neurones ne par-
ticipant pas au réseau analysé [24]. De plus, ils montrèrent
que la souche de virus utilisée au cours de leurs expériences
(SC16) était vraisemblablement capable d’être transportée
également de façon antérograde quoique plus lentement
[25].
Que signifient les mots antérograde et rétrograde
d’un point de vue neuroanatomique ?
Les neurones sont des cellules extrêmement asymétriques,
constitués d’un corps cellulaire (soma) à partir duquel s’éten-
dent des dendrites et un long axone. Les constituants cellulai-
res qui sont synthétisés dans le soma doivent être transportés
sur de longues distances jusqu’à la terminaison axonique. Ce
mouvement est appelé transport antérograde. Il est également
nécessaire de faire migrer du matériel cellulaire depuis la
terminaison axonique vers le soma dans le cadre de processus
de recyclage ou de signalisation. Ce mouvement est appelé
transport rétrograde. Ces transports peuvent être subdivisés en
deux composantes : rapide, s’effectuant à une vitesse pouvant
atteindre 400 mm/j et lente, se déroulant à une vitesse
moyenne de l’ordre de 10 mm/j. Les protéines du cytosquelette
(actine, tubuline) sont transportées via la composante lente,
alors que les mitochondries, les vésicules sont transportées via
la composante rapide. Il est admis que la migration des virus
neurotropes dans les neurones s’effectue grâce à la composante
lente du transport axonal.
Le transfert transneuronal des virus se déroule au niveau de la
terminaison axonique. Il est appelé transfert transneuronal
antérograde lorsque, après un transport antérograde du maté-
riel viral, ce transfert s’effectue dans le sens présynaptique-
post-synaptique, c’est-à-dire dans le même sens que la trans-
mission de l’influx nerveux. Inversement, il est appelé transfert
transneuronal rétrograde lorsqu’il s’effectue dans le sens post-
synaptique-présynaptique, c’est-à-dire dans le sens inverse à
celui de la transmission de l’influx nerveux. Ce transfert est
alors suivi d’un transport rétrograde du matériel viral jusqu’au
corps cellulaire du neurone.
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Le second spécialiste de neuroanatomie à réellement popu-
lariser l’utilisation de virus comme outils de traçage fut
Arthur Loewy. Il publia les premiers travaux décrivant
l’organisation du réseau de neurones innervant la glande
médullosurrénale dans le système sympathique chez le rat
en utilisant le PRV [26, 27]. Ces publications mirent l’ac-
cent sur le tropisme du PRV pour les neurones du système
sympathique et sur l’importance de la souche de virus
utilisée en relation avec le type de traçage qui devait être
réalisé. Ainsi, la souche Becker (dite « sauvage ») se pro-
page dans le système nerveux à la fois par les voies rétro-
grade et antérograde. Au contraire, la souche atténuée Bar-
tha (utilisée comme souche vaccinale chez le porc) ne
semble envahir le système nerveux que par voie rétrograde.
Cette observation a été confirmée chez le rat à la suite
d’expériences d’injections de PRV-Bartha dans la chambre
antérieure de l’œil et le pavillon de l’oreille. L’analyse de la
distribution des neurones sympathiques appartenant aux
deux réseaux dans le ganglion cervical supérieur et la
colonne intermédiolatérale de la moelle épinière démontre
la spécificité du transport rétrograde transneuronal de la
souche Bartha [28]. La même conclusion a pu être tirée des
expériences d’injection de ce virus dans le ganglion pté-
rygopalatin appartenant au système parasympathique [29].
Peu après ces travaux, deux autres laboratoires ont appro-
fondi les connaissances sur le mode de propagation du PRV
dans le système nerveux central (SNC) chez le rat. Ces
études ont été développées par les groupes de Lynn Enquist
à Wilmington puis Princeton (pour la partie virologie) et
Patrick Card à Pittsburgh (pour la partie anatomie). Cette
collaboration est à ce jour la meilleure illustration de l’enri-
chissement réciproque de ces deux disciplines. La première
publication commune a clairement montré chez le rat que la
souche sauvage Becker est transportée plus rapidement et
de manière plus efficace par voie rétrograde que par voie
antérograde, cela dans plusieurs réseaux de neurones inner-
vant la langue, l’estomac, l’œsophage et l’œil [30]. Cette
analyse a été étendue à la souche Bartha chez laquelle les
auteurs ont montré une capacité restreinte à infecter cer-
tains groupes de neurones dans le système visuel (dans le
noyau suprachiasmatique appartenant au réseau circadien
et le feuillet intergéniculé appartenant au réseau visuel) par
comparaison avec la souche Becker. À l’époque, les auteurs
ont expliqué le neurotropisme restreint de Bartha dans le
système visuel par une non-reconnaissance de récepteurs à
la surface de certaines cellules ganglionnaires de la rétine,
due à l’absence de formes fonctionnelles de trois glycopro-
téines, gC, gE et gI [31]. Cette approche expérimentale a
servi de cadre à l’élucidation du rôle respectif de ces gly-
coprotéines dans le neurotropisme de Bartha. Sur le sys-
tème visuel, des expériences réalisées avec des mutants
issus de la souche Becker, dépourvus du gène de chacune de
ces protéines, ont permis de conclure initialement que gE et
gI étaient responsables du tropisme restreint de la souche
Bartha pour certains de ces neurones [32-34]. Une situation
similaire avait d’ailleurs été observée au cours de l’étude de
l’innervation du cœur chez le rat. Le mutant gE
-
n’infecte
que les motoneurones du noyau ambigu alors que la souche
Becker infecte à la fois ces derniers et ceux du noyau
moteur dorsal du nerf vague [35]. D’après les auteurs, ces
résultats indiquaient également que les virions de la souche
Bartha étaient transportés de façon antérograde dans les
axones d’une sous-population de cellules ganglionnaires de
la rétine, puis transférés dans les neurones sur lesquels se
projettent ces neurones ganglionnaires (dans le noyau su-
prachiasmatique et le feuillet intergéniculé). Les résultats
de Card et de Loewy au sujet du transport antérograde de
Bartha semblaient donc contradictoires, mais ils pouvaient
s’expliquer selon Card par l’architecture particulière de la
rétine [36]. Des expériences complémentaires réalisées
chez le hamster puis chez le rat ont résolu cette contradic-
tion. Les auteurs ont pu montrer que la souche Bartha
infectait le noyau suprachiasmatique et le feuillet intergé-
niculé de façon rétrograde via le ganglion ciliaire et le
noyau d’Edinger-Westphal, des groupes neuronaux appar-
tenant au système parasympathique [37, 38]. L’apparent
tropisme restreint de ce virus pour certains neurones par
rapport à la souche sauvage n’est donc que la conséquence
de son incapacité à être transporté de façon antérograde.
Les virus employés pour caractériser
les réseaux nerveux
Le plus utilisé : PRV
Ainsi, tous ces travaux ont montré clairement que la souche
Bartha est transportée uniquement de façon rétrograde.
Associée à son absence de toxicité pour l’espèce humaine,
cette propriété a favorisé l’emploi de la souche Bartha (ou
de variants dans lesquels ont été reconstituées les
mutations/délétions présentes dans cette souche) dans les
laboratoires. D’un point de vue pratique, les diverses sou-
ches de PRV doivent être manipulées dans des locaux
respectant les normes de sécurité L2 et les conditions de
leur utilisation ont été décrites dans plusieurs revues métho-
dologiques [39-41].
Le PRV a été utilisé dans les trois quarts des études de
traçage transneuronal publiées jusqu’à présent (figure 1,A
et B). La grande majorité des études menées avec ce virus
ont porté sur l’analyse du système nerveux végétatif
(tableau 1), ce qui est logique étant donné le tropisme
préférentiel du PRV pour les neurones des systèmes sym-
pathique et parasympathique [28]. Pour cette raison, les
réseaux contrôlant la contraction des muscles striés ont été
moins étudiés (tableau 1). En effet, les muscles squeletti-
ques reçoivent une innervation motrice, sensitive et sympa-
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thique. L’injection du PRV-Bartha dans un muscle donné a
donc pour conséquence une infection simultanée des ré-
seaux moteur et sympathique par voie rétrograde. Dans
certaines études, la réalisation de sympathectomies a per-
mis d’être certain d’analyser la propagation rétrograde du
virus uniquement dans le réseau moteur [42-48].
Les résultats issus des premières expériences de traçage
transneuronal ont été reçus avec scepticisme par la commu-
nauté scientifique. Les principales interrogations résul-
taient de l’absence de preuves formelles du passage trans-
synaptique des virus d’un neurone à un autre. L’éventualité
d’une capture non spécifique de virions présents dans l’es-
pace intercellulaire par un neurone voisin n’appartenant pas
au réseau avait d’ailleurs été signalée par les premiers
auteurs [28, 30]. Des arguments forts en faveur du passage
transneuronal du PRV à proximité d’une synapse ont été
fournis par une élégante analyse ultrastructurale réalisée
chez le rat sur des neurones du noyau moteur dorsal du nerf
rage
HSV PRV
A
B
73%
19%
8%
40
35
30
25
20
15
10
5
0
<1987
1987
1988
1989
1990
1991
1992
1993
1994
1995
1996
1997
1998
1999
2000
2001
2002
2003
2004
2005
Rage
HSV
PRV
Figure 1. Importances relatives des trois virus neurotropes utilisés
dans les études de traçage transneuronal. A) Pourcentage global
d’utilisation de chaque virus dans les publications. B) Distribution
année par année du nombre de publications utilisant les virus de la
pseudorage (rouge), herpès simplex (orangé) et de la rage (blanc)
dans les expériences de traçage transneuronal. Noter l’augmen-
tation récente du nombre d’études utilisant le virus rabique.
Tableau 1.Répartition des sites d’injection de PRV au cours des études de
traçage transneuronal. La souche Bartha ou les mutants qui en sont dérivés a
été utilisée pour toutes les expériences, à l’exception de celles réalisées sur le
chat (*) dans lesquelles la souche sauvage Becker a été employée. La majorité
des études ont porté sur la caractérisation de réseaux de neurones appartenant
au système nerveux végétatif. Le rat adulte est le plus souvent utilisé comme
modèle expérimental, rares sont les travaux ayant été menés sur les animaux
nouveau-nés (**). D’après [114-116]
Système Organe injecté Espèce utilisée Publications
Végétatif Rein Rat, souris 16
Tissus adipeux Hamster, rat, porc 16
Vessie, urètre Rat 15
Cœur Rat 12
Médullosurrénale Rat 12
Ganglion stellaire Rat 11
Pharynx, larynx,
trachée
Mouton, rat 10
Pénis, uretère Rat 9
Utérus Rat 7
Estomac Rat** 7
Œsophage Rat 6
Prostate Rat 6
Pancréas Rat 5
Côlon Rat 4
Ganglion cervical
supérieur
Rat 4
Testicule,
épididyme, canal
déférent
Rat 4
Ganglion cœliaque Rat 3
Ovaire Rat 2
Pavillon de l’oreille Chien, rat 2
Rate Rat 2
Anus Rat 1
Clitoris Rat 1
Foie Rat 1
Glande mammaire Rat 1
Glande thyroïde Rat 1
Ligament Rat 1
Moelle osseuse Rat 1
Muscle
bulbospongieux
Rat 1
Paroi artérielle de
la queue
Rat 1
Moteurs Diaphragme Chat*, furet, rat 11
Langue Furet, rat 5
Muscles épi-axiaux Rat 4
Abdomen Furet 2
Face Rat 2
Nerf sciatique Rat 2
Muscles
extraoculaires
Rat 2
Muscles
masticateurs
Rat 2
Muscles de la
patte
Rat 2
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