LE FRONT INTERTROPICAL EN AFRIQUE OCCIDENTALE par P. SURAUD Ingénieur de la Météorologie Le front intertropical, dénommé plus brièvement F. 1. T., est une surface de di~con tinuité entre deux masses d'air possédant des caractères très différents: l'air tropical continental, chaud et sec, de l'harmattan et l'air tropical maritime, frais et humide, de la mousson. A proximité du littoral atlantique, l'alizé boréal sc substitue à l'harmattan. On donne également le nom de F. 1. T. à la trace au sol de la surface de discontinuité précédemment définie. C'est dans cette dernière acception que, sauf spécification contraire, nous utiliserons le mot F. 1. T. SITUATION BAROM~TRIQUE MOYENNE AU SOL EN AFRIQUE : Au cours de l'hiver boréal, l'anticyclone subtropical recouvre la partie du continent africain située au Nord du 20e parallèle Nord. Il constitue ainsi une dorsale rattachant parfois l'anticyclone des Açores au puissant anticyclone asiatique d'hiver. Une dépression thermique centrée sur le désert de KALAHARI intéresse le continent africain au Sud de l'Equateur et se prolonge sur le littoral septentrional du Golfe de Guinée à travers le Congo belge et le Sud de l'A. E. F. Au cours de l'été boréal, une vaste dépression thermique centrée sur le SAHARA, recouvre l'Afrique au Nord de l'Equateur et se rattache à travers l'Arabie et l'Iran à la dépression thermique asiatique. Dans les basses couches de l'atmosphère, l'anticyclone subtropical boréal disparaît dopc sur le continent. L'anticyclone subtropical austral est, au contraire, particulièrement puissant. Il est centré sur le Transvaal et recouvre l'Afrique australe entière. COURANTS A~RIENS AU SOL : L'alizé boréal intéresse les régions côtières de Mauritanie et du Sénégal. Originaire de l'anticyclone des Açores, c'est un vent de N à NE. L'harmattan est un vent continental de secteur E qui souffle sur le versant méridional de l'anticyclone centré en hiver sur l'Afrique du Nord, en été sur la Méditerranée. Très chaud et très sec, il transporte fréquemment du sable. Il cst séparé de l'alizé boréal par le front des alizés, quasi-stationnaire le long des côtes de Mauritanie et du Sénégal, qui est généralement peu actif. l - 30 - La mousson est un courant de SW, frais et humide. Sollicité par la dépression thermique d'Afrique centrale, l'alizé austral de SE, issu de l'anticyclone de Sainte-Hélène, empiète sur l'hémisphère Nord. A son passage à l'Equateur, l'accélération de Coriolis change de sens et le courant tourne de SE à S, puis à' SW. , Ce courant de SW' porte le nom de mousson. Notons bien que ce terme consacré par l'usage, est impropre, strictement parlant, la mousson est un vent saisonnier d'origine thermique, comme la mousson des Indes. . Or, en Afrique Occidentale, le courant de SW n'est nullement saisonnier. Il existe toute l'année, seule son extension vers le Nord varie selon la saison. ' Quoi qu'il en soit, la mousson joue le rôle de masse froide par rapport à l'harmattan et à l'alizé boréal. Les météorologistes ont longuement discuté et discutent encore sur la dénomination : front intertropical. Certains allèguent que la différence de température entre les deux masses d'air juxtaposées est trop faible pour que l'on puisse parler de front au sens propre du terme et préfèrent employer la locution: ligne de convergence intertropicale. En ce qui concerne l'Afrique Occidentale, aucune ambiguïté, il s'agit bien d'un front véritable. POSiTION DU f. 1. T. : Le F. I. T. est un front quasi-stationnaire, c'est-à-dire que ses déplacements sont lents. Il est cependant animé d'un mouvement ayant pour période une année, d'un. mouvement ayant pour période 24 heures et de mouvements accidentels, lents et peu fréquents. Au cours de sa variation annuelle, le F. I. T. se déplace comme le soleil, avec un léger retard sur celui-ci, du Sud au Nord de janvier à août, du Nord au Sud de septembre à décembre. Il coïncide sensiblement avec l'équateur thermique. En janvier, mois où il occupe sa position la plus méridionale, sa position moyenne passe un peu au Nord de CONAKRY, puis s'étend parallèlement à la côte du Golfe de Guinée, s'infléchit vers le SE sur le Camemuo et atteint l'Equateur au Nord-Est du Lac LEOPOLD II, au Congo belge. (Voir fig.!.) En août, sa position moyenne passe sensiblement par NOUAKCHOTT, s'oriente vers le NE, atteint le 20e parallèle Nord au Sud d'ATAR et suit sensiblement ce parallèle d'Ouest en Est à travers le Soudan, le Niger et le Tchad. (Voir fig. 2.) La variation diurne de là position du F. I. T. est peu marquée, il est animé d'une oscillation de faible amplitude autour de sa position moyenne. Les variations accidentelles sont peu fréquentes. Tout renforcement ou déplacement vers le Sud de l'anticyclone des Açores provoque un déplacement du F. I. T. vers le Sud. Le renforcement de l'~nticyclone des Açores est causé par une invasion polaire de fin de famille à l'arrière d'une"dépression d'Ouest passant sur l'Europe Occidentale ousurlaMéditerranée. Une telle invasion est visible sur les cartes synoptiques et le déplacement du F. I. T. vers le Sud peut être ainsi prévu. Inversement, tout renforcement de la mousson, causé par un renforcement de l'anticyclone de SAINTE-HÉLÈNE, consécutif à une invasion polaire de fin de famille à l'arrière d'une dépression du front polaire austral, entraîne un déplacement du F. J. T. vers le Nord. Malheureusement, à l'heure actuelle, l'absence d'observations synqptiques sur l'Atlantique Sud ne permet pas de prévoir un tel mouvement avant que les premiers symptômes du renforcement de la mousson ne se soient manifestés sur le littoral du Golfe de Guinée. Ces déplacements intéressent seulement une région restreinte du F. I. T. et sont particulièrement fréquents sur la moitié Occidentale de l'A. O. F. - 31 - _iSOBARES MOYENNES ET POSiTioN MOYENNE DU FiT _ _JANVIER _ _ _ _-..-_1018 KAItMA"AM _ ""'- 1016 - - 1014 _ ~_--~r-::~ -----~ Fig. 1 i ~J - 3Z - _iSOBARES MOYENNES ET POSiTioN MOYENNE DU FiT _ _ JUiLLET_ Fig. 2 ., . . . . . « ' c .. ~~ - 33 - LE TEMPS AU PASSAGE DU F. 1. T. : Lorsque le F. 1. r. est stationnaire, il ne donne lieu, en Afrique Occidentale, à aucune formation nuageuse et à aucune précipitation. Lorsqu'il se déplace vers le Sud, il se comporte comme un front chaud. Or, dans les régions tropicales continentales, les fronts chauds sont très atténués et passeraient inaperçus sans la rotation de vent qui les accompagne. Le passage du F . .I. T. n'est donc marqué par aucune formation nuageuse et aucune précipitation. Lorsque le F. 1. T. se déplace vers le Nord, il se comporte au contraire comme un front froid. Il donne donc des nuages cumuliformes très bourgeonnants et des averses parfois orageuses, principalement à proximité du littoral atlantique. En effet, dans cette région, c'est l'alizé boréal qui est animé d'un mouvement ascendant le long de la surface du F. I. T.; comme cet air est humide, un déplacement vertical assez faible suffit à amener la condensation. Dans l'intérieur, au contraire, l'harmattan est trop sec pour donner lieu à des formations nuageuses et à des précipitations importantes. STRUCTu'RE DE LA SURFACE DU FRONT INTERTROPICAL : Si on effectue une coupe verticale de l'atmosphère selon un méridien, on observe que la mousson forme un coin d'air froid au-dessous de l'harmattan ou de l'alizé boréal. La pente de cette surface frontale, modéré~ à proximité de sa trace au sol, diminue rapidement lorsqu'on se dirige vers le Sud, de sorte que l'épaisseur de la mousson n'est jamais supérieure à' 2.500-3.000 m. Lorsqu'on s'élève en altitude, le courant de Sud-Ouest est donc surmonté par un courant de Nord-Est à Est dont la base est toujours à une altitude inférieure à 3.000 m. -COURe Verticale duFIl Selon un Mérldlen_ - ~ ....... __----=;5:=- 1 1 +3000 m Harmatt.:.:a:n;....__...._~I 1 +2000m 1 1 Mousson , t 1000 , Il 1 1 'TTT~h-r..,..,..,..,..,..,..,.,..,..,.,.,~~~~~T"r7'..,..,..,"TT'7"TT'7..,.,.,"""T:~rrr.rrr.r-frrrr- S' La direction des t1êches, conforme à la représentation conventionnelle des cartes météorolo~iques. indique pour l'harmattan une provenance Nord-Est et pour la mOUsson une provenance Sud-Ouest. LE F. 1. T. ET LE RéGIME PLUVIOMéTRIQUE : A l'intérieur de l'harmattan, on n'observe aucune précipitation. Dans l'alizé boréal, quelques faibles et rares averses peuvent se produire sur le front des alizés lorsque celui-ci est revigoré par une invasion d'air polaire. Dans la mousson, au contraire, une succession de lignes de grains se déplace d'Est en Ouest et donne ce qu'on appelle improprement des « tornades 1). ,'_ ~, -.. _ - .. .. ,; ~ ';/" . - 34 - _VARIATIONS OU R~GiME PLuviOM~TRiQUE LE LONG OU 5~MÉRioiEN W_ .Lfgende_ (en haut) FERKESSÉDOUGOU g' 30'N ,SAN. 13'20'N NiAFUNKt. 16'OO'N ARAOUAN. 18'54'N _ _ (en bas) El E 300 2SO 20Q l ,,, • 1511 A ,, , ,\\ , \ ,, , \\\ " , ,,1 \ \, \ ,, 11\' ,\ /. \ \ \ \ ; ,/ r \ ' 1 / \ ,1 , \ , i ,, , ' . / \ \ ',\\ , \ . \ ,/ /. ,'.. o ----,' ; _ / -=.--------.=;=---1 1 1 , , i J F M A M J Flg,3 \ '\ ~ \,-----~ .......... , 1 , J A S 1 o 1 N 1 o - 35 - _VARiATioNS DU RÉGiME PLuvioMËTRiQUE LE LONG DU 5 ~MÉRiDiEN W_ E E ABiDjAN 5·19' N sao 4 400 350 300 250 200 150 100 50 o 1 J 1 F i M 1 i i 1 i A J J A S Fig. 4 1 o 1 N i o , ..,\. -, ~'- . - 36 - 8 r. f 1 f Les « tornades ) sont simplement des averses orageuses, très analogues aux grains de forte intensité que l'on observe dant les régions tempérées au passage d'un front froid violent. Elles ne présentent pas le caractère tourbillonnaire que le mot « tornade ) semblerait impliquer. . Les «( tornades ) ne peuvent se former que dans les régions 04 l'épaisseur de la mousson atteint au moins 1.000 à 1.500 m., donc à quelques degrés au. Sud du F. I. T. Sur le continent africain, ces« tornades ) sont responsables de la quasi-totalité des précipitations. On conçoit donc qu'au Nord du 9° N, il existe une seule saison des pluies, à laquelle on donne le nom « d'hivernage ). Elle se produit à la saison chaude et est d'autant plus courte que l'on se déplace vers le Nord. Par 10° N, elle dure sept mois (avril à octobre) ; par 12°30' N, cinq mois (mai à septembre) ; par IS° N, trois mois (juillet à septembre) ; vers 17° N, un à deux mois . (août-septembre ou bien août seulement). A partir de 180 N, il n'y a plus de saison des pluies à proprement parler et le climat évolue au fur et à mesure qu'on se déplace vers le Nord, vers le climat désertique. Entre le littoral du Golfe de Guinée et approximativement 8° N, le régime des pluies est tout différent. Il existe une grande saison sèche de décembre à avril, une grande saison des pluies de mai à juillet, une petite saison sèche en août et septembre et une petite saison des pluies en octobre et novembre. Pendant la grande saison sèche, l'épaisseùr de la. mousson est trop faible pour permettre le !iéveloppement des « tornades ). Puis le déplacement du F. I. T. vers le Nord permet pendant la grande saison des pluies une fréquence maximum des«( tornades ). De août à septembre, l'anticyclone subtropical austral empiète largement sur les régions' côtières du Golfe de Guinée et les protège contre le passage des (1 tornades ), c'est la petite saison sèche. Le recùl vers le Sud de l'anticyclone subtropical austral ramène un second maximum de la fréquence des «( tornades ) et donne en octobre-novembre la petite saison des pluies. En réalité, même à la saison sèche, les régions situées au Sud de 8° N sont fortement arrosées par suite de l'ascendance de la mousson humide et instable sur le littoral et d'autant plus que la côte est. plus directeID,ent exposée au courant de Sud-Ouest.