ENSEIGNEMENT PHILOSOPHIQUE AU LYCÉE ET DÉMOCRATISATION 3
L'enseignement philosophique – 64eannée – Numéro 3
ture, une attitude, un état d’esprit, le très fameux esprit critique qui caractérise les
philosophes, et eux seuls bien sûr, et dont la philosophie serait l’écho, ou à sa définition
comme réflexion, en commun bien sûr, bref, à tout ce qui finit d’ailleurs par justifier
pour d’autres que la philosophie ne serait que prétention à parler de tout et de n’importe
quoi avec plus d’habileté que d’autorité.
Il faut au lycée un enseignement qui doit se suffire à lui-même et s’adresser dans un
temps limité à des élèves qui pour la plupart ne feront plus de philosophie. Que faire qui
ne serait pas que la mutilation d’un tout, supposant qu’on a déjà choisi de ne tra-
vailler que pour une mince élite. En faisant de la philosophie au lycée la première
marche d’une progression savante, on ne pourrait que condamner l’enseignement de la
philosophie dans le secondaire, refuser de vouloir enseigner la philosophie à celui qui
ne s’y destine pas. Que faire donc qui pourrait être un commencement et pourtant va-
loir pour lui-même ? Telle doit être l’ambition d’un enseignement démocratique parce
que voulant la démocratisation, c’est-à-dire voulant dans le cadre présent, si insatis-
faisant soit-il, s’adresser au plus grand nombre 6.
Alors, si l’on envisage une réponse à ce « que faire ? », compte tenu de ce qui
vient d’être dit, nous croyons que c’est une réponse qui justifie un programme de no-
tions, partant de l’idée qu’il y a bien quelque chose dans la philosophie qui fait cette
incapacité à lui attribuer un objet propre dont elle pourrait se dire l’enseignement.
La question qu’on peut se poser, à l’envers du providentialisme évoqué ci-dessus,
est de savoir si la difficulté d’une identification de la philosophie, donc de son ensei-
gnement, n’est pas en proportion de la reconnaissance, qui lui est propre, de la difficulté
d’identifier assurément quoi que ce soit, de connaître quoi que ce soit avec certitude,
difficulté reconnue d’identifier assurément une quelconque et ultime réalité, difficulté
reconnue de savoir pour l’homme ce qu’il pourrait assurément penser de lui-même et
du monde, de toute chose, et de savoir ce qu’il pourrait faire de lui-même. Il nous
semble que c’est cela, cette difficulté, reconnue, prise en charge, posée, qui fonde la phi-
losophie, et qu’assume à sa manière toute philosophie. C’est d’éprouver l’inquiétude qui
vient en conséquence de la conscience de cette difficulté, de l’assumer comme un pro-
blème, et de tenter de s’en faire une conception, d’en penser quelque chose, peut-être
de lui trouver des réponses, qui font qu’on commence à être philosophe et que com-
mence toute philosophie. L’homme, dès qu’il y réfléchit, est celui qui s’aperçoit de l’in-
certitude dans laquelle il est. C’est reconnaître cela qui fait la philosophie à son dé-
part, qui unit les philosophes, reconnaître, par exemple, que ce que nous nommons,
monde, réalité, temps, vérité, humanité, matière, esprit, liberté, mort, bonheur, justice, etc.,
désigne nos incertitudes, et peut-être définitivement. Ces mots, liste non exhaustive,
dans la variation du sens qu’on leur donne, renvoient à nos difficultés, à nos interro-
gations, aux réponses que l’on croit avoir trouvées.
En ce sens la philosophie, c’est peut-être un scepticisme posé comme fonds commun
de toute philosophie et qui devrait toujours le rester. C’est au lycée le point de départ
auquel doit amener ou ramener un enseignement de la philosophie qui, en ce sens,
pourra être dit philosophique, c’est-à-dire, d’abord, ne voulant pas prétendre enseigner
6. C’est l’allégement que la plupart des professeurs réclamaient avant qu’il en soit fait une question de nature du
programme, jusqu’à la « guerre » que nous avons subie. Nous croyons par ailleurs que s’il y a des causes internes
à notre enseignement, celui-ci ne peut à lui seul réussir dans une école en échec, à moins d’appeler démocrati-
sation, non une simplicité, mais un appauvrissement, qui suffirait aux pauvres. Ainsi, quand bien même il y a
sans doute à faire du côté du programme et des épreuves, ce à quoi nous nous consacrons, nous ne croyons
pas que notre enseignement se sauvera à lui seul de ses difficultés. L’APPEP est en ce sens attachée à une réflexion
qui situe notre enseignement dans son contexte.