COMBAT DE DÉMONS
Scène coupée au montage de
L’ASCENSION DU SERPENT
(HORDES TOME 1)
de LAURENT GENEFORT
L’affrontement eut lieu au cœur d’un univers réduit à une masse rocheuse flottant dans un
néant gris. Une bataille. Mais pas une bataille telle que les hommes la concevaient…
Cela commença par une pousse, qui perça le sol d’une aridité absolue. Une pousse
hésitante, dardant sa tige blême vers l’absence de soleil. Une brise inodore soufflait qui, infime
pourtant, parvenait à la faire osciller. La pousse grossit, des veinules gonflèrent sa tige. Un
gargouillement de sève monta de ses entrailles le premier bruit dans ce monde de silence. Des
ramifications apparurent au sommet. Sur les petites branches nouvellement créées se formèrent
des bourgeons, dun vert pâle presque blanc.
Alors, son antagoniste donna l’assaut.
Pas plus grande que l’ongle du pouce, la coccinelle voleta en bourdonnant autour de
l’arbrisseau. Sa carapace était d’un beau rouge vif, pareil à du sang répandu. Elle se posa sur
l’une des branches, s’approcha d’une feuille et la trancha d’un clappement de mandibules
aiguisées. La plante frémit, tandis que la feuille tombait en tournoyant vers le sol. À peine
avait-elle touché terre que l’insecte atterrit dessus et attaqua la chair végétale. La feuille se
recroquevilla, noircit et se dessécha jusqu’à tomber en poussière.
La coccinelle vibra ; de ses élytres tombèrent des larves translucides, qui s’enfouirent
aussitôt. Soudain, l’insecte leva ses yeux à facettes vers les branches. Sur l’une d’elles, une
fleur d’un violet cru venait d’éclore. La coccinelle s’envola dans un vrombissement, incapable
de résister à la fragrance qui s’en échappait. Les pétales charnus s’ouvrirent largement, et
laissèrent pénétrer l’ennemi dans le pistil garni de cils gluants. Le poison contenu dans le nectar
envahit l’insecte, qui mourut dans une convulsion.
Entre-temps, les larves s’étaient métamorphosées, libérant une nuée d’insectes de toute
nature. La fleur qui avait digéré la coccinelle fut chiquetée, les feuilles rongées jusqu’à la
tige. Tandis qu’une rumeur de victoire faisait vibrer la nuée, la plante, dans une ultime poussée,
émit de nouveaux surgeons. Des noix grossirent, sur lesquelles les insectes s’acharnèrent en
vain : les cosses étaient trop dures. Lorsqu’elles eurent atteint la taille d’un poing, les noix
explosèrent en même temps, réduisant à néant l’armée d’insectes agglutinés dessus. Une pluie
de corps en lambeaux tomba tout autour de la plante. Celle-ci continuait sa croissance. Sa tige
s’épaissit, devint un tronc rugueux à l’écorce squameuse. De nouvelles feuilles se déployèrent,
majestueuses.
L’arbre ignora les longs vers fins qui émergeaient de l’abdomen des insectes abattus. Les
créatures rampèrent en se contorsionnant sans bruit. Elles ne tardèrent pas à former un tapis de
vrilles blanchâtres, un foisonnement tentaculaire qui partit à l’assaut de l’arbre. Sitôt qu’elles
entraient en contact avec le tronc, leur bouche-ventouse émettait un suc acide capable de
dissoudre l’écorce. Il ne leur fallut que quelques instants pour forer des centaines de galeries et
entreprendre de dévorer l’arbre de l’intérieur. Peu à peu, les feuilles jaunirent et dépérirent. Les
minces vers blancs s’abreuvaient à sa sève. Bientôt, le tronc ne fut plus qu’une masse
grouillante qui menaçait de faire craquer l’écorce.
L’arbre sut qu’il était perdu. Il fit grossir une cosse à son sommet et, dans un ultime effort,
l’expulsa au loin.
La cosse évoquait une citrouille à demi remplie d’air. Elle éclata en touchant le sol,
répandant des graines alentour. Frénétiquement, celles-ci s’enfouirent.
Une nouvelle guerre commença, avec ses déchirements et ses arrachements, ses dévorations
intenses, ses pourrissements… puis une autre, et une autre encore, pendant des éons.
Alors, les deux antagonistes surent qu’aucun des deux ne prendrait l’avantage. Que c’était
sur un autre terrain que se livrerait la véritable guerre.
© Bragelonne.fr
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