Cancer : « Nous avons une connaissance considérable de certains

Cancer : « Nous avons une connaissance
considérable de certains facteurs de risque »
Christopher Wild, directeur du Centre international de recherche sur le cancer, décrypte pour « Le
Monde » les grandes tendances du cancer dans le monde.
LE MONDE | 25.10.2016 à 12h20 • Mis à jour le 25.10.2016 à 20h12 | Propos recueillis par Gary Dagorn (/journaliste/gary-
dagorn/) , Sandrine Cabut (/journaliste/sandrine-cabut/) et Stéphane Foucart (/journaliste/stephane-foucart/)
A l’occasion de l’enquête que publie Le Monde, mardi 25 octobre, sur les chiffres du cancer en
France , Christopher Wild, directeur du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC)
décrypte les grandes tendances d’évolution des tumeurs malignes dans le monde . Il revient
notamment sur l’évolution de certains cancers majeurs (poumon, sein, côlon-rectum) dans les pays
pauvres ou émergents.
Lire aussi : Cancer : les chiffres qui inquiètent (/sante/article/2016/10/25/cancer-les-chiffres-qui-
inquietent_5020017_1651302.html)
Quelles sont les grandes tendances mondiales dans l’évolution d’incidence des cancers ?
Aujourd’hui, nous n’avons pas de données solides sur l’évolution à long terme de l’incidence des
cancers pour tous les pays ; ces informations, obtenues grâce à des registres, demeurent rares
dans de nombreux pays en développement. A partir de la base de données du CIRC, nous
A l'Institut universitaire du cancer de Toulouse (IUCT), en juin 2015. REMY GABALDA / AFP
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observons des transitions liées au développement : les taux d’incidence de certains cancers
majeurs (poumon, sein, côlon-rectum) sont en augmentation dans beaucoup de pays pauvres ou
émergents, alors que plusieurs autres, plutôt associés à la pauvreté ou à des maladies infectieuses
(utérus, estomac, foie), semblent plutôt sur le déclin.
A grands traits, l’explication des incidences en augmentation tient au changement de la répartition
des risques dans les pays en transition, qui s’approchent de ceux des pays riches : consommation
de tabac , surpoids, sédentarité, recul de l’âge de la maternité et allaitement… Pour plusieurs
cancers, on peut observer des tendances globales divergentes : chez les hommes, le cancer du
poumon tend à cliner dans les pays à haut revenu, mais il est stable ou toujours en hausse chez
les femmes.
Ces tendances reflètent la « maturité » de l’épidémie de tabagisme, et le fait que les femmes ont
adopté la cigarette plus récemment que les hommes. Dans les pays à faibles revenus, l’habitude de
fumer est venue globalement plus tard et nous pourrions observer, dans les décennies à venir , des
incidences de cancers en augmentation rapide dans certains pays, notamment sur les hommes.
D’autres cancers sont en augmentation : un sous-type de cancer de l’œsophage très lié à l’obésité
est en augmentation dans plusieurs pays occidentaux.
Lire aussi : Santé : un Français sur deux est en surpoids (/planete/article/2016/10/25/un-francais-
sur-deux-est-en-surpoids_5019615_3244.html)
Comment peut-on interpréter les brusques hausses d’incidence du cancer de la thyroïde ?
Ces hausses sont liées au développement de nouveaux outils de diagnostic (tomographie, imagerie
par résonance magnétique, etc.), qui ont conduit à une augmentation considérable des détections
de petites tumeurs papillaires, qui ne se seraient pas manifestées.
Malgré un déclin au niveau mondial, le cancer du col de l’utérus est toujours en croissance dans
certains pays en Afrique de l’Est, en Europe orientale et dans les pays de l’ex-Union soviétique.
Les incidences de bien des types de cancer sont toutefois raisonnablement constantes. L’incidence
et la mortalité du cancer du pancréas sont relativement stables, par exemple. Mais en raison du
mauvais pronostic de ces tumeurs et des avancées dans la détection et le traitement des autres
formes majeures de cancer (sein, prostate, côlon-rectum), cette maladie est devenue l’une des
principales causes de la mortalité par cancer dans les pays de l’Union européenne .
Outre les grandes causes connues – tabagisme, alcool –, quels sont les grands déterminants
des tendances observées ?
Nous avons aujourd’hui une connaissance considérable de certains facteurs de risque, qui peuvent
expliquer une partie des évolutions observées. D’abord, l’impact des infections chroniques est
souvent négligé comme facteur de risque, mais compte pourtant pour environ 15 % de cancers au
niveau mondial, en particulier pour le foie (hépatites virales), le col de l’utérus (papillomavirus) et
l’estomac (Helicobacter pilori).
Cependant, cela varie considérablement en fonction des pays : en Afrique, plus de 40 % des
cancers sont liés à de telles infections, contre 1 % à 3 % en Amérique du Nord ou en Australie , par
exemple… Certaines de ces infections virales ou bactériennes baissent avec le niveau de
développement.
Il est aussi intéressant de voir , dans certains pays riches, la hausse du nombre de cancers des
sphères oropharyngée (bouche, lèvres, pharynx, etc.) et ano-génitale, associés à des transmissions
sexuelles du papillomavirus humain (HPV). Cette évolution est un argument supplémentaire pour
l’introduction du vaccin contre le HPV, dont les bénéfices vont au-delà de la prévention du cancer du
col utérin.
Quelles sont les conséquences de l’augmentation du tabagisme ?
Le tabagisme continue à croître dans de nombreux pays, ce qui conduit naturellement à une hausse
d’incidence du cancer du poumon et d’autres cancers, avec des augmentations marquées pour les
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Nous avons une connaissance considérable de certains facteurs de risque
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« L’ÉPIDÉMIOLOGIE
DOIT
CONSIDÉRER
L’ENSEMBLE DE
LA VIE ET DOIT
MESURER LES
EXPOSITIONS
DANS TOUTES
LES PÉRIODES DE
L’EXISTENCE »
femmes aussi bien que les hommes, de même que d’autres effets sanitaires (maladies
cardiovasculaires, troubles respiratoires chroniques , etc.).
Le surpoids et l’obésité et le manque d’activité physique augmentent de manière dramatique dans
de nombreuses régions du monde et ces changements de mode de vie sont associés à des risques
accrus de plusieurs cancers dont celui du sein, de l’œsophage, du côlon-rectum, du rein…
A quoi sont liés ces changements de mode de vie ?
Ils sont souvent liés à l’urbanisation, au régime alimentaire, aux boissons sucrées et à la
consommation de viandes rouges et transformées. De même, la tendance pour les femmes d’avoir
des enfants plus tard au cours de leur vie, d’avoir moins d’enfants et de n’allaiter que sur de courtes
périodes de temps est associée à des incidences en hausse du cancer du sein dans de nombreux
pays.
La cancérologie classique, qui repose avant tout sur la notion de mutation, n’est-elle pas
aujourd’hui dépassée par l’émergence de nouveaux paradigmes toxicologiques ?
Je ne dirais certainement pas que la notion de mutation somatique [d’une cellule] est, d’une manière
ou d’une autre, rendue obsolète par les avancées récentes dans la compréhension des mécanismes
moléculaires faisant le lit du cancer. Les cancers sont au contraire caractérisés par un grand
nombre de mutations.
Ce que je dirais plutôt, c’est que la découverte de nouveaux « événements », au niveau moléculaire
ou cellulaire qui conduisent au développement d’un cancer viennent en complément des travaux
fondamentaux menés sur les mutations et offrent des opportunités fantastiques d’étude de la
prévention, de la détection précoce et du traitement de la maladie.
Il est très stimulant de voir l’arrivée de nouveaux outils pour investiguer ces différents
« événements » – comme par exemple les modifications épigénétiques [des changements sur l’ADN
ou dans l’environnement des gènes] qui peuvent se produire sur les populations.
L’un des défis critiques auquel nous sommes confrontés est de comprendre
comment, outre l’induction de mutations, des facteurs environnementaux ou
comportementaux ont un impact sur le risque de développer un cancer.
Cette connaissance est fondamentale pour la prévention et la détection
précoce et a été jusqu’à présent en grande partie négligée, par rapport à
d’autres domaines de recherche sur le cancer.
L’épidémiologie des cancers n’arrive-t-elle pas à une limite, du fait que
pour l’heure, l’effet des facteurs environnementaux – comme par
exemple l’exposition à des toxiques – au cours des périodes critiques
du développement telles que la vie fœtale, la période périnatale,
l’adolescence – ne peut pas, dans la majorité des cas, être prise en
compte ?
Attention : ce serait une erreur de penser que les expositions au cours de la vie adulte seraient sans
importance ou nécessairement moins importantes que les expositions dans la période périnatale.
Cependant, l’épidémiologie doit certainement considérer l’ensemble de la vie et doit mesurer les
expositions dans toutes les périodes de l’existence, aussi précisément que possible, en utilisant les
instruments les plus fiables comme des questionnaires, des mesures environnementales ou des
marqueurs biologiques, par exemple.
Je ne pense pas que les expositions au cours de l’adolescence ou de la période périnatale ne
peuvent pas être mesurées, mais je reconnais qu’obtenir des mesures précises est certainement un
défi puisqu’elles se sont produites dans le passé. La nouvelle encourageante est que des nouveaux
développements scientifiques peuvent permettre de relever ce défi.
Quels sont-ils ?
J’en citerai deux. Le premier est que certaines expositions environnementales laissent un
« tatouage » moléculaire dans l’ADN – dans les cellules sanguines, ou dans la tumeur elle-même,
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par exemple – qui peut être détecté de nombreuses années après l’exposition. Cela permet de
commencer à ouvrir une fenêtre sur le passé.
Le second est qu’il y a dans le monde un grand nombre de cohortes épidémiologiques père-mère-
enfants, qui disposent d’échantillons biologiques des individus recrutés. Dans ces études, il est
possible de lier les expositions dans la période périnatale avec des changements dans la biologie de
l’enfant.
On peut ensuite interpréter ces effets en lien avec des dérèglements des fonctions cellulaires ou
moléculaires observés dans le développement de cancers plus tard dans la vie. Là encore, cela
permet d’établir un pont entre un événement qui se produit tôt dans la vie et ses conséquences,
bien plus tard.
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